VOTE DES FRANÇAIS ÉTABLIS HORS DE FRANCE POUR L'ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Discussion de deux propositions de loi organique
et adoption des conclusions d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- de la proposition de loi organique (n° 270, 1994-1995) de MM. Charles de Cuttoli, Jacques Habert, Pierre Croze, Paul d'Ornano, Jean-Pierre Cantegrit, Xavier de Villepin, Mme Paulette Brisepierre, MM. Hubert Durand-Chastel et André Maman tendant à compléter la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République ;
- de la proposition de loi organique (n° 271, 1994-1995) de MM. Charles de Cuttoli, Jacques Habert, Pierre Croze, Paul d'Ornano, Jean-Pierre Cantegrit, Xavier de Villepin, Mme Paulette Brisepierre, MM. Hubert Durand-Chastel et André Maman tendant à modifier et compléter la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République. [Rapport [n° 412 (1995-1996).]
La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion générale commune de ces deux propositions de loi organique.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.
M. Charles de Cuttoli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le sécrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à rassurer immédiatement le Sénat : deux propositions de loi organique, auxquelles se sont ajoutées par la suite deux autres propositions de loi organique, cela ne fait pas quatre propositions de loi organique, mais cela n'en fait qu'une seule, grâce au travail compréhensif de la commission des lois. Par conséquent, notre débat sera très simplifié.
Je tiens ensuite à remercier notre éminent collègue : M. Christain Bonnet : pour avoir été le rapporteur de la loi organiquedu 19 janvier 1995, à laquelle ce texte se réfère, il devait à l'origine rapporter les conclusions de la commission des lois ce matin, mais il n'a pu être aujourd'hui parmi nous. Le Sénat, bien entendu, y perdra !
C'est donc regroupées en un seul texte que ces quatre propositions de loi organique sont présentées au Sénat et le fait même que figurent parmi les quatre signataires de ces quatre propositions l'ensemble des sénateurs des Français de l'étranger, toutes tendances confondues, suffit déjà à témoigner de l'intérêt que les Français de l'étranger y portent.
De quoi s'agit-il ? La loi du 31 janvier 1976 - cela me rajeunit beaucoup : j'en étais déjà le rapporteur et je me vois encore vous la présenter à cette même tribune - créait pour la première fois des centres de vote à l'étranger dans les ambassades et les consultats de France pour une certaine catégorie d'élections, les élections à caractère national. Il s'agissait à l'origine de l'élection du Président de la République, puis, sur ma proposition, ont été ajoutés d'abord les référendums et, quatre mois plus tard, les élections au Parlement européen.
Pourquoi cette catégorie d'élections et pas les autres ? Parce que les résultats sont centralisés à Paris dans un bureau unique, où le dépouillement, la récapitulation et la proclamation peuvent être aisément réalisés.
Pour les autres catégories d'élections, les élections municipales, par exemple, où il y a près de 37 000 circonscriptions, il est évident que les centres de vote ne pourraient pas fonctionner et que le mode de vote des Français de l'étranger doit demeurer le vote par procuration.
L'inscription dans les centres de vote des Français de l'étranger est facultative et, bien entendu, le Français de l'étranger peut rester inscrit sur les listes électorales d'une commune métropolitaine.
Ce système fonctionne depuis 1976, c'est-à-dire depuis vingt ans, de façon satisfaisante pour les Français de l'étranger, qui peuvent ainsi aller déposer eux-mêmes leur bulletin de vote dans l'urne sans être obligés de faire établir une procuration et de parcourir un circuit administratif incertain au terme duquel ils n'exercent pas eux-mêmes leur droit de vote.
Malheureusement, depuis 1976, cinquante et un consulats de France ont été fermés, la plupart du temps, probablement, pour des raisons budgétaires. Par voie de conséquence, les cinquante et un centres de vote qui y étaient rattachés ont été fermés et cela a entrainé - ce qui est tout à fait compréhensible, d'ailleurs - un certain abstentionnisme, parce que le Français ne dispose pas toujours à l'étranger de ce magnifique réseau que nous connaissons dans notre beau pays. Pour aller au bureau de vote, il faut ainsi parfois faire plusieurs centaines de kilomètres, voire quelques milliers. Les déplacements sont souvent longs, difficiles, onéreux et, parfois aussi, il faut le dire, dangereux.
C'est pourquoi, lorsque le Gouvernement déposa, à la fin de 1994, le projet de loi organique qui devait devenir la loi organique du 19 janvier 1995 relative aux modalités d'élection du Président de la République ainsi qu'à certains aspects du financement de cette élection, un certain nombre de mes collègues et moi-même en avons profité pour déposer un amendement.
Adopté à la fois par le Sénat et par l'Assemblée nationale, cet amendement tendait à prévenir l'abstentionnisme dû à la fermeture de certains centres, en permettant l'ouverture de bureaux de vote dans les agences consulaires pour l'élection présidentielle ainsi que pour les élections européennes et pour les référendums, c'est-à-dire pour les scrutins qui ont un caractère national et qui sont donc faciles à mettre en oeuvre.
Qu'est-ce qu'une agence consulaire, me direz-vous ? Il s'agit de bureaux administratifs situés dans des localités suffisamment éloignées des consulats et placés sous l'autorité du consul. Les agents consulaires, les consuls honoraires ou les consuls généraux honoraires sont des personnalités, françaises ou parfois étrangères, qui rendent les plus grands services mais qui n'ont aucun pouvoir propre. Ce sont, en quelque sorte, les correspondants du consul. Ils transmettent les innombrables demandes qui constituent le quotidien des Français expatriés : les demandes de passeport, de carte nationale d'identité, de visa, d'inscription sur les listes électorales, de bourse scolaire, d'allocations de toutes sortes, etc. Ils recueillent tous les renseignements nécessaires, les transmettent au consul, reçoivent les documents et les remettent aux intéressés. Même s'ils n'ont aucun pouvoir propre, ils rendent donc néanmoins de grands services.
Le ministère des affaires étrangères avait accepté cet amendement tendant à l'ouverture de bureaux de vote dans les agences consulaires, en assortissant son accord de certaines conditions : il fallait que les circonstances locales l'exigent, que le nombre de Français dans la circonscription considérée soit suffisant pour justifier l'ouverture d'un bureau de vote supplémentaire ; par ailleurs, de façon à la solenniser et à l'entourer d'un maximum de garanties, cette création de bureaux de vote devait être faite par décret.
La commission des lois, sur ma suggestion, avait ajouté un certain nombre de garanties supplémentaires afin d'éviter toute difficulté et tout recours possible. Nous avions ainsi défini pour ces nouveaux bureaux de vote un périmètre géographique ; nous avions considéré qu'il fallait, pour organiser le scrutin, que l'agent consulaire soit non seulement français, mais aussi membre de la fonction publique ; les locaux devaient être des locaux français ou mis à la disposition de l'Etat français, tels que lycées français ou instituts culturels ; en outre, le contrôle des opérations électorales devait être opéré dans les mêmes conditions que pour les centres de vote créés par la loi de 1976.
La commission des lois avait, enfin, assorti son amendement d'un renvoi à un décret pris en Conseil d'Etat. Nous nous étions alignés, ce faisant, sur l'article 13 de la loi du 31 janvier 1976, dont je vous rappelle les termes : « Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article 19 prendra les mesures nécessaires pour adapter les dispositions de ces articles aux conditions de fonctionnement des centres de vote. »
S'agissant d'une loi organique, la loi du 31 janvier 1976 avait été déférée au Conseil constitutionnel, qui n'y avait absolument rien trouvé à redire. Toutefois, le Conseil constitutionnel est comme un fleuve : on ne se baigne jamais dans les mêmes eaux ! C'est ainsi que le Conseil constitutionnel de 1995, qui n'était évidemment plus celui de 1976, a émis des réserves sérieuses devant la disposition que nous voulions alors insérer dans la loi de 1995 et qui n'était pourtant que la reprise d'une disposition analogue figurant dans la loi de 1976.
Je n'ai pas l'habitude d'abuser des citations, mais vous m'excuserez certainement de vous lire rapidement certains des attendus du Conseil constitutionnel :
« En permettant au pouvoir réglementaire non pas seulement de fixer certaines modalités d'application d'une loi organique, mais encore d'adapter les dispositions de celle-ci en vue d'assurer le fonctionnement de certains bureaux de vote à l'étranger, le législateur a méconnu la compétence exclusive » qu'il tient de l'article 6 de la Constitution.
Bien entendu, les articles qui étaient inséparables de la création de ces centres de vote ont été censurés.
Nous avons donc repris ce texte, en parlant non plus d'adaptation mais d'application et en renvoyant l'application au décret existant.
Une deuxième proposition de loi, dont les éléments sont repris dans le texte que nous vous présentons, correspond à un voeu adopté à l'unanimité - comme cela a été le cas pour les premières dispositions dont je viens d'entretenir le Sénat - par le Conseil supérieur des Français à l'étranger, qui, comme le Sénat le sait, est l'assemblée représentative des Français de l'étranger, élue au suffrage universel direct dans les ambassades et dans les consulats.
Elle concerne, d'abord, les commissions administratives des centres de vote.
Il a fallu faire un effort d'imagination : en France, les commissions administratives qui révisent les listes électorales sont présidées de droit par le maire, assisté de deux personnes dont l'une est désignée par le préfet et l'autre par le président du tribunal compétent de façon à assurer une impartialité totale.
Or, pour les Français de l'étranger, il n'y a ni préfet ni maire, mais les membres du CSFE, qui sont élus au suffrage direct, et ceux du bureau permanent, qui se réunit dans l'intervalle des sessions du conseil, désignent deux personnes pour siéger à la commission administrative chargée de la préparation des listes des centres de vote.
La loi de 1976 n'a pas fixé la durée du mandat des personnes désignées par le CSFE ; elles étaient donc nommées pour un temps illimité.
C'est extrêmement gênant en raison de la mobilité des Français de l'étranger. C'est également gênant car le Conseil supérieur des Français de l'étranger qui va les désigner est renouvellé partiellement tous les trois ans.
Par ailleurs, les Français de l'étranger élisent, au suffrage universel également, leurs représentants au Conseil supérieur des Français de l'étranger. Cette élection, cependant, est régie par des textes différents, les listes électorales ne sont pas les mêmes et les commissions administratives diffèrent.
Les commissions administratives chargées d'établir les listes électorales pour les élections au CSFE, depuis une loi de 1990, sont composées de membres élus pour trois ans. Quant aux commissions chargées des élections à caractère national, elles sont composées de membres désignés pour une durée illimitée ce qui est évidemment anormal.
Nous avons donc voulu harmoniser les procédures en réduiront au renouvellement triennal du Conseil supérieur des Français de l'étranger la durée des mandats des membres des commissions administratives.
Nous avons également voulu harmoniser certaines dispositions relatives à la réouverture des listes électorales avec celles qui existent dans le code électoral français. Dans la loi du 31 janvier 1976, s'agissant de la création des centres de vote, il n'était pas prévu que les listes électorales, qui sont clôturées le 31 décembre, puissent être réouvertes, notamment en faveur de fonctionnaires qui sont mutés dans la circonscription ou pour les mineurs devenus majeurs.
Conformément au voeu du Conseil supérieur des Français de l'étranger, nous avons donc demandé, selon des dispositions spéciales quant aux délais et avec un juge spécial, qui est le juge d'instance du premier arrondissement de Paris, que ces listes électorales puissent être réouvertes et, par conséquent, que l'on puisse y être inscrit si l'on est un fonctionnaire muté ou si l'on est devenu électeur.
Excusez-moi d'avoir été un peu long pour présenter ces textes modestes juridiquement, mais intéressants pour les Français établis hors de France, comme en témoignent les signatures de leurs auteurs.
Par conséquent, la commission vous demande de bien vouloir les approuver comme elle-même les a adoptés. (Applaudissements sur les través du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la francophonie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, une proposition de loi organique est aujourd'hui en discussion. Elle comprend trois articles tendant à compléter la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976, qui fixe les conditions de vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République.
Ces articles, qui répondent à un voeu formulé par le Conseil supérieur des Français de l'étranger, ont pour objet de faciliter l'exercice du droit de vote des Français établis hors de France, ainsi que l'a rappelé M. de Cuttoli. Pour cela, ils prévoient la création de bureaux de vote dans les agences consulaires et la détermination de la composition des commissions administratives chargées de la préparation des listes des centres de vote.
Les articles proposés déterminent aussi la possibilité d'inscription sur les listes des centres de vote en dehors des périodes de révision.
Le premier article concerne donc la création de bureaux de vote dans les agences consulaires. Il avait été adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale le 22 décembre 1994 et était devenu l'article 7 de la loi organique n° 95-62 du 19 janvier 1995, relative à l'élection du Président de la République et à celle des députés.
Toutefois, par une décision du 11 janvier 1995, le Conseil constitutionnel avait censuré cet article, non pas au fond, mais en raison du partage prévu par la Constitution entre le pouvoir réglementaire et le pouvoir législatif. Il estimait que si le législateur pouvait habiliter le pouvoir réglementaire à fixer les modalités d'application de la loi organique du 31 janvier 1976 aux bureaux de vote, il ne pouvait pas, en revanche, adapter les dispositions de cette loi.
L'article proposé reprend, en le modifiant, l'article 7 censuré pour tenir compte des observations du Conseil constitutionnel. Dorénavant, la création sous certaines conditions de bureaux de vote dans les villes où sont établies des agences consulaires permettra de pallier la fermeture intervenue ces dernières années de 51 consulats et, en conséquence, de 51 centres de vote.
Le Gouvernement estime que cette nouvelle disposition facilitera l'exercice du droit de vote de nos compatriotes dans certains pays, comme l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Suisse et la Nouvelle-Zélande, où le nombre d'électeurs n'est pas en adéquation avec le nombre de bureaux de vote et où les distances sont parfois un obstacle pour l'exercice du droit de vote.
Le deuxième article concerne la composition des commissions administratives chargées de la préparation des listes et des centres de vote. La mesure proposée a pour effet d'étendre aux commissions administratives des centres de vote les dispositions législatives qui existent déjà pour les membres des commissions administratives chargées d'établir les listes électorales pour les élections au Conseil supérieur des Français de l'étranger.
Concrètement, l'article prévoit la désignation des commissions administratives après chaque renouvellement partiel du Conseil.
Le troisième article a pour objet d'étendre les dispositions de l'article L. 130 du code électoral aux listes des centres de vote. Cet article vise les Français atteignant l'âge de la majorité civile durant l'année considérée, les fonctionnaires et les agents des administrations mutés après la clôture des délais d'inscription, ainsi que leur famille. Il leur réserve la possibilité de s'inscrire sur les listes des centres de vote en dehors des périodes de révision.
En conclusion, le Gouvernement est favorable à ces trois articles qui vont dans le sens d'une amélioration du dispositif législatif en vigueur.
Ce nouveau dispositif s'appliquera pour l'élection du Président de la République, pour celle des représentants français au Parlement européen et en cas de référendum. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le président, madame le sécrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous remercions la commission des lois d'avoir proposé l'étude conjointe des propositions de loi n°s 270 et 271, déposées par MM. de Cuttoli, Habert, Croze, d'Ornano, Cantegrit, de Villepin, Mme Brisepierre, MM. Durand-Chastel et Maman, et les propositions de loi n°s 398 et 397 présentées par M. Biarnès, Mme ben Guiga et moi-même.
En effet, ces textes sont identiques et répondent aux souhaits des membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger, le CSFE, que tous les sénateurs représentant les Français à l'étranger ont décidé de soutenir, ainsi que l'a d'ailleurs déclaré M. le rapporteur.
Il eût été plus normal de suivre les recommandations du CSFE qui nous demandait de faire aboutir leurs justes revendications, mais je constate avec regret - et le président Jacques Larché ne s'y est pas laissé prendre - que nos collègues de droite ont dû vouloir faire preuve d'astuce en déposant un texte séparé émanant donc de ce que j'avais appelé, avec un peu d'humour, « la bande des neuf » !
Il est bon de légiférer maintenant, car ces propositions de loi intéressent non seulement la prochaine élection présidentielle, dont nul ne peut connaître l'issue, mais également les élections européennes, dont on connaît l'époque, et, en cas de besoin, le référendum, aux délais plus aléatoires puisque prochainement M. Bayrou risque de faire des propositions en la matière.
Autoriser la création de bureaux de vote à l'étranger, dans certaines villes dotées d'une agence consulaire, avec l'accord de l'Etat concerné, est en effet indispensable, à la suite de la suppression qui va sans cesse en s'aggravant des postes consulaires.
Le transfert ou le rattachement de nos compatriotes à l'étranger dans d'autres centres que ceux de leur résidence les expose à accomplir parfois de lointains voyages dans des conditions coûteuses pour eux-mêmes, voire dangereuses.
Ces dispositions s'imposent d'autant plus que M. le ministre des affaires étrangères nous a fait part des régulations budgétaires lourdes de son budget et de la préparation d'un prochain budget qui conduit à l'asphyxie. Cette situation entraînera forcément de nouvelles fermetures de postes.
Ces suppressions de postes apparaissent encore dans la redéfinition du rôle de l'ambassadeur qui, à l'avenir, cumulera les fonctions de chef de mission culturelle, de coopération et consulaires, restreignant davantage encore le nombre des fonctionnaires disponibles.
Notre collègue M. Fanton, à l'Assemblée nationale, en janvier 1995, avait, en son temps, exprimé les réserves suivantes : « On peut craindre que la proposition adoptée par le Sénat avec le consentement peu enthousiaste du Gouvernement ne revienne à faire présider des bureaux de vote à l'étranger par les agents consulaires ne possédant pas la nationalité française et dont l'activité consulaire, assumée le plus souvent à titre honorifique pour assister la plupart du temps des Français, n'est bien souvent qu'accessoire par rapport à leurs activités professionnelles. » Puis, un peu plus loin, notre collègue s'inquiétait des imprécisions concernant les modalités d'élaboration des listes électorales spéciales dans les bureaux de vote des agences consulaires.
M. Fanton faisait référence à l'article 9 de la Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires. Et le Gouvernement, par son manque d'enthousiasme, traduisait en réalité la logique d'une situation grave, car le nombre des fonctionnaires du ministère des affaires étrangères diminuant constamment, comment peut-on encore augmenter la densité de leurs tâches ?
Le ministère des affaires étrangères, madame le secrétaire d'Etat, a de plus en plus recours au personnel recruté localement. Il semble même que le Gouvernement, par raréfaction budgétaire, recherche de préférence des personnels qui ne soient pas français, ce qui permet de moins les rémunérer, de ne pas leur fournir de couveture sociale et les place en situation de vulnérabilité, puisqu'ils ne peuvent prétendre à aucune défense syndicale.
L'ensemble de ces recrutés locaux, français ou étrangers, se voit confier des tâches normalement effectuées par des fonctionnaires français. Il s'agit par exemple, dans certains postes, de l'état civil et, bien sûr, en conséquence, de l'inscription sur les listes électorales.
Ce que nous avons prévu dans nos textes, c'est que le fonctionnement des bureaux de vote auxquels sera affecté un périmètre géographique ne peut être assuré que par des fonctionnaires français, dans des locaux publics français et d'autres locaux mis à la disposition de l'Etat. Là, nous sommes parfaitement d'accord.
L'organisation des scrutins devant être effectuée par des fonctionnaires français, pour éviter tout recours, il faudra quand même bien préciser de quelle catégorie de personnels il est question.
En effet, et il conviendrait de s'assurer du bien-fondé de ma remarque, l'administration du Quai d'Orsay semblerait avoir interrogé la fonction publique sur les recrutés locaux : l'origine des personnes, la définition de leurs tâches et l'attribution éventuelle d'un statut en cas de recours devant le Conseil d'Etat.
Les représentants du personnel au sein du comité interministériel de la réforme de l'Etat ont récemment estimé que la consultation a été insuffisante et on est passé à la vitesse supérieure en passant du comité interministériel à un plan de réforme.
Il semblerait que la notion de recrutés locaux ait complètement disparu dans ce plan. Je n'ai pas le texte en ma possession, mais c'est ce que l'on dit.
Nous souhaiterions savoir quelles sont les motivations du Gouvernement en la matière. Est-ce pour éviter les recours ? Est-ce pour supprimer des postes ou pour redéfinir les tâches des personnels ?
Le préavis de grève qui vient d'être déposé au Quai d'Orsay pour le 27 juin prochain - il faut d'ailleurs relever, madame le secrétaire d'Etat, que c'est le jour de l'ouverture du sommet du G7, ce qui fait une drôle d'impression quand on sait qu'il s'agit d'une grande première au ministère des affaires étrangères ! - est lourd de conséquences, dans la mesure où, avec moins de personnel, on exige toujours plus.
Après avoir exprimé ces craintes qui, nous l'espérons, seront partagées par le Gouvernement, le groupe socialiste votera le texte de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, madame le secrétaire, mes chers collègues, je ne pensais pas prendre la parole, mais je suis atterré par les propos de notre collègue Guy Penne, qui a employé une expression aussi surprenante que regrettable : « la bande des neuf », en parlant des neuf sénateurs de la majorité.
M. Guy Penne. Eh oui !
M. Jacques Habert. C'est tout de même assez extraordinaire ! D'autant plus que, sur le fond de la question, nous sommes en accord, et que si M. Penne s'était exprimé en des termes plus convenables, j'aurais certainement approuvé ses remarques.
En effet, nous pouvions parfaitement signer cette proposition de loi des douze noms des sénateurs des Français de l'étranger. Mais quelqu'un en a-t-il exprimé le désir ?
Je suis, par l'ancienneté, le doyen de cette représentation. Personne ne m'a demandé de réunir les douze sénateurs en vue d'un accord qui pourtant était acquis a priori.
Peut-être certains n'ont pas été suffisamment présents pour qu'on puisse se voir à ce sujet. Sans vouloir faire d'attaque personnelle - je veux seulement répondre à vos propos - je ne pense pas qu'on voie plus souvent M. Biarnès en commission des lois que dans l'hémicycle. Pour s'entendre, encore faut-il se rencontrer !
Les trois signataires socialistes, dont un seul d'ailleurs est présent, contrairement aux autres groupes qui sont largement représentés, ont déposé une proposition de loi exactement identique. Nous aurions donc pu nous réunir.
Cela dit, je ne peux admettre qu'on parle de « bande des neuf », pas plus que de « bande des trois ». Nous sommes tous sénateurs des Français de l'étranger et nous devons travailler ensemble. Il est inadmissible de faire d'une question qui rallie l'unanimité un débat politique dont nos compatriotes de l'étranger ne veulent d'ailleurs pas ! Une question simple, qui aurait pu être réglée en une séance rapide ce matin, est devenue un échange peu amène par suite du propos péjoratif, que vous avez cru devoir tenir, cher collègue. Je le déplore et je tenais à faire cette mise au point.
Pour ce qui concerne cette proposition de loi, naturellement, nous la voterons. Je remercie la commission des lois pour le travail qu'elle a accompli à ce sujet, ainsi que Mme le secrétaire d'Etat et le Gouvernement qui ont bien voulu donner leur aval à ce que nous souhaitons tous. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, et de l'Union centriste.)
M. Guy Penne. Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. Mon cher collègue, pour un fait personnel, je ne pourrai vous la donner qu'en fin de séance.
M. Charles de Cuttoli, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles de Cuttoli, rapporteur. Je regrette également que notre collègue Guy Penne ait placé son intervention sous le signe de la polémique et de l'humour. D'ailleurs, je crois que nos collègues y ont discerné un peu plus de polémique que d'humour...
Vous n'avez certainement pas voulu dire, c'est évident, que les sénateurs des Français de l'étranger sont des bandits. Personnellement, je n'en connais d'ailleurs pas. Ils sont des représentants de la nation et ont été élus au suffrage universel, ce qui n'est pas le cas des membres de bandes !
Cela dit, effectivement, le Conseil supérieur des Français de l'étranger, dans un voeu adopté à l'unanimité - pour certaines de ses attributions, ce Conseil n'a qu'un rôle consultatif et ne peut donc qu'exprimer des voeux - avait souhaité que les sénateurs des Français de l'étranger, c'est-à-dire implicement « l'ensemble » des sénateurs des Français de l'étranger, reprennent le texte qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel en y apportant toutes les corrections et toutes les garanties nécessaires.
Par conséquent, on aurait très bien pu présenter ces propositions de loi avec leurs douze signatures, juridiquement bien sûr. En fait - je parle sous le contrôle du Sénat - il n'est pas d'usage de voir des membres de l'opposition et des membres de la majorité réunir leur signature sur un texte banal.
Par ailleurs, lors de la discussion de la loi de 1995, nous n'avons eu qu'à nous féliciter de l'attitude des sénateurs du groupe socialiste. Ils ont approuvé et voté le texte. Notre collègue M. Allouche, qui est ici présent et pour qui nous avons tous beaucoup de sympathie, avait même déclaré qu'il était excellent. On ne peut pas faire mieux !
Malheureusement, je ne pourrais pas en dire autant des membres du groupe socialiste de l'Assemblée nationale. Le rapport de M. Fanton, que vous avez analysé tout à l'heure, fait état d'un certain nombre de critiques exprimées par les députés du groupe socialiste.
Alors qu'en deuxième lecture nous avons apporté toutes sortes de corrections pour satisfaire aux souhaits de l'Assemblée nationale et que ces critiques, par conséquent, n'avaient plus lieu d'être, le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, si l'on en croit l'intervention de M. Paul Quilès publiée au Journal officiel , a voté unanimement contre le texte.
Dans ces conditions, je dois vous dire que mes collègues de la majorité et moi-même n'étions que médiocrement enclins à présenter d'une plume commune ce texte. Cela ne nous a pas empêchés de le reprendre, et même de façon absolument identique, ce qui est un hommage non plus à l'excellence de M. Allouche, mais à la perfection que vous avez ainsi implicitement reconnue.
Les critiques qui ont été formulées à l'Assemblée nationale sont déjà anciennes ; elles sont dépassées en ce qui concerne les fonctionnaires français, les locaux français, le contrôle et le périmètre géographique. Nous en avons tenu le plus grand compte de façon à ne pas encourir cette fois-ci une censure du Conseil constitutionnel.
Je dois cependant dire que le Conseil constitutionnel, qui n'avait censuré le texte que pour une question juridique d'adaptation ou d'application d'une loi organique, a trouvé tout à fait normal que ces centres de vote puissent être créés à l'étranger.
Dans ces conditions, le Sénat pourra voter d'un coeur léger, y compris M. Guy Penne, le texte qui lui est soumis.
M. André Maman. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
Nous passons à la discussion des articles des conclusions de la commission des lois.

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