M. le président. M. Louis Souvet attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat aux transports sur les différentes estimations financières concernant le coût global du canal à grand gabarit Rhin-Rhône.
Il rappelle que des divergences importantes apparaissent quant aux paramètres financiers selon les sources fournissant les évaluations.
En conséquence, il lui demande, d'une part, de lui préciser si tous les aménagements techniques de ce projet particulièrement complexe ont été pris en compte, et, d'autre part, de lui donner des informations quant à la rentabilité future d'une telle liaison. (N° 401.)
La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, je vous remercie de remplacer Mme le secrétaire d'Etat aux transports. J'imagine que votre réponse sera circonstanciée.
Dans ce débat sur le canal à grand gabarit Rhin-Rhône, les passions et les partis pris sont souvent de mise. Ce propos ne s'inscrira pas dans quelque argumentation écologique ou scientifique ; en effet, d'une part, je n'ai pas la prétention d'être un expert de ces domaines très pointus et, d'autre part, tout a été dit ou écrit sur ce volet du projet. Je ne m'intéresserai qu'à l'aspect économique et financier.
Le rapport conjoint rendu par l'Inspection générale des finances et le Conseil général des ponts et chaussées - deux organismes qui font autorité, monsieur le ministre, et qui ne peuvent être suspects à vos yeux - chiffrent le coût des travaux à 27,4 milliards de francs, les intérêts intercalaires s'élevant à 22 milliards de francs, soit 49,4 milliards de francs au total ; la Compagnie nationale du Rhône l'estime, quant à elle, à 17,3 milliards de francs.
Selon un avis incontestable, puisqu'il provient du Conseil général des ponts et chaussées, « les hypothèses de croissance du trafic sont bien trop optimistes ». Le trafic annoncé pour 2010, de 11 millions à 13 millions de tonnes, cinq après l'ouverture du canal, est plus de deux fois supérieur aux estimations produites en 1987.
Les calculs de rentabilité économique sont également contestés par le Conseil général des ponts et chaussées, qui insiste sur le fait que « ces chiffres remarquablement élevés ne peuvent en l'état être sérieusement pris en considération en raison de la méthodologie, de la surestimation du coût des transports routiers ..., de la surestimation du trafic attendu et de sa progression après l'ouverture ».
Toujours selon cet avis, un nouveau mode de calcul est souhaitable. L'Inspection générale des finances souligne qu'en toute hypothèse la gestion du canal sera déficitaire. Il faut déterminer qui prendra en charge ce déficit de fonctionnement afin d'éviter ensuite de malencontreuses surprises et méprises pour les contribuables et les différents acteurs concernés.
Il convient de mettre en parallèle ces remarques et ces extrapolations, de les comparer au coût d'un tel ouvrage. La liaison Rhin-Rhône nécessitera l'édification d'un canal artificiel sur 90 kilomètres, puis un aménagement du Doubs sur 140 kilomètres. La dénivellation totale sera de 260 mètres, dénivellation que vingt-quatre écluses devront compenser.
Sur le Doubs aménagé, tous les ponts ou presque devront être aux normes, à savoir sept mètres de tirant d'air. Tout cela est techniquement réalisable, la France comptant des entreprises de bâtiments et travaux publics parmi les plus performantes au monde, mais quel en sera le coût ? Voilà la question que se posent de très nombreux concitoyens qui méritent, compte tenu de l'ampleur du projet, une information complète et objective, alors que, dimanche dernier, 12 000 personnes, ce qui est beaucoup pour la Franche-Comté, ont défilé dans les rues de Besançon pour afficher leur scepticisme, leur doute et, pour certains, leur désespoir devant les projets d'engloutissement de leur village.
Je vous demande, monsieur le ministre, d'une part, si, compte tenu des délais, une nouvelle déclaration d'utilité publique sera nécessaire, la présente déclaration expirant en juin 1998, et, d'autre part, quel sera le coût exact des travaux.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre-André Périssol, ministre délégué au logement. Monsieur le sénateur, je vous demande tout d'abord de bien vouloir excuser Mme Anne-Marie Idrac et M. Bernard Pons, qui sont, vous le savez, retenus à l'Assemblée nationale pour le débat sur la SNCF.
Je voudrais vous dire, en leur nom, que le Gouvernement tient à respecter, pour ce grand équipement voulu par le Parlement, le canal Rhin-Rhône, l'obligation de transparence, de concertation et de maîtrise des coûts qui s'impose maintenant pour toute infrastructure de transport.
C'est au nom de la maîtrise des coûts que nous avons chargé l'Inspection générale des finances et le Conseil général des ponts et chaussées d'une mission d'expertise des coûts de réalisation et de fonctionnement de la liaison fluviale à grand gabarit Saône-Rhin. C'est au nom de la transparence que le rapport d'expertise a été rendu public.
L'estimation établie par cette mission concernant le coût du projet de base est de 12 p. 100 supérieure à celle qui est faite par le concessionnaire de la liaison, si l'on veut bien comparer des chiffres qui sont comparables. Ce surcoût est réel, mais relativement faible ; en tout cas, il montre le sérieux du travail technique qui avait été effectué par la CNR, la Compagnie nationale du Rhône.
Des améliorations sont sans doute possibles pour une meilleure prise en compte de la forte sensibilité du public à tous les problèmes d'environnement, ainsi que pour s'adapter aux dernières évolutions législatives et réglementaires dans ce domaine. Certaines sont évoquées dans le rapport de mission. D'autres pourront apparaître durant la consultation actuellement menée sur les modalités de réalisation de ce grand chantier sous l'autorité du préfet de la région Franche-Comté, qui est assisté par une commission de cinq experts indépendants. Ces améliorations pourront être intégrées au projet dans la mesure où leur coût restera acceptable.
Pour ce qui concerne les données économiques, il est très difficile de prévoir quelle sera la rentabilité d'un aménagement qui n'entrera en service que dans plus de dix ans, d'autant plus que nous ne disposons pas de l'expérience de réalisation récente de voies navigables à grand gabarit. On doit à la vérité de reconnaître que les nombreuses études qui ont été menées au cours des vingt dernières années conduisent à des conclusions très hétérogènes. Je me garderai donc de tout pronostic précis sur la rentabilité financière et socio-économique du projet.
Toutes les études montrent cependant que le développement du transport par voie d'eau est largement conditionné par la création d'un réseau européen de relations interconnectées, dont la liaison Saône-Rhin constitue un maillon essentiel.
Voilà, monsieur le sénateur, ce que je voulais vous dire, au nom de M. Pons et Mme Idrac.
M. Louis Souvet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, à partir du moment où les différences d'appréciation sur les coûts sont aussi grandes, j'aurais aimé qu'on nous en explique les raisons.
S'agissant des données économiques, vous dites qu'il est difficile de prévoir quel sera le trafic. Il est certain que nous n'avons pas, en France, notamment dans cette région, une habitude du transport par voie d'eau, si bien que l'on peut s'interroger sur l'utilité d'une telle infrastructure.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous dites que vous vous gardez bien de vous prononcer sur la rentabilité. Si un ministre en charge de ces affaires ne se prononce pas, qui va se prononcer ? Un Gouvernement peut-il investir des sommes aussi importantes en prenant bien garde de se prononcer ? Je crois, au contraire, monsieur le ministre, que vous - ou l'un de vos collègues - devez vous prononcer sur la rentabilité de cet ouvrage. S'il est avéré qu'il ne sert à rien et qu'il risque de ne pas être rentable, alors arrêtons les frais !

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