EXAMEN EN DÉLÉGATION

Réunie le mardi 22 janvier 2019 sous la présidence d' Annick Billon , présidente , la délégation a examiné le présent rapport.

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, notre réunion concerne trois sujets. Nous devons faire vite compte tenu des voeux de M. le Président du Sénat à 19 heures.

Premier point : le projet de rapport faisant suite à notre table ronde du 11 octobre dernier à l'occasion la Journée internationale des droits des filles, célébrée chaque année à l'initiative de l'ONU depuis 2012. Pour notre délégation, il s'agissait d'une première.

Cette table ronde a été une réussite, si j'en juge par votre présence en nombre, mes chers collègues, et par la qualité de vos interventions. Il m'a donc paru important que notre délégation publie à cette occasion un rapport d'information, ce qui n'était pas prévu d'emblée.

Mon initiative a été encouragée par le fait que les thématiques abordées pendant cette table ronde - le mariage forcé et les grossesses précoces, principalement - faisaient largement écho aux constats établis au cours de la précédente session par nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac dans leur rapport d'information sur les mutilations sexuelles féminines.

J'aurais donc regretté que cette table ronde ne figure parmi nos travaux que sous la forme d'un procès-verbal et d'une vidéo en ligne, alors qu'elle mérite une prise de position de notre délégation.

Une autre raison m'a poussée à vous proposer ce document : il m'a semblé que c'était une bonne occasion de vous suggérer de revenir à une méthode de travail qui avait été mise à profit par notre délégation au cours de précédentes sessions (je me réfère à des précédents de 2015 sur les femmes militaires, puis sur la COP 21). L'objectif est de publier des rapports d'information relativement concis sur des sujets ciblés, s'appuyant sur un nombre réduit d'auditions et, de préférence, sur une table ronde unique, associant divers acteurs. Cette méthode me paraît en effet répondre à nos attentes. Les conclusions de ce type de rapport peuvent relever davantage de pistes de réflexion ou de points de vigilance que de recommandations susceptibles de conduire à des propositions juridiques.

Ce rapport s'appuie sur des constats accablants établis par les acteurs de la lutte contre le mariage et les grossesses précoces :

- 12 millions de filles sont mariées chaque année dans le monde avant l'âge de 18 ans. Il s'agit d'autant d'enfances volées, a fortiori parce que l'on compte toutes les sept secondes une victime de moins de 15 ans ;

- une fille sur cinq donne naissance à son premier enfant avant 18 ans ;

- 70 000 décès sont causés chaque année par les grossesses et accouchements précoces ;

- les complications liées à la grossesse et à l'accouchement sont la deuxième cause de décès dans le monde pour les jeunes filles de 15 à 19 ans.

Il rappelle aussi que la pauvreté, les guerres et la sécheresse sont des facteurs aggravants du mariage des enfants, car ils conduisent les parents à rechercher par le mariage un protecteur pour leur fille, et à considérer celle-ci avant tout comme une bouche à nourrir, dans une situation d'extrême vulnérabilité économique.

Ce rapport appelle donc à poursuivre la mobilisation internationale pour promouvoir les droits des filles, partout dans le monde.

Il insiste sur deux pistes juridiques à mobiliser dans tous les pays concernés : interdire le mariage avant 18 ans, et promouvoir l'inscription des enfants à l'état civil, car comme le faisait observer notre collègue Claudine Lepage le 11 octobre : « Une fille qui n'existe pas, il est possible de la marier ou de la vendre ».

Il souligne aussi que faire reculer l'âge du mariage des filles et limiter les grossesses précoces en favorisant leur éducation présente également des bénéfices économiques incontestables pour les pays concernés. Il mentionne également que chaque année d'école secondaire supplémentaire pour une fille augmente de 25 % en moyenne ses futurs revenus.

L'éducation des filles est un levier d'action d'autant plus efficace que :

- chaque année d'éducation pour une fille réduit de 5 à 10 % la mortalité infantile ;

- un enfant né d'une mère sachant lire a 50 % de plus de chances de survivre après l'âge de cinq ans.

Ce rapport est donc l'occasion de souligner l'importance qu'attache notre délégation au fait que la diplomatie française continue à mettre l'accent sur le caractère crucial de l'accès à l'éducation pour toutes les filles et soit particulièrement attentive au sort des fillettes, des adolescentes et des femmes dans les zones en crise. Cette préoccupation doit être mobilisée dans le cadre de la présidence française du G7, pour faire avancer cette cause décisive.

Les conclusions du rapport, dans l'esprit que j'indiquais tout à l'heure, se présentent pour la plupart comme des pistes de réflexion. Je mentionnerai, entre autres points de vigilance que je soumets à votre examen :

- la nécessité d'impliquer les hommes dans ce combat ;

- l'intérêt de la Convention d'Istanbul, instrument juridique incontournable qui couvre tout le spectre des violences ;

- l'expression de la considération de la délégation pour tous les acteurs, notamment associatifs, qui participent à ce combat et l'importance que nous attachons aux moyens qui leur sont attribués.

D'autres conclusions rappellent les prises de position de la délégation contre les mutilations sexuelles, inspirées par nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, comme par exemple :

- la sensibilisation des personnels de l'Éducation nationale aux risques courus par certaines jeunes filles lors des congés scolaires, quand elles séjournent dans le pays d'origine de leur famille ;

- le recensement systématique des adolescentes qui quittent le collège à l'âge de l'obligation scolaire ;

- la formation de tous les professionnels potentiellement concernés au repérage et à l'orientation des victimes potentielles de mariage forcé et de mutilations sexuelles.

Qu'en pensez-vous, mes chers collègues ?

Michelle Meunier . - Je n'étais pas encore revenue à la délégation lors de la table ronde du 11 octobre 2018, mais je souscris, pour la valorisation de nos travaux, à la publication de rapports d'information par la délégation. Cette méthode est préférable, je suis d'accord, à des comptes rendus isolés, quel que soit leur intérêt. C'est important que nous puissions nous référer à des rapports de la délégation dans nos territoires et les partager avec les associations et réseaux que nous recevons dans nos permanences. Ces documents sont un levier de communication très appréciable. Ils peuvent susciter des débats intéressants et leur diffusion permet de sensibiliser le public aux thématiques qu'ils abordent.

Comme Claudine Lepage, je relève l'importance que revêt l'inscription des enfants à l'état civil : aussi faut-il s'assurer que, partout dans le monde, l'ensemble des enfants à naître, les filles comme les garçons, y figurent. C'est la condition de leur existence légale, préalable à leur scolarisation.

Il est donc important que nous puissions consacrer un rapport d'information à ces sujets, déjà abordés de manière incidente lors de précédents travaux de la délégation.

Martine Filleul . - Il me paraît souhaitable d'insister sur la dimension internationale du mariage des enfants et des grossesses précoces. Ce combat est décisif pour les droits des filles, partout dans le monde.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie, chères collègues. Je considère donc que nous sommes d'accord sur le rapport et sur ses conclusions, qui comme je le disais tout à l'heure sont cohérentes avec celles de précédents travaux de la délégation.

Il faut maintenant donner un titre à ce travail.

Les propositions qui vous sont soumises - je veux parler du document qui vous a été distribué -se réfèrent, pour certaines d'entre elles, au combat contre le mariage des enfants et les grossesses précoces comme à un « enjeu décisif pour les droits des filles » et à un « prérequis pour garantir les droits des filles ».

Marie-Pierre Monier . - Je retiens les formules précisant qu'il s'agit d'un « enjeu décisif pour les droits des filles ». Notre titre doit à mon avis mentionner également la nécessité de « mettre fin au mariage des enfants et aux grossesses précoces », afin de souligner notre volonté de les éradiquer.

Dominique Vérien . - Le titre ne pourrait-il pas renvoyer au problème de société que constitue le mariage forcé ? Cette lutte ne devrait pas, à mon sens, être circonscrite aux seules filles.

Annick Billon, présidente . - La table ronde qui a été la base de ce rapport d'information a été organisée dans le cadre de la Journée internationale des droits des filles : c'est pourquoi les titres proposés insistent sur cette dimension.

Céline Boulay-Espéronnier . - À mon sens, la lutte contre le mariage des enfants et les grossesses précoces est davantage un préalable qu'un enjeu. Notre titre devrait prendre en compte la nécessité de « dénoncer inlassablement » et de « lutter contre » les grossesses précoces et le mariage des enfants.

Annick Billon, présidente . - Je retiens cette remarque.

Françoise Laborde . - De prime abord, j'inclinerais pour une formulation renvoyant au fait de « progresser dans la lutte contre le mariage des enfants et les grossesses précoces ». Il s'agit en effet d'un enjeu décisif pour les droits des filles, comme cela a déjà été dit, mais n'est-il pas illusoire, hélas, ou utopique, d'envisager que l'on puisse mettre fin au mariage des enfants ?

Annick Billon, présidente . - Je comprends ce point de vue, mais je me demande si, compte tenu de la gravité du sujet, il ne faudrait pas, à la délégation aux droits des femmes, afficher une ambition plus percutante.

Christine Prunaud . - La lutte contre le mariage des enfants et les grossesses précoces est un aspect essentiel des droits des filles, et nous devons dénoncer ces pratiques pour qu'un jour elles disparaissent.

Marc Laménie . - Si j'adhère évidemment - qui ne le ferait ? - à la volonté de mettre fin au mariage des enfants, cet objectif semble encore relever de l'utopie, pour reprendre le mot de Françoise Laborde. Il est cependant important que notre rapport précise, par son titre, qu'il s'agit d'un combat permanent, à mener dans un cadre mondial.

Marie-Pierre Monier . - Ce rapport ne mettra pas fin à lui seul, malheureusement, à ces pratiques, c'est évident. Néanmoins nous devons afficher la volonté de les dénoncer pour y mettre fin.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie, chers collègues, pour ce débat dynamique. J'ai l'impression que l'on pourrait faire la synthèse de vos différentes remarques par la formule suivante : « Dénoncer, pour y mettre fin, le mariage des enfants et les grossesses précoces : un enjeu décisif pour les droits des filles, partout dans le monde ».

Je constate que nous sommes toutes et tous d'accord, tant sur le rapport et ses conclusions que sur son intitulé. Je tiens à souligner cette unanimité.

[Le rapport, intitulé Dénoncer, pour y mettre fin, le mariage des enfants et les grossesses précoces : un enjeu décisif pour les droits des filles, partout dans le monde est alors adopté à l'unanimité]

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