Question de M. JACQUIN Olivier (Meurthe-et-Moselle - SER) publiée le 21/03/2024

M. Olivier Jacquin interroge M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la question préoccupante de l'affaiblissement du statut des « forêts de protection » par l'État.
Le décret n° 2023-1402 du 29 décembre 2023, relatif à la modification du classement en tant que « forêt de protection » et au régime spécial prévu à l'article L. 141-4 du code forestier, assouplit le statut des « forêts de protection », facilitant ainsi le déclassement de ces sites forestiers qui représentent à peine 1 % de la surface forestière métropolitaine. Ce décret permet de déclasser des parcelles du périmètre des « forêts de protection » jusqu'à 2 % de la superficie classée, dans la limite de 100 hectares au total. Il affaiblit donc fondamentalement le rôle important pour la diversité que joue ce statut de « forêt de protection » depuis sa création en 1922, comme l'indique le conseil national de la protection de la nature (CNPN).
Concrètement, cette modification du régime applicable aux forêts dites « de protection » confère désormais au ministre de l'agriculture le pouvoir de supprimer ce statut sans recourir à un décret en Conseil d'État. Les « forêts de protection » déclassées seront désormais susceptibles d'être soumises à des travaux interdits par leur statut antérieur, tels que des travaux ayant pour but de créer des équipements légers démontables indispensables à l'accueil du public (hors installations touristiques à caractère économique), des travaux de surveillance, d'entretien, de remplacement, de maintenance relatifs à des canalisations, des réseaux enterrés d'eau, d'électricité ou des réseaux filaires et de leur implantation, des travaux de maintenance, réhabilitation, entretien et extension limitée d'immeubles, d'infrastructures et d'installations existantes. Le décret inclut également, sur une emprise temporaire, des travaux nécessaires à l'entretien et à l'aménagement d'une infrastructure publique située en dehors d'une forêt de protection, des travaux nécessaires à la réalisation d'un projet d'utilité publique dont l'emprise est située en dehors d'une forêt de protection.
En Meurthe-et-Moselle, cette décision se traduit par le déclassement possible de 100 hectares du massif de Haye, une forêt couvrant 10 400 hectares et se positionnant comme la troisième plus grande forêt périurbaine « de protection ». Cette situation suscite des inquiétudes, d'autant plus que cette forêt avait obtenu son statut de « forêt de protection » fin 2018 et qu'elle se trouve tellement proche de la ville que, en cas de réalisation des « travaux d'extension limitée d'immeubles, d'infrastructures et d'installations existantes, à condition qu'ils soient en harmonie avec le site et les constructions existantes », il est possible d'imaginer qu'elle se gangrène par des logements dans le cadre de cette superficie dérogatoire.
Il souhaiterait donc comprendre les motifs ayant généré cet assouplissement et ayant incité à la mise en place de ce décret, surtout à un moment où l'effondrement de la biodiversité est scientifiquement prouvé. Cela est en contradiction totale avec la stratégie nationale biodiversité 2030.

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Réponse du Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire publiée le 25/04/2024

Le classement en forêt de protection est l'outil juridique le plus contraignant pour la protection des forêts, pris par décret en Conseil d'État. Il est mis en oeuvre depuis un siècle. En effet, la loi du 28 avril 1922 permet de classer comme forêt de protection pour cause d'utilité publique les forêts dont la conservation est reconnue nécessaire au maintien des terres sur les montagnes et sur les pentes, à la défense contre les avalanches, les érosions et les envahissements des eaux et des sables (ainsi, historiquement, ce dispositif vise la prévention contre les risques naturels). La loi relative à la protection de la nature du 10 juillet 1976 a élargi cette possibilité aux bois et forêts situés à la périphérie des grandes agglomérations, ainsi que dans les zones où leur maintien s'impose, soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être de la population. Ces deux textes ont été codifiés dans les articles L. 141-1 et suivants du code forestier. Tout défrichement et tout changement d'affectation du sol sont notamment interdits. Le législateur a ainsi voulu marquer l'importance qu'il attache à la protection des bois et forêts lorsqu'ils sont nécessaires à la conservation physique, et accessoirement écologique, du milieu forestier ou lorsqu'ils ont à remplir une fonction sociale en offrant au public un espace de loisir et de détente. L'article L. 141-4 du même code renvoie toutefois à un régime spécial, qui détermine par décret en Conseil d'État, l'encadrement des travaux autorisés dans ces forêts. Les articles R. 141-1 à R. 141-42 du même code précisent, outre les modalités de classement des massifs en forêt de protection, le régime spécial qui y est applicable. Le décret n° 2023-1402 publié le 31 décembre 2023 répond à une demande expresse du Conseil d'État qui, au regard des dossiers qui lui étaient présentés, souhaitait que soit rendue possible l'autorisation de certains travaux d'ampleur limitée ne compromettant pas la conservation des boisements, et que les déclassements de faible importance ne passent plus par un examen en Conseil d'État. Le projet de texte a fait l'objet d'une concertation entre le ministère chargé des forêts qui en est porteur, les parties prenantes (dont les associations de protection de la nature) et le ministère chargé de l'environnement puis a été soumis à consultation du public. À la suite des observations reçues, le projet amendé a été soumis au Conseil d'État qui a donné un avis favorable unanime dans sa séance du 18 décembre 2023. Les fondements du statut de forêt de protection ne sont nullement remis en cause par les modifications introduites par ce décret. Le classement comme forêt de protection continue, en vertu de l'article L. 141-2 du code forestier, d'interdire tout changement d'affectation ou tout mode d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements. L'article R. 141-9 du code forestier complété donne désormais au ministre chargé des forêts, et non plus au Conseil d'État, la possibilité de procéder à des déclassements limités, dans l'objectif principal de corriger des erreurs manifestes à savoir la présence de parcelles non boisées lors du classement initial de la forêt, mais aussi afin de pouvoir réaliser un projet d'intérêt général, tel que des travaux de sécurité routière au niveau de routes traversant les grands massifs classés. Les déclassements minimes pouvant être désormais arrêtés par le ministre chargé des forêts sont limités : la surface de retrait cumulée depuis le dernier décret de classement ne devra ni dépasser 2 % de la superficie classée, ni 100 hectares (ha) au total. À l'issue de la consultation sur le projet de décret, le seuil de surface ainsi déclassable a été réduit de moitié (de 200 à 100 ha) et il a été précisé que cette surface maximale reposait sur la surface totale cumulée. En outre, la procédure préalable à la décision reste inchangée, avec toutes les garanties de transparence et garde-fous : enquête publique, consultation des communes et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Par ailleurs, le décret a complété le champ d'application de l'article R. 141-14 du code forestier (cantonné dans sa rédaction actuelle aux seules fonctions économiques et écologiques de la forêt), notamment pour ouvrir la possibilité d'y réaliser des travaux de prévention des risques naturels et d'y mener des travaux « légers » d'accueil du public nécessaires à un accueil de qualité dans ces forêts, souvent très fréquentées. Les travaux déclarés au préfet seront ainsi pleinement en lien avec l'ensemble des fonctions à valoriser dans le cadre de la gestion forestière multifonctionnelle. En effet, l'accès à la nature est fondamental pour les citoyens et constitue un enjeu important de la politique publique relative aux forêts. C'est d'ailleurs sur le motif du bien-être de la population qu'ont été accordés par le Conseil d'État les trois derniers classements en forêt de protection, pour les massifs de Haye en 2018, Saint-Germain-en-Laye en 2019 et Bondy en 2022. Enfin, les règles édictées aux articles R. 141-14 et suivants du code forestier telles que modifiées par le décret, limitent et encadrent strictement les types de travaux pouvant être permis, qui ne contreviennent pas au principe de non régression environnementale. En conséquence, il n'est pas dans les intentions du Gouvernement de faire encore évoluer cette réglementation dès lors que le décret n° 2023-1402 du 29 décembre 2023 relatif à la modification du classement comme forêt de protection constitue une simplification du dispositif qui à terme devrait permettre d'étendre le classement de massifs forestiers en forêt de protection, et donc une protection des forêts périurbaines face à l'urbanisme. Un tel classement très protecteur doit pouvoir s'accompagner d'une autorisation pour les collectivités d'y mener des travaux « légers » d'entretien des réseaux existants et le cas échéant d'envisager des extensions très limitées des infrastructures existantes. Ainsi, concernant l'exemple mentionné du massif de la Haye, si le chiffre est exact, il faut rappeler que cela constitue un maximum absolu, qui n'a pas vocation à être forcément déclassé. Ce quota maximum peut néanmoins permettre en cas de nécessité, une plus grande souplesse que le dispositif antérieur, dans le respect des dispositions susmentionnées, notamment en termes de consultations obligatoires permettant de s'assurer de l'intérêt général et des impacts sur l'environnement du déclassement envisagé.

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