Question de M. DÉTRAIGNE Yves (Marne - UC) publiée le 07/03/2019

M. Yves Détraigne appelle l'attention de Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur les inquiétudes soulevées par le Secours catholique quant à la situation dramatique que vivent des milliers de personnes, y compris des familles, sans abri et mal logées.

Bien que l'État, garant de l'accès à l'hébergement, ait montré sa volonté de mieux anticiper ces situations avec les associations, des milliers de personnes sont temporairement mises à l'abri dans des centres d'hébergement d'urgence ouverts pour l'hiver, nombre de places ouvertes ne permettant pas un accueil digne et continu. Il s'agit généralement d'une simple mise à l'abri, dans des conditions parfois difficiles à vivre pour les familles (gymnases avec remise à la rue le matin même).

En outre, avec la fin de la trêve hivernale, des milliers de places vont progressivement fermer d'ici juin, sans que des solutions soient proposées aux personnes mises à l'abri et les expulsions reprendront également. Ainsi, en 2017, 15 547 ménages ont été expulsés du fait principalement d'impayés de loyer ou de congé pour vente du propriétaire. Or près de deux millions de personnes sont sur une liste d'attente pour un logement social et 54 367 personnes reconnues prioritaires au droit au logement opposable, parfois depuis plusieurs années, n'ont toujours pas pu obtenir un logement.

En conséquence, le Secours catholique demande notamment à ce qu'aucune personne hébergée dans le cadre des places hivernales ne soit remise à la rue sans solution de relogement ou d'hébergement avec un accompagnement adapté, quel que soit le statut administratif de la personne. L'association préconise également un moratoire temporaire des expulsions locatives avec dédommagement des propriétaires, accompagné d'une réelle politique de prévention et d'accompagnement social des ménages dès les premières difficultés à payer leur loyer.

Considérant qu'il convient d'apporter une réponse digne aux familles aujourd'hui sans logement stable, il lui demande donc de bien vouloir lui faire connaître sa position quant aux propositions avancées pour le Secours catholique ainsi que les initiatives qu'elle entend mettre en œuvre pour en finir avec le scandale que représentent le mal-logement et les sans-abris en France.

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Réponse du Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales publiée le 31/10/2019

La politique de l'hébergement a bénéficié ces dernières années de dotations budgétaires en augmentation croissante pour s'établir à 1,86 Md€ en loi de finances pour l'année 2019. Ce budget finance notamment un parc d'hébergement généraliste qui a augmenté de façon significative pour atteindre plus de 147 000 places au 31 décembre 2018 (enquête sur les capacités d'accueil, d'hébergement et d'insertion réalisée par la direction générale de la cohésion sociale), soit une augmentation de 57 % depuis 2013. À ces places s'ajoutent les places ouvertes durant la période hivernale et l'offre de logements adaptés financée sur le programme 177 : résidences sociales généralistes, pensions de famille et intermédiation locative. Durant la période hivernale 2018-19, un renforcement du suivi concernant l'évolution des demandes d'hébergement, au regard du nombre de places mobilisées et mobilisables a permis l'identification de territoires en tension et l'adaptation du dispositif de veille sociale lorsque cela était nécessaire (intensification des maraudes, renforcement des équipes du 115, horaires d'ouverture élargis des accueils de jour et haltes de nuit). Près de 13 900 places hivernales et 2 900 « places grand froid » ont ainsi été ouvertes, dont 6 000 en Île-de-France. Au total, l'effort de l'État en matière d'hébergement d'urgence a atteint un pic de mobilisation à 153 500 places. En respect du principe de continuité de l'accueil, les services de l'État doivent s'assurer que les personnes bénéficiant d'une place ouverte temporairement durant la période hivernale ne soient pas remises à la rue sans autre solution d'hébergement ou de logement. Afin d'atteindre cet objectif, 6 000 des places ouvertes pendant l'hiver ont été pérennisées et s'ajoutent ainsi au parc d'hébergement d'urgence ouvert toute l'année. Par ailleurs, afin de privilégier le développement de solutions pérennes de retour au logement et de renoncer à la multiplication de réponses d'hébergement de court terme, le Gouvernement a fait de l'accès au logement une priorité, déclinée à travers le plan quinquennal de lutte contre le sans-abrisme et pour le logement d'abord. Ce plan se matérialise notamment à travers le financement de 40 000 logements très sociaux (PLAI) par an, la création sur 5 ans de 40 000 places en intermédiation locative par la mobilisation du parc privé et de 10 000 places en pensions de famille pour les personnes isolées en situation de grande précarité. Il s'agit de mettre en place une réforme structurelle de l'accès au logement des personnes sans domicile, tout en préservant un parc d'hébergement d'urgence permettant de répondre aux situations de détresse. Le plan pour le logement d'abord favorise par ailleurs un effort significatif de prévention des expulsions locatives, à travers le maintien de locataires qui le peuvent et le relogement de ceux dont la situation locative est compromise du fait d'une disproportion manifeste entre leur loyer et leurs ressources. Une nette diminution du nombre de procédures judiciaires pour résiliation du bail et de décisions de justice prononçant l'expulsion a pu être observée durant les deux dernières années. Afin d'entretenir et d'amplifier cette tendance, le Gouvernement s'est donné pour objectif une diminution pérenne du nombre de décisions judiciaires d'expulsion sur le territoire national. À ce titre, la mise en œuvre du second plan d'actions interministériel a été lancée le 9 mars 2018 par le ministre de la cohésion des territoires. S'il ne peut s'agir d'une unique réponse à l'urgence de court terme, les multiples évolutions structurelles engagées par ce nouveau plan ont déjà produit leurs premiers effets qui se poursuivront cette année encore. Parmi les actions réalisées figurent en particulier les dispositions de la loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique (Elan), notamment la réforme des procédures d'expulsion et de surendettement, qui permet de garantir à la fois un meilleur maintien dans le logement des locataires ayant repris le paiement de leur loyer et un meilleur remboursement aux bailleurs de la dette locative légalement exigible. Deux millions d'euros ont également été investis dans le développement du système d'information EXPLOC qui a pour objectif de raccourcir le délai de prise en charge des personnes menacées d'expulsion, en améliorant l'échange d'informations et la prise de décision collective des partenaires opérationnels de la prévention au sein des commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsion (CCAPEX). Un important travail d'animation et de concertation nationales a par ailleurs été engagé depuis mai 2018 avec l'ensemble des préfectures et des conseils départementaux en charge de la prévention des expulsions afin de recentrer et optimiser le dispositif de prévention des expulsions en amont de l'audience judiciaire et faire diminuer significativement le nombre de jugements d'expulsion conformément aux objectifs de l'instruction du 22 mars 2017. Des groupes de travail techniques ont par ailleurs été lancés pour concrétiser les principales mesures du plan d'actions interministériel : renforcer les capacités d'accompagnement social, juridique des ménages menacés d'expulsions, améliorer les dispositifs d'apurement des dettes locatives et de relogements précoces des personnes en particulier dans le parc privé. Enfin, sur la question du moratoire, en vertu de la séparation des pouvoirs qui fonde notre État de droits et en application des droits fondamentaux définis par la constitution, dont fait partie le droit de propriété, il appartient aux juges et non au Gouvernement de prononcer l'expulsion d'un locataire lorsque le contrat de bail signé avec le bailleur n'est pas respecté. Il a été jugé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998 que « toute décision de justice [ayant] force exécutoire […] le législateur ne saurait subordonner l'octroi du concours de la force publique à l'accomplissement d'une diligence administrative. » Aussi, une mesure générale et systématique de moratoire sur les expulsions ne respecterait pas le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs. Le Gouvernement n'a donc pas l'autorité légale pour s'opposer à une décision judiciaire d'expulsion. Il a en revanche la possibilité et le devoir de déployer tous les moyens nécessaires pour prévenir l'expulsion en amont de la décision de justice et dans les délais qui séparent cette dernière de l'expulsion effective. C'est l'objectif premier du plan d'actions interministériel de prévention des expulsions locatives lancé le 9 mars 2018 par le ministre de la cohésion des territoires et réaffirmé par le président de la République dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté.

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