Question de M. CANÉVET Michel (Finistère - UC) publiée le 16/11/2017

M. Michel Canevet attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur la reconnaissance du « tilde » dans les actes d'état-civil.

Le 18 mai dernier, la ville de Quimper, dans le Finistère, a enregistré à l'état-civil la naissance de Fañch, né la veille. Le ministère public a ensuite refusé de valider cet état-civil pour utilisation de signes non-autorisés. Une affaire similaire a également été portée devant le tribunal de grande instance de Bayonne en août dernier témoignant de la dimension nationale de cette question.

S'appuyant sur la circulaire du 23 juillet 2014 relative à l'état-civil et qui régit l'usage des signes diacritiques et des ligatures dans la langue française reprenant la loi n°118 du 2 thermidor An II (20 juillet 1794) qui dispose que « les actes doivent être écrits en langue française » et l'arrêté du 24 prairial an XI (13 juin 1803) qui précise que « l'emploi de la langue française est obligatoire, même dans les régions où l'usage de dresser les actes publics dans l'idiome local serait maintenu », le ministère a estimé que le « n tilde » était contraire à la langue française.

Néanmoins, ce « tilde » est pourtant présent dans de nombreux documents officiels français, antérieurs aux textes révolutionnaires. Il est en effet couramment employé pour marquer la nasalisation dans les textes de la royauté au XVIème siècle. L'ordonnance royale de 1539, dite de Villers-Cotterêts, imposant l'utilisation de la langue française dans les actes de justice du domaine royal est rédigée en utilisant à plusieurs reprises des « tildes ». Il semble donc être conçu comme un élément de la langue française et non comme un idiome local.

Il souhaite donc que le Gouvernement puisse modifier la circulaire du 23 juillet 2014 afin d'introduire le tilde dans la liste des signes susceptibles d'être utilisés dans les actes d'état-civil.

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Réponse du Ministère du travail publiée le 04/07/2018

Réponse apportée en séance publique le 03/07/2018

M. Michel Canevet. Alors que notre Constitution reconnaît les langues régionales, nous avons été confrontés, dans la pratique, à des difficultés quant à l'utilisation de ces langues.

Ainsi, la ville de Quimper avait enregistré à l'état civil un enfant portant le prénom de Fañch, qui signifie François en breton et s'écrit avec un « tilde » – le cas s'est aussi présenté au Pays basque, pour le prénom Ibañez. Le tribunal a refusé d'homologuer ce prénom, s'appuyant sur une circulaire de la garde des sceaux du 23 juillet 2014 relative à l'état civil, qui régirait l'usage des signes diacritiques et des ligatures dans la langue française.

De ce fait, le choix légitime des parents d'un prénom en langue bretonne – ou espagnole, dans le second cas – n'a pu être reconnu. On ne peut que le déplorer !

En effet, le « tilde » a toujours été employé dans la langue française. On l'utilisait pour marquer la nasalisation dans les textes de la royauté au XVIe siècle. On le trouve même, à plusieurs reprises, dans l'ordonnance royale de 1539, dite de Villers-Cotterêts, qui impose l'utilisation de la langue française dans les actes de justice du domaine royal.

Je souhaite donc savoir si Mme la garde des sceaux est disposée à modifier la circulaire du 23 juillet 2014, afin de permettre, légitimement, le recours à des prénoms comportant un « tilde ».

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Permettez-moi, monsieur le sénateur Michel Canevet, de vous répondre au nom de Mme la garde des sceaux.

Vous avez souhaité appeler notre attention sur une affaire, en cours devant la cour d'appel de Rennes, qui a trait à la reconnaissance du « tilde » dans les actes d'état civil.

Le principe de liberté de choix du prénom d'un enfant, effectivement consacré par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l'état civil, à la famille et au droit de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales, ne permet pas de retenir un prénom comportant des signes diacritiques non connus de la langue française.

La langue française est en effet la seule admise pour l'établissement des actes publics, notamment au titre du premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, dont le Conseil constitutionnel a déduit que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage.

Aussi, rappelant ces principes et pour répondre à la demande tant des officiers de l'état civil que de l'Institut national de la statistique et des études économiques, l'INSEE, responsable du répertoire national d'identification des personnes physiques, la circulaire du 23 juillet 2014 de la Chancellerie, que vous évoquez, dresse la liste des voyelles et consonnes accompagnées d'un signe diacritique souscrit, telle la cédille, ou suscrit, tels l'accent et le tréma, connues de la langue française.

Je ne vous inflige pas la lecture de cette liste – elle comporte une quinzaine de lettres –, qui, validée en 2014 par l'Académie française, ne comprend pas le « tilde ».

Vous avez raison, le « tilde » apparaît parfois dans des textes en langue française, datant même du Moyen Âge. Mais il semble qu'il s'agissait alors d'un signe abréviatif, non diacritique, retranscrivant un phonème propre au français.

Le « tilde » était utilisé pour indiquer une abréviation par suspension de lettre, notamment les « n » et les « m ». Dans l'ordonnance de Villers-Cotterêts, que vous avez citée, il apparaît ainsi sur la voyelle censée précéder le « n » de France, soit le « a », et non le « n ». Le mot est donc écrit : « Frãce ».

Les juridictions judiciaires ont été saisies de l'emploi du « n tildé » dans les cas que vous avez mentionnés de prénoms breton ou espagnol.

S'agissant de l'affaire du prénom « Fañch », si ce signe a été refusé par le tribunal de grande instance de Quimper en septembre dernier, les parents de l'enfant ont fait appel du jugement et la cour d'appel de Rennes n'a pas encore rendu son arrêt.

Mais je tiens à préciser que les textes en vigueur, confortés par la jurisprudence, n'excluent pas que les communes puissent délivrer des livrets de famille bilingues, dès lors que les livrets de famille sont rédigés en langue française, dans le respect des règles précédemment évoquées, et que la traduction en langue régionale fait simplement office d'usage.

Cette solution, qui n'est peut-être pas purement constitutionnelle, peut néanmoins, en pratique, aider les parents à s'y retrouver, tout en garantissant le respect de la langue française.

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour répondre à Mme la ministre.

M. Michel Canevet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais elle ne me satisfait pas et j'aimerais bien que vous puissiez transmettre à Mme la garde des sceaux la volonté de la représentation nationale de voir les langues régionales un peu plus reconnues.

En l'occurrence, il n'y a aucune complexité ni aucune implication forte à accepter l'usage du « tilde », permettant ainsi l'emploi d'un vrai prénom breton ou basque, conformément au choix des parents. Les Bretons, dans leur ensemble, ne voient pas pour quelle raison on ne pourrait pas modifier cette circulaire de 2014. C'est extrêmement simple à faire !

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