Question de M. GÉLARD Patrice (Seine-Maritime - UMP) publiée le 07/11/2013

M. Patrice Gélard attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur certaines pratiques de vente aux enchères qui mériteraient d'être examinées, et même corrigées, tant elles bafouent les principes élémentaires des relations contractuelles.

Certaines pratiques, qui ont cours dans les ventes aux enchères, posent des problèmes de conformité au regard des principes fondamentaux de notre droit civil qui régissent le droit des contrats.

En effet, les ordres d'achat et les enchères téléphoniques ne sont perçus que comme un service gracieux qui exonère de toute responsabilité les organisateurs d'une vente aux enchères en cas d'oubli ou d'ordre non exécuté.

Une telle situation semble contraire aux règles contractuelles qui découlent tout naturellement de l'acceptation des ordres d'achat ou des enchères téléphoniques. Il y a bien formation d'un contrat, dont les termes doivent être respectés, y compris pendant la vente aux enchères.

De plus, le non-respect de ces ordres d'achat par le commissaire-priseur est de nature à léser tant le vendeur que le donneur d'ordre en attribuant les enchères aux seules personnes présentes dans la salle d'adjudication permettant ainsi de favoriser indûment ces dernières, et ce sans tenir compte et sans informer les donneurs d'ordre par lettre, courriel, fax ou téléphone.

Ces donneurs d'ordre qui agissent par lettre, courriel, fax ou téléphone étant écartés, des soupçons de collusion entre le commissaire-priseur et certains acheteurs peuvent légitimement être nourris.

L'exonération de la société de vente et du commissaire-priseur judiciaire d'un défaut d'exécution pour des causes qui vont au-delà de l'erreur est extrêmement floue et large, car si l'erreur est humaine, le fait d'agir sciemment est contraire à la bonne foi qui sied aux relations contractuelles.

Il ne faut pas faire perdre à la solennité de la vente aux enchères tout son sens ! La vente aux enchères doit être un processus transparent, non une partie dont les dés sont pipés, où tout serait joué à l'avance.

Il lui demande si elle considère cette pratique comme normale ou s'il y a lieu d'envisager une réforme.

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Réponse du Ministère chargé de la décentralisation publiée le 22/01/2014

Réponse apportée en séance publique le 21/01/2014

M. Patrice Gélard. Madame le ministre, je tiens à attirer votre attention sur certaines pratiques de vente aux enchères qui n'ont pratiquement pas changé depuis le XIXe siècle, alors que des techniques tout à fait modernes permettent aujourd'hui de participer aux enchères, qu'il s'agisse du téléphone, du télécopieur, du télex, de l'internet, ou de toute autre méthode.

J'ajoute que ces pratiques obsolètes bafouent, dans une certaine mesure, les principes élémentaires des relations contractuelles et sont totalement inadaptées aux conditions présentes.

Nos ventes aux enchères ont donc une image très négative par rapport à celle des ventes pratiquées à l'étranger où d'autres techniques, beaucoup plus modernes et beaucoup plus vivantes, sont mises en œuvre. En effet, les ordres d'achat et les enchères téléphoniques ne sont perçus, en France, que comme un service gracieux, ce qui exonère de toute responsabilité les organisateurs d'une vente aux enchères en cas d'oubli ou d'ordre non exécuté, même lorsque ces offres ont été faites à partir d'un catalogue, lui, payant, qui engage donc, du même coup, la responsabilité du commissaire-priseur.

Une telle situation semble contraire aux règles contractuelles qui découlent tout naturellement de l'acceptation des ordres d'achat ou des enchères téléphoniques par l'organisateur de la vente aux enchères. Il y a bien formation d'un contrat dont les termes doivent être respectés, y compris pendant la vente aux enchères.

De plus, le refus du commissaire-priseur de prendre en compte ces ordres d'achat émis par téléphone, par télécopie ou même par lettre, est de nature à léser tant le vendeur - en effet, le prix proposé ne sera pas respecté et l'on repartira du prix de départ - que le donneur d'ordre en attribuant les enchères aux seules personnes présentes dans la salle d'adjudication, sans avoir prévenu ni le vendeur ni l'acquéreur potentiel. Dès lors, on ne peut que s'interroger et soupçonner une éventuelle collusion entre le commissaire-priseur et certains des acheteurs présents lors des enchères.

L'exonération de la société de vente et du commissaire-priseur judiciaire d'un défaut d'exécution pour des causes qui vont bien au-delà de l'erreur est extrêmement floue et large. On peut donc véritablement mettre en cause les relations contractuelles nées de l'offre faite par l'acquéreur éventuel.

Il ne faut pas faire perdre toute solennité à la vente aux enchères, mais celle-ci doit aussi respecter l'évolution des techniques modernes et ne pas en rester au XIXe siècle !

Je tiens à préciser que ces questions ne relèvent peut-être pas du règlement ni de la loi, mais plutôt de la déontologie professionnelle. Or, dans ce domaine, beaucoup reste à faire quand on sait que le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques donne systématiquement raison aux commissaires-priseurs !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention de Mme la garde des sceaux sur la pratique des ordres d'achat et des enchères téléphoniques, dans un monde qui a évolué et connaît effectivement de nouvelles possibilités techniques de procéder aux enchères. Vous soulignez la nécessité de s'adapter aujourd'hui à ces évolutions.

Mme la garde des sceaux vous avait fait part, m'a-t-elle dit, de sa position dans un courrier récent, en date du 6 janvier 2014. J'y ajouterai aujourd'hui quelques précisions, en espérant qu'elles répondront à vos attentes.

L'opérateur de vente volontaire ou le commissaire-priseur judiciaire doit assurer le libre accès à la salle des ventes. À celui qui ne peut être présent est offerte la possibilité, à titre de facilité, de procéder à une enchère à distance par dépôt d'un ordre d'achat par enchère téléphonique ou même électronique. Cette technique s'est effectivement largement développée, comme vous l'avez indiqué, monsieur le sénateur. Cependant, cette pratique est admise, mais non réglementée : il s'agit donc d'un service facultatif que de nombreux professionnels offrent aujourd'hui à leurs clients.

Ce service s'inscrit indiscutablement, comme vous l'avez souligné, dans un cadre contractuel, celui du mandat. En l'absence de jurisprudence en la matière, l'engagement du professionnel chargé de la vente doit être considéré comme relevant de l'obligation de moyen. C'est d'ailleurs ce que rappellent les conditions de vente des opérateurs : il n'existe donc aucune violation des principes contractuels.

Par ailleurs, les professionnels qui organisent ces ventes à distance sont tenus au respect de leur déontologie. J'ai bien entendu que vous souligniez les difficultés qui pourraient naître d'une non-application de cette déontologie. J'observe cependant que le recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires a été approuvé par un arrêté du 21 février 2012.

En ce qui concerne les soupçons de collusion que vous avez évoqués, il convient de rappeler que le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, autorité de régulation du marché des ventes volontaires, n'a pas relevé, jusqu'ici, de difficulté majeure. Dans le cadre de sa mission légale d'identification des bonnes pratiques et de promotion de la qualité des services, il a récemment diffusé une fiche rappelant aux opérateurs qui souhaitent proposer un service d'enchères à distance les mesures qu'ils doivent prendre : y figure notamment l'obligation de ne proposer à leurs clients que le service qu'ils peuvent effectivement assurer.

Si des difficultés dans la mise en œuvre des enchères à distance devaient survenir, le Conseil des ventes volontaires ne manquerait pas de saisir la Chancellerie, qui alors examinerait, soyez-en assuré, les éventuelles réformes nécessaires.

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Madame le ministre, je vous remercie de vos explications.

J'observerai tout d'abord que plus de la moitié des ventes aux enchères utilisent aujourd'hui les techniques modernes et ne se déroulent plus simplement en salle des ventes. La plupart des pays étrangers pratiquent de façon contractuelle les ventes recourant aux techniques modernes, notamment à Londres, qui s'est fait une spécialité des ventes aux enchères où il n'y a pratiquement pas d'acheteurs présents physiquement. On ne peut donc que souligner le retard pris, en France, par une corporation qui n'a pas su tout à fait s'adapter aux exigences modernes.

Ensuite, sans suspecter la déontologie des différents acteurs, j'estime que, à partir du moment où l'on s'engage à appliquer un certain nombre de règles figurant dans un catalogue, lui-même vendu, il faut respecter scrupuleusement ces règles et non pas en changer y compris en cours d'enchères, en bâclant le travail sous prétexte d'un manque de temps, par exemple. De telles méthodes ne sont pas tolérables, même si le Conseil national des ventes les accepte.

Par conséquent, je souhaite une amélioration, tant pour les acheteurs, que pour les vendeurs et les commissaires-priseurs eux-mêmes.

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