Question de M. BAS Philippe (Manche - UMP) publiée le 17/10/2013

M. Philippe Bas appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la mise en œuvre de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs qui prévoyait que les mesures de protection ouvertes avant le 1er janvier 2009, soit plus de 700 000 mesures, devraient être révisées avant le 1er mars 2010.

En 2009, la loi de simplification et de clarification du droit a reporté cette échéance au 31 décembre 2013.

Toutes les mesures de protection juridique deviendront automatiquement caduques si elles n'ont pas été révisées par le juge des tutelles avant le 31 décembre 2013. Il faudra également ajouter les mesures ouvertes après la promulgation de la loi dont le délai sera atteint.

Or, une enquête réalisée par la direction des services judiciaires, sur le bilan des révisions faites au 31 décembre 2012 et sur l'estimation des révisions qui auront été faites à l'échéance butoir du 31 décembre 2013, révèle qu'en l'état, sur la base du rythme des révisions faites au cours de l'année 2012, près de 100 000 mesures pourraient ne pas avoir été révisées à cette date.

Si tel devait être le cas, des personnes vulnérables seraient alors livrées à elles-mêmes pour s'acquitter d'obligations auxquelles elles ne peuvent faire face seules et se trouveraient désemparées dans leur vie quotidienne.

De plus, si la cessation de la mesure de protection – du fait de son absence de révision dans le délai légal – cause un préjudice quelconque au majeur, la responsabilité de l'État pourra être mise en jeu pour défaut dans le fonctionnement du service de la justice. Les finances publiques seront impactées.

Dans ce contexte, il lui demande quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière et, en particulier, si elle envisage de reporter ce délai, afin que les principes de nécessité et de proportionnalité de la loi puissent rester effectifs.

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Réponse du Ministère chargé de la décentralisation publiée le 30/10/2013

Réponse apportée en séance publique le 29/10/2013

M. Philippe Bas. Madame la ministre, le Parlement a adopté, le 5 mars 2007, une nouvelle loi relative à la protection juridique des majeurs, dont la philosophie consistait à ne pas enfermer dans le statut d'incapables majeurs des centaines de milliers de nos compatriotes lorsque la mesure de protection se justifiait par un état temporaire. Jusqu'alors, en effet, les tutelles et les curatelles restaient définitivement applicables aux personnes à l'endroit desquelles le juge les avait prononcées.

La loi de 2007 a conduit à remettre en question et à réexaminer régulièrement les mesures de protection.

Ce texte, que j'ai eu l'honneur de défendre au nom du Gouvernement devant le Parlement, et qui a été adopté sans aucune opposition, traitait également le cas des personnes qui, à la date de l'entrée en vigueur de la loi, bénéficiaient d'une mesure de protection. Le législateur a estimé que ces personnes devaient, elles aussi, voir leur statut réexaminé au bout d'un certain délai.

Le premier délai était manifestement trop court pour que les juges puissent revoir toutes les situations. Un second délai a donc été fixé par le Parlement, qui a reporté de trois ans la première échéance.

Ce second délai expire le 31 décembre prochain, et nous savons, par une enquête de la Direction des services judiciaires, qu'il y a actuellement plus de 100 000 personnes bénéficiant d'une mesure de protection dont la situation n'aura pas été réexaminée au 31 décembre. Or il s'agit d'une date couperet : toutes les personnes dont la situation n'aura pas été réexaminée à cette date verront la mesure de tutelle tomber, alors même que celle-ci reste nécessaire dans la plupart des cas. Ce serait alors, pour ces personnes en grande difficulté personnelle, entrer dans un univers inconnu et dangereux.

Le Gouvernement compte-t-il prendre des mesures pour reporter une nouvelle fois cette échéance du 31 décembre ? Dans l'affirmative, il doit le faire dans des conditions qui permettront effectivement de réexaminer toutes les situations, afin que les personnes qui auraient recouvré leurs facultés puissent échapper à la mise en œuvre les concernant des mesures de protection les plus fortes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, je vous remercie de soulever un véritable problème au regard des tutelles et des curatelles.

Il n'est pas question de remettre en cause le bien-fondé de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, quelles que soient les difficultés que puissent poser la nouvelle date limite du 1er janvier 2014 prévue par le législateur pour le réexamen des mesures de protection ouvertes avant le 1er janvier 2009, sous peine de caducité.

Au regard de l'importance du volume de dossiers à renouveler - au 1er janvier 2009, 629 078 mesures devaient faire l'objet d'une révision dans les 304 tribunaux d'instance et les 4 tribunaux de première instance -, il y avait là un défi de taille pour les juridictions. Au 31 décembre 2012, 29,1 % de ces mesures restaient encore à renouveler. Ces chiffres montrent la gravité de la situation.

Dès sa prise de fonction, la garde des sceaux, qui m'a par ailleurs priée de bien vouloir excuser son absence ce matin, monsieur Bas, a été sensibilisée à ce problème et aux inquiétudes des juridictions compétentes pour faire face à cette charge, d'autant qu'il s'agit d'une loi d'une portée sociétale essentielle, qui vise à protéger des personnes vulnérables ou substantiellement vulnérables.

L'évolution de la situation a été suivie avec une extrême attention par le ministère de la justice, qui a veillé à apporter des réponses.

Des moyens ont en effet été mis à disposition des services des tutelles pour assurer la résorption du stock : affectation de magistrats et de greffiers placés, d'assistants de justice et de vacataires, décharge des juges d'instance à l'activité du tribunal de grande instance. En s'appuyant sur ces moyens, ces juges ont fourni un effort remarquable, qu'il faut saluer, si bien qu'une nouvelle mesure de report ne paraît plus nécessaire.

Au 30 septembre 2013, 48 875 mesures restaient à renouveler, et non pas 100 000, comme vous l'avez indiqué. Les projections au 31 décembre prochain font apparaître que de 1 % à 2,7 % des mesures seulement n'auront pas été renouvelées.

La Direction des services judiciaires travaille désormais pour examiner la nature de ces mesures. En effet, il est apparu que les services des tutelles n'étaient pas en situation de procéder à la révision de certaines d'entre elles du fait de l'impossibilité de convoquer les parties, le plus souvent en raison de l'ancienneté de la mesure ou de déménagements successifs. Nous nous heurtons là à des réalités concrètes.

En tout état de cause, le travail accompli par les juges et les fonctionnaires pour permettre le renouvellement de ces mesures mérite encore une fois d'être souligné et salué.

Par ailleurs, les attentes des juges des tutelles et des associations qui ont fait remonter les lacunes ou difficultés d'application de la loi du 5 mars 2007 ont été véritablement entendues.

Dans le cadre de l'avant-projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances en matière de simplification du droit et des procédures, qui doit être présenté prochainement en conseil des ministres, Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, est prête à apporter plusieurs modifications à la loi du 5 mars 2007 pour alléger ou supprimer les contraintes non nécessaires.

Il s'agirait tout d'abord de permettre au juge de prononcer, sous certaines conditions, des mesures initiales pour une durée supérieure à cinq ans. Cette mesure permettra d'alléger la charge de travail des services des tutelles pour les années à venir, mais répondra surtout à une forte demande des familles et associations, qui comprenaient parfois mal la nécessité d'une révision quinquennale lorsque l'état de santé du majeur protégé ou son handicap ne permettait pas d'entrevoir d'évolution.

Il s'agirait ensuite de modifier les modalités d'arrêt du budget et de contrôle des comptes de gestion des mesures de protection.

Le ministère envisage aussi de substituer, dans les circonstances prévues à l'article 426 du code civil, l'avis d'un médecin extérieur à l'établissement d'accueil au certificat médical circonstancié prévu à l'article 431 du code civil.

Enfin, un nouveau dispositif d'habilitation serait prévu au bénéfice de certains membres de la famille d'un majeur protégé permettant, sous certaines conditions, d'éviter le prononcé d'une mesure de protection judiciaire.

L'effort ponctuel et intense qui a été fourni pour aboutir à la révision de la quasi-totalité des mesures - il n'en resterait plus que de 1 % à 2,3 % à examiner, je le rappelle - ainsi que les réformes de fond qui sont envisagées laissent entrevoir une nette amélioration des conditions de mise en œuvre de cette loi.

Même s'il ne répond pas à toutes vos préoccupations, monsieur le sénateur, ce dispositif comporte de vraies voies d'amélioration, autant pour les personnes qui souffrent que pour leurs accompagnants.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Votre réponse me rassure, madame la ministre. Depuis la parution de l'étude de la Direction des services judiciaires, on a le sentiment que les juges et les services du ministère de la justice ont en effet mis les bouchées doubles, et c'est heureux.

Les situations résiduelles que vous mentionnez sont sans doute, pour beaucoup d'entre elles, liées aux difficultés concrètes que vous avez rappelées. Ce n'est d'ailleurs pas une raison pour ne pas rechercher un traitement individuel de chacune de ces situations, puisqu'il subsistera inévitablement certains cas extrêmement sensibles où la mesure pourrait tomber alors que son bénéficiaire en aurait toujours besoin.

Vous mentionnez aussi un certain nombre de dispositions que Mme la garde des sceaux a l'intention de proposer pour simplifier les procédures en cours. Je n'y suis pas hostile, à condition toutefois de ne pas remettre en cause le principe d'une révision régulière, à tout le moins pour les situations évolutives. Je conçois que, dans le cadre de la maladie d'Alzheimer ou d'autres affections mentales, on ne puisse guère espérer d'amélioration et que les renouvellements de mesures ne s'imposent pas de la même manière que dans le cas des personnes ayant subi un accident de la vie, dont on peut espérer qu'elles recouvreront leurs capacités.

Si l'on prend ce type de dispositions, on doit veiller à ce qu'elles n'aient pas pour conséquence d'empêcher la prise en compte d'éventuelles améliorations de la situation des personnes concernées. Nous serons bien entendu extrêmement vigilants quant aux caractéristiques techniques et juridiques des dispositions sur lesquelles Mme la garde des sceaux travaille actuellement.

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