Question de M. COURTEAU Roland (Aude - SOC) publiée le 27/09/2012

M. Roland Courteau expose à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, que l'article 23 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, stipule qu'une information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité.
Il lui indique également que l'article 24 de la même loi dispose qu'il est institué une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes fixée au 25 novembre.
Il lui demande, dans le cadre d'une nécessaire prévention et face à l'ampleur de ce fléau, quelles initiatives elle entend prendre afin de donner le maximum d'impact à cette journée du 25 novembre, journée de sensibilisation et d'information de l'opinion.
Il lui demande, d'autre part, quelle instructions ont été données aux chefs d'établissements scolaires, conformément à ces dispositions législatives, afin que, selon la volonté du législateur, ces séances d'information en direction des élèves soient dispensées régulièrement tout au long de l'année.

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Réponse du Ministère des droits des femmes publiée le 03/10/2012

Réponse apportée en séance publique le 02/10/2012

M. Roland Courteau. Madame la ministre, je me réjouis tout particulièrement que vous ayez tenu à répondre vous-même à quelques-unes de mes interrogations, sur un sujet ô combien préoccupant. Je veux parler, évidemment, des violences faites aux femmes, ou encore des violences au sein des couples, et des incidences de ces dernières sur les enfants : il s'agit d'un phénomène trop longtemps minimisé, trop longtemps occulté, trop longtemps considéré comme tabou, et qui est pourtant d'une ampleur considérable.

À ce propos, la mise en place d'un observatoire national consacré à ces enjeux serait particulièrement utile, contrairement à ce qu'affirmaient vos prédécesseurs.

Cela étant, une part du chemin a indéniablement été parcourue quant à la lutte contre ce fléau, grâce aux initiatives parlementaires qui ont abouti aux lois du 4 avril 2006 et du 9 juillet 2010 instaurant non seulement des sanctions à l'encontre des auteurs de violences, mais aussi des mesures de protection pour les victimes, et surtout des dispositifs de prévention.

De fait, face à ces atteintes portées à la dignité et aux droits fondamentaux de la personne humaine, il était impératif de sanctionner les auteurs de violences et de protéger leurs victimes.

Toutefois, notre objectif, qui, je le sais, est également le vôtre, madame la ministre, c'est d'endiguer ce fléau. Or, plus on informera, plus on sensibilisera, plus on alertera, plus vite les violences faites aux femmes diminueront. C'est la raison pour laquelle, lors de l'examen de la loi de 2010, le Sénat a adopté un amendement tendant à instituer une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes, fixée au 25 novembre de chaque année.

Toutefois, j'ignore pourquoi - les précédents gouvernements l'ont voulu ainsi - les journées du 25 novembre 2010 et du 25 novembre 2011 n'ont pas été des plus marquantes. De facto, lors de ces journées nationales, les Français n'ont pas ressenti un souffle fort de sensibilisation à ce fléau.

Il n'est pas moins hautement nécessaire que nous nous attachions à mettre en œuvre et à soutenir, chaque année, des initiatives susceptibles de donner à cette journée un relief particulier et donc un maximum d'impact.

Madame la ministre, est-ce là votre intention ?

Par ailleurs, si nous souhaitons avoir quelques chances d'éradiquer ce fléau, à moyen terme ou à court terme, il faut faire évoluer les mentalités et, partant, agir très en amont, c'est-à-dire à l'école, au collège et au lycée. Je devrais même dire dès le plus jeune âge, car, dès les premières années de son existence, l'enfant est enfermé dans des représentations très stéréotypées de sa place et de son rôle dans la société.

Pour ma part, je reste persuadé que l'une des dynamiques à exploiter le plus en profondeur réside dans ce travail d'éducation visant à promouvoir le respect mutuel entre les garçons et les filles, l'égalité entre les sexes, le respect des différences et la lutte contre les préjugés sexistes. Tel était également l'objet de l'amendement adopté par le Sénat, en 2010, devenu l'article 23 du texte de loi entré en vigueur.

Pourtant, durant les deux années scolaires qui ont suivi l'adoption de ces dispositions par le Parlement, aucun chef d'établissement scolaire n'a reçu d'instructions visant à instaurer ces séances d'information à destination des élèves, et encore moins à préciser leur contenu pédagogique. (Mme la ministre acquiesce.)

Madame la ministre, ma question est simple : sur ce point, comme sur bien d'autres, entendez-vous prendre toutes les initiatives permettant de donner force et vigueur à cet indispensable volet de prévention ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je tiens tout d'abord à vous dire combien je suis heureuse de m'adresser à vous, aujourd'hui, sur ce sujet : je sais que la question des violences faites aux femmes vous tient à cœur, je connais votre mobilisation sur ce dossier, au sein de la délégation aux droits des femmes et, plus largement, au sein de la Haute Assemblée.

Dès mon entrée au ministère, j'ai tenu à m'emparer de la question des violences faites aux femmes, car je considère qu'elle figure au cœur des politiques d'égalité que le Gouvernement entreprend de mener. Vous le savez, ces violences, ces crimes entachent encore trop souvent notre conception républicaine de l'égalité.

Dès le mois de juillet dernier, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif au harcèlement sexuel, nous avons eu l'occasion de rappeler, dans cet hémicycle, la nécessité absolue de se doter d'un Observatoire national des violences faites aux femmes. (M. Roland Courteau acquiesce.) Je m'étais engagée sur cette disposition : celle-ci procède d'une volonté politique claire, que je rappelle aujourd'hui.

Pourquoi est-il nécessaire de créer un tel observatoire ? De fait, aujourd'hui, si on dénombre chaque année environ 17 000 condamnations pour violences conjugales en France, les chiffres cachent une réalité plus dramatique encore : seul un dixième de ces violences font l'objet d'un dépôt de plainte. Pis, un grand nombre de plaintes n'aboutissent jamais.

M. Roland Courteau. C'est la triste vérité !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Il est donc indispensable d'améliorer notre connaissance du sujet via la création d'un observatoire dédié à ces violences, que l'on pourrait qualifier de violences de genre : ces dernières sont spécifiques, car elles sont fondées sur des représentations sexuées et inégalitaires du monde, solidement ancrées dans les mentalités.

Je le précise de nouveau, je tiens à ce que cet observatoire soit en mesure non seulement de mener des études et des enquêtes, mais aussi d'évaluer les travaux menés au sein des territoires. Ces expérimentations ont été aussi nombreuses qu'intéressantes et, quand elles ont fait leurs preuves, comme c'est le cas du dispositif du téléphone de grande urgence, nous veillerons à les généraliser au niveau national. En effet, rien n'est plus insupportable que les inégalités territoriales dans l'accès aux services publics, nées des différences de volontarisme politique entre tel et tel territoire, tel et tel département.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Plusieurs travaux ont d'ores et déjà été engagés pour donner à cet observatoire, qui verra le jour dans le courant de l'automne, les moyens de ses ambitions. Sachez, par exemple, que nous avons sollicité l'Institut national d'études démographiques, l'INED, pour que ses équipes puissent enfin reconduire une étude qui nous manquait cruellement et nous fournir des données chiffrées qui n'avaient pas été actualisées depuis dix ans.

Par ailleurs, nous organisons le recueil des données à la faveur de la modernisation des instruments statistiques de la justice et de l'intérieur, en lien avec mes collègues de ces deux ministères. Ces données permettront au futur observatoire de s'imposer comme un véritable outil de pilotage, en lien avec les acteurs locaux, au service des victimes de violences.

Monsieur le sénateur, pas plus tard que la semaine dernière, j'étais en Languedoc-Roussillon, et plus précisément à Montpellier, pour soutenir l'action des associations et des élus en faveur de la prévention des violences. Comme vous et moi, ces acteurs dressent ce constat : si elle opère une indéniable avancée, la loi du 9 juillet 2010 n'est encore pas assez bien appliquée.

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ce texte est donc perfectible. L'amélioration de son application constitue du reste un chantier que nous avons ouvert avec le ministre de l'intérieur et la garde des sceaux.

Premièrement, les ordonnances de protection ne sont pas encore suffisamment employées dans certains territoires : les délais de mise en œuvre de cette procédure restent trop longs. Son champ d'application demeure trop limité dans la durée et selon les types de violences couverts. Ainsi, les professionnels et les représentants des associations nous le disent : telles qu'elles sont aujourd'hui appliquées, les ordonnances de protection, élaborées pour protéger les femmes en grand danger, placées dans des situations d'extrême urgence, ne jouent pas leur rôle.

Deuxièmement, les places d'hébergement réservées aux femmes victimes de violences - souvent subies au sein de leur propre famille - souhaitant quitter le domicile conjugal, font cruellement défaut. Nous nous attelons actuellement à ce problème, avec ma collègue Cécile Duflot.

Troisièmement, le suivi des auteurs de violences, indispensable pour prévenir les risques de récidive, n'est pas suffisamment assuré aujourd'hui.

Oui, monsieur le sénateur, la loi est perfectible. Néanmoins - et vous êtes bien placé pour le savoir - le problème ne se cantonne pas à cet aspect.

De fait, pour que la lutte contre les violences faites aux femmes soit réellement efficace, trois conditions essentielles doivent être réunies : tout d'abord, l'orientation très rapide des victimes vers la bonne procédure, ce qui nécessite la formation de tous les acteurs ; ensuite, l'implication des différents acteurs concernés et leur mise en réseau - voilà pourquoi les actions menées au sein des territoires sont dignes d'intérêt, car c'est bien de synergie et de partenariat local qu'il s'agit ; enfin, la prévention, que vous avez évoquée en présentant votre question, et qui doit s'étendre non seulement à l'école, mais aussi aux médias, vous avez raison.

Avec le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, nous l'avons souligné la semaine dernière : l'égalité entre les filles et les garçons dans le système éducatif doit être et sera au cœur même de la refondation républicaine de l'école que nous préparons.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Ce message, nous l'adresserons ensemble aux recteurs lors de la grande réunion qui aura lieu le 13 novembre prochain, à laquelle Vincent Peillon m'a prié de prendre part. Comptez sur moi pour rappeler combien l'égalité entre les femmes et les hommes se construit, elle aussi, dès le plus jeune âge.

Parmi les actions que nous prévoyons pour les mois et les années à venir, je citerai trois initiatives.

Premièrement, des modules à l'égalité entre les femmes et les hommes seront inclus dans la nouvelle formation initiale et continue des enseignants et personnels d'éducation, de direction et d'orientation.

Deuxièmement, Vincent Peillon et moi-même lancerons très prochainement une expérimentation dans cinq académies, pour que les enfants travaillent dès le plus jeune âge sur cette égalité entre les filles et les garçons. Oui, cela s'apprend ! Ce programme, destiné aux enfants de six à dix ans, sera fondé sur des jeux et des outils ludiques. Nous sommes en train de l'élaborer.

Troisièmement enfin, nous mettrons l'accent sur le respect entre les sexes avec la tenue systématique des séances d'éducation à la sexualité, de la maternelle à la terminale. Vous l'avez rappelé, c'est là une obligation légale qui n'a jamais été respectée. Cette fois-ci, nous ne laisserons rien passer.

Monsieur le sénateur, vous rappelez avec raison la signification que la loi a conférée à la journée du 25 novembre. Cette date importante n'est pas encore empreinte de toute la force symbolique dont elle aurait dû être investie. Cette année, nous en ferons un véritable événement national pour saluer l'engagement des acteurs concernés et mener des actions de sensibilisation et de communication à destination du grand public.

Surtout, cette journée nationale doit être mise à profit pour réunir les nombreux professionnels concernés : les forces de l'ordre, les professionnels de la justice, le monde médical, etc.

Le but visé est clair : d'une part, organiser un échange, au titre duquel chacune de ces professions fera part des difficultés ressenties au quotidien par ses membres ; de l'autre, sensibiliser et former les professionnels concernés à une réalité très simple, que je rappelle aujourd'hui de nouveau, car ces chiffres ne sont pas assez connus. On croit souvent que le silence et le tabou qui pèsent sur les violences conjugales sont le fait des victimes. Or, en réalité, elles sont le fait de la société qui n'entend pas les victimes.

M. Roland Courteau. C'est vrai !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Les études démontrent que, dans huit cas sur dix, lorsqu'on demande à une femme si elle subit ou non des violences conjugales, elle répond très naturellement. La véritable interrogation est donc la suivante : combien sont ceux qui, parmi nous, pensent à poser cette question, tout naturellement ?

C'est cet enjeu qu'il convient d'exposer aux professionnels les plus directement concernés par ce sujet : ces derniers doivent être conscients, les uns et les autres, de notre incapacité collective à entendre aujourd'hui les victimes de violences conjugales et, surtout, de l'absolue nécessité d'y remédier.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Madame la ministre, permettez-moi de vous remercier très vivement des précisions que vous venez de nous apporter, et que nous attendions depuis près de deux ans.

Sachez que je suis tout particulièrement satisfait de la richesse et de la diversité des propositions que vous avez formulées. Qu'il me soit permis de saluer, à cet égard, l'efficacité de votre action.

La volonté du législateur est enfin prise en compte sur un sujet majeur : la prévention d'un véritable fléau qui touche aux droits fondamentaux et à la dignité de la personne humaine. Toutefois, cette question va plus loin encore : en effet, la lutte contre les violences au sein des couples, ou à l'égard des femmes en général, constitue, je le répète, l'un des préalables, à défaut d'être l'unique prélude à tout approfondissement de l'égalité entre les hommes et les femmes. (Mme la ministre acquiesce.)

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