Question de M. del PICCHIA Robert (Français établis hors de France - UMP) publiée le 03/11/2011

M. Robert del Picchia appelle l'attention de M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé sur le refus de la direction de la sécurité sociale, de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et des caisses régionales d'appliquer la jurisprudence permettant de cumuler plusieurs conventions bilatérales de sécurité sociale pour le calcul du taux de retraite de nos compatriotes ayant travaillé dans plusieurs pays. Dans un arrêt de principe du 28 mars 2003, la cour d'appel de Caen affirme que, si le champ d'application des conventions bilatérales ne vise, par définition, que les deux pays signataires, aucune règle issue du droit national, communautaire ou international ne s'oppose à l'application conjointe de deux accords bilatéraux et aucune règle, ni même aucune contrainte d'ordre technique, n'impose à l'assuré d'effectuer un choix entre le bénéfice de l'un ou de l'autre. Il lui demande quand la direction de la sécurité sociale donnera instruction à la CNAV et aux caisses régionales d'appliquer la jurisprudence.

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Réponse du Ministère chargé de l'apprentissage et de la formation professionnelle publiée le 11/01/2012

Réponse apportée en séance publique le 10/01/2012

M. Robert del Picchia. Je voudrais appeler l'attention sur la situation de nos compatriotes qui ont fait une partie de leur carrière à l'étranger, dans deux ou plusieurs pays, c'est-à-dire soit dans un pays européen et dans un pays avec lequel la France a signé une convention bilatérale de sécurité sociale, soit dans deux pays avec lesquels la France a signé une telle convention. Pour eux, il s'avère que, au moment de la liquidation de la retraite, la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, ne prend en considération qu'un seul de ces pays.

Prenons l'exemple d'une personne qui a commencé sa carrière en France pendant deux ans avant de partir travailler vingt ans en Belgique, puis vingt ans aux États-Unis. Sur ces quarante-deux années de travail, la CNAV ne retiendra que vingt-deux annuités : les deux années en France et les vingt années en Belgique ou les vingt années aux États-Unis. Alors qu'elle aura effectué une carrière complète et qu'elle devrait donc pouvoir bénéficier du taux plein, cette personne n'aura droit pour le calcul de sa retraite qu'au taux réduit, et même au taux minimum.

Cette situation, qui concerne un très grand nombre d'expatriés, est extrêmement pénalisante.

La direction de la sécurité sociale justifie sa position en expliquant que les champs d'application des conventions bilatérales concernent uniquement les deux pays signataires de chaque convention. Nous ne contestons pas cette évidence ! Mais elle en déduit qu'il n'est pas possible de cumuler les conventions sans l'accord des différentes parties à ces conventions ; c'est ce point que nous contestons.

La France ne demande pas l'accord de ses partenaires précédents avant de signer une nouvelle convention avec un autre pays. Si elle négocie un accord avec le Brésil, elle ne demande pas l'autorisation de l'Allemagne avec qui elle a signé une convention. De la même façon, elle n'a pas à demander l'accord d'un pays pour prendre en compte les périodes accomplies dans un autre pays, que ce soit d'ailleurs de façon cumulée ou pas, cette décision découlant du seul fait de l'accord avec le nouveau pays et n'ayant pas d'impact sur les partenaires précédents.

Lorsqu'un doute existe sur l'application des textes de loi ou des traités, il revient aux tribunaux de trancher et de donner leur interprétation, ce qu'ils ont fait.

Dans un jugement du 22 février 2002, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Caen s'est clairement prononcé en faveur du cumul des conventions, expliquant que « retenir le raisonnement inverse à l'instar de la caisse régionale d'assurance maladie, aboutirait à ne reconnaître au salarié qui aurait travaillé dans de nombreux pays étrangers, que la validation d'une seule période de travail dans l'un de ces pays ».

La cour d'appel de Caen a confirmé cette interprétation dans un arrêt de principe du 28 mars 2003. Elle a affirmé que, si le champ d'application des conventions bilatérales ne vise, par définition, que les deux pays signataires, aucune règle issue du droit national, communautaire ou international ne s'oppose à l'application conjointe de deux accords bilatéraux. En outre, la cour d'appel a précisé qu'aucune règle, ni même aucune contrainte d'ordre technique, n'imposait à l'assuré d'effectuer un choix entre le bénéfice de l'un ou de l'autre.

Aucune règle de droit ne s'oppose au cumul des conventions bilatérales. Ce qui n'est pas interdit étant autorisé, cela signifie que des mesures législatives supplémentaires ne sont pas nécessaires pour appliquer le cumul. La CNAV peut donc appliquer sans délai la décision de la cour d'appel. Nous demandons qu'elle applique cette jurisprudence !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nadine Morano, ministre auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé Xavier Bertrand sur la situation des Français ayant travaillé dans plusieurs pays signataires d'une convention bilatérale de sécurité sociale avec la France et sur la reconnaissance dans le calcul de leur pension de vieillesse d'une partie seulement des trimestres validés dans ces pays.

Les conventions bilatérales de sécurité sociale signées par la France avec des pays étrangers reposent sur les deux principes fondamentaux de réciprocité et d'exportabilité des pensions de retraite acquises. En effet, le pays signataire d'une convention bilatérale avec la France s'engage à reconnaître la même durée d'assurance vieillesse que la France et à rendre exportable la pension de retraite due sur ces bases.

Une convention bilatérale ne peut donc inclure un pays tiers qu'avec l'accord des deux signataires, et non uniquement de la France. Pour cette raison, de nombreuses conventions bilatérales ne reconnaissent pas encore, à ce stade, les périodes d'activité effectuées dans des pays tiers.

Cependant, les conventions de sécurité sociale signées ou modifiées récemment prennent en compte cette préoccupation puisqu'elles intègrent les pays tiers, dès lors qu'ils sont liés par convention aux deux pays signataires. C'est le cas, par exemple, des conventions signées récemment avec l'Uruguay et l'Inde. Cette préoccupation sous-tend ainsi la dynamique actuelle d'élaboration des conventions et s'étend même progressivement aux conventions déjà signées, comme, par exemple, celle avec le Maroc.

Par ailleurs, il convient de rappeler que les Français expatriés qui le souhaitent peuvent cotiser volontairement à l'AVV, l'assurance vieillesse volontaire, qui permet une reconstitution parfaite des droits à l'assurance vieillesse de l'affilié, quel que soit le pays où il se trouve.

Enfin, la loi portant réforme des retraites de novembre 2010 prévoit un droit à l'information des assurés expatriés en matière de retraite. En conséquence, un groupe de travail a été mis en place sur ce sujet en avril 2011 au sein du groupement d'intérêt public connu sous le nom de GIP Info Retraite. Il traitera, notamment, de la manière optimale d'informer les futurs expatriés de leurs droits ainsi que de leur possibilité d'adhérer à l'AVV.

Le Gouvernement sera particulièrement attentif aux conclusions prochaines de ce groupe de travail ainsi qu'à leur mise en œuvre.

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Madame la ministre, votre réponse est parfaite sur le papier. Mais je voudrais vous faire remarquer que peu de Français travaillent dans les pays signataires des nouvelles conventions que vous avez mentionnées.

Il me paraît nécessaire de modifier les conventions signées avec les quelques pays dans lesquels vivent de nombreux Français. Nos expatriés contribuent à défendre le rayonnement de la France à l'étranger dans les domaines culturel, économique et commercial. Or pénaliser de la sorte leur retraite n'encouragera pas nos concitoyens à s'expatrier.

J'ai récemment évoqué cette question avec l'un de vos collègues qui s'occupe également de la question des Français à l'étranger. Il partage mon opinion selon laquelle cette situation ne peut pas durer. Ce qui a déjà été fait en termes d'information est une bonne chose, mais il faut aller plus loin, car ceux qui ont déjà cotisé dans deux pays étrangers successifs sont, je le répète, pénalisés. Nous devons trouver une solution.

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