Question de M. CHEVÈNEMENT Jean-Pierre (Territoire de Belfort - RDSE) publiée le 16/11/2011

Question posée en séance publique le 15/11/2011

Concerne le thème : La désindustrialisation

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux qui, comme moi, parcourent la France depuis quarante ans sont en mesure d'apprécier le véritable saccage de son industrie.

Dans des régions comme la Picardie, où autrefois les usines fumaient, il n'y a plus que des friches industrielles.

La Lorraine comptait 80 000 employés dans la sidérurgie, contre 4 000 aujourd'hui. Désormais, 90 000 Lorrains travaillent à l'étranger, notamment dans les banques luxembourgeoises.

M. Bourquin vient d'évoquer les 4 000 emplois, en particulier dans le secteur de la recherche-développement, qui vont être supprimés chez Peugeot, notamment sur le site de Sochaux-Belchamp.

Monsieur le ministre, la surévaluation de l'euro, que le rapport sur la réindustrialisation de nos territoires n'aborde qu'en page 182, joue selon moi un rôle tout à fait essentiel dans la désindustrialisation de la France. Or le rôle du change dans le commerce international a toujours été caché par les tenants de la monnaie forte.

L'euro, dont le cours de lancement était à 1,16 dollar au 1er janvier 1999, cours qu'il a retrouvé en 2003, n'a cessé d'être surévalué, dans une proportion de 20 % à 50 %. Ainsi, il s'échangeait contre 1,40 dollar en 2004, 1,60 dollar en 2008 et 1,50 en 2009. Malgré la crise qui le frappe depuis 2010, son cours reste aujourd'hui à 1,37 dollar, c'est-à-dire à plus de 20 % au-dessus de son cours de lancement.

La part de l'industrie française dans la valeur ajoutée, tombée à près de 30 % au début des années quatre-vingt, s'établit aujourd'hui à 16 %, contre 22 % il y a six ans.

Selon les statistiques fournies par M. Estrosi, l'industrie ne représente plus que 13 % de l'emploi total, soit 3,3 millions de personnes, contre 5,5 millions au début des années quatre-vingt.

Nos parts de marché à l'exportation ont régressé. Elles représentaient 8 % au début des années quatre-vingt, contre 3,8 % aujourd'hui.

Au début de son mandat, le Président Sarkozy évoquait en termes forts le handicap que constituait pour l'industrie française un euro trop cher. Ce thème a toutefois disparu de son discours. L'alignement sur l'Allemagne est devenu le leitmotiv de ses interventions.

Une monnaie est faite pour un pays ! Vouloir étendre un « mark bis » – l'euro – au reste de l'Europe était une erreur.

M. Roland Courteau. Le temps de parole est dépassé !

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, comment expliquez-vous que la monnaie branlante qu'est l'euro reste surévaluée ?

En tant que ministre de l'industrie, quelles initiatives avez-vous prises pour rendre notre monnaie moins chère ? (Marques d'impatience sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Didier Guillaume. Deux minutes !

M. Jean-Pierre Chevènement. M. Trichet s'est toujours retranché derrière les missions données à la Banque centrale européenne pour ne rien faire.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Chevènement. Quelle démarche le Gouvernement français a-t-il effectuée pour obtenir que la révision du traité de Lisbonne porte aussi sur le rôle de la BCE, afin de rendre le change plus compétitif ? Êtes-vous conscient de la nécessité d'une monnaie moins chère pour réindustrialiser la France ?

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Réponse du Ministère chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique publiée le 16/11/2011

Réponse apportée en séance publique le 15/11/2011

M. Éric Besson, ministre. Monsieur le sénateur, c'est vrai, l'industrie française a vu depuis trente ans son poids reculer, dans l'emploi comme dans la valeur ajoutée. Pour autant, ne cédons pas au « déclinisme » ambiant. Cela vaut en particulier pour vous au regard de votre parcours.

Notre industrie représente encore 3 700 000 emplois directs et indirects. En termes d'exportations, elle occupe toujours le deuxième rang en Europe et le cinquième rang dans le monde.

En vingt-cinq ans, notre industrie a multiplié par trois sa production et par 4,5 ses exportations.

Pour la première fois depuis un quart de siècle, même si les chiffres ne sont pas grandioses, l'emploi industriel s'est stabilisé en France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) En outre, selon l'INSEE, notre industrie a déjà retrouvé plus des deux tiers de son niveau d'avant la crise de 2008.

Autre point, que l'on évoque rarement : cette année, nous avons dénombré plus de 360 créations ou extensions d'usines sur nos territoires, soit une par jour.

Par ailleurs, vous avez raison, la France connaît des problèmes de compétitivité. On pourrait débattre de la part relative des différents facteurs ; il y a eu de nombreux rapports sur le sujet. Je ne suis pas sûr toutefois que l'on puisse tout imputer à l'euro, en affirmant que l'euro est surévalué ou que d'autres monnaies sont sous-évaluées.

Tout d'abord, depuis 2008, l'euro s'est déprécié de 18 % par rapport au dollar.

Ensuite, vous le constatez comme moi, le cours de l'euro n'empêche pas certains de nos industriels de battre des records commerciaux : par exemple, Airbus n'a jamais autant vendu qu'en 2011 et aura plus de 4 000 avions à livrer dans les prochaines années.

Pour autant, le niveau de l'euro reste une préoccupation du Gouvernement et, au premier chef, du Président de la République. En témoigne l'action du Président, dans le cadre du G20, pour résorber les déséquilibres monétaires mondiaux. Malheureusement, je n'ai pas le temps de vous décrire les initiatives qui ont été prises en ce sens.

Monsieur Chevènement, vous avez raison, il faut protéger notre industrie de toute guerre des changes. C'est ce que nous faisons, mais nous devons mener dans le même temps une politique industrielle ambitieuse dont je n'ai eu le temps précédemment que de décrire les têtes de chapitre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique.

Je rappelle que vous disposez d'une minute, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, ne vous leurrez pas ! Le déclin est malheureusement une réalité. Mais vous ne faites rien pour lutter contre ce déclin !

M. Joël Guerriau. À qui la faute ?

M. Jean-Pierre Chevènement. Je vous l'accorde, le choix d'une monnaie forte est ancien, mais les choses s'accélèrent !

La France compterait encore 3 700 000 emplois industriels, directs et indirects. Il faut toutefois mettre les choses en perspective : au début des années quatre-vingt, le nombre de ces emplois était de l'ordre de 8 à 9 millions !

M. Patrick Artus vient de cosigner un livre intitulé La France sans ses usines. Une « entreprise sans usine », c'est justement ce que souhaitait faire d'Alcatel son patron, M. Tchuruk. Nous y sommes désormais ! Mais la France sans usine, c'est la fin de la France.

Monsieur le ministre, je souhaite que vous soyez conscients, vous, M. Sarkozy et d'autres encore, que, dans la période troublée qui s'annonce avec la crise de la monnaie unique, la recherche d'une monnaie moins chère doit demeurer notre cap. Sinon, c'en sera fini de la France !

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