Question de M. BODIN Yannick (Seine-et-Marne - SOC) publiée le 03/02/2011

M. Yannick Bodin attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative sur la création d'une prime au mérite pour les chefs d'établissement. Le 26 janvier dernier, il a annoncé la création d'une prime pour les principaux de collège et les proviseurs de lycée, pouvant aller jusqu'à 6 000 euros sur trois ans.
Le principe de cette prime se fonde sur la volonté du Gouvernement d'avoir « un système éducatif moderne […] qui se fixe des objectifs et qui cherche à améliorer ses performances », « comme cela existe dans l'immense majorité des entreprises de notre pays ». Or, l'école n'est pas une entreprise mais un service public.
Il faut donc être vigilant quant à la mise en œuvre de cette prime. En effet, son obtention sera soumise à une évaluation réalisée à partir de la lettre de mission du chef d'établissement. Les critères annoncés sont, entre autres, le projet pédagogique de l'établissement, les résultats scolaires ou encore la capacité à intégrer les élèves en grande difficulté et en situation de handicap. La mise en place de contrats d'objectifs et de performance a également été abordée.
Mais comment évaluer l'apport individuel dans une action collective telle que l'éducation ? De plus, ces critères d'évaluation devront prendre en compte la diversité des situations dans les établissements scolaires.
Enfin, cette prime va individualiser les carrières. Cela risque de casser le travail d'équipe nécessaire pour améliorer le projet éducatif. Pourquoi rémunérer le chef d'établissement et non chacun de ceux qui ont participé au projet collectif ? Les chefs d'établissement qui réussissent sont ceux qui parviennent à redonner confiance à une équipe. Il y a donc un risque important que l'instauration de cette prime provoque une rupture entre les enseignants et les chefs d'établissement.
Il lui demande donc de préciser quels critères seront utilisés pour l'évaluation des chefs d'établissement et de quelle manière il compte préserver une équipe pédagogique soudée et motivée sous la houlette du chef d'établissement.

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Réponse du Ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative publiée le 06/04/2011

Réponse apportée en séance publique le 05/04/2011

M. Yannick Bodin. Monsieur le ministre, ma question concerne la création d'une prime au mérite pour les chefs d'établissement.

Le 25 janvier dernier, vous avez annoncé la création d'une prime, pouvant aller jusqu'à 6 000 euros sur trois ans, pour les principaux de collège et les proviseurs de lycées.

Le principe de cette prime se fonde sur la volonté du Gouvernement d'avoir, selon vos propres termes, monsieur le ministre, « un système éducatif moderne qui se fixe des objectifs et qui cherche à améliorer ses performances » […] « comme cela existe dans l'immense majorité des entreprises de notre pays ». À la seule différence, monsieur le ministre, que l'école est non pas une entreprise, mais une institution républicaine de service public.

La mise en œuvre de cette prime suscite de ma part quelques craintes. La plus importante porte sur les critères qui déterminent son obtention. Ces derniers ne sont, à ma connaissance, pas définitivement établis, mais ils pourraient concerner, entre autres, la lettre de mission du chef d'établissement, le projet pédagogique, les résultats scolaires ou encore la capacité à intégrer les élèves en grande difficulté ou en situation de handicap. La mise en place de contrats d'objectifs et de performance a également été abordée.

Monsieur le ministre, je m'interroge : comment évaluer l'apport individuel dans une action collective telle que l'éducation ? Et surtout, comment ces critères d'évaluation prendront-ils en compte la diversité des situations des établissements scolaires, notamment les données sociales et culturelles qui marquent des inégalités profondes, y compris entre les territoires ?

Une autre de mes craintes concerne le risque d'individualisation des carrières que va engendrer la création de cette prime. On sait pourtant que le travail d'équipe est une nécessité pour améliorer le projet éducatif dans un établissement scolaire. Dès lors, pourquoi rémunérer le chef d'établissement et non chacun de ceux qui ont participé au projet collectif ? L'instauration de cette prime risque de provoquer une rupture entre les enseignants et les chefs d'établissement.

Monsieur le ministre, je souhaite que vous nous précisiez les critères qui seront appliqués à l'évaluation des chefs d'établissement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le sénateur, j'assume et je revendique pleinement la mise en place d'une prime au mérite pour les proviseurs.

L'État a besoin d'une organisation moderne de gestion de ses ressources humaines. D'ores et déjà – et j'insiste sur ce point –, la rémunération de quelque 40 000 cadres de l'État comprend une prime qui varie selon leurs performances, leurs résultats, et donc leur mérite. Et c'est une bonne chose ! Si nous voulons des collaborateurs et des cadres d'État motivés, impliqués dans leur mission, et qui s'attachent à atteindre les objectifs qui leur sont fixés, cet élément de rémunération me paraît nécessaire.

Nous considérons qu'une prime au mérite est applicable aux chefs d'établissement. Dans un système éducatif moderne, le pilotage est en effet une donnée capitale. Un lycée, un collège ne doivent pas fonctionner sous le mode de l'autogestion. Ils doivent être dirigés par un pilote, par un responsable. Le Gouvernement considère qu'il faut faire confiance aux acteurs locaux, donc accorder une marge de manœuvre aux établissements. Or, plus cette marge de manœuvre est importante, plus il faut déléguer, fixer des objectifs, évaluer, être transparent et associer les cadres, ce qui suppose de les rémunérer en fonction de leur engagement.

Les organisations syndicales représentant les chefs d'établissement, avec lesquelles nous avons engagé la discussion sur ce sujet depuis de nombreux mois, adhèrent au principe de ce dispositif. Il nous reste maintenant à fixer des critères objectifs de performance.

Monsieur le sénateur, en observateur avisé du système éducatif français, vous savez que la responsabilité de l'implication du chef d'établissement est capitale pour l'aboutissement du projet éducatif, les performances et la réussite des élèves. Lorsqu'on entre dans un lycée ou dans un collège, on comprend tout de suite combien l'implication du chef d'établissement est déterminante pour les résultats, les performances des élèves.

Je pense que nous pouvons nous accorder, sur toutes les travées de cette assemblée, pour reconnaître l'importance de critères tels que la réussite scolaire, le taux d'accès d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, la capacité à intégrer davantage d'enfants issus de milieux défavorisés. Nous travaillons, avec les recteurs, à la définition des différents critères qui seront retenus. Il reviendra ensuite à chaque académie de passer un contrat avec les lycées pour fixer des objectifs, puis évaluer les résultats obtenus. C'est ainsi que le système éducatif pourra améliorer ses performances.

M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.

M. Yannick Bodin. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, même si la définition des critères appelle, me semble-t-il, des précisions supplémentaires.

Comme vous l'avez souligné – et je suis d'accord avec vous sur ce point –, le rôle du chef d'établissement est déterminant. Une fois les critères fixés, monsieur le ministre, il sera essentiel que vous mainteniez un climat de transparence dans les établissements. Il serait en effet très dommageable pour l'ambiance générale collective d'un collège ou d'un lycée que circulent des non-dits, de mauvaises interprétations concernant le fait que le proviseur de tel autre lycée ait bénéficié d'un avantage au mérite …

J'insiste sur la nécessité de la transparence. Grâce aux grilles de la fonction publique, tous les salaires des fonctionnaires de l'éducation nationale sont connus. Je vous demande donc de faire en sorte que la transparence reste la règle en ce qui concerne les chefs d'établissement.

Et puis, échaudé, en quelque sorte, par ce qui s'est passé dans d'autres administrations, j'espère que certains des critères qui seront retenus ne favoriseront pas ce que l'on appelle, dans la police, la « politique du chiffre ». Aussi, sans nier en rien le mérite des chefs d'établissement, je vous demande d'être attentif au climat moral et psychologique que le dispositif que vous proposez peut créer au sein des collèges et des lycées.

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