Question de M. SOUVET Louis (Doubs - UMP) publiée le 02/10/2004

M. Louis Souvet attire l'attention de M. le ministre délégué à l'industrie sur l'opportunité pour l'Etat, en tant qu'actionnaire, de cautionner la mise sur le marché national d'un véhicule automobile destiné initialement aux pays émergents. Il demande si le Gouvernement est favorable à cette initiative, étant entendu que le prix en France serait sensiblement plus élevé.

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Réponse du Ministère délégué au commerce extérieur publiée le 20/10/2004

Réponse apportée en séance publique le 19/10/2004

M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, j'ai plaisir à vous retrouver après le voyage que nous avons effectué ensemble en Chine. Je connais bien ce pays puisque je m'y rendais pour la cinquième fois. Il offre d'immenses possibilités, mais recèle aussi de graves dangers si son développement devait l'amener à inonder le marché mondial de ses produits.

A l'heure où se pose à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, la nécessité d'inclure dans les débats la clause sociale pour éviter des dumpings meurtriers pour les pays développés tout autant que des dommages importants pour les pays en développement, il est pour le moins surprenant qu'un constructeur automobile, dont l'Etat est actionnaire, se propose de commercialiser en France un modèle initialement destiné aux pays émergents pour un prix de 5 000 euros.

Je suis triste, mais pas surpris, à l'idée que l'un de nos grands constructeurs nationaux et européens, dès la présentation d'ailleurs, affirme : « Si les Français le souhaitent, pourquoi nous priverions-nous de les leur vendre ? ». Veut-on tuer le marché de l'automobile française, de qualité, sûre et peu polluante ?

Signalons tout de suite que le prix catalogue en France serait assez nettement supérieur, c'est-à-dire de l'ordre de 7 500 euros.

Comment est-il possible de maintenir un tel niveau de prix ? Il y a là, à mon sens, deux voies envisageables.

La première voie, ce serait, en grande partie, par le biais des coûts salariaux. C'est le premier paradoxe. Une voiture qui devait être construite dans les pays émergents pour les consommateurs desdits pays du fait de leur niveau de vie moins élevé, par exemple la Roumanie, viendra finalement accroître la concurrence sur le marché national. Si le concept initial a été validé par les pouvoirs publics, en a-t-il été de même pour ce développement ultérieur ? Et si l'argument salarial est « le » moyen de produire à ce prix, on peut penser que, très vite, nous deviendrons un pays émergent. En effet, à force de critiquer l'automobile, de l'accabler de tous les maux, si on lui ajoute des coûts de fabrication très inférieurs aux nôtres parce que le gap social est important entre nous et les pays de l'Est, en raison notamment des 35 heures, des congés, des coûts salariaux, du niveau bien inférieur des investissements à réaliser, je pense que « la vache à lait » va se tarir rapidement.

La deuxième voie, d'ordre environnemental et sécuritaire, n'en est pas moins aussi importante que la première. Alors que les consommateurs sont demandeurs d'innovations, sensibilisés qu'ils sont sur les conséquences à long terme de toutes les sources de pollution, que, de plus, les ingénieurs des constructeurs travaillent à longueur d'année sur la réduction de la consommation et autres dispositifs antipollution et de sécurité, il est certain que le véhicule en question, de par son coût, n'entrera pas dans cette logique.

Il faut être cohérent en matière de pollution, d'économies d'énergies comme en matière de sécurité. Sans parler de sous-équipement, ni même, à l'instar de quelques collectionneurs nostalgiques, évoquer des véhicules de type Trabant, il est certain, et loin s'en faut, que tous les dispositifs de sécurité ne seront pas inclus dans ce type de véhicule. Doit-on rappeler que la sécurité routière fait partie des priorités nationales ? Nous sommes tous d'accord lorsque, au prix d'innovations et de prouesses que je tiens à saluer, des progrès sont réalisés pour réduire la pollution et diminuer le nombre des accidents.

Va-t-on voir de nouveau sur nos autoroutes des « cercueils roulants » fabriqués par une entreprise nationale et qui mettent en danger les conducteurs de véhicules plus sophistiqués que nous sommes ?

Par conséquent, monsieur le ministre, que préconisez-vous, d'une part, pour éviter une saturation prévisible du marché sur ce segment si tous les constructeurs suivent cet exemple, et, d'autre part, pour maintenir des conditions de concurrence, de sécurité et de respect des normes de pollution qui soient équitables ?

L'ensemble des constructeurs français possèdent quelques sites de production dans les pays de l'Est et en Chine, nous les avons visités. Que deviendront alors nos ouvriers sur les sites de l'Hexagone, qui fabriquent actuellement les voitures qui font notre réputation dans le monde ? Les Français ne vont-ils pas devenir les pauvres du marché mondial ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué, que, moi aussi, j'ai beaucoup de plaisir à retrouver ici.

M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Monsieur le président, je suis particulièrement heureux de m'exprimer sous votre première présidence et je vous adresse mes félicitations.

M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre.

M. François Loos, ministre délégué. Monsieur Souvet, vous soulevez la question de la mondialisation en général et du cas de l'automobile, avec la Logan commercialisée par Renault, en particulier. La question sur l'industrie automobile est intéressante, car elle permet de répondre à la fois au cas particulier et au cas général.

Tout d'abord, l'industrie automobile crée actuellement de l'emploi en France : 7 000 emplois pour PSA en France en 2004 hors réseau commercial, 5 000 annoncés par Renault sur notre territoire pour 2005. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette situation, alors même que d'autres pays européens doivent au contraire affronter de douloureuses restructurations dans l'automobile. Voyez l'Allemagne avec Opel en ce moment même.

Cette relative prospérité a été rendue possible historiquement par la stratégie internationale de nos deux groupes Renault et PSA. Les ventes en France de ces deux constructeurs sont restées stables, voire en légère décroissance depuis 1990. S'ils sont devenus des acteurs majeurs et rentables de la scène automobile internationale, c'est parce qu'ils ont su dans le même temps accroître la part de l'international dans leurs ventes de 53 % à 71 %.

Tout ce mouvement s'est fait au bénéfice de l'emploi en France. Tout d'abord, parce qu'il est presque sûr que, sans expansion à l'international, nos constructeurs auraient périclité, y compris en France. Mais aussi d'un strict point de vue comptable : Renault produit 1,3 million de véhicules par an en France, alors qu'il n'en vend que 700 000 dans notre pays. Le solde est donc nettement positif.

Dans l'industrie automobile, conquérir de nouveaux marchés à l'international est donc favorable à l'emploi en France. Les chiffres le prouvent et c'est le cas dans la grande majorité des secteurs industriels.

C'est à l'aune de ces remarques que l'initiative de Renault sur la Logan doit être considérée. Elle correspond en effet à la volonté de conquérir de nouveaux marchés, en l'occurrence ceux des économies dites émergentes, en leur proposant un modèle qui s'adresse spécifiquement à leurs besoins et à leur pouvoir d'achat.

Ce faisant, Renault a pris un risque, celui de rompre avec la logique traditionnelle des constructeurs européens, en proposant un modèle rustique, peu équipé, mais de qualité puisque correspondant aux standards les plus récents de la marque en Europe.

Le pari fait par les dirigeants de Renault semble aujourd'hui en passe d'être gagné, si l'on en croit le succès remporté par la Logan dans les pays où elle est commercialisée.

J'étais hier en compagnie du Premier ministre en Roumanie, pays où la Logan est fabriquée par Renault Dacia. Le premier jour de l'ouverture du marché de la Logan, 9 000 ventes ont été réalisées. Je ne pense pas que nous puissions déplorer cette situation.

Ce véhicule est produit en Roumanie parce qu'il y avait pour l'entreprise une grande logique à produire ce véhicule dans les zones où il allait être vendu afin qu'il soit perçu comme un produit local, ce qui a souvent de l'importance, et que Renault puisse se battre à armes égales avec les constructeurs déjà présents sur ces marchés.

Je comprends bien sûr votre inquiétude concernant la réimportation de ce véhicule en France. Permettez-moi cependant de faire deux remarques à cet égard.

La première remarque, c'est que ce mouvement était inéluctable dès lors que la Logan était introduite sur le marché des dix nouveaux pays membres de l'Union européenne, tels que la Pologne ou la République Tchèque. C'est le marché unique et, par conséquent, ce qui est vendu en Pologne peut être vendu en France. Mieux vaut que ce soit Renault qui assure cette distribution plutôt que des vendeurs parasites qui achemineraient automatiquement les véhicules de la Pologne vers la France.

La seconde remarque, c'est que ce modèle, malgré sa qualité, est sans doute destiné à rester un modèle de niche dans notre pays. Comme vous l'avez dit, la demande des consommateurs s'oriente traditionnellement vers des modèles de mieux en mieux équipés plus que vers des modèles bas de gamme. La Logan n'est pas la première voiture à très bas prix mise sur le marché français, et les expériences précédentes ont montré que ce créneau était très limité et concurrençait plus les ventes de véhicules d'occasion que celles de véhicules neufs. Renault lui-même n'aurait aucun intérêt à parasiter les marchés de ses modèles mieux équipés sur lesquels sa marge est bien sûr beaucoup plus importante.

Ainsi, vous voyez qu'à travers l'exemple de l'automobile toutes les questions qui ont trait à la mondialisation et aux produits à bas prix se trouvent évoquées, et que le solde est largement positif.

M. le président. La parole est à M. Louis Souvet.

M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, je regrette de vous dire que je ne partage pas vos conclusions.

Vous dites que l'industrie automobile crée des emplois en France. Mais les chiffres qui vous ont été transmis tiennent compte pour l'essentiel du remplacement de personnes qui partent en retraite ; il n'y a pas de créations d'emplois. J'habite à proximité d'un site automobile et, croyez-moi, je peux vous affirmer qu'en ce moment il n'y a pas de création d'emplois ; à l'inverse, les emplois diminuent.

Vous ajoutez que les ventes seraient restées stables, en particulier en France. Ne devrait-on pas alors se dépêcher de produire en France des véhicules du type de la Logan pour doper nos ventes ?

Vous me répondez aussi que, sans expansion à l'international, l'industrie automobile péricliterait. Je ne suis pas aussi sûr que vous que l'expansion à l'international soit favorable à la situation en France.

Le pari pour Renault est gagné, dites-vous, d'autant que ce modèle correspond aux standards de la marque. Alors si les pays de l'Est, les pays étrangers inondent l'Europe qu'allons-nous vendre, nous ? Que deviendront nos véhicules ?

Vous affirmez que le mouvement est inéluctable. Or je suis persuadé que l'on va tuer le marché des petites voitures, en particulier celui de la voiture d'occasion qui fait vivre des centaines de milliers de personnes. Pourquoi achèterait-on une voiture d'occasion quand on peut acquérir une voiture neuve qui, même si elle n'est pas aussi bien équipée, sera proposée à un bien meilleur prix ?

Permettez-moi de revenir sur ce qui fonde mon intervention.

L'automobile est et restera longtemps l'élément privilégié d'affichage du niveau de technologie d'un pays, mais aussi un révélateur de son niveau social. A titre individuel, l'automobile est encore le produit qui permet d'afficher la classe sociale à laquelle on appartient, beaucoup plus sûrement que la maison, ou le costume trois pièces « bon chic bon genre ». Sur le plan de la technologie, c'est le réceptacle de toutes les innovations, et c'est surtout sur ce point que je voudrais insister.

Si l'automobile est un produit en perpétuelle évolution, la Logan, elle, n'a rien de ces produits issus des technologies modernes. Bien sûr, l'automobile de 2005 comparée à la première De Dion-Bouton, c'est toujours un moteur thermique, un châssis et quatre roues. Mais que de progrès, que d'innovations, que de matière grise se cachent derrière cette évolution ! Qu'on pense au système de freinage par câble par rapport au double circuit de freinage compensé qui tient votre voiture en ligne même sur le verglas, aux échappements des premiers véhicules par rapport au filtre à particules actuel pour lutter contre la pollution, aux premières lanternes par rapport aux projecteurs à iode ! Qu'on pense aux airbags, au GPS, aux pneumatiques, j'en passe à dessein !

L'automobile s'est modifiée de proche en proche pour atteindre un degré de technologie qui fournit d'importantes activités à toutes les branches économiques, fabrication de tissus pour l'industrie textile, de tôles pour la métallurgie, fourniture de peinture pour la chimie, de composants électroniques, etc.

Mais l'automobile n'est pas que cela, monsieur le ministre ; c'est aussi un univers riche en relations humaines, dans le commerce, dans les services. C'est une activité qui emploie un fort pourcentage de passionnés, où les jeunes trouvent une réponse à leurs ambitions pour concrétiser leur carrière professionnelle.

N'oublions pas qu'en Europe une personne sur dix vit pour et par l'automobile. C'est le premier secteur d'emplois. Ainsi 36 millions de véhicules sont vendus dans le monde. À la photographie de cette activité innovante, il faut ajouter environ 500 000 emplois de services au public : les auto-écoles, les loueurs, les recycleurs, les stations-service, etc.

Monsieur le ministre, nous devons tout faire pour protéger ce secteur de notre activité et ne pas se contenter de penser qu'on va faire travailler les Français parce qu'on fabrique des voitures à l'étranger ; je n'y crois pas beaucoup.

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