Question de M. MOULY Georges (Corrèze - RDSE) publiée le 07/11/2002

M. Georges Mouly attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur un aspect, certes récurrent, de la vie économique nationale, et même européenne, mais qui ne cesse d'inquiéter les acteurs de la vie locale : les délocalisations d'entreprises, qui aboutissent à une véritable destruction progressive de la manufacture en France, puisque, quotidiennement, des pans entiers de la fabrication s'expatrient au bout du monde, laissant sur le carreau nombre d'employés et des bassins sinistrés, sans compter les conséquences pour les filières de l'approvisionnement en matières premières et du transport des produits manufacturés. Si les baisses de charges annoncées par le Gouvernement en faveur des entreprises vont naturellement dans le bon sens, il lui demande quelles mesures peuvent être prises pour sauver ce qui demeure encore en France ou en Europe de la manufacture et pour inverser une tendance qui, à l'avenir, risque d'être fatale à la consommation, et donc à la croissance.

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Réponse du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie publiée le 25/09/2003

L'attention du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est appelée sur les mesures à prendre pour limiter les conséquences néfastes des délocalisations industrielles. La globalisation de l'économie, la compétition internationale, l'internationalisation croissante des groupes les poussent à investir hors de leur pays d'origine. Dans ce cadre, certaines entreprises ont pu être amenées à délocaliser leurs activités, c'est-à-dire à fermer un site de production localisé sur notre territoire afin de le réinstaller dans un autre pays. Selon les dernières données de l'Institut national de la statistique et des études économiques publiées en 2003, le montant total des investissements français à l'étranger s'est élevé à 92,5 milliards d'euros en 2001. Ce chiffre est en net repli par rapport aux années précédentes (190,5 milliards d'euros en 2000 et 119 milliards d'euros en 1999). Il place toutefois la France au second rang des investisseurs mondiaux, derrière les Etats-Unis (143,2 milliards d'euros d'investissements à l'étranger en 2001), alors que la France occupait la troisième place dans ce domaine en 2000, derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Une telle baisse des investissements à l'étranger, commune à la plupart des pays industrialisés, s'explique par le recul d'environ 50 % du nombre et de la valeur des opérations de fusion-acquisition transfrontières, principalement du fait de la chute des cours boursiers et de la crise du secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Cette tendance baissière s'est d'ailleurs poursuivie en 2002, puisque les flux d'investissements directs étrangers vers les quarante principaux pays émergents (à l'exception des pays d'Europe centrale et orientale et d'Asie du Sud-Est) ont diminué de 30 milliards de dollars par rapport à 2001 pour s'établir à 170 milliards de dollars en 2002. Ces investissements à l'étranger correspondent à 6,3 % du produit intérieur brut français. Pour l'essentiel, ils ne reposent pas sur un principe de délocalisation industrielle. Aucune étude macroéconomique récente ne porte cependant sur ce sujet. Les dernières données disponibles remontent à 1997 (étude du service des études et des statistiques industrielles). Cette étude évalue à 980 000 le montant des emplois des groupes industriels à capitaux français localisés à l'étranger. Tous secteurs confondus, les importations issues des unités de production délocalisées représentent 3 % des achats et 2 % de la production des entreprises industrielles françaises. Il est clair que la production à l'étranger est étroitement corrélée à la taille des sociétés concernées : la production à l'étranger représente ainsi moins de 4 % de la production en France pour les sociétés de moins de 500 personnes, 18 % pour celles de 500 à 2 000 personnes, 37 % pour celles de 2 000 à 20 000 personnes et 80 % pour les sociétés de taille supérieure. La concentration géographique de ces investissements est très forte. Les investissements français à l'étranger sont ainsi principalement répartis dans l'Union européenne (29,3 milliards d'euros dont 26,1 milliards d'euros pour la seule Allemagne) et les Etats-Unis (15,1 milliards d'euros en 2001). Si l'investissement dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économique s'est poursuivi, c'est parce que les entreprises françaises, en particulier les grands groupes, ont consolidé des stratégies mondiales. Ces investissements ne peuvent donc être présentés comme des délocalisations, les transferts éventuels étant plus que compensés par l'accroissement de l'activité. Plus spécifiquement, les délocalisations peuvent concerner les pays à bas coûts de main-d'oeuvre (Maghreb, Europe centrale et orientale, Asie du Sud-Est) et des secteurs spécifiques (textile-habillement principalement, mais aussi cuir-chaussures, jouet, bijouterie, petit mobilier, électronique grand public), à fort contenu de main-d'oeuvre. Ces transferts de production n'engendrent toutefois que peu d'importations, excepté dans le secteur de l'habillement-cuir. L'ampleur de ce mouvement de délocalisation apparaît, de plus, marginale. Les investissements français à l'étranger hors zone euro et Etats-Unis représentaient ainsi 30 milliards d'euros en 2001 mais, par exemple, la Chine ne totalisait à elle seule en 1999 que 0,2 % des flux d'investissements français à l'étranger. De plus, les secteurs précités ne constituent pas l'essentiel des opérations françaises d'investissement à l'étranger. Plus de 46,4 milliards d'euros concernent en 2001 des opérations immobilières et commerciales françaises à l'étranger et 12,6 milliards des produits manufacturés dont 187 millions d'euros pour le textile-habillement, 2,3 milliards d'euros pour les produits chimiques, 2,3 milliards d'euros pour les véhicules à moteur et autres matériels de transport. En outre, l'avantage de compétitivité tenant à des coûts de main-d'oeuvre bas n'est ni automatique ni durable. Deux exemples peuvent l'illustrer. Le textile marocain a, d'une part, largement été redéployé vers l'Europe centrale et orientale au début des années quatre-vingt-dix ; Singapour, d'autre part, a construit son développement économique sur les industries de main-d'oeuvre, notamment dans l'électronique grand public. Or cet Etat délocalise désormais les activités de ce secteur à fort coefficient de main-d'oeuvre vers la Malaisie et la Thaïlande, pour conserver les activités à forte valeur ajoutée. Enfin, d'un point de vue global, les secteurs ayant perdu le plus d'emplois en France au cours de la dernière décennie ont soit été touchés par un ralentissement de la demande mondiale, soit fait l'objet d'importants investissements de productivité. Les études réalisées par l'INSEE montrent d'ailleurs que le commerce international ne joue qu'un rôle limité dans l'évolution de l'emploi en France. Plusieurs types de réponses sont apportées par le Gouvernement à ces enjeux. Tout d'abord, sur le plan intérieur, une politique favorable à la compétitivité de nos entreprises vient renforcer l'attractivité du territoire et favoriser l'exportation. Les politiques en faveur de l'emploi peu qualifié permettent également de diminuer les coûts d'ajustement. Les politiques d'innovation et de développement de la qualité doivent permettre de créer des emplois qualifiés à forte valeur ajoutée, peu sensibles au phénomène de délocalisation. Les aides fiscales à la localisation d'activités économiques à l'étranger sont de plus très encadrées, tandis que le Gouvernement encourage fortement le développement des investissements étrangers en France, notamment par le biais de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Les investissements étrangers s'établissent ainsi en 2002 à 52,4 milliards d'euros (contre 58,8 milliards d'euros en 2001 et 46,6 milliards d'euros en 2000), ce qui fait de la France la seconde terre d'accueil mondiale des investissements étrangers, après la Chine (55 milliards d'euros d'investissements étrangers). L'essentiel de ces investissements provenait en 2001 de la zone euro (62 %), le Royaume-Uni et les Etats-unis en représentant respectivement 22 % et 9 %. Ces investissements ont permis la création ou la sauvegarde de 221 000 emplois directs entre 1993 et 2001 ; en 2002, 438 investissements étrangers devraient permettre à terme la création de près de 22 860 emplois (dont 5 861 liés à des projets d'entreprises américaines et 10 % d'emplois en recherche et développement, soit une augmentation de 40 % par rapport à 2001). Un emploi sur trois créé en France (60 000 créations de postes en 2002 dans le secteur marchand non agricole) est à présent le résultat d'un investissement étranger. Enfin, le Gouvernement porte la plus grande attention à ce que l'ouverture du marché national et communautaire fasse l'objet de concessions symétriques de la part des Etats non membres de l'Union européenne. Cette position est systématiquement défendue avec les autres pays de l'Union européenne au sein de l'Organisation mondiale du commerce et, lorsque c'est nécessaire, au plan bilatéral.

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