Question de Mme BIDARD-REYDET Danielle (Seine-Saint-Denis - CRC) publiée le 24/05/2000

Mme Danielle Bidard-Reydet attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur un fait historique. Le 17 et le 18 octobre 1961 à Paris, lors d'une importante manifestation non violente, des dizaines d'algériens étaient assassinés, victimes d'une répression particulièrement sanglante. Depuis trente-huit ans, ce crime a été occulté. Pour que cesse l'oubli, de très nombreux démocrates se mobilisent. Elle lui demande de prendre une initiative pour que la République reconnaisse ce crime et qu'un lieu du souvenir lui soit consacré.

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Réponse du ministère : Outre-mer publiée le 14/06/2000

Réponse apportée en séance publique le 13/06/2000

M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet, auteur de la question n° 827, adressée à M. le ministre de
l'intérieur.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Le 17 octobre 1961, une manifestation à Paris est organisée par le Front de libération
nationale, le FLN, pour protester contre le couvre-feu décrété le 6 octobre par Maurice Papon, préfet de police, et
imposé aux Français d'origine algérienne de la région parisienne. Depuis quelques mois, en effet, la guerre fait rage de
l'autre côté de la Méditerranée et touche la métropole.
Malgré l'interdiction de la manifestation, des dizaines de milliers d'Algériens décident de se retrouver sur les « grands
boulevards » pour protester pacifiquement contre cette mesure discriminatoire.
Déjà, dès le début de l'après-midi, les forces de police interpellent des Algériens, mais aussi des Tunisiens et des
Italiens. A vingt heures, alors que les manifestants arrivent place de la Concorde, dès leur sortie du métro, ils reçoivent
de violents coups de matraque.
Dans la nuit du 17 au 18 octobre, la violence des forces de police s'accentue. C'est une répression sanglante qui s'abat
sur cette foule sans armes. On dénombre plusieurs dizaines de morts.
Que s'est-il réellement passé ce jour-là ? Combien de morts, de blessés, de noyés ? Aujourd'hui encore, ce nombre fait
débat. Les responsables restent impunis et n'ont jamais eu à rendre compte de leurs actes.
A l'époque, les révélations des témoins, de la presse, sont étouffées ; censure et autocensure dominent. Pourquoi
l'événement a-t-il été occulté durant tant d'années ?
Ce n'est qu'avec le travail de quelques chercheurs et militants que les faits vont apparaître à la lumière. Cette quête de
la mémoire et de la vérité historique a culminé en 1997, lors du procès de Maurice Papon à Bordeaux.
Devant l'ampleur des réactions, Catherine Trautmann, alors ministre de la culture, décide l'ouverture des archives sur
cette période et Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, annonce le lancement d'une enquête officielle en
décembre 1998. Cette enquête - le rapport Mandelkern - conclura que ce sont plusieurs dizaines de personnes qui ont
été tuées par les forces de police. Mais cette enquête n'a pu se faire qu'à partir de sources de renseignement limitées,
et de nombreux documents ont disparu.
Aujourd'hui, à la veille du quarantième anniversaire des événements du 17 octobre 1961 et au moment de la visite du
président Bouteflika, toute la lumière doit être faite. Au nom du devoir de mémoire, dans un souci de transparence et
par respect pour les familles des victimes, la vérité doit être connue.
Pour cela, nous demandons le libre accès à la documentation, afin de mieux connaître cette page noire de notre
histoire et les responsabilités de notre pays dans ce crime. Enfin, avec de nombreuses personnalités, nous demandons
qu'un lieu de souvenir soit consacré à la mémoire de ceux qui furent assassinés.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Madame le sénateur, M. Chevènement, ministre de
l'intérieur, est malheureusement dans l'impossibilité d'être présent aujourd'hui et il m'a demandé de vous présenter ses
regrets pour cette absence.
Vous souhaitez, s'agissant des manifestations des 17 et 18 octobre 1961, que cesse l'oubli, que la République
reconnaisse ce crime et qu'un lieu du souvenir lui soit consacré.
Votre premier souci vient en écho d'une question qu'avait posée M. Asensi, député de votre département, le 15 octobre
1997. Depuis cette date, conformément aux engagements pris alors par le ministre de l'intérieur, un travail de recherche
important a été effectué ; il a permis de progresser dans la révélation de la vérité.
Il s'agit d'abord du rapport du conseiller d'Etat Mandelkern, qui a été déposé auprès du ministre de l'intérieur le 8 janvier
1998. Il s'agit ensuite des recherches réalisées à partir des archives du ministère de la justice et qui ont fait l'objet d'un
rapport établi par M. Jean Géronimi à la fin de l'année 1999, qui a également été publié.
Il me paraît utile, enfin, d'ajouter, ce qui répond à une partie de votre question, qu'en application des dispositions de la
loi du 3 janvier 1979 sur les archives le préfet de police a accordé des dérogations d'accès aux archives de la préfecture
à des universitaires, afin qu'ils puissent aussi, dans le cadre de leurs recherches, faire la lumière sur ces événements.
Madame le sénateur, la vérité est la meilleure arme contre l'oubli et vous pouvez constater que, depuis trois ans, le
Gouvernement a bien mis en oeuvre ce qui était nécessaire à l'établissement de cette vérité.
En revanche, il n'est pas juste de demander à la République de reconnaître dans ces événements la responsabilité d'un
crime qu'elle aurait perpétré. Cela reviendrait à admettre que la République a voulu les tragédies qui ont accompagné
ces manifestations. Ce serait absurde.
Cependant, comme le ministre de l'intérieur l'avait fait à l'occasion de sa réponse à M. Asensi, il est utile de rappeler
que la République, par deux référendums, a décidé d'accéder à la légitime volonté d'indépendance du peuple algérien.
La France et l'Algérie ont eu un passé lié pendant plus d'un siècle. La France a sans doute la responsabilité de ne pas
avoir compris assez tôt l'évidence de l'émancipation du peuple algérien. Chacun de nos deux pays en garde des
cicatrices douloureuses.
Mais nos deux pays ont surtout de larges pans de leur avenir respectif à bâtir ensemble. La France a su montrer sa
solidarité face aux événements qui ont marqué l'Algérie ces dernières années. Le Gouvernement s'est résolument
engagé dans une politique de coopération.
La veille du jour où le président Bouteflika est accueilli sur notre territoire, c'est donc la construction de cet avenir
commun qui préoccupe essentiellement le Gouvernement.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, mais elle ne me
satisfait que partiellement. Nous avons, en effet, à clarifier l'histoire complexe, vous l'avez rappelé, mais riche aussi des
rapports que nous entretenons avec l'Algérie.
Vous avez évoqué le travail de recherche, les progrès qui ont été réalisés dans ce domaine par l'ouverture, en partie, de
certaines archives. Il ne faut pas se cacher la vérité : beaucoup reste encore à faire en ce domaine. Certes, des
dérogations ont été accordées, mais je souhaiterais que, quarante ans après cet événement, toutes les archives
puissent être à la disposition des chercheurs.
Vous avez évoqué, et je suis d'accord avec vous, la nécessité de préparer des rapports de coopération avec ce grand
pays du sud de la Méditerranée qu'est l'Algérie. Mais ces rapports de coopération doivent être fondés sur le respect, la
dignité.
Je pense que, lors du voyage de M. Bouteflika, la France s'honorerait en annonçant officiellement l'ouverture d'un lieu de
mémoire pour rappeler ce très sinistre moment de notre histoire.

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