Question de M. VINÇON Serge (Cher - RPR) publiée le 27/02/1998

Question posée en séance publique le 26/02/1998

M. le président. La parole est à M. Vinçon. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers
collègues, ma question concerne la situation en Irak, et plus particulièrement l'accord conclu entre ce pays et
l'Organisation des Nations unies le 23 février dernier.
Durant les semaines qui viennent de s'écouler, la France, par la voix du Président de la République, a choisi le camp de la
paix et a pris le parti de la négociation et de la diplomatie.
Cette attitude de non-alignement a permis à notre pays de jouer un rôle prépondérant dans l'évolution de la position de
Saddam Hussein. Les Français ont pu constater que le secrétaire général de l'ONU, sur le chemin de Bagdad, s'est arrêté
à Paris et a consulté le Président de la République française, et que, à son retour vers New York, il a rendu compte à
Jacques Chirac de l'accord conclu.
En réalité, le Président de la République, en renouant avec la politique arabe traditionnelle de la France, a placé notre
pays en position d'interlocuteur privilégié, au moment même où l'Union européenne était encore une fois partagée.
Les résultats obtenus renforcent l'analyse de la France, à savoir que l'Irak doit respecter les résolutions de l'ONU et
permettre le contrôle des sites présidentiels. En contre-partie, le peuple irakien doit cesser d'être la seule victime de la
situation et l'Irak doit trouver sa place au sein de la communauté internationale.
Au nom de mon groupe, je tiens à exprimer notre satisfaction devant un triple succès diplomatique : celui de la paix, celui
des Nations unies, en particulier de son secrétaire général, et celui de la France, en particulier de son Président.
Aussi, monsieur le Premier ministre, selon vous, quelles sont les chances de réussite de cet accord quand on sait que les
Etats-Unis veulent présenter un projet de résolution menaçant clairement d'une intervention militaire si l'Irak n'applique pas
l'accord ?
La France, quant à elle, bien qu'elle veuille aussi qu'un message de fermeté soit adressé au Président irakien, souhaite
cependant éviter tout élément d'automaticité dans la résolution qui laisserait aux Etats-Unis la liberté de décider
unilatéralement d'une riposte militaire chaque fois qu'ils estimeraient être en présence d'une violation de l'accord.
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue : vous n'avez plus que dix secondes !
M. Serge Vinçon. Par ailleurs, monsieur le Premier ministre, quelle est la position de l'Union européenne, présidée par
M. Tony Blair, dont on peut s'étonner qu'il ait déclaré qu'il n'était pas de l'intérêt de l'Union européenne de trop débattre
de cette crise et qu'il ait ultérieurement empêché la discussion sur une politique européenne commune dans le Golfe ?
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)

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Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 27/02/1998

Réponse apportée en séance publique le 26/02/1998

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le sénateur, la France se réjouit, vous vous en doutez, de la signature de
l'accord qui est intervenu entre le secrétaire général des Nations unies et les autorités irakiennes le 23 février dernier, à
Bagdad, accord qui semble avoir mis fin à la crise dite de « l'inspection des sites présidentiels ». Cet accord, présenté au
Conseil de sécurité, a été approuvé dans ses grandes lignes, mais il doit encore faire l'objet de résolutions.
Cet accord est un succès pour l'Organisation des Nations unies, pour son secrétaire général, M. Kofi Annan, à qui nous
avons rendu hommage, mais aussi pour tous ceux qui, dans la communauté internationale, ont contribué à ce que s'impose
une issue pacifique à ce conflit.
Notre pays a considéré, dès le début, que nous n'étions pas dans la situation qui s'était créée pendant la guerre du Golfe.
Sans doute la pression militaire était-elle nécessaire, mais encore fallait-il qu'elle débouche, grâce à un travail patient et
volontaire, vers une issue pacifique. Telle a été la position du Président de la République, du Gouvernement que je dirige.
Telle a été la position qu'a mise en oeuvre la diplomatie française, sous l'autorité du ministre des affaires étrangères.
Cet accord répond, selon nous, aux attentes légitimes de la communauté internationale, tout en s'efforçant de respecter la
souveraineté de l'Irak et la dignité de son peuple, pour autant que ce pays, naturellement, se plie aux injonctions fixées par
les résolutions des Nations unies.
Vous vous interrogez sur les chances de réussite de cet accord. Il a des chances de réussite s'il est correctement appliqué
par l'Irak, afin de permettre, à terme, que s'engage un processus de réinsertion de l'Irak dans sa région.
La France souhaite donc que la signature de l'accord entre le secrétaire général des Nations unies et les autorités
irakiennes permette à la commission spéciale, dans les conditions définies en ce qui concerne, notamment, l'inspection des
sites présidentiels, de mener à bien, dans les plus brefs délais, le désarmement de l'Irak pour ce qui est de ses armes de
destruction massive, et ce dans l'ensemble de ses volets. Il s'agit là de la condition suffisante et nécessaire à la levée des
sanctions pétrolières contre l'Irak.
De ce point de vue, monsieur le sénateur, pour vous répondre précisément, la France ne veut pas qu'il y ait une
automaticité d'une action militaire si l'Irak semblait ne pas se conformer à l'accord qu'il a signé. Elle souhaite que toute
décision soit prise par la communauté internationale, c'est-à-dire par le Conseil de sécurité, d'où les discussions qui ont
lieu actuellement en ce qui concerne la rédaction d'une résolution du Conseil de sécurité.
Nous croyons qu'il faut rappeler clairement aux autorités irakiennes à la fois les règles du jeu et leurs obligations de
souscrire aux injonctions des Nations unies. Mais, dans le même temps, nous souhaitons que nous proposions aussi à ce
pays une perspective : dès lors que le Conseil de sécurité aurait constaté que l'Irak se conforme à ses obligations en
matière de désarmement, l'embargo pétrolier pourrait être levé, conformément au paragraphe 22 de la résolution 687.
C'est cette perspective aussi qu'il faut fixer à l'Irak.
Vous vous interrogez sur la position de l'Union européenne dans cette affaire. Il me semble que le Premier ministre
britannique, quand il s'est exprimé - je n'ai pas à porter de jugement - l'a sans doute fait davantage en tant que Premier
ministre de son pays que comme président en exercice de l'Union européenne.
L'élaboration d'une politique européenne commune à l'Europe reste pour nous un objectif, mais avec des pays différents,
dont l'histoire est différente, dont la culture est différente, dont les rapports aux Etats-Unis dans l'amitié commune peuvent
également être différents, dont l'idée qu'ils se font de leur rôle et de leur place dans la vie internationale peut également
être différente. Cet objectif d'une politique commune est un objectif de longue haleine, qui doit être poursuivi pas à pas et
avec ténacité.
En somme, la France doit travailler à construire cette politique commune à laquelle nous avons souscrit, mais elle doit
aussi veiller, dans l'intervalle, à affirmer son rôle et sa vision des choses dans la vie internationale.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Néanmoins, dans l'affaire de l'Irak, les quinze pays d'Europe ont été unanimes à
considérer qu'il fallait que les contrôles puissent avoir lieu, que la commission spéciale puisse travailler, que les résolutions
pertinentes soient appliquées.
La seule attitude divergente concernait, en réalité, la position que tel ou tel pays aurait adoptée dans l'hypothèse où des
frappes auraient eu lieu. Cette hypothèse, heureusement - en partie grâce à l'action de notre diplomatie - ne s'est pas
concrétisée.
Je relève enfin qu'à Bruxelles, à l'issue du Conseil des affaires générales du 23 février, où Hubert Védrine et Pierre
Moscovici représentaient notre pays, les Quinze ont montré leur satisfaction unanime après l'issue politique à la crise et
ont retrouvé une unité sur les perspectives offertes par l'accord conclu entre M. Kofi Annan et les autorités irakiennes.
Il faut construire l'Europe mais, en même temps, il faut affirmer la France. (Applaudissements.)

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