L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ET LES FINANCES PUBLIQUES À L'HORIZON 2013
Les défis d'une nouvelle croissance économique

Comme chaque année, le rapport d'information de M. Joël BOURDIN (UMP, Eure), Président de la Délégation du Sénat pour la planification, présente une évaluation de la programmation financière et économique à moyen terme, associée au projet de loi de finances (PLF) pour 2009 et revient sur les principales questions économiques du moment. Au travers de ce rapport, la Délégation est le seul organisme public en France à apporter au débat, au moyen de simulations quantitatives réalisées avec le concours de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une évaluation de la stratégie des finances publiques qui permet d'apprécier la cohérence des objectifs de finances publiques et de croissance économique à moyen terme.

Dans le contexte de la crise actuelle, le rapport aborde tout particulièrement les interrogations sur la soutenabilité du modèle économique occidental en ce qu'il repose sur un endettement accru des ménages et des entreprises, et propose de poser les jalons d'un nouveau chemin de croissance, plus dynamique et plus équilibré. La programmation 2012 du PLF engage la France dans une stratégie d'amélioration structurelle des comptes publics fondée sur une décrue du poids relatif des dépenses publiques. Malgré cette orientation budgétaire, qui pèserait sur la croissance pour, au moins, 0,6 point de PIB par an, le scénario macroéconomique de la programmation prévoit une croissance de 2,5 % par an à compter de 2010. Même dans l'hypothèse où le commerce extérieur ne handicaperait plus l'activité économique, cette combinaison suppose une demande dynamique de la part des agents privés (ménages et entreprises), alors que, du fait de la consolidation budgétaire, leurs revenus diminueraient.

Pour les ménages, la diminution de leur taux d'épargne doit atteindre près de 2 points, sinon la consommation n'atteindrait pas le rythme nécessaire à la cible de croissance. Cette baisse du taux d'épargne est nécessaire pour nourrir une demande qui ne trouverait pas un aliment suffisant dans la progression du pouvoir d'achat, qui subit l'impact de la réduction du déficit budgétaire et du coup d'arrêt porté par la crise à la création d'emplois. S'agissant des entreprises, il faudrait que leur investissement demeure dynamique (le taux d'investissement augmenterait de 2 points entre 2008 et 2013), ce qui implique une nouvelle baisse du taux d'autofinancement et un recours plus grand à l'emprunt.

Le contexte économique mondial actuel fait peser un fort aléa sur ce scénario en exerçant un choc. La récente révision par le FMI de ses prévisions économiques a encore assombri l'horizon : en 2009, pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les pays développés subiraient une contraction de leur production. Ce contexte récessif trouve son origine immédiate dans la crise financière déclenchée à l'été 2007 et dans l'attentisme ultérieur des pouvoirs publics. Quoi qu'il en soit, la contagion à l'économie réelle semble aujourd'hui inéluctable : un rationnement du crédit est prévisible avec le nécessaire réajustement des bilans bancaires ; la diminution de la valeur des actifs produit des effets de richesse négatifs pour les ménages et les entreprises ; les perspectives de débouchés, primordiales pour l'investissement, apparaissent singulièrement dégradées. Ces enchaînements négatifs en produiront d'autres, illustrés par un « scénario de crise » développé dans le rapport. Dans ce contexte, le rôle prioritaire des politiques économiques est d'exercer un effet « contra-récessif ».

Mais des problèmes plus structurels doivent être résolus, pour refonder un modèle de croissance sans lequel les objectifs financiers des pouvoirs publics risquent d'être hors de portée. Depuis la fin des années quatre-vingt, l'inflation est globalement résorbée en France et, depuis la monnaie unique, dans la zone euro. La croissance économique n'y a donc pas excédé la croissance potentielle, sinon une hausse de l'inflation se serait produite. Dès lors, sans la progression de l'endettement constatée ces dernières années, particulièrement celle des ménages, la croissance aurait été moins forte et inférieure à son potentiel. Autrement dit, le revenu distribué n'aurait pas suffi à alimenter la demande. La question de la soutenabilité des termes actuels du partage de la valeur ajoutée entre travail et profit est donc posée.

Par ailleurs, la « norme » américaine d'une rentabilité financière (le « return on equity » ou ROE) élevée, de l'ordre de 15 %, a essaimé dans toute l'Europe occidentale, y compris en France où les dividendes versés représentent une part croissante du PIB. Avec un volume d'investissement préservé, une norme de ROE élevée implique un endettement accru des ménages en raison des déformations induites du partage de la valeur ajoutée ; plus techniquement, cette norme pousse les entités économiques à s'endetter davantage pour engendrer des effets de levier autorisant une rentabilité financière supérieure à la rentabilité économique.

Comme, dans le bouclage économique d'ensemble, l'endettement public peut, dans une certaine mesure, se substituer à l'endettement privé, une norme élevée de ROE constitue in fine un accélérateur d'endettement pour l'ensemble des agents économiques : ménages, entreprises, banques, Etat. Dans ce contexte, sauf pour les pays dont la croissance repose sur des gains permanents de parts de marché qui implique de brider leur demande domestique, et de laisser tirer leur économie par les partenaires, certains pays ont fait le choix de l'endettement privé, d'autres celui de l'endettement public. Notre plus grand défi est aujourd'hui de définir et coordonner internationalement un partage de la valeur ajoutée et une rentabilité financière conduisant à un sentier de croissance mondiale dynamique et stable. Il faut aussi restaurer les conditions de moindres déséquilibres internationaux, notamment en Europe.

En attendant, les développements du rapport consacrés à la programmation des finances publiques conduisent à formuler certaines interrogations : La baisse des moyens sur laquelle elle repose est-elle compatible avec le maintien des missions des collectivités locales et de l'Etat ? Permet-elle de préserver les ambitions d'élévation de notre croissance potentielle, qui supposent un niveau approprié d'interventions publiques ? Le caractère procyclique de la politique budgétaire envisagée est-il pertinent et n'est-il pas susceptible d'amoindrir le rendement des recettes publiques au point de compromettre la réalisation même du scénario de désendettement ? Comment refonder une supervision financière européenne en échec qui, dans son obsession de la dette publique, a laissé filer les dettes privées et, plus fondamentalement encore, définir des politiques économiques coopératives en Europe ?

Rapport de la délégation : http://www.senat.fr/noticerap/2008/r08-091-notice.html

Contact presse : Ali Si Mohamed   01 42 34 25 11  a.si-mohamed@senat.fr