Allocution du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion du colloque « Soutenir le peuple libanais confronté à une crise sans précédent : l’action de l’Ordre de Malte au Liban »
le 23 novembre 2021

Monsieur le Président de l’Ordre de Malte en France,
Monsieur le Président de l’Ordre de Malte au Liban,
Monsieur le Président de l’Association Malte – Liban,
Messieurs les Ambassadeurs,
Madame la Présidente du groupe d’amitié France – Liban,
Chers collègues parlementaires allemands,
Mes chers collègues sénateurs,
Et je tiens à saluer particulièrement le Président Josselin de Rohan, présent parmi nous,
Mesdames et Messieurs, à vous tous, amis du Liban,

La journée d’hier a marqué le 78e anniversaire de l’indépendance du Liban : c’était le 22 novembre 1943. Cette date très symbolique conduit à s’interroger sur le Liban d’aujourd’hui : alors qu’une crise sans précédent frappe si durement les Libanais, quel sens revêt en cette fin d’année 2021 la souveraineté du Liban ?

Il est évident que la crise actuelle fragilise la souveraineté libanaise.

D’abord parce que l’État lui-même est paralysé et impuissant. Après la vacance gouvernementale la plus longue de son histoire, le nouveau gouvernement, malgré sa volonté, peine à mettre en œuvre des réformes qui ont trop attendu.

Ensuite, parce que la faillite économique met à bas toute une société, démunie face au manque d’argent et à la dévaluation de la monnaie, éreintée par les pénuries.

Qui eût cru qu’en cette année 2021 les Libanais n’auraient que deux heures d’électricité par jour, que les hôpitaux manqueraient de médicaments, qu’un tiers des petits Libanais souffriraient de la faim en s’endormant le soir ?

La faillite économique sacrifie une génération de jeunes qui, faute de moyens, n’a plus accès à une éducation de qualité. Qui plus est, elle accroît la dépendance vis-à-vis de l’extérieur et renforce les allégeances à l’égard de grands parrains régionaux.

Enfin, l’exacerbation des tensions entre les communautés renvoie à des temps que l’on croyait révolus. Les affrontements et violences du 14 octobre dernier, au cœur de Beyrouth, à Tayyouneh, ont fini d’abîmer l’image d’un Liban qui paraît se réduire à la somme de communautés différentes, aux intérêts qui seraient irréconciliables.

Dans une lettre apostolique du 9 septembre 1989, souvent citée, le Pape Jean-Paul II écrivait : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est un message ». Quel est le sens de ce message aujourd’hui ?

Ce constat sombre, malheureusement exact, est connu.

Il n’appartient pas aux amis du Liban de se poser en donneurs de leçons, dans un « Orient compliqué » comme aimait à le caractériser le Général de Gaulle. Certains s’y sont essayés … sans succès.

L’expérience enseigne la tempérance et l’humilité.

En revanche, il appartient aux amis authentiques du Liban, c’est-à-dire aux amis préoccupés de sa sécurité, de son indépendance, de la concorde sociale, du bien-être de sa population, d’accompagner les évolutions, d’esquisser des solutions, d’aider les Libanaises et les Libanais dans ces moments particulièrement difficiles.

L’Ordre de Malte à ce titre joue, une fois de plus dans l’histoire du Liban, un rôle crucial.

L’Ordre de Malte a su identifier, avec précision, les domaines d’action les plus sensibles pour apporter une aide efficace, produisant des effets immédiats : la distribution d’aliments auprès des familles les plus vulnérables pour les enfants en bas âge ; de façon plus récente, l’aide aux petits exploitants agricoles ; la santé bien-sûr. C’est la raison d’être multiséculaire des « Hospitaliers », avec des centres médicaux au Liban toujours plus nombreux et l’acheminement de médicaments. Mes déplacements au Liban dans les décennies 1990 et 2000 reviennent à ma mémoire, en cet instant, avec des images de profonde humanité.

Cette aide apportée par l’Ordre de Malte n’est pas « gratuite », au sens où elle n’est pas dénuée de motivations ou de raisons.

Et ces raisons, adoptées par l’Ordre de Malte, la communauté internationale dans son ensemble devrait les faire siennes.

Un 1er enseignement, tiré de l’action de l’Ordre de Malte : il faut aider les Libanais à surmonter la crise humanitaire, sans multiplier les conditions, afin d’éviter que plus de Libanais, encore, choisissent de quitter le Liban.

L’aide humanitaire est trop souvent soumise au respect de conditions financières, économiques, politiques parfois qui, dans certaines circonstances, peuvent se justifier.

Mais pour le Liban, pour des dispensateurs de l’aide humanitaire tel l’Ordre de Malte, ces conditionnalités devraient être suspendues, face à l’urgence absolue.

Tous les Libanais doivent être secourus, indépendamment de leur appartenance confessionnelle, comme s’y emploie l’Ordre de Malte.

Tel est son second enseignement : le Liban du vivre-ensemble, au fondement de l’État et de la société libanaise, à l’origine même de son indépendance, consubstantiel de son identité, ne s’est pas encore dilué  dans cette crise.

C’était le message de tous ceux qui, en octobre 2019, ont voulu donner l’image d’un autre Liban, émancipé des carcans qui l’entravent, projeté vers l’avenir. D’un Liban porté par l’élan de la jeunesse. D’un Liban plein de promesses.

Mesdames et Messieurs,

Une fois de plus, le Liban est à la croisée des chemins.

À la croisée des chemins, pour qu’aboutisse l’enquête sur les explosions du port de Beyrouth. La crédibilité du Liban exige une enquête indépendante et transparente.

À la croisée des chemins, pour entreprendre les réformes indispensables et restaurer l’État. Un État dont la 1ère des responsabilités est d’assurer un fonctionnement correct des services publics.

À la croisée des chemins, alors que se profilent en 2022 d’importantes échéances électorales – même si on peut regretter la décision de report des élections municipales, qui devaient ouvrir le calendrier électoral. Il est essentiel que la diaspora libanaise puisse, à sa juste place, prendre part à ces élections et que chacun soit en mesure d’y participer, y compris en votant depuis un lieu de résidence en dehors de son district électoral.

À la croisée des chemins enfin, pour affirmer sa volonté de vivre ensemble, au-delà des appartenances confessionnelles et des relations qui peuvent lier les uns et les autres avec des puissances voisines.

Car quel est le plus grand risque pour le Liban ? Perpétuer le statu quo ou faire le pari d’un changement maîtrisé ?

Mesdames et Messieurs,

Si le constat est sombre, l’horizon n’est pas fermé.

Car le Liban dispose des talents nécessaires.

Pour éclairer l’avenir, la réunion d’une conférence inter-libanaise sur la souveraineté du Liban, avec le soutien du Groupe des Amis du Liban et les partenaires régionaux, me paraît s’imposer, et j’en fais la proposition devant vous.

Non pour organiser une conférence financière de plus ou élaborer un programme technique de réformes.

Mais pour réaffirmer le socle commun et l’engagement qui doit unir tous les Libanais et qui doit tous nous rassembler : la souveraineté du Liban.

Seul le prononcé fait foi