Allocution d’ouverture du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, à l’occasion du colloque célébrant le 500e anniversaire
de la Paix perpétuelle entre la Suisse et la France
Salle Monnerville, le 27 septembre 2016, à 9h30


Monsieur le Conseiller fédéral, je tiens tout particulièrement à vous souhaiter la bienvenue au Sénat,
Monsieur l’Ambassadeur de Suisse,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Professeurs d’Université,
Mesdames et Messieurs,


Peut-on conclure une paix qui soit perpétuelle ?

Disons-le d’emblée : il n’y a guère d’exemples de succès. La Suisse et la France font exception ! Le Traité de Fribourg du 29 novembre 1516, plus connu sous le nom de Traité de Paix perpétuelle, a engendré une relation singulière entre nos deux pays, faite d’intérêts partagés et d’amitié, qui a résisté à toutes les vicissitudes depuis cinq siècles !

Les tentatives de paix perpétuelle furent pourtant nombreuses dans l’histoire : de la « pax romana » aux accords qui précédèrent de quelques années le Traité de Fribourg, qu’il s’agisse du traité de paix perpétuelle de 1495 supposé interdire les guerres au sein du Saint-Empire romain germanique ou de celui de 1502 entre l’Angleterre et l’Ecosse, toutes furent vouées à l’échec.

Lorsque Kant écrit son essai Vers la paix perpétuelle en 1795, les conditions fixées pour y parvenir sont tellement ambitieuses et élevées que la paix perpétuelle paraît davantage appartenir au monde des idées qu’à celui parcouru par les ambitions de puissance et les passions humaines.

Pourquoi une telle réussite entre nos deux pays ? Sans l’ambition de faire œuvre d’historien - je m’efface devant les éminents spécialistes qui participent au colloque -, il me semble utile de souligner la portée du Traité pour essayer ensemble de mieux comprendre son apport jusque dans le temps présent.

Du point de vue du droit international, le traité entre la Suisse et la France innove.

Il n’a pas eu pour objectif d’asseoir la puissance de l’une au détriment de l’autre.

Il a défini un processus de règlement des différends par arbitrage qui n’a rien à envier aux formules les plus abouties des grands accords internationaux d’aujourd’hui.

Il a consacré le principe de non-intervention dans un conflit pouvant survenir entre l’une des parties au Traité et l’un des alliés de l’autre. Ce principe, qui consiste à ne pas aider l’un de ses alliés pour ne pas nuire à l’autre partie au Traité, contient en germe, pour la Suisse, sa neutralité.

Le Traité de Fribourg s’est avéré, en second lieu, capable de conjuguer, après la Réforme, la diversité religieuse et une politique étrangère émancipée de telle ou telle confession. « Fille aînée de l’Église », la France pratiquait à l’extérieur, contre le Saint-Empire et contre l’Espagne, y compris avec l’aide de l’Empire ottoman, une politique pouvant apparaître, dans les cantons suisses, acceptable par les deux partis, catholiques et réformés.

Le Traité de Fribourg constitue, plus d’un siècle avant les Traités de Westphalie de 1648, un moyen efficace de séparer la politique du religieux, les intérêts nationaux de l’affiliation à telle ou telle confession. Il s’agit, au sens propre, de sa modernité.

J’en viens à nos relations bilatérales et à la question européenne.

Le Traité de Paix perpétuelle est à l’origine de liens privilégiés et d’échanges de population constants entre la Suisse et la France. Comment expliquer, sans le Traité, que l’une des premières, sinon la première communauté française hors de France soit en Suisse, et que les Suisses soient si nombreux dans notre pays ?

Les épisodes tragiques, et il y en eut – je pense en particulier au massacre des Gardes suisses qui défendaient le Palais des Tuileries lors de la journée révolutionnaire du 10 août 1792 – n’ont jamais durablement remis en cause nos liens solides. Le Traité de Fribourg a jeté les fondements d’une amitié durable dont les effets se font connaître aujourd’hui encore.

Ce lien privilégié n’avait pourtant rien de naturel ou d’évident. Tout avait mal commencé. Les soldats suisses et français se sont violemment affrontés à Marignan, les 13 et 14 septembre 1515. A l’issue de cet épisode douloureux, où la victoire des uns et la défaite des autres furent moins nettes que l’historiographie traditionnelle française ne l’a laissé supposer, chacun a fait preuve de pragmatisme.

La France a compris l’intérêt qu’elle retirerait d’une paix durable avec les cantons suisses (mieux valait que leurs valeureux guerriers combattent à ses côtés, plutôt qu’aux côtés de ses ennemis). Les cantons suisses ont compris l’intérêt d’une alliance avec la France après la mainmise des Habsbourg sur le trône impérial. Le Traité de Paix perpétuelle était né.

Le Traité de paix perpétuelle élève donc au degré le plus haut les vertus du pragmatisme en politique étrangère. Sans vouloir interférer dans des débats intérieurs suisses ou européens, le pragmatisme, me semble-t-il, reste une valeur de bon conseil, de très bon conseil.

Le Traité de Paix perpétuelle, et je conclurai par ce point, montre combien la Suisse, il y a 500 ans déjà, était politiquement, et pas seulement géographiquement, impliquée dans la discussion et les équilibres européens. Les cantons suisses n’ont pas hésité à conclure des arrangements qui servaient leurs intérêts politiques et économiques. La France a fait de même.

Je forme le vœu pour que de tels arrangements puissent prévaloir à nouveau aujourd’hui : nous avons quelques dossiers sur la table dans les mois qui viennent.

Pour que nous prolongions de 500 ans, au moins, une relation privilégiée, jamais démentie.

Pour que la Suisse, la France et l’Union européenne se montrent les dignes héritiers de ceux qui, il y a 500 ans, sans renoncer à leurs intérêts, établissaient les fondements d’une paix perpétuelle, qui a inspiré la construction de l’édifice européen dans son ensemble.