Accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur (PPR) - Tableau de montage - Sénat

N° 49

SÉNAT

                  

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

16 janvier 2024

                                                                                                                                             

RÉSOLUTION

relative aux négociations en cours en vue d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur







Le Sénat a adopté la résolution dont la teneur suit :

                                                                                                                                             

Voir les numéros :

Sénat : 775 (2022-2023).




Résolution relative aux négociations en cours en vue d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 50 bis du Règlement du Sénat,

Vu l’Accord d’association conclu entre la Commission européenne et le Mercosur le 28 juin 2019,

Vu l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce du 30 octobre 1947,

Vu le traité d’Asunción du 7 mars 1991 fondant le marché commun du Sud entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 3, 4, 7, 11, 12, 13, 206 et 207,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 22 juin 2022, intitulée « La force des partenariats commerciaux: ensemble pour une croissance économique verte et juste », COM(2022) 409 final,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 18 février 2021, intitulée « Réexamen de la politique commerciale – Une politique commerciale ouverte, durable et ferme », COM(2021) 66 final,



Vu l’avis politique relatif à la consultation publique lancée par la Commission européenne, intitulée « Commerce et développement durable dans les accords commerciaux de l’Union européenne : réexamen de l’approche actuelle », adopté par la commission des affaires européennes du Sénat le 28 octobre 2021, et la réponse de la Commission européenne du 2 février 2022,



Vu l’avis 2/15 de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’accord de libre-échange avec Singapour,



Vu la Charte des droits fondamentaux, et notamment son article 37,



Vu l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016,



Vu le cadre mondial sur la biodiversité de Kunming-Montréal du 18 décembre 2022,



Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 11 décembre 2019 intitulée « Le pacte vert pour l’Europe », COM(2019) 640 final,



Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 mai 2020 sur la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, intitulée « Ramener la nature dans nos vies », COM(2020) 380 final,



Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 16 octobre 2020 approuvant la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, dans un document intitulé « L’urgence d’agir », 11829/20,



Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 mai 2020 sur la stratégie « De la ferme à la table », intitulée « Pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement », COM(2020) 381 final,



Vu la note du 4 février 2022, présentée par la France lors du Conseil de l’Union européenne en formation « Agriculture et pêche » du 21 février 2022, intitulée « Renforcer la cohérence entre le Pacte vert, la PAC et la politique commerciale pour soutenir la transition vers des systèmes alimentaires durables »,



Vu le rapport de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil du 3 juin 2022, intitulé « Application des normes sanitaires et environnementales de l’Union aux produits agricoles et agroalimentaires importés », COM(2022) 226 final,



Vu l’article 118 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive 2001/82/CE,



Vu l’arrêté du 21 février 2022 portant suspension d’introduction, d’importation et de mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d’animaux provenant de pays tiers à l’Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement,



Vu l’article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime,



Vu l’article 12 bis de la proposition de loi  349 (2022-2023) pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France,



Vu le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE)  995/2010,



Vu la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée 2018-2030, adoptée le 14 novembre 2018,



Vu le rapport du Sénat intitulé « Alimentation durable et locale »,  620 (2020-2021) – 19 mai 2021 – de MM. Laurent Duplomb, Hervé Gillé, Daniel Gremillet, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Frédéric Marchand et Mme Kristina Pluchet, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques,



Vu le rapport du Sénat intitulé « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique »,  755 (2021-2022) – 6 juillet 2022 – de Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques,



Vu la réponse de Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, à la question posée au Sénat par M. Jean-François Rapin le 21 juin 2023,



Vu la résolution de l’Assemblée nationale relative à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur du 13 juin 2023,



Considérant que le président de la République fédérative du Brésil, M. Luiz Inácio Lula da Silva, en visite officielle en France les 22 et 23 juin 2023, a jugé la signature de cet accord « urgente et hautement indispensable » pour son pays et qu’il a indiqué souhaiter « soulever [avec le président de la République française] la question du durcissement de l’accord par le Parlement français » ;



Considérant que la Commission européenne, dans son programme de travail pour l’année 2023, plaide en faveur de la ratification intégrale des accords commerciaux, notamment ceux conclus avec le Chili, le Mexique et la Nouvelle-Zélande, afin de renforcer la résilience de l’Union et de diversifier ses chaînes d’approvisionnement, et qu’elle souhaite présenter un nouveau programme pour l’Amérique latine et les Caraïbes ;



Considérant que la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a déclaré, le 13 juin 2023, espérer une ratification de l’accord conclu avec le Mercosur le 28 juin 2019 d’ici la fin de l’année 2023 ;



Considérant que la signature puis la ratification de l’accord avec le Mercosur constitueront, pour des raisons géopolitiques et d’affinités culturelles, l’une des priorités de la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, qui débutera le 1er juillet 2023 ;



Considérant que l’Union européenne s’est fixé comme objectif de contribuer, « grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux » ;



Considérant que les accords de libre-échange offrent l’opportunité de stimuler les exportations, de développer la concurrence et l’innovation au sein du marché intérieur et, ainsi, de créer des emplois et de la richesse ;



Considérant que le Mercosur constitue un ensemble économique dynamique, de plus de 250 millions de consommateurs, disposant également de ressources, en particulier en métaux rares, utiles pour mener à bien la transition énergétique ;



Considérant que plus de 1 000 entreprises opèrent sur le marché brésilien et que la France est le troisième pourvoyeur d’investissements directs étrangers au Brésil ;



Considérant qu’un accord commercial avec le Mercosur constituerait une opportunité pour les départements, les régions et les collectivités d’outre-mer de la zone caribéenne, leur permettant de renforcer leurs liens économiques avec l’Amérique du Sud ;



Considérant que les surfaces boisées ont diminué de 129 millions d’hectares entre 1990 et 2015 dans le monde, que la déforestation contribue, pour environ 11 %, aux émissions mondiales de gaz à effet de serre et à l’effondrement de la biodiversité, et que le changement d’usage des terres en Amérique latine, en particulier pour l’élevage bovin ou la production de soja, est un facteur majeur d’aggravation de la déforestation ;



Considérant les promesses de l’Union européenne d’une contribution de 20 millions d’euros au fonds pour l’Amazonie ;



Considérant que la quantité de pesticides épandue est de 6 kg/ha au Brésil, contre 3,6 kg/ha en France, et que l’Union européenne n’a toujours pas renoncé à ses procédures d’évaluation des limites maximales de résidus (LMR) de produits phytosanitaires sur les produits importés, dites « tolérances à l’importation » ;



Considérant que l’Union européenne recense 1 498 substances actives, en interdit 907, et que le plan de contrôle européen, décliné par les États membres, ne prévoit que 176 substances à analyser ;



Considérant la nécessité d’une mise en cohérence de la politique commerciale commune avec les autres politiques de l’Union européenne, en particulier sa politique environnementale et la PAC ;



Considérant le caractère paradoxal d’un tel accord, qui entrerait en contradiction avec l’agenda environnemental et social de la Commission, et établirait une concurrence déloyale pénalisant d’autant plus les États et les acteurs économiques qu’ils se sont investis dans l’amélioration de leurs standards de production ;



Considérant les déclarations du président de la République au Salon international de l’agriculture, le 25 février 2023, selon lesquelles « un accord avec les pays du continent latino-américain n’est pas possible s’ils ne respectent pas comme nous les Accords de Paris et s’ils ne respectent pas les mêmes contraintes environnementales et sanitaires qu’on impose à nos producteurs » ;



Considérant cependant que les mesures miroirs constituaient une priorité de la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022, mais qu’elles n’ont connu que de très faibles avancées depuis lors, sous les présidences tchèque puis suédoise, traduisant la perte d’influence de la France au sein de l’Union européenne ;



Considérant l’absence d’évaluation globale de l’impact cumulé des accords de libre-échange à l’échelle d’un secteur économique, alors que l’accord avec la Nouvelle-Zélande ou celui, en cours de négociation, avec l’Australie octroient déjà ou envisagent d’octroyer des quotas supplémentaires pour les produits agricoles ;



Considérant les distorsions de concurrence qui résulteraient de la souplesse des réglementations relatives aux méthodes d’élevage et de transport des animaux dans les pays du Mercosur, comparée au haut degré d’exigence de la législation européenne sur le bien-être animal, que l’Union s’apprête à réviser et qui proscrit notamment l’élevage en cage ;



Considérant que les États parties au Mercosur sont de grandes puissances agricoles ayant le potentiel de déstabiliser le marché européen et que l’accord avec le Mercosur ouvrirait des quotas supplémentaires sans droits de douane ou avec droits de douane réduits pour 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de sucre, 1 million de tonnes de maïs, 650 000 tonnes d’éthanol et 180 000 tonnes de volaille ;



Considérant qu’un tel afflux, sur le marché européen, de produits alimentaires issus de pays ne connaissant pas les mêmes contraintes sur leurs méthodes de production exposerait nos entreprises et nos exploitants agricoles à une concurrence déloyale ;



Considérant que le secteur primaire a trop souvent été par le passé la variable d’ajustement des accords de libre-échange, les gains macroéconomiques globaux masquant un impact parfois fortement négatif pour le monde agricole, en particulier pour certaines filières de production animale à l’équilibre économique déjà fragile ;



Considérant ainsi le risque substantiel que cet accord ferait peser sur la sécurité des approvisionnements agricoles et la traçabilité alimentaire en France et en Europe, portant de ce fait atteinte à la souveraineté alimentaire de l’Union et à la bonne information des consommateurs au sein du marché intérieur ;



Considérant que l’Accord économique et commercial global (Comprehensive Economic and Trade Agreement, CETA), adopté en juillet 2016, est entré en application, à partir de 2017, pour les aspects de l’accord qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union, soit environ 90 % de l’accord, sans n’avoir jamais été soumis à la ratification du Sénat, malgré ses demandes répétées ;



Considérant que l’Union européenne exerce une compétence exclusive en matière de politique commerciale, dans les limites et sous les réserves précisées par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa jurisprudence dite « Singapour » ;



Considérant que certains accords de commerce, enrichis de dispositions allant au-delà de la seule réduction des barrières tarifaires et non tarifaires aux échanges de biens et de services, sont des accords mixtes, nécessitant la ratification expresse du Parlement européen à la majorité et des États membres à l’unanimité, selon leurs procédures constitutionnelles respectives ;



Considérant que la pratique de la Commission européenne consistant à découper les accords commerciaux pour isoler les dispositions relevant de sa compétence exclusive de celles relevant d’une compétence partagée avec les États membres fragilise l’assise démocratique de la politique commerciale commune ;



Considérant que la Commission européenne a suivi ce mode opératoire pour l’accord-cadre avec le Chili en décembre 2022, qui ne sera soumis à la ratification des États membres que de façon tronquée, et qu’elle envisage de faire de même pour l’accord avec le Mexique ;



Considérant que la résolution  1173 (2022-2023) adoptée par l’Assemblée nationale pose, elle aussi, trois conditions, à savoir l’instauration de mesures miroirs, l’intégration de clauses suspensives en cas de non-respect de l’accord et la ratification de cet accord conformément à la procédure prévue pour les accords mixtes ;



Estime que les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont pas réunies pour la conclusion de l’accord trouvé avec le Mercosur le 28 juin 2019 ;



Rappelle que la France a posé trois conditions à la signature de l’accord, à savoir : ne pas augmenter la déforestation importée dans l’Union européenne, mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris et instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale ;



Demande au Gouvernement de tenir avec fermeté cette ligne lors des négociations à venir au Conseil, en conformité avec les conclusions de ce dernier du 17 octobre 2022, qui affirment que l’Union doit être à l’avant-garde des efforts en faveur du développement durable et soulignent que la durabilité est l’une des principales priorités de l’Union et constitue, avec l’ouverture et la fermeté, l’un des trois piliers de la stratégie de l’Union européenne en matière de politique commerciale ;



Invite donc le Gouvernement à refuser tout accord commercial avec le Mercosur tant que des mesures miroirs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal ne seront pas appliquées pour empêcher la concurrence déloyale des importations d’Amérique du Sud ;



Appelle de manière plus générale le Gouvernement à accentuer ses efforts au sein du Conseil pour obtenir l’adoption et l’application systématiques de mesures miroirs dans nos relations commerciales avec les États tiers et à renforcer la qualité et la quantité des contrôles aux frontières, une fois ces mesures miroirs instaurées, pour en assurer l’effectivité ;



Insiste sur l’importance, afin d’assurer la solidité de l’accord dans la durée, de se doter d’un mécanisme de règlement des différends efficace, crédible, rapide et dissuasif, ainsi que de moyens effectifs pour son application, incluant des sanctions ;



Considère que l’accord mixte conclu avec le Mercosur doit faire l’objet d’une ratification par les États membres ;



S’oppose en conséquence fermement à toute scission de l’accord pour contourner le contrôle démocratique exercé par les Parlements nationaux et demande instamment au Gouvernement de refuser toute démarche en ce sens, conformément à la position qu’il a affirmée devant le Sénat le 21 juin 2023 ;



Appelle de manière plus générale à une meilleure association des Parlements nationaux au processus de négociation des accords commerciaux internationaux et invite le Gouvernement à refuser à l’avenir toute scission d’un accord mixte ;



Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours et à venir au Conseil.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 16 janvier 2024.

Le Président,

Signé : Gérard LARCHER

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