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N° 276

SÉNAT

SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1980-1981

Rattachée pour ordre au procès-verbal de la séance du 7 avril 1981

Enregistrée à la Présidence du Sénat le 24 avril 1981

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur la spéculation

sur les emprunts 7 % et 4,5 % émis par l'État en 1973.

PRÉSENTÉE

Par M. Anicet LE PORS, Mmes Marie-Claude BEAUDEAU, Danielle BIDARD, MM. Serge BOUCHENY, Raymond DUMONT, Jacques EBERHARD, Gérard EHLERS, Pierre GAMBOA, Jean GARCIA, Bernard HUGO, Paul JARGOT, Charles LEDERMAN, Fernand LEFORT, Mme Hélène LUC, MM. James MARSON, Louis MINETTI, Jean OOGHE, Mme Rolande PERLICAN, MM. Marcel ROSETTE, Guy SCHMAUS, Camille VALLIN, Hector VIRON et Marcel GARGAR,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Finances, du Contrôle budgétaire et des Comptes économiques de la Nation et pour avis à la commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale, en application de l'article 11 du Règlement du Sénat.)

__________

Emprunt . - Commissions d'enquête et de contrôle - Valeurs mobilières.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

En 1973, alors qu'il était ministre des Finances, M. Giscard d'Estaing a émis un emprunt (7 %) indexé sur le lingot d'or. Dans le même temps, il reconvertissait la rente Pinay en emprunt (4,5 %) indexé sur le napoléon.

Or, à partir de 1976, les cours de l'or se mirent à grimper grâce aux spéculations sur les monnaies.

En 1973, le lingot valait 11.000 F. Fin 1980, il est passé à 91.000 F.

Chaque part d'emprunt 7 % valait 1.000 F en 1973, elle vaut 9.600 F aujourd'hui, soit un gain en pouvoir d'achat de 500 %.

Ce sont les travailleurs qui paient les plus-values réalisées sur chaque emprunt.

Les contribuables salariés modestes et moyens ont payé, à ce jour, pour 11 milliards de francs lourds d'intérêts versés depuis 1973 aux détenteurs de ces valeurs. Et ce sont ces mêmes contribuables qui paieraient, en 1988, les 120 à 150 milliards que coûtera le remboursement du capital indexé, emprunté il y a huit ans pour 6,5 milliards seulement.

Une telle aubaine ne peut laisser indifférents les gros spéculateurs qui rachètent des valeurs-Giscard et, en même temps, liquident les autres titres d'emprunt, dont notamment ceux d'E.D.F., de la S.N.C.F., des P.T.T...

C'est si vrai que, en 1979, les deux emprunts Giscard représentaient 15 % de la valeur totale des titres d'emprunts négociés sur le marché. En 1980, cette proportion est passée à 19,5 %.

Les titres Giscard étant de plus en plus attractifs, au détriment de ceux émis par les grands services publics, le cours de ces derniers chute et, du même coup, fait grimper le coût des nouveaux emprunts à émettre sur le marché. Cela alourdit considérablement la charge de la dette des entreprises publiques... et celle de l'État, obligé d'émettre sans cesse de nouveaux emprunts pour éponger, élargir un marché à la limite de la banqueroute.

Les emprunts Giscard endettent l'État qui, pour compenser, augmente les impôts sur les travailleurs ; ils endettent les services publics et contribuent ainsi directement à gonfler les coûts et, donc, l'inflation.

L'emprunt 4,5 % (1973) est indexé sur le napoléon. L'Etat le rembourse chaque année pour un montant constant ou bien en diminuant les droits de succession des bénéficiaires.

Cet emprunt totalise un chiffre d'affaires journalier en bourse de 2,6 milliards de centimes en moyenne. Tandis que pour le napoléon, ce montant tombe à 83 millions de centimes.

L'emprunt indexé « pèse » 31 fois plus que le napoléon qui lui sert, pourtant, de directeur.

Pourquoi ? Les spéculateurs jouent sur le napoléon, soutiennent artificiellement son cours et, ce faisant, gonflent démesurément celui de l'emprunt 4,5 % dont ils sont titulaires : ils font coup double.

Ainsi, les 27 et 28 novembre derniers, ils ont ramassé une plus-value de 8 milliards de centimes.

La journée du 27 novembre est instructive. A l'annonce de la baisse du cours de l'or à Londres, quatre cents napoléons ont été demandés « au mieux » par les spéculateurs, d'où une progression des cours de 3 F. Comme elle s'avère insuffisante, quatre cents nouveaux napoléons sont achetés par les mêmes personnes, d'où une nouvelle progression des cours de 8,20 F, soit 1 % de hausse.

Des opérations identiques sont renouvelées le 28 novembre, faisant faire un bond de 7 F au cours du napoléon.

Une augmentation aussi soutenue du cours de la pièce d'or a immédiatement des répercussions sur celui de l'emprunt 4,5 % (1973). Sur les quelque 1.600.000 titres détenus par les spéculateurs, un gain de 1 % est réalisé le 27 novembre (4 milliards de centimes) puis un autre de 0,9 % le 28 novembre (3,8 milliards de centimes), d'où un coquet prélèvement de près de 8 milliards de centimes en deux jours.

Cela dure depuis vingt-deux mois : 5 % de plus-values mensuelles sur le 4,5 % (1973), avec des pointes de 20 %.

Comme les transactions sont anonymes, ces sommes échappent à l'impôt. La boucle est bouclée quand, de surcroît, elles font diminuer les droits des (grosses) successions ou des (grosses) transactions foncières payés au fisc par ces gros possédants. D'où de nouvelles pertes pour l'Etat compensées par l'impôt... et de nouveaux emprunts.

Il s'agit là d'un véritable scandale.

Les emprunts 7 % et 4,5 % de 1973 sont une catastrophe pour le Trésor public. Le prix de l'or a fortement augmenté à partir de 1976. Pourquoi le Gouvernement ne prend-il pas acte de ce fait, déjà ancien de quatre ans pour arrêter toute cotation ?

On ne saurait prétendre qu'une telle mesure porterait préjudice aux petits porteurs. Ce ne sont pas les ouvriers et les employés qui pouvaient acheter en 1973 des parts nominales d'emprunt d'un montant de l.000 F alors que l'emprunt représentait 6,5 milliards au total. Par ailleurs, depuis cette date, la spéculation a amené un petit nombre de gros possédants à détenir la grande majorité des titres. Enfin, s'il est vrai que les portefeuilles d'actifs détenus par les S.I.C.A.V. contiennent des parts des emprunts 7 % et 4,5 % émis en 1973, le droit d'entrée à payer pour acquérir un titre de S.I.C.A.V. est tel qu'il exclut ceux qui appartiennent aux couches populaires. De surcroît, l'objet principal des S.I.C.A.V. n'est pas la protection des petits porteurs, mais de drainer au moindre coût des fonds importants vers les grandes entreprises privées.

Ainsi, tandis que le pouvoir giscardien demande aux travailleurs toujours plus de sacrifices, il les rançonne pour servir les rentes des privilégiés du revenu et de la fortune.

Ce détournement « légal » des fonds publics vers les coffres des banques et des privilégiés doit cesser.

Plusieurs mesures devraient être prises :

- l'arrêt immédiat de toute cotation et de toute transaction sur les emprunts 7 % et 4,5 % indexés sur le napoléon et le lingot d'or émis par l'Etat en 1973 ;

- le blocage immédiat des opérations de paiement des coupons sur les titres, et le remboursement à l'État des intérêts déjà versés cette année ;

- la création d'une commission d'enquête parlementaire pour que soient connus les noms des spéculateurs et pour que soit récupéré sur eux l'argent prélevé sur les fonds publics dans les années précédentes.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique.

Conformément à l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête parlementaire sur la spéculation dont font l'objet des emprunts 7 % et 4,5 % émis par l'Etat en 1973.

Elle a notamment pour but de déterminer l'identité des spéculateurs et de faire des propositions pour que soient récupérées sur eux les pertes de recettes que cette spéculation a imposées aux fonds publics.

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