Enlèvement d'enfants par leur parent japonais (PPRE) - Texte déposé - Sénat

N° 147

SÉNAT


SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

                                                                                                                                             

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 novembre 2019

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE


sur les enfants privés de tout lien avec leur parent européen à la suite d’un enlèvement commis par leur parent japonais,


présentée

Par MM. Richard YUNG, François PATRIAT, André GATTOLIN, Claude HAUT et les membres du groupe La République En Marche,

Sénateurs


(Envoyée à la commission des affaires européennes.)




Proposition de résolution européenne sur les enfants privés de tout lien avec leur parent européen à la suite d’un enlèvement commis par leur parent japonais

Le Sénat,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 3, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne,

Vu l’article 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu le règlement (CE)  2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE)  1347/2000,

Vu la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980,

Vu la convention sur les relations consulaires, conclue à Vienne le 24 avril 1963,

Vu la convention relative aux droits de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989,

Vu l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Japon, d’autre part, signé à Tokyo le 17 juillet 2018,



Vu l’avis 1/13 de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 octobre 2014,



Vu la communication de la Commission européenne du 5 février 2008 intitulée « Une place à part pour les enfants dans l’action extérieure de l’UE »,



Vu la communication de la Commission européenne du 15 février 2011 intitulée « Programme de l’Union européenne en matière de droits de l’enfant »,



Vu le discours prononcé à Tokyo le 26 juin 2019 par le Président de la République,



Vu la résolution du Sénat  52 (2010-2011) du 25 janvier 2011 tendant à permettre au parent français d’enfants franco-japonais de maintenir le lien familial en cas de séparation ou de divorce,



Considérant que la présente proposition n’a nullement pour objet de remettre en cause la souveraineté du Japon ;



Affirmant son profond respect des différences culturelles entre le Japon et les États membres de l’Union européenne ;



Rappelant que le Japon et l’Union européenne sont liés par un partenariat stratégique fort, fondé sur les valeurs et principes communs que sont la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme et les libertés fondamentales ;



Rappelant que le comité mixte institué conformément à l’article 42 de l’accord de partenariat stratégique UE-Japon a notamment pour fonctions de « procéder à des échanges de vues sur les questions présentant un intérêt commun » et de « décider d’ajouter des domaines de coopération ne figurant pas dans [l’] accord » ;



Rappelant que le Japon est partie à la convention relative aux droits de l’enfant, dont l’article 3, alinéa 1, stipule que dans « toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », et dont l’article 9, alinéa 3, stipule que les « États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant » ;



Rappelant que depuis le 24 janvier 2014, le Japon est partie à la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (dite « convention de La Haye »), qui vise, d’une part, à « assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant » et, d’autre part, à « faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant » ;



Rappelant que la promotion et la protection des droits de l’enfant figurent parmi les objectifs de l’Union européenne ;



Rappelant que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’une part, reconnaît les enfants comme des détenteurs de droits, indépendants et autonomes et, d’autre part, fait de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale pour les autorités publiques et les institutions privées ;



Rappelant que le programme de l’Union européenne en matière de droits de l’enfant comprend des « mesures concrètes ayant trait à des domaines dans lesquels l’Union peut apporter une réelle valeur ajoutée, comme […] la protection des enfants en situation de vulnérabilité […] tant à l’intérieur de l’Union européenne qu’à l’extérieur » ;



Rappelant que l’Union européenne s’est engagée à améliorer l’application de la convention de La Haye au niveau international ainsi qu’à encourager les pays tiers à y adhérer ;



Rappelant que les dispositions du règlement (CE)  2201/2003 du Conseil (dit « règlement Bruxelles II bis ») couvrent en grande partie les deux procédures prévues par la convention de La Haye, à savoir celle portant sur le retour des enfants enlevés et celle visant à assurer l’exercice des droits de garde et de visite ;



Rappelant que le domaine de l’enlèvement international d’enfants, tout comme l’acceptation de l’adhésion d’un État tiers à la convention de La Haye, relèvent de la compétence externe exclusive de l’Union européenne ;



Regrettant que le Conseil n’ait pas adopté de décision concernant la déclaration d’acceptation par les États membres, dans l’intérêt de l’Union européenne, de l’adhésion du Japon à la convention de La Haye ;



Constatant avec inquiétude que de nombreux enfants ressortissants d’États membres de l’Union européenne établis au Japon sont actuellement privés de tout lien avec leur parent non japonais suite au divorce ou à la séparation de leurs parents ;



Rappelant que ces enfants ont fait l’objet soit d’un enlèvement international commis par leur parent japonais, soit d’un enlèvement parental à l’intérieur du Japon et que, dans les deux cas, ils ont subi un véritable traumatisme et se retrouvent privés d’une part essentielle de leur identité ;



Notant avec préoccupation que les parents non japonais de ces enfants sont dans un désarroi absolu, que nombre d’entre eux n’ont pas vu leur(s) enfant(s) depuis plusieurs années, que certains d’entre eux se voient refuser la délivrance d’un visa ou d’un titre de séjour par les autorités japonaises, et que tous courent le risque d’être placés en garde à vue par la police japonaise à chaque fois qu’ils tentent d’entrer en contact avec leur(s) enfant(s) ;



Observant que de nombreux parents japonais rencontrent également des difficultés pour exercer au Japon leurs droits parentaux après un divorce ou une séparation ;



Rappelant que ces situations, qualifiées d’« inacceptables » par le Président de la République, découlent principalement de l’application de la législation japonaise en matière de droit de la famille, qui ne reconnaît ni le partage de l’autorité parentale, ni la garde alternée et laisse le droit de visite au bon vouloir du parent avec lequel vit l’enfant ;



Constatant avec étonnement que les juges japonais appliquent le principe non écrit de « continuité », qui les conduit à attribuer systématiquement l’autorité parentale et la garde exclusive de l’enfant au parent ravisseur ;



Rappelant qu’il a été démontré que les enfants privés de tout contact avec l’un de leurs parents souffrent d’un déficit affectif susceptible de nuire à leur développement personnel ;



Rappelant que la protection consulaire s’applique dans le cas des enfants dont la situation ne relève pas de la convention de La Haye ;



Constatant avec satisfaction que, le 6 mars 2018, les ambassadeurs des États membres de l’Union européenne représentés au Japon ont adressé une lettre au ministre de la justice japonais, avec lequel ils se sont également entretenus le 27 avril 2018, en vue de « signaler l’importance de l’exécution des décisions des tribunaux japonais » ;



Se réjouissant que le Président de la République, lors de sa visite officielle au Japon, en juin 2019, se soit entretenu avec quatre pères français et ait déclaré devant la communauté française de Tokyo que les actions menées par la France visent à faire en sorte qu’« au-delà des pratiques, des habitudes qui sont parfois installées dans les mœurs, […] les droits de chacun puissent être défendus » ;



Considérant que l’Union européenne doit s’exprimer avec force et d’une seule voix sur la question des enfants euro-japonais privés de tout lien avec leur parent non japonais ;



Affirme sa volonté de voir émerger rapidement une solution acceptable pour tous et respectueuse de l’intérêt supérieur des enfants issus de couples euro-japonais ;



Insiste sur l’impérieuse nécessité de garantir le maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents ;



Souhaite que la Commission européenne procède à un recensement le plus exhaustif possible des cas d’enfants euro-japonais privés de tout contact avec leur parent non japonais, ainsi qu’à une évaluation de la mise en œuvre de la convention de La Haye par le Japon, en lien avec le bureau permanent de la conférence de La Haye de droit international privé ;



Exprime sa vive préoccupation quant au défaut d’exécution d’ordonnances de retour et de décisions relatives au droit de visite prises en application de la convention de La Haye ;



Observe que cette inquiétude est partagée par le département d’État des États-Unis qui, dans son rapport de 2019 sur les enlèvements internationaux d’enfants, se dit « extrêmement préoccupé à la fois par l’absence de mécanismes efficaces d’application des ordonnances prises en vertu de la convention, et par le nombre considérable de cas relatifs à des enlèvements survenus avant l’entrée en vigueur de la convention » ;



Salue les initiatives prises par les autorités japonaises pour inciter d’autres États à adhérer à la convention de La Haye et raccourcir les délais dans lesquels les tribunaux statuent sur les demandes de retour ;



Note avec intérêt que le parlement japonais a adopté, le 10 mai 2019, une loi modifiant la loi relative à l’exécution des décisions en matière civile, qui prévoit, d’une part, que l’enfant pourra être confié au parent détenteur de l’autorité parentale en l’absence de l’autre parent et, d’autre part, que les juridictions et les agents de la force publique devront veiller à ce que la remise de l’enfant ne nuise pas à son bien-être mental ou physique ;



Relève avec déception que cette loi n’entrera pas en vigueur avant le 1er avril 2020 ;



Se demande si cette loi permettra de garantir la remise de l’enfant au parent détenteur de l’autorité parentale dans l’hypothèse où l’autre parent s’opposerait à l’exécution forcée d’une décision du juge civil prévoyant le transfert de la garde de l’enfant ;



Constate avec regret que cette loi ne prévoit ni la suppression du principe de « continuité », ni l’instauration du partage de l’autorité parentale et de la garde alternée ;



Se félicite que les autorités japonaises souhaitent échanger des bonnes pratiques et des connaissances avec les États membres de l’Union européenne, et forme le vœu que cet échange puisse rapidement se concrétiser ;



Souhaite que soit organisée une nouvelle rencontre entre les ambassadeurs des États membres de l’Union européenne représentés au Japon et le ministre de la justice japonais ;



Exhorte la Commission européenne à proposer l’inscription de la question des enfants euro-japonais au centre d’un conflit parental à l’ordre du jour de la prochaine réunion du comité mixte institué par l’accord de partenariat stratégique UE-Japon ;



Appelle le Conseil et la Commission européenne à prendre position sur la question des enfants euro-japonais privés de tout lien avec leur parent non japonais ;



Souhaite que les États membres soient encouragés, d’une part, à renforcer les mesures nationales visant à prévenir l’enlèvement des enfants euro-japonais résidant sur le territoire de l’Union et, d’autre part, à veiller à ce que les jugements de divorce rendus par les juridictions européennes ne soient pas, dans certains cas, privés d’effet au Japon en application de la loi japonaise modifiant la loi relative aux litiges liés au statut personnel, entrée en vigueur le 1er avril 2019 ;



Souligne la nécessité d’améliorer l’accès des ressortissants européens et japonais à une information claire, transparente et objective en matière de droit de la famille ;



Recommande d’améliorer la sensibilisation des magistrats nationaux aux problématiques liées à l’enlèvement international d’enfants ;



Demande à la Commission européenne de faire figurer dans le programme de l’Union européenne en matière de droits de l’enfant un volet consacré à l’enlèvement international d’enfants, assorti d’une liste de mesures concrètes devant être mises en œuvre par l’Union européenne dans le cadre de son action extérieure ;



Suggère à la Commission européenne d’axer le prochain forum européen sur les droits de l’enfant autour du thème de l’enlèvement international d’enfants ;



Propose que soit établie une liste européenne des pays qui ne se conforment pas aux obligations qui leur incombent en vertu de la convention de La Haye ;



Demande au Gouvernement de défendre ces orientations au sein du Conseil.

Les thèmes associés à ce texte

Page mise à jour le