N°393

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 1 er juin 1999.

PROPOSITION DE LOI

relative aux prestataires techniques de l'Internet,

PRÉSENTÉE

Par M. Ladislas PONIATOWSKI,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Audiovisuel et communication. - Internet.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Lorsque les générations futures se pencheront sur l'histoire économique, culturelle et sociale de notre siècle, il ne fait aucun doute qu'elles retiendront le formidable progrès des communications auquel nous assistons.

Plus, le développement de l'Internet, « réseau des réseaux », prendra vraisemblablement rang parmi les révolutions techniques les plus marquantes de l'époque moderne.

Le phénomène est majeur. La liberté, le dynamisme qu'il traduit séduisent. « La conversation mondiale sans fin » qu'il autorise - selon l'expression de la Cour suprême des Etats-Unis - fascine.

Cependant, il pose, du point de vue du droit, des problèmes complexes.

Un de ceux-ci, et non des moindres, est celui de la responsabilité : qui doit être tenu pour responsable des contenus diffusés sur l'Internet ? Qui doit répondre des informations préjudiciables qui peuvent circuler par son intermédiaire

Car, si l'Internet est utilisé le plus souvent à des fins estimables, il peut aussi véhiculer des activités délictueuses.

La liberté d'expression, en effet, dont l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a fait «un des droits les plus précieux de l'homme» et dont chacun s'accorde à reconnaître qu'elle est un des attributs principaux de la démocratie, se heurte à la nécessité de respecter les droits fondamentaux de la personne.

Le débat entre liberté d'expression et droits individuels n'est certes pas nouveau ; lorsque le développement des médias est venu l'alimenter, des règles du jeu ont été fixées par le législateur, d'abord en 1881 pour la presse, puis dans la seconde moitié de ce siècle pour la radio et la télévision avec, notamment, les lois sur l'audiovisuel de 1982et 1986.

Des règles existent donc, et, les services diffusés sur l'Internet étant considérés comme des services de communication audiovisuelle - puisque l'article.2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 définit cette dernière comme «toute mise à disposition du public ou de catégories de public - par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée » -, elles pourraient être tout simplement transposées.

Or, s'il ne s'agit pas de remettre en cause les fondements mêmes de notre droit, certaines adaptations sont nécessaires, qui tiennent à la spécificité de l'Internet.

Celui-ci, tout d'abord, n'est pas un moyen, mais un espace de communication.

Le monde auquel il appartient n'est pas seulement celui de la diffusion, il est celui de la communication qui implique la relation dynamique et l'échange.

Les services offerts sur l'Internet, ensuite, sont multiples. Certains restent très proches de la diffusion et de l'activité éditoriale classiques - comme les journaux qui mettent de L'information en ligne -, d'autres, comme les services de messagerie électronique, les pages personnelles des abonnés ou les forums de discussion, en sont très différents.

Cette grande hétérogénéité des acteurs de l'Internet explique qu'on ne puisse transposer au réseau les règles de droit traditionnelles, et notamment celles qui touchent au régime de la responsabilité éditoriale « en cascade».

L'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle prévoit que lorsqu'une infraction à la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est commise par un moyen audiovisuel, sont poursuivis le directeur de la publication, comme auteur principal, et l'auteur puis le producteur, à titre subsidiaire. Ce régime, qui a été notamment conçu pour protéger la liberté d'expression du journaliste, ne répond pas à la logique de l'Internet.

Si la responsabilité des éditeurs de contenus fait l'objet d'un large consensus, celle des intermédiaires techniques - qui ont une connaissance limitée, quand elle n'est pas inexistante car impossible, des informations qu'ils transmettent ou stockent sur le réseau - est contestable.

Serait-il en effet équitable qu'un fournisseur d'accès soit tenu pour responsable des pages personnelles de ses abonnés ?

Peut-on, par ailleurs, considérer un hébergeur de sites comme un directeur de publication, un éditeur de presse, alors qu'il n'est qu'un prestataire technique qui offre des espaces de stockage d'information et des mécanismes de maintenance ?

Dans une récente décision (10 février 1999), la Cour d'appel de Paris a pourtant ainsi tranché en condamnant le fournisseur Altem pour avoir hébergé un site anonyme qui avait mis en ligne des photographies d'Estelle Halliday. Contraint à verser des dommages-intérêts pour atteinte au droit à l'image et à l'intimité de la vie privée, l'intéressé a fermé l'ensemble des quelque 47 ou 48 000 sites qu'il hébergeait.

La décision a fait grand bruit dans le monde de l'Internet et si la jurisprudence à venir devait la suivre, les conséquences pourraient être lourdes : les professionnels qui dénoncent sans raison, l'iniquité d'une telle position soulignent qu'elle risque de nuire au développement du « web francophone» en encourageant les .délocalisations. Ils ajoutent qu'elle joue contre le « web non marchand », c'est-à-dire contré les hébergeurs qui, comme Altem, fournissent leurs prestations à titre gratuit.

Il convient donc de lever l'incertitude juridique actuelle en clarifiant la chaîne des responsabilités.

La démarche à entreprendre est grandement facilitée par l'existence d'une large communauté de vues en la matière. La jurisprudence relative à la télématique ou aux premières affaires qui ont concerné l'Internet - avant l'affaire Altem - tout d'abord, l'exemple étranger, comme celui de la loi multimédia allemande du 1 er août 1997 ou du Digital Millenium Copyright Act américain du 28 octobre 1998 ensuite, la réflexion en cours à l'échelon européen pour l'élaboration de la directive sur le commerce électronique enfin, font prévaloir le maintien de la responsabilité éditoriale pour ce qui concerne uniquement l'édition des contenus et l'application d'un régime de responsabilité de droit commun pour toutes les autres fonctions exercées sur le réseau, c'est-à-dire les fonctions d'intermédiation technique. Selon ce régime, nul n'est responsable que de son propre fait (article 121-1 du code pénal) et il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre (article 121-3 du même code).

Tel est aussi l'avis qu'a énoncé le Conseil d'Etat dans son rapport du 8 juillet 1998 sur « Internet et les réseaux numériques».

Une fonction d'intermédiation technique ne pourrait être mise en cause lors de la commission d'une infraction qu'à la condition d'une complicité active, ou passive dans le cas où les diligences nécessaires n'auraient pas été accomplies pour faire cesser l'infraction alors que celle-ci était connue du prestataire.

Il est indispensable de raisonner non par catégories d'acteurs (auteurs/producteurs de contenus, fournisseurs de transport, d'accès ou d'hébergement, internautes), mais par fonctions (fonction éditoriale, d'hébergement de sites, de fourniture de transport ou d'accès) car un même acteur peut exercer plusieurs fonctions.

S'agissant du contenu même des messages diffusés, le maintien de la responsabilité éditoriale est important. Si on la supprimait au profit d'un régime unique de responsabilité de droit commun, on aboutirait à deux régimes de responsabilité distincts pour un contenu identique : pour un même délit de diffamation, le directeur de la publication serait tenu pour pénalement responsable s'agissant du support papier, et c'est sur le journaliste en tant qu'auteur que la responsabilité pèserait pour le service en ligne.

Si l'on veut sauvegarder ce qui fait la richesse de l'Internet - la spontanéité, la vitalité d'un espace de débats et d'échanges à l'échelle mondiale -, il est nécessaire de mettre ses acteurs à l'abri des incertitudes juridiques.

Mais il est tout aussi indispensable que les services de justice et de police puissent facilement et rapidement identifier les auteurs des infractions commises sur internet C'est pourquoi il paraît utile d'affirmer solennellement dans la loi que les prestataires techniques devront tenir à leur disposition tout renseignement en leur possession concernant l'identité de leurs abonnés et des sites hébergés ainsi que les fichiers de connexion.

La sécurité et la protection des droits de la personne mériteraient assurément, au-delà, la définition d'un cadre d'ensemble de la liberté de communication sur l'Internet, cadre auquel il convient de réfléchir avec les professionnels intéressés.

Mais insuffisante sans doute, la clarification du régime des responsabilités sur l'Internet n'en n'est pas moins nécessaire. C'est pourquoi, Mesdames, Messieurs, nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Il est inséré, après l'article 43-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, un article 43-2 ainsi rédigé :

« Art 43-2, - Toute personne dont l'activité consiste, à l'exclusion de toute fonction éditoriale de création de messages, à offrir à un service de communication audiovisuelle mentionné au 1° de l'article 43 une prestation technique de transport, de fourniture d'accès ou d'hébergement, ne peut être tenue pour responsable du contenu des informations diffusées par ce service, sauf s'il est établi qu'elle a sciemment participé à l'infraction commise ou qu'en ayant connaissance elle n'a pas accompli les diligences nécessaires à la faire cesser.

« Elle est tenue de communiquer en tant que de besoin au procureur de la République l'identité de ses abonnés, des sites hébergés ainsi que les fichiers de connexion. »

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page