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N° 41

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2013

PROPOSITION DE LOI

établissant une objection de conscience pour les officiers d' état civil opposés à la célébration d'un mariage ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, Jean BIZET, Marcel-Pierre CLÉACH, Dominique de LEGGE, Mme Esther SITTLER, MM. Jean-Pierre LELEUX, Francis DELATTRE, Raymond COUDERC, Mme Catherine DEROCHE, MM. Robert del PICCHIA, René-Paul SAVARY, Mme Christiane HUMMEL, MM. Francis GRIGNON, Gérard CÉSAR, Philippe LEROY, Roland du LUART, Christophe BÉCHU, Philippe DARNICHE, Joël BILLARD, Abdourahamane SOILIHI, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Robert LAUFOAULU, Gérard LONGUET, Jean-Paul FOURNIER, André DULAIT, Michel HOUEL, Mme Catherine TROENDLE, MM. André FERRAND, Gérard BAILLY, Bernard FOURNIER, Michel BÉCOT, Jackie PIERRE, Gérard LARCHER, Marc LAMÉNIE, Jean-François MAYET et André REICHARDT,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 20 novembre 2012, à l'occasion du 95 ème Congrès des maires, le Président de la République déclarait à propos du projet de loi autorisant le mariage pour les personnes de même sexe : « Je connais les débats qu'il suscite, ils sont légitimes dans une société comme la nôtre. Les maires sont des représentants de l'État. Ils auront, si la loi est votée, à la faire appliquer. Mais je le dis aussi, vous entendant : des possibilités de délégation existent. Elles peuvent être élargies, et il y a toujours la liberté de conscience. La conception de la République vaut pour tous les domaines et d'une certaine façon, c'est la laïcité, c'est l'égalité : c'est-à-dire que la loi s'applique pour tous dans le respect néanmoins de la liberté de conscience. »

Cette parole forte, devant l'ensemble des élus, avait su répondre aux inquiétudes de nombreux officiers de l'état civil, ceux-là mêmes sans lesquels la loi ne peut être appliquée. Conscient que ce texte, qui a d'ailleurs suscité un clivage sans précédent au sein même de la société française, pouvait heurter la conscience de nombreux maires et adjoints, le Président de la République s'était engagé à faire respecter ce principe constitutionnel de la liberté de conscience consacré par l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Rien ne saurait en effet justifier que les officiers d'état civil soient les seuls à ne pas bénéficier de cette liberté fondamentale dans l'exercice de leur fonction et puissent être contraints de faire ce que leur conscience réprouve.

Certes, le dispositif de délégation en matière d'état civil a été élargi par la loi. En revanche, l'engagement solennel du Président de la République au 95 ème Congrès des maires n'a pas été tenu. Le projet de loi tel qu'il a été présenté au Parlement ne proposait aucun dispositif permettant concrètement de garantir ce principe. De l'aveu même du Président de la République, la possibilité donnée au maire, sur le fondement de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, de déléguer à un conseiller municipal la célébration d'un mariage n'est pas assimilable à l'exercice par celui-ci de sa liberté de conscience. En effet, celle-ci ne saurait consister, pour une personne, à faire commettre par une autre l'acte que sa conscience réprouve, en en assumant, qui plus est, la responsabilité.

De nombreux amendements ont donc été déposés au cours des débats parlementaires, proposant par exemple que le Procureur de la République autorise la célébration dans toute autre commune si aucun officier d'une même commune n'accepte de le faire, ou bien encore la création d'un régime transitoire de délégation. Tous ont été rejetés par le Gouvernement et cela même en dépit des garanties suggérées par le Président de la République.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi, des maires font état de pressions exercées sur eux et leurs adjoints. D'autres maires ont rencontré des difficultés relatives à la présomption de « mariages blancs », certains ont même été poursuivis pour avoir refusé de célébrer des mariages en raison des doutes sur la réalité de l'engagement des futurs époux.

C'est pourquoi, dans un souci d'apaisement, il convient aujourd'hui de trouver le point d'équilibre entre l'application de la loi de la République et le respect d'une clause de conscience dont on ne peut priver les élus.

Pour éclairer le dispositif de cette proposition de loi, il convient de rappeler que les officiers de l'état civil exercent cette mission, comme toutes leurs fonctions, sous le contrôle du Procureur de la République en vertu de l'article 34-1 du code civil également modifié par la loi du 17 mai 2013. Toutefois, qu'ils soient maires ou adjoints, ils agissent ainsi au nom de l'État et, à l'encontre plus particulièrement du maire, le préfet dispose d'un pouvoir de substitution d'action prévu à l'article L. 2122-34 CGCT (« Dans le cas où le maire, en tant qu'agent de l'État, refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le représentant de l'État dans le département peut, après l'en avoir requis, y procéder d'office par lui-même ou par un délégué spécial . »)

Il apparaît ainsi que si l'exercice de la mission d'officier de l'état civil est contrôlée par le Procureur, seul le préfet peut s'y substituer en agissant en leur lieu et place. L'octroi aux officiers de l'état civil d'une véritable liberté et objection de conscience nécessite donc que ces deux autorités procèdent d'un commun accord à la désignation d'un délégué spécial qui procèdera à la célébration du mariage lorsque, au sein d'une commune, aucun d'entre eux (ni le maire ni aucun de ses adjoints) n'est disposé, en conscience, à le faire.

Conformément à la règle de partage entre le domaine législatif et le domaine réglementaire, il appartiendra à un décret d'application de préciser les conditions d'entrée en vigueur du présent texte.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi qui comporte un article unique .

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 165 du code civil est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, l'officier de l'état civil qui tient cette qualité de l'article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales n'est jamais tenu en conscience de célébrer un mariage. Lorsque tous les officiers de l'état civil d'une commune refusent de célébrer un mariage, le maire de la commune en informe le Procureur de la République et le représentant de l'État dans le département, auxquels il appartient de désigner un délégué spécial qui procèdera à la célébration du mariage.

« Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du présent article, notamment les modalités de désignation conjointe, par le Procureur de la République et le représentant de l'État dans le département, des délégués spéciaux volontaires mentionnés à l'alinéa précédent qui ont la qualité de magistrat ou de fonctionnaire de l'État. »

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