EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 30 janvier 2024, la cellule investigation de Radio France et du journal Le Monde révélait que, selon un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), 30 % des marques françaises avaient recours à des traitements non conformes pour continuer à vendre de l'eau initialement impropre à la consommation.

Puis, le 4 avril dernier, les mêmes médias révélaient que, d'après une étude de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), la « qualité sanitaire » des eaux du groupe Nestlé n'était pas garantie. Dans une note qui aurait été remise au Gouvernement en octobre dernier, l'ANSES recommanderait même « un plan de surveillance renforcée » et une vigilance accrue sur le « risque sanitaire virologique » de ces eaux minérales.

Ces différentes révélations posent trois questions graves, justifiant la présente proposition de résolution portant création d'une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau et les responsabilités de l'État dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques sanitaires associés.

La première question, qui est aussi la plus centrale, est celle des risques sanitaires. Elle porte sur l'état de connaissance, au sein de l'État, de ces derniers et des mesures prises par lui pour les prévenir et protéger la population.

L'article du journal Le Monde et de France Info du 4 avril révèle en effet qu'en octobre 2023, les agences régionales de santé du Grand Est et d'Occitanie ont sollicité une expertise confidentielle menée par le Laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN), une branche de l'ANSES chargée de la sûreté des eaux de consommation.

Cette expertise mettrait notamment en lumière des contaminations microbiologiques d'origine fécale dans certaines sources utilisées pour la production d'eaux minérales naturelles embouteillées, notamment les sites de Vittel, Contrex, Hépar dans les Vosges, ainsi que Perrier dans le Gard.

Surtout, sur le fondement de cette expertise, l'ANSES aurait alerté le ministère de la Santé du risque sanitaire réel de la situation, en faisant référence à une épidémie de gastro-entérite en 2016 en Espagne due à un norovirus dans de l'eau embouteillée dans une situation réglementaire comparable. Dans ce contexte, toute la lumière doit être faite sur les suites qui ont été données par le ministère de la Santé à la proposition de l'ANSES de mise en place d'un « plan de surveillance renforcée ».

La deuxième question porte sur les responsabilités respectives du Gouvernement et des industriels dans ce scandale.

À ce stade, plusieurs informations très problématiques sur la chaîne de décision administrative et politique nous interrogent.

- Les Agences Régionales de Santé auraient été trompées, lors de leurs contrôles, pendant plusieurs années, par les industriels de l'eau.

- Selon l'enquête de Radio France et du Monde, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) aurait également alerté et documenté depuis des années sur les pratiques trompeuses de la part d'une partie importante des industriels du secteur.

- Surtout, un rapport de l'IGAS, remis en juillet 2022 et tenu secret jusqu'en février 2024, estime qu'au minimum 30 % des marques françaises d'eau en bouteille ont eu recours à des traitements non conformes, documentant un problème systémique.

- L'ANSES aurait remis au ministère de la Santé une étude portant sur les risques sanitaires des pratiques de Nestlé en octobre 2023 et proposant un « plan de surveillance renforcée ».

La manière dont ces informations ont été remontées et traitées par les différentes administrations et ministères saisis de ces dossiers reste à caractériser.

L'enquête journalistique révèle notamment qu'après des échanges entre les industriels et le cabinet de la ministre déléguée à l'industrie d'alors, Agnès Pannier-Runacher, en août 2021, des arbitrages sont intervenus lors d'une réunion interministérielle de février 2023 qui auraient depuis permis d'assouplir les réglementations par des arrêtés préfectoraux pour permettre des pratiques de microfiltration non conformes afin de maintenir l'exploitation de plusieurs sites. Aucune sanction envers les industriels n'est, par ailleurs, connue à ce jour alors même que certains d'entre eux tels que Nestlé Waters ont publiquement reconnu leurs torts.

De plus, la Commission européenne a indiqué fin mars 2024 ne pas avoir été informée par la France de ces agissements alors même qu'il s'agit d'une obligation. Il est également prioritaire de mettre en lumière les raisons pour lesquelles la France n'a pas transposé la directive 2009-54-CE, dont les dispositions spécifient les caractéristiques distinctes de l'eau minérale naturelle, préservée de toute pollution grâce à son origine souterraine.

Les réactions face aux pratiques industrielles transgressant la réglementation suscitent donc des interrogations légitimes et nombreuses.

La troisième question porte sur l'existence d'une tromperie systémique du consommateur.

Au regard des différents éléments de cette affaire, il apparaît plausible que les industriels du secteur de l'eau en bouteille aient poursuivi des pratiques interdites par l'article L. 441-1 du code de la consommation qui prohibe la tromperie des consommateurs.

En effet, l'article R. 1322-6 du code de la santé publique présente clairement une eau minérale naturelle : « Une eau minérale naturelle, telle qu'elle se présente à l'émergence, ne peut faire l'objet d'aucun traitement ou adjonction autres que ceux autorisés par arrêté ministériel ». Ces révélations font état de techniques de purification irrégulières utilisées, notamment, par l'entreprise Nestlé : « microfiltration au-dessous du seuil de 0,8 micron, traitements ultraviolets, utilisation de charbon actifs... ». Ces traitements seraient liés à la nécessité de gérer de manière récurrente la contamination de l'eau par des bactéries telles que e-coli et par des résidus de pesticides.

Par ailleurs, le lien entre ces traitements, les pratiques de pompage des industriels de l'eau et les actions d'autres acteurs économiques à proximité des sources reste à éclaircir.

En somme, il apparaît aujourd'hui nécessaire de faire la lumière, sur le fondement de l'article 34-1 de la Constitution, sur les responsabilités et les défaillances administratives, d'évaluer les risques sanitaires engendrés par les pratiques des industriels et de proposer des mesures pour mieux contrôler ces pratiques afin de restaurer la confiance des citoyens. Ainsi, le Parlement se doit d'enquêter sur les raisons, les circonstances, l'ampleur et les risques, notamment sanitaires, des pratiques industrielles dans le secteur de l'eau en bouteille, ainsi que sur les contrôles administratifs, les informations détenues par les ministères compétents et les actions prises en conséquence.

Partager cette page