EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans le rapport d'information n° 637 (2022-2023) au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur « Renseignement et prospective : garder un temps d'avance, conserver une industrie de défense solide et innovante », nos collègues Yannick Vaugrenard et Pascal Allizard ont mis en évidence la persistance des difficultés de financement rencontrée par les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

Plusieurs facteurs affectent l'accès au financement des entreprises du secteur de la défense, pour l'essentiel les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Même s'il n'existe aucune obligation pour les établissements bancaires de motiver leur rejet de demande de financement, des cas de refus non avoués ou explicites en raison d'une appartenance au secteur de la défense ont bien été constatés, y compris de la part d'institutions publiques comme la Banque européenne d'investissement (BEI).

En outre, la responsabilisation de la finance depuis le milieu des années 2000 s'est accompagnée de l'édiction d'un cadre légal en matière de conformité de plus en plus stricte. Cette évolution a conduit le secteur bancaire à limiter les risques juridiques en appliquant des règles plus strictes, qu'elles soient nationales, européennes, internationales voire strictement américaines.

Les difficultés de financement concernent en particulier les projets d'exportation, situation d'autant plus dommageable que les exportations revêtent une importance vitale pour les entreprises de la BITD et, par conséquent, pour le maintien de notre autonomie stratégique dans la mesure où elles permettent de répondre à la nécessité d'assurer la continuité des productions qui ne peut pas toujours reposer de manière exclusive sur les programmes nationaux ; de diminuer les coûts unitaires grâce à l'augmentation des séries, entraînant une diminution du coût d'acquisition pour l'État ; de maintenir des compétences et des savoir-faire critiques tout en conservant des coûts compétitifs pour rester au niveau de la concurrence mondiale.

Ce phénomène constaté au niveau national est dupliqué sur le marché financier international.

L'accès aux marchés de capitaux est rendu plus difficile car certains fonds d'investissement ont décidé d'exclure de leurs investissements des groupes actifs dans le secteur de la défense en assimilant les industries de défense à des activités controversées peu respectueuses des critères en matière environnementale, sociale et de gouvernance.

Ainsi que l'ont souligné avec forces nos deux collègues dans le rapport précité, les difficultés d'accès au financement rencontrées par les industriels de la défense représentent une menace directe pour notre souveraineté.

Elles provoquent une augmentation globale du coût du financement entraînant potentiellement un désavantage vis-à-vis des compétiteurs non européens.

Elles fragilisent la chaîne de sous-traitance des grands maitres d'oeuvre par les refus ou les retards de financement des PME/TPE de défense la constituant majoritairement.

Elles freinent la capitalisation boursière des entreprises du secteur qui les rendrait plus vulnérables à une prise de contrôle par des investisseurs étrangers.

Elles créent une dépendance accrue du secteur industriel de la défense à l'égard du financement public avec notamment pour conséquence une charge budgétaire supplémentaire pour nos comptes publics.

Afin de pallier les carences tant en matière de financement que d'investissement et éviter les risques induits, les rapporteurs ont formulé plusieurs recommandations, dont la nécessité d'orienter une partie de l'épargne des Français vers le soutien aux entreprises de défense via la création d'un livret réglementé.

Fort de ce constat et de cette proposition, le Sénat a adopté la création d'un produit d'épargne réglementée destiné au financement des entreprises de la BITD le 29 juin 2023, à l'occasion de l'examen de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

Le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ayant exprimé des réticences sur la proposition sénatoriale, un compromis a été trouvé en commission mixte paritaire pour flécher une partie des encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers les PME de l'industrie de défense. Il était prévu également un rapport gouvernemental afin d'évaluer l'efficacité du fléchage des encours du livret A et du LDDS vers les industries de la défense.

Cependant, cette mesure, devenue l'article 52 de la LPM 2024-2030 adoptée par le Parlement, a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu'elle était contraire à l'article 45 de la Constitution.

Ce dispositif a été repris dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 mais a subi un sort identique.

Face à l'hybridité des conflictualités et des menaces, nous devons dès aujourd'hui nous donner les moyens d'assurer notre sécurité nationale et la défense de nos intérêts vitaux moyens, de remédier aux difficultés de financement des petites entreprises de l'industrie de défense.

De plus, il nous paraît essentiel que la population française perçoive au mieux le changement du monde, où après une période de perspective de paix durable celle où la force et parfois la guerre comme relations entre les États a pris le pas. La guerre est de nouveau présente sur le continent européen avec la guerre d'invasion de la Russie contre l'Ukraine. Nous mesurons chaque jour l'impossibilité de la France et l'Union européenne, pour la BITD française et européenne, à répondre aux besoins d'armes et de matériels de guerre pour que l'Ukraine puisse se défendre et continuer à exister.

Dans cette perspective, la présente proposition de loi envisage de reprendre le dispositif défendu par nos collègues rapporteurs ainsi que par Christian Cambon, président rapporteur de la loi de programmation militaire pour 2024-2030, visant à créer un livret a hoc d'épargne défense souveraineté (LEDS).

Une fois le dispositif de la proposition de loi adopté par le Parlement, le ministère des armées et le ministère de l'économie et des finances seront en capacité de mettre en oeuvre de manière diligente et concertée ce nouvel outil financier, en assurer la distribution ainsi que la promotion par les établissements bancaires avec les précautions qui s'imposent pour éviter tout effet d'éviction et préserver une certaine confidentialité des opérations de financement afin de ne pas attirer l'attention sur certaines activités opérationnelles à venir.

Outre son caractère emblématique qui permettra de renforcer le lien entre les armées et la nation, d'intéresser les Françaises et les Français à leur propre défense en renforçant le consensus sur l'utilité sociale d'une politique de défense, le livret d'épargne défense souveraineté facilitera l'accès au financement de l'industrie de défense pour la mise en oeuvre d'une une base industrielle et technologique solide et autonome.

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