EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France dispose d'un patrimoine immobilier exceptionnel. Elle compte 45 285 édifices patrimoniaux protégés au titre des monuments historiques, dont 13 517 classés et 31 768 inscrits, répartis au sein de 14 670 de ses communes.

La plupart de ces édifices protégés au titre des monuments historiques engendrent un périmètre de protection, servitude d'utilité publique, s'étendant sur une superficie totale de plus de 21 200 km². C'est dire l'importance de ce régime, communément nommé « abords » des monuments historiques, en matière de protection et de mise en valeur du patrimoine architectural, urbain et paysager sur le territoire français.

La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a permis la refonte et la redéfinition du régime alloué au périmètre de protection autour des monuments historiques, considéré jusque-là par l'ensemble des acteurs comme ambigu dans son appréciation et arbitraire voire source d'insécurité juridique dans son application.

En effet, si le régime des abords était alors clairement défini par la loi selon un double critère, géométrique (périmètre de protection de « 500 mètres ») et optique (champ de visibilité), l'établissement de ce périmètre de protection de « 500 mètres » autour des monuments historiques, du fait de son aspect automatique et géométrique, était jugé arbitraire, et son application indépendante des caractéristiques et de l'environnement de chaque immeuble classé ou inscrit, renforçait son caractère discrétionnaire et l'incompréhension des acteurs locaux non concertés lors de sa mise en oeuvre.

Par ailleurs, le rôle joué par l'architecte des bâtiments de France était déjà au coeur des critiques. Habillé de ses missions de contrôle des espaces protégés, de conseil des particuliers et des collectivités locales en matière d'architecture, d'urbanisme, de paysage et plus généralement de cadre de vie, et de conservation des monuments historiques, il lui revenait également la charge de l'instruction des demandes d'autorisation de travaux situés notamment dans les périmètres de protection des monuments historiques. À ce titre, il lui appartenait de déterminer en amont de la délivrance de son avis l'existence d'une co-visibilité avec le monument historique en ce qui concerne le projet envisagé. Or, de par son caractère appréciatif, cet avis pouvait rendre le travail des architectes des bâtiments de France d'autant plus difficile et incompris qu'il pouvait être source d'insécurité juridique. En effet, en cas de recours à l'encontre d'un de ces avis auprès du préfet de région, celui-ci rendait une décision se substituant à l'avis émis par l'architecte des bâtiments de France, qu'il le confirme ou l'infirme.

Ainsi, les recours au titre du périmètre de protection des monuments historiques remettaient régulièrement en question la co-visibilité dont l'appréciation relevait de l'architecte des bâtiments de France. De fait, la compétence même de celui-ci se retrouvait contestée dans le cadre de recours administratifs pouvant fragiliser la perception, par les usagers et les demandeurs, des services de l'État.

Néanmoins, si les modifications apportées par la loi de 2016 susmentionnée ont permis une plus grande lisibilité des rôles et missions des architectes des bâtiments de France, ainsi qu'une meilleure compréhension et appréhension du patrimoine et de son périmètre de protection par les habitants et les élus, ces derniers déplorent toujours un échange avec l'architecte des bâtiments de France s'apparentant plus à un rapport discordant, qu'à un rapport de co-construction.

En effet, alors que les travaux susceptibles de modifier l'état des parties extérieures des immeubles bâtis ou non-bâtis situés dans le périmètre de protection d'un site patrimonial remarquable ou classé sont soumis à une autorisation préalable subordonnée à l'accord de l'architecte des bâtiments de France, tout avis défavorable de ce dernier est synonyme de suspension des travaux envisagés. Pourtant partenaire naturel des collectivités territoriales, l'intervention de l'architecte des bâtiments de France lorsqu'un projet est déjà ficelé le fait au contraire apparaître comme un censeur auprès de ces dernières.

La France est l'un des rares pays au monde où il existe une telle expertise et autant de professionnels dédiés au patrimoine. Délivrée par le corps des architectes et urbanistes de l'État, elle doit être préservée et développée, notamment au sein de nos territoires par une meilleure collaboration avec les élus locaux lors de l'élaboration de nouveaux projets.

Le besoin d'accompagnement par l'État reste en effet très fort parmi les élus locaux. Ces derniers voient sa présence territoriale comme un gage de réussite dans la conduite de leurs projets de préservation et de valorisation du patrimoine. L'établissement en amont d'une relation partenariale mobilisant l'architecte des bâtiments de France, porte d'entrée des demandes des maires en matière de patrimoine dans nos territoires, apparaît ainsi logique.

Formés au dialogue et au partenariat avec les collectivités territoriales, leur rôle pédagogique auprès des maires notamment ne doit pas être sous-estimé. Il convient de les associer davantage dès la programmation des projets, afin d'éviter des réajustements ultérieurs, source de blocages, de tensions et d'incompréhensions. C'est pourquoi un dialogue renforcé entre ces différents acteurs revêt ainsi une importance majeure.

À l'inverse, la multiplication d'avis défavorables des architectes des bâtiments de France est non seulement préjudiciable pour les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les porteurs de projet qui ne disposent souvent pas de moyens illimités, notamment afin de corriger chaque aspect rejeté du projet, mais est également préjudiciable pour l'architecte des bâtiments de France qui, par la délivrance de ces avis défavorables, ouvre la voie à des situations de contentieux.

La commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA), par sa deuxième section, est notamment compétente en cas de désaccord en matière de projets architecturaux, d'études et de travaux sur immeubles entre l'autorité compétente en matière d'autorisations d'urbanisme et l'architecte des bâtiments de France. Elle sert ainsi de médiateur entre les différents acteurs lors du dépôt d'un recours auprès de l'autorité administrative afin d'aider cette dernière à statuer.

La commission régionale du patrimoine et de l'architecture s'inscrit dans le cadre de la réforme de l'administration territoriale de l'État où le niveau régional a été confirmé dans son rôle de pilotage de la protection des immeubles et des espaces. Fruit de la fusion de la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS) et de la commission départementale des objets mobiliers (CDOM), elle poursuit la politique menée par le Gouvernement de réduction du nombre des commissions consultatives afin d'apporter une meilleure lisibilité, une plus grande cohérence des régimes entre eux et une économie de moyens.

Néanmoins, trop éloignée des problématiques locales, un sentiment de négligence ressort des témoignages d'élus locaux. Faisant appel à des compétences régionales, cette perte de proximité s'en ressent dans l'approche des litiges opposant les avis émis par les architectes des bâtiments de France et l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation préalable aux travaux susceptibles de modifier l'état des éléments d'architecture et de décoration d'immeubles bâtis ou non-bâtis au sein du périmètre de protection autour des monuments historiques et sites patrimoniaux remarquables. La réponse à des problématiques locales, circonstanciées à un contexte particulier, ne peut être régionalisée et réalisée par des acteurs non concernés par les enjeux réels et de proximité qui en découlent.

La présente proposition de loi vise ainsi à créer une commission départementale du patrimoine et de l'architecture poursuivant deux objectifs.

Premièrement, renforcer et recentrer localement le dialogue entre l'architecte des bâtiments de France et les élus locaux dès la phase de programmation d'un projet prévoyant la construction, la modification, l'aménagement ou la démolition d'un immeuble bâti ou non-bâti située dans le périmètre de protection des édifices protégés au titre des monuments historiques. Cela, dans le but d'accorder plus de lisibilité et de compréhension aux élus locaux et éviter tout recours et réajustements ultérieurs en cas d'avis défavorable émanant de l'architecte des bâtiments de France.

Deuxièmement, relocaliser à l'échelle départementale la phase contentieuse opposant l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation préalable de travaux susceptibles de modifier l'état des éléments d'architecture et de décoration d'immeubles bâtis ou non-bâtis au sein du périmètre de protection autour des monuments historiques et sites patrimoniaux remarquables et l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France en cas de recours à l'encontre de ce dernier. Cette relocalisation permettra notamment de réduire les délais de saisine de la Commission et de répondre à la question de l'éloignement de la politique de protection des monuments historiques et de leurs abords.

Les articles 1 et 2 créent une commission départementale du patrimoine qui se substituerait à la commission régionale existante pour l'exercice d'une partie des compétences aujourd'hui exercées par cette dernière.

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