EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'article 79-1 du code civil précise que si un enfant n'est pas né vivant et viable, l'officier d'état civil doit établir un acte denfant né sans vie. Cet acte ne conduit pas à la reconnaissance dune personnalité juridique. Dès lors, les violences volontaires et involontaires mettant fin à une grossesse n'entraînent pas de jugement pour homicide. Les victimes de ces violences considèrent, légitimement, incompréhensible que l'auteur des violences ne puisse pas être jugé à la hauteur du traumatisme qu'elles subissent.

À plusieurs reprises, la Cour de cassation a estimé que l'incrimination d'homicide involontaire d'autrui ne pouvait être étendue à l'enfant à naître. En effet, le dernier arrêt de 2002 confirme les arrêts de 1999 et de 2001 en ces termes : « les décisions de la Cour de cassation se fondent sur le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale, qui ne prévoit pas que la mort du foetus puisse être qualifiée de mort d'autrui ». Avant d'ajouter : « La non-application de la loi pénale au décès du foetus, même si celui-ci intervient quelques secondes avant l'accouchement, alors qu'elle sera applicable à l'enfant qui décède quelques secondes après l'accouchement, aboutit à des incohérences et à des iniquités. Seule une intervention du législateur pourra y mettre fin ».

Toutefois, lexamen des textes en vigueur révèle qu'il existe aussi, dans le code pénal, une disposition réprimant linterruption de la grossesse réalisée sans le consentement de la femme. Larticle 223-10 dudit code prévoit en effet que : « L'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende »1(*). Il sagit dune infraction volontaire : lauteur doit avoir délibérément cherché à mettre fin à la grossesse.

Lexamen des rares décisions de justice qui font application de cet article montre que linterruption de la grossesse a résulté soit de violences (physiques ou psychologiques) infligées à la femme enceinte, soit de ladministration dun produit (pilule abortive) ayant provoqué une fausse-couche. Les faits incriminés auraient donc pu également être poursuivis sur la base des qualifications de droit commun (violences ou administration de substance nuisible).

En application de larticle 132-3 du code pénal, lorsqu'une personne est reconnue coupable de deux infractions en concours, il ne peut être prononcé qu'une seule peine, dans la limite du maximum légal le plus élevé.

Afin dapprécier comment des violences entraînant linterruption de la grossesse peuvent être appréhendées sur le plan pénal, il convient donc dexaminer comment larticle 223-10 sarticule avec les qualifications de droit commun.

En cas de violences, la peine encourue dépend des conséquences entraînées par les violences. La peine est aggravée si la victime est une femme enceinte (particulière vulnérabilité) :

- si les violences ont entraîné la mort sans intention de la donner, la peine encourue atteint vingt ans de réclusion criminelle (article 222-8 du code pénal) ;

- si elles ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, la peine est de quinze ans de réclusion criminelle (article 222-10) ;

- en cas d'incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours, la peine est de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende (article 222-12) ;

- enfin, en cas d'ITT inférieure ou égale à huit jours, la peine est de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (article 222-13).

Les peines sont identiques, suivant les mêmes distinctions, en cas dadministration à une femme enceinte de substances nuisibles ayant porté atteinte à son intégrité physique ou psychique (article 222-15).

De lapplication combinée de ces dispositions, il résulte que des violences ayant occasionné une courte interruption de travail (moins de huit jours) mais ayant entraîné linterruption de la grossesse (en raison du choc psychologique par exemple) seront passibles de cinq années demprisonnement au maximum, en application de larticle 223-10. En cas dITT de plus de huit jours, la peine encourue sera de cinq ans, quelle que soit la qualification considérée. En cas de mutilation ou dinfirmité permanente ou en cas de décès de la victime, la peine maximale sera celle, plus élevée, encourue au titre des violences.

Mikaël Benillouche. Maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles, a défendu lidée selon laquelle la peine pourrait être alignée sur celle prévue en cas dinfirmité permanente ou de mutilation, au motif que le traumatisme subi serait assimilable à une infirmité permanente, de nature psychologique2(*). La peine serait alors fixée à 15 ans de réclusion. C'est ce que prévoit l'article 1er.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la qualification dhomicide ne peut être retenue en cas d'infraction involontaire que si lenfant est né vivant. Dans le cas contraire, la peine encourue varie en fonction de la gravité des blessures subies par la mère : deux ans demprisonnement en cas dITT pendant plus de trois mois, un an demprisonnement en cas dITT dune durée inférieure ou égale à trois mois, enfin contravention de la 5e classe en labsence dITT.

Une situation de frayeur ou de stress intense lié à un accident de la circulation, par exemple, peut entraîner une fausse-couche, mais pas dITT ou une ITT très brève. La peine encourue peut alors être jugée inadaptée à la gravité du traumatisme subi par la femme dont la grossesse vient d'être interrompue.

Il est donc proposé denrichir la proposition de loi de dispositions (articles 2 et 3) sanctionnant linterruption de grossesse provoquée involontairement.

Larticle 2 crée ainsi deux nouvelles infractions pour sanctionner, respectivement, linterruption involontaire de grossesse et linterruption involontaire de grossesse causée par un accident de la route.

Larticle 3 prévoit ensuite des peines complémentaires applicables lorsque linterruption de la grossesse a résulté dun accident de la route.

Larticle 4 actualise le « compteur » pour lapplication du code pénal outre-mer.

Une évolution de la législation afin de mieux protéger la femme enceinte semble, malheureusement, être une impérieuse nécessité. Cette proposition de loi a pour objet de prendre en considération limportance du traumatisme subi par ces femmes.

* 1 Les articles L. 2222-2, L. 2222-3 et L. 2222-4 du code de la santé publique répriment également l'interruption illégale de la grossesse. Ils visent des hypothèses où la femme enceinte était consentante pour mettre fin à la grossesse mais où les règles relatives à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) n'ont pas été respectées : par exemple une IVG pratiquée, sans motif médical, après le délai légal, une IVG pratiquée en-dehors d'un établissement hospitalier, ou encore la fourniture de matériel pour que la femme pratique l'IVG sur elle-même...

* 2 « La conciliation délicate du « foeticide » volontaire et des incriminations de droit commun », par Mikaël Benillouche, AJ Pénal 2015, p. 89.

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