EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

14 % des femmes majeures ont subi un acte sexuel imposé1(*) pendant que chaque année, 94 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol2(*). 84 500 infractions pour violences sexuelles ont été enregistrées par les forces de l'ordre en 20223(*).

Malgré un renforcement des moyens et des adaptations législatives, les violences sexuelles persistent, et sont même plus fréquentes que dans d'autres pays européens ; alors que 22 % des femmes ayant entre 15 à 49 ans ont été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire au cours de leur vie en France, tel est le cas pour 16 % des femmes en Italie, 15 % des femmes en Espagne et 20 % des femmes en moyenne en Europe4(*).

Compte tenu de la prévalence importante des violences sexuelles en France, la justice devrait jouer un rôle primordial, non seulement en protégeant efficacement les victimes, mais aussi en poursuivant les auteurs.

Il s'agit d'une attente forte des victimes qui sont toujours plus nombreuses à saisir la justice. Même si les violences sexuelles demeurent la catégorie des infractions les moins déclarées5(*), la France est désormais le troisième pays européen où le nombre de plaintes déposées pour agression sexuelle et pour viol est le plus élevé rapporté à la population6(*).

Or, seulement une infime partie des plaintes aboutit à une condamnation ; ainsi, sur 22 431 plaintes déposées pour viol7(*), seulement 1 413 condamnations ont été prononcées8(*), soit 0,6 % à peine. En France, plus de 99 % des viols restent donc impunis.

C'est évidemment inacceptable pour toutes les victimes qui ont eu le courage de porter plainte malgré les barrières persistantes. Cela laisse bien évidemment de nombreuses violences sexuelles impunies et nourrit le sentiment que les victimes ne sont toujours pas écoutées.

Dans ce contexte intolérable, la rédaction actuelle du code pénal constitue un facteur contribuant à ce manque d'efficacité de la réponse pénale. En effet, la rédaction actuelle des définitions d'agression sexuelle et du viol dans le code pénal excluent de nombreux actes sexuels, avec pénétration ou non, qui sont pour autant perçus comme des actes sexuels imposés par les victimes.

En réprimant l'« atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » et, de manière analogue, la « pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise », le code pénal définit ces infractions à partir des circonstances dans lesquels l'acte sexuel s'est déroulé uniquement.

Pour cette raison, les définitions actuelles du code pénal sont imprécises, car elles tentent de caractériser un acte sexuel à partir des indicateurs indirects que sont la présence des quatre circonstances limitativement énumérées. Or, cette définition omet justement de définir l'agression sexuelle ou le viol à partir du critère qui, pourtant, devrait les constituer : l'absence de consentement. Ainsi, dès lors qu'un fait sexuel non consenti s'est déroulé sans que la justice puisse prouver qu'il s'est déroulé dans une des quatre circonstances, la qualification d'agression sexuelle ou de viol ne peut être retenue. In fine, l'acte reste impuni.

Entre autres, la définition actuelle rend les poursuites pénales difficiles, voire impossibles, quand le jugement de la victime est altéré ou quand elle n'a pas montré de signe de résistance lors de l'acte sexuel, alors que précisément, la sidération causée par un viol peut empêcher la victime de réagir9(*).

Ainsi, est resté impuni un prêtre qui, dans un terme, a attrapé un jeune homme par l'épaule et a frotté son sexe nu contre les fesses de l'homme qui venait déjà de devenir victime d'attouchements de la part du prêtre sous les douches du terme10(*). La Cour de cassation a également rendu un non-lieu dans une affaire d'une femme qui avait accusé un homme de trois viols, qu'il a reconnu dans des messages par messagerie instantanée envoyés à la victime11(*). De même, la justice a acquitté deux policiers de la brigade de recherche et d'intervention dans une affaire très médiatisée ; les policiers étaient accusés par une touriste canadienne de l'avoir violée au siège de la police judiciaire de Paris alors qu'elle était sous l'emprise de l'alcool. Les acquittés s'étaient défendus en questionnant la crédibilité de la victime.

En tout état de cause, la définition actuelle de l'agression sexuelle et du viol dans le code pénal souffre d'un manque de précision, car elle définit ces infractions graves à partir d'un ensemble d'indicateurs incomplets, sans toucher à leur nature qui, pourtant, les constitue : l'absence de consentement à l'acte. C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi vise à adapter la définition de l'agression sexuelle et du viol pour permettre leur répression dès lors que l'acte sexuel, avec pénétration ou non, n'était pas consenti.

Une telle évolution du code pénal permettrait enfin d'aligner le droit français sur les dispositions de la Convention d'Istanbul, signée par la France, qui prévoit à l'alinéa premier de l'article 36 que les pays signataires érigent en infraction pénale les « actes à caractère sexuel non consentis » commis intentionnellement. Dans cette lignée, elle répondrait à l'appel du Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) qui demande à ce que la France fasse évaluer sa législation pour fonder la définition des agressions sexuelles et du viol sur l'absence du libre consentement12(*).

De surcroît, définir les agressions sexuelles et le viol à partir de l'absence de consentement correspondrait à l'esprit de la Convention européenne des droits de l'homme qui prévoit que les pays signataires répriment « tout acte sexuel non consensuel, y compris en l'absence de résistance physique de la part de la victime »13(*) et répondrait à l'appel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme qui préconise de placer « la notion d'absence de consentement au coeur de la législation pénale »14(*).

Par ailleurs, réprimer les faits dès lors qu'il n'y a pas de consentement permettrait de remplacer une définition certes construite au fil des décennies, mais qui demeure artificielle. Ainsi, il convient de noter que des personnes interrogées pour une enquête sociologique ont caractérisé le viol non pas uniquement en fonction des circonstances dans lesquelles l'acte s'est déroulé, mais ont affirmé qu'il y a viol où il n'y a pas de consentement15(*). À l'inverse, adapter le code pénal enfin aux préconisations du GREVIO aurait également une dimension pédagogique pour les auteurs, potentiels ou réels, dans un contexte où «  bien d'agresseurs sexuels ne se considèrent pas comme des violeurs dès lors qu'ils n'ont pas accompagné le viol d'actes de violence physique »16(*).

Enfin, une telle modification du code pénal alignerait notre définition avec celle d'autres pays européens, dont l'Allemagne, la Belgique, Chypre, la Croatie, le Danemark, l'Espagne, l'Irlande, l'Islande, le Luxembourg, Malte, le Royaume-Uni et la Suède qui ont déjà érigé en infraction pénale les actes sexuels non consentants.

L'article premier de la présente proposition de loi vise à procéder à plusieurs modifications du code pénal afin de permettre la répression des agressions sexuelles et des viols dès lors que l'acte sexuel n'était pas consenti.

Ainsi, l'agression sexuelle serait constituée dès lors qu'une atteinte sexuelle serait commise sur la personne d'autrui sans son consentement. De manière analogue, le viol serait constitué dès lors qu'un acte de pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital serait commis sur la personne de l'auteur ou sur la personne d'autrui sans le consentement d'autrui.

De plus, il serait spécifié non seulement que le consentement ne peut être donné en cas de violence, contrainte, menace, surprise, mais également qu'il peut être retiré à tout moment. Par ailleurs, il serait précisé qu'il ne peut y avoir de consentement à un acte imposé à la victime par un auteur qui abuse d'un état altérant la capacité de jugement de la victime.

Enfin, l'article propose des coordinations nécessaires pour la définition des infractions commises sur la personne d'un mineur.

L'article 2 prévoit l'application de la présente loi dans les outre-mer.

* 1 L'Observatoire national des violences faites aux femmes, « Les violences au sein du couple et les violences sexuelles en France en 2021. Indicateurs nationaux annuels », novembre 2022.

* 2 Lynnmarie Sardinha et al., « Global, Regional, and National Prevalence Estimates of Physical or Sexual, or Both, Intimate Partner Violence against Women in 2018 », The Lancet 399, no 10327 (février 2022): 803-13.

* 3 Eurostat, « Infractions enregistrées par type d'infraction - données policières », 11 mai 2023.

* 4 Ministère de la Justice, « Les chiffres clés de la justice. Édition 2022 », 17 mars 2023.

* 5 GREVIO, « Rapport d'évaluation (de référence) du GREVIO sur les mesures d'ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul) », 19 novembre 2019.

* 6 Cour européenne des droits de l'homme : M.C. c. Bulgarie, n° 39272/98.

* 7 Commission nationale consultative des droits de l'homme, « Avis relatif aux violences sexuelles : une urgence sociale et de santé publique, un enjeu de droits fondamentaux », 20 novembre 2018.

* 8 Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, « Rapport annuel 2023 sur l'état des lieux du sexisme en France », 23 janvier 2023.

* 9 Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, « Insécurité et délinquance en 2022. », juillet 2023.

* 10 Cass. Crim, 13 septembre 2022, n° 22-83.895.

* 11 Cass. Crim, 22 février 2023, n° 22-81.107.

* 12 Ebani Dhawan et Patrick Haggard, « Neuroscience Evidence Counters a Rape Myth », Nature Human Behaviour 7, no 6 (22 mai 2023): 835-38, non traduit.

* 13 Ainsi, une personne interrogée avait répondu : « Un rapport sexuel où une des deux personnes n'est pas consentante. Une obligation d'une personne sur une autre d'avoir un rapport sexuel, tout simplement. » et une autre : « Ce serait vraiment cette idée de ne pas respecter un non-consentement marqué et explicite, et d'ignorer ce non-consentement, et d'obtenir [...] ce que tu obtiens normalement avec un consentement sans ce consentement et violemment. » Alexia Boucherie, Troubles dans le consentement: du désir partagé au viol: ouvrir la boîte noire des relations sexuelles, (Paris: Éditions François Bourin, 2019).

* 14 Véronique Le Goaziou et Antoine Garapon, Viol: que fait la justice ? (Paris: Presses de Sciences Po, 2019).

* 15 Véronique Le Goaziou et Antoine Garapon, Viol: que fait la justice ? (Paris: Presses de Sciences Po, 2019).

* 16 Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime, « Strategy for Gender Equality and the Empowerment of Women (2022 - 2026) », juin 2022 (non traduit).

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