EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La décision de libéralisation du secteur de l'énergie reposait sur le dogme qu'une ouverture à la concurrence entraînerait mécaniquement une baisse des prix au bénéfice du consommateur final.

A distance de 16 ans, le compte n'y est pas ; depuis la fin de l'année 2020, nous constatons une augmentation sans précédent des factures énergétiques, une tendance qui semble s'installer.

Mais, pire encore, la promesse d'une baisse des prix pour les usagers et usagères n'est plus à l'ordre du jour de l'agenda européen : dans sa proposition de réforme du marché européen de l'électricité, la Commission européenne évoque la seule « non-augmentation des prix », à rebours de l'objectif initial martelé pendant des années afin de légitimer le démantèlement du service public énergétique français.

Le but poursuivi par cette nouvelle réglementation européenne ne tend donc pas à permettre l'accès de toutes et tous à ce bien essentiel, mais à continuer, quoi qu'il en coûte, à faire vivre artificiellement la concurrence dans un secteur par nature monopolistique, au seul profit d'intérêts privés. Cependant, cette philosophie du marché pour le marché n'est plus soutenable, tant la valeur ajoutée est nulle : « une quasi-absence d'innovation, hausse des prix, toxicité du marché de détail où les pratiques commerciales déloyales sont légion » comme le rappelle l'association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV).

En effet, la situation est alarmante pour l'ensemble des consommateurs finals, domestiques comme professionnels. Les TPE et PME ont été sévèrement impactées par l'explosion des prix de l'énergie, multipliant de 5 jusqu'à 10 les montants des factures. Notamment, dans le secteur de la boulangerie, cette augmentation met à mal la survie de cet artisanat emblématique, et les témoignages de commerçants confrontés à une hausse de leurs factures se multiplient, les contraignant à réduire, voire cesser leur activité. Si les prix de l'énergie sont plafonnés pour quelques petites entreprises, cela ne concerne que 20 % des commerces de boulangerie ; combiné à l'explosion du tarif des matières premières, la situation n'est plus tenable pour ces professionnels.

Les différents dispositifs d'aides mis en place par le gouvernement, n'offrent aucune solution sur le fond. La prise en charge par l'état d'une partie des factures d'énergie, dont le coût, rappelons-le, n'est fixé que par le jeu des règles de marché, ne remet aucunement en cause l'économie du système, et laisse tout de même un reste à charge conséquent aux TPE et PME non éligibles aux tarifs réglementés. Plus encore, ce climat d'incertitude lié à la seule mise en place d'aides ponctuelles les empêche de se projeter sur du long-terme.

La problématique est la même pour les collectivités locales, qui ont vu leurs dépenses énergétiques s'envoler pour trois quarts d'entre elles, car seules les petites collectivités - de moins de 10 employés et de 2 millions d'euros de recettes - sont éligibles aux tarifs réglementés de vente d'électricité. Les municipalités, départements et régions sont donc contraintes, pour garantir la stabilité de leurs finances, de réduire la qualité ou la quantité de leur offre de service public, voire d'augmenter les impôts locaux, ce qui grèvera sévèrement le pouvoir d'achat des ménages. Dans tous les cas, ce sera la double peine pour les usagers et usagères.

La crise multidimensionnelle que nous traversons révèle ainsi l'impasse que constitue ce processus de libéralisation à marche forcée. Ce constat est abondé par le Conseil d'analyse économiques et social dans une note de février 2023 qui soulignait que : « la crise énergétique a révélé l'incapacité de l'organisation du marché européen de l'électricité à répondre aux trois défis de la décarbonation, de la sécurité d'approvisionnement et des prix abordables ».

Malgré ces éléments, la Commission européenne continue son oeuvre de destruction du principe même d'une tarification garantissant un prix stable et prévisible au profit de prix définis par les logiques du marché. Or, « il existe une différence fondamentale entre le tarif et le prix : alors que le tarif est fixé par une décision administrative et politique, en rapport avec une évaluation des coûts, la formation d'un prix est le résultat non contrôlé et incertain du mécanisme de marché ». (La construction politique du prix de l'énergie. Sociologie d'une réforme libérale, Reverdy Thomas)

En effet, le projet de règlement de réforme du marché européen restreint le champ des bénéficiaires d'une tarification aux seuls ménages en situation de précarité énergétique. Une extension du bénéficie du tarif réglementé restera possible pour les ménages et les TPE/PME, mais seulement à titre provisoire, en cas de crise, et dans des limites précises (limité à 80 % de la consommation médiane pour les ménages, et à 70 % de la consommation de l'année précédente pour les PME), tout cela après accord de la Commission européenne. (Considérant 53 du projet de règlement).

La commission fait donc le choix de limiter à des cas exceptionnels les tarifs réglementés, pourtant plébiscités par les consommateurs : environ 70 % des ménages ont conservé un abonnement chez EDF, dont 63 % sont au TRVE.

Or, les faits ont démontré que l'entêtement à vouloir faire vivre la fiction d'un « marché concurrentiel » en matière de production et de distribution de l'énergie nous a conduit à une impasse préjudiciable à l'intérêt général, que ce soit en termes de lutte contre la précarité énergétique ou de sécurité d'approvisionnement. Les tarifs réglementés de vente de l'électricité jouent quant à eux un rôle d'amortisseur.

Alors que l'argent public alimente les superprofits de nombreuses entreprises privées, comme les fournisseurs alternatifs, conduisant à une augmentation des bénéfices et à une distribution indécentes de dividendes à tous les étages de la chaîne de production et de distribution (phénomène qui a contribué à amplifier l'inflation au cours des derniers mois, comme le souligne Benoît Coeuré président de l'autorité de la concurrence en juin 2023.), nous ne saurions nous satisfaire d'une baisse contrainte de la consommation pour tous les usagers et usagères, de la fermeture de services publics, et des faillites d'entreprises qui se multiplient dans notre pays.

Au contraire, nous considérons que les usagers, particuliers, PME/TPE et collectivités territoriales doivent non seulement être au centre des préoccupations et des objectifs de la politique énergétique européenne et nationale, mais également protégés de la grande volatilité des prix de gros de l'électricité.

Ainsi, malgré une méthode de calcul plus que discutable, occasionnant des augmentations à répétition (La dernière augmentation de 10 % TRVE a eu lieu en aout 2023 portant la progression de ce dernier à 31 % en moins de 18 mois pour les ménages et les petites entreprises.), le mécanisme de tarif réglementé de l'électricité, dans le contexte inflationniste actuel, reste la formule la plus protectrice.

C'est pourquoi, à rebours des modèles d'orthodoxie budgétaire dont le gouvernement se drape pour justifier la suppression du bouclier tarifaire et de l'amortisseur (alors même que cette décision risque de relancer l'inflation et d'accentuer la pression sur les entreprises et les ménages), nous pensons qu'il faut conforter le TRVE et en étendre le champ des bénéficiaires.

C'est le sens de cette proposition de loi qui, dans le prolongement de nos propositions précédentes1(*), vise en son article unique à élargir l'accès aux TRVE à toutes et tous les usagers, PME et TPE et à l'ensemble des collectivités locales.

* 1 Proposition de loi n°66 visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l'énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l'énergie

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