EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La mobilité est un préalable indispensable à de nombreux aspects de la vie courante : trouver un emploi, se rendre au travail, accéder aux soins, faire des courses, accéder aux services publics, à des loisirs, se rendre chez des amis ou des parents, amener ses enfants à l'école ou à des activités...

Or, force est de constater une importante précarité dans l'accès à la mobilité sur l'ensemble du territoire : en mars 2022, le Baromètre national des mobilités du quotidien de la Fondation pour la Nature et l'Homme révélait que ce phénomène touche 13,3 millions de personnes, notamment en territoire rural ou périurbain. Parmi elles, 4,3 millions de Françaises et Français n'ont aucun équipement individuel ou abonnement à un service de transport collectif.

Ces difficultés à se déplacer pour les personnes précaires constituent l'un des freins pour l'accès à l'emploi, et plus généralement pour la réalisation de démarches permettant de s'extraire de situations de précarité. C'est aussi un facteur d'isolement, ou encore de renoncement aux soins, notamment en milieu rural, avec des conséquences économiques, sanitaires, psychologiques et sur le lien social.

Alors que les services publics de proximité sont de moins en moins développés sur les territoires ruraux et à l'heure de l'explosion du coût de la vie (énergie, alimentation, logement...), la précarité face à la mobilité se fait de plus en plus présente.

28 % des demandeurs d'emploi ont renoncé au moins une fois à un emploi au cours des cinq dernières années par manque de moyen pour se déplacer. Au cours de sa vie, sur notre territoire, c'est une personne sur quatre qui aurait déjà renoncé à un emploi ou à une formation faute de pouvoir s'y rendre.

A côté de ces renoncements à la mobilité, on trouve également de nombreuses personnes en situation de précarité contraintes de se déplacer avec des véhicules en mauvais état, et fortement polluants, mais aussi plus consommateurs de carburant et coûteux en entretien, ce qui les pénalise encore davantage.

A cette problématique vient s'ajouter l'impératif de transition énergétique et d'amélioration de qualité de l'air, qui a ou aura pour conséquence d'obliger un certain nombre de nos concitoyens à changer leur véhicule ou à trouver des solutions alternatives de mobilité.

Face à ces enjeux, les réponses des politiques publiques restent à ce jour largement insuffisantes pour garantir aux personnes en situation de précarité un accès à des solutions de mobilités, et a fortiori, de mobilités durables : inadéquation ou insuffisance de l'offre de transports en commun face aux besoins, insuffisance des dispositifs de soutien à l'achat ou à la location de véhicules moins polluants, avec un reste à charge toujours trop important, difficultés d'accès aux mobilités alternatives du fait de problèmes d'infrastructures mais aussi, dans certains cas, de freins socio-culturels.

Si l'objectif de sortie du “tout voiture” doit rester prioritaire, nombreux sont les territoires où l'offre d'alternatives est encore largement insuffisante, ce qui pénalise fortement les publics précaires.

Pour répondre à ces questionnements, des services de location à tarif social à destination des publics précaires sont mis en place par certaines collectivités territoriales volontaires, mais aussi, assez largement sur les territoires, par des acteurs associatifs, tels que les garages ou loueurs solidaires ou des associations de soutien à la mobilité.

Ces acteurs mettent à disposition des publics en situation de précarité, pour des sommes modiques, des véhicules le plus souvent issus de dons, notamment à des fins d'insertion professionnelle et d'accès à l'emploi. Cependant, ces services font face à plusieurs problématiques : d'une part, leur parc de véhicules est trop restreint face à la demande, d'autre part, ce parc est parfois ancien, ce qui peut peser sur leur bilan environnemental.

Or il existe un gisement de véhicules qui pourrait répondre à ce besoin d'élargir et de rajeunir le parc à disposition des acteurs de la mobilité solidaire : dans le cadre du dispositif de prime à la conversion, des dizaines de milliers de véhicules en bon état et avec des niveaux de pollution qui ne sont pas excessifs, sont mis au rebut et détruits, alors qu'ils pourraient être mis à la disposition des acteurs de la mobilité solidaire, avec un impact social et environnemental positif.

La prime à la conversion est en effet versée aux bénéficiaires lors de l'achat d'un véhicule moins polluant si, dans le même temps, un ancien véhicule diesel ou essence est mis à la casse. Mais la mise au rebut de tels véhicules, dont beaucoup sont en parfait état de fonctionnement, n'a pas nécessairement un impact environnemental positif. A l'heure du réemploi, de la seconde vie et de la réduction de l'impact carbone, le prolongement de la durée de vie des véhicules les moins polluants issus de la prime à la conversion a tout son sens et peut améliorer notre bilan carbone si l'on considère le cycle total fabrication-usage-destruction du parc existant, s'il permet aux garages ou loueurs solidaires de rajeunir leur parc, et à des personnes contraintes d'utiliser des voitures datant parfois des années 1990, d'accéder via la location sociale à des véhicules plus propres.

Cette proposition de loi propose donc d'allonger la durée de vie des véhicules les moins polluants destinés à la destruction en application de la prime à la conversion afin de favoriser, via le développement des services de location sociale et solidaire, la mobilité de personnes défavorisées et ne bénéficiant pas d'un accès à la mobilité adapté à leur situation.

Ce dispositif serait rapidement opérationnel : des collectivités volontaires pratiquent déjà la location solidaire de véhicules, de même, le réseau des garages solidaires et des associations de mobilités solidaires, présent sur l'ensemble du territoire est en lien étroit avec les collectivités, et a déjà étudié l'application d'un tel dispositif de réemploi des véhicules issus de la prime à la conversion.

Cet élargissement du parc de véhicules des associations et garages solidaires pourrait également leur permettre de créer des emplois et notamment des emplois d'insertion qualifiant, une partie du réseau s'inscrivant dans ces démarches. De plus, il pourrait leur permettre de développer des projets de rétrofit, et d'apporter des solutions de mobilités décarbonées à des publics en difficulté. A l'heure du déploiement des Zones à Faibles Émissions, tout doit être mis en oeuvre pour donner accès aux publics précaires à des solutions de mobilité plus propres, et lutter contre la fracture sociale et territoriale qui existe face aux enjeux de mobilité durable.

La présente proposition de loi propose donc de créer un cadre propice et incitatif au développement de services de location solidaire de véhicules par les collectivités territoriales et les associations dans une démarche décentralisée basée sur le volontariat pour répondre à un besoin local.

Alors que le code des transports donne aux Autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et aux AOM régionales la compétence pour “organiser des services de mobilité solidaire” et “contribuer au développement de tels services”, cette proposition de loi, sans contraindre les collectivités, vient leur apporter la possibilité de se saisir d'un nouvel outil pour mettre en oeuvre cette compétence.

Son article 1er a été voté par le Sénat en séance publique lors de l'examen de la loi “Climat et Résilience”. La rédaction du dispositif a été légèrement modifiée pour tenir compte des enrichissements proposés lors des débats. Il s'agit donc d'une mesure consensuelle et de bon sens, par ailleurs fortement attendue par les acteurs de terrain.

Ce texte porte donc des mesures environnementales, en limitant l'obsolescence de véhicules en état de fonctionnement destinés à être mis au rebut, mais également profondément sociales, en ce qu'il permettra à celles et ceux qui en ont besoin de bénéficier à coût réduit de véhicules, sans ajouter de charges financières aux collectivités territoriales volontaires.

Cette proposition de loi porte aussi un dispositif rapidement opérationnel et favorable à l'emploi. Elle permettrait donc de générer de nombreux bénéfices socio-économiques et environnementaux pour la collectivité et la société.

L'article 1er propose d'autoriser les AOM et les AOM régionales à réemployer les véhicules éligibles à la prime à la conversion les moins polluants, afin que ces véhicules bénéficient aux personnes socialement défavorisées, dans le cadre de systèmes de location de véhicules à prix modique. Les véhicules ayant fait l'objet d'une prime à la conversion pourraient ainsi être remis par les concessionnaires à la collectivité territoriale volontaire, en lieu et place de leur destruction immédiate prévue par l'article D. 251-4 du code de l'énergie. Les collectivités territoriales pourraient les utiliser pour développer leur propre service de location, ou s'appuyer sur des acteurs associatifs développant des services de location solidaire. La destruction du véhicule serait ainsi repoussée de plusieurs années, avant qu'il ne soit finalement remis à la casse, avec une garantie de traçabilité sur tout son parcours. L'éligibilité au dispositif des véhicules serait déterminée après avis de l'ADEME, et réévaluable périodiquement.

Ce dispositif serait complémentaire de celui du Gouvernement sur le leasing social de véhicules électriques. En effet, il semblerait que ce dispositif proposé par le Gouvernement prévoit une mise en place via des entreprises de location de véhicules. Ces acteurs ne disposent pas, contrairement aux loueurs et garages solidaires ou aux collectivités, d'un savoir-faire sur l'accueil et l'accompagnement de publics particulièrement précaires ou vulnérables. Le dispositif proposé par la proposition de loi, parce qu'il passe par les collectivités territoriales ou les acteurs associatifs, s'appuie sur une connaissance du public et du réseau d'acteurs agissant sur les questions de précarité sur le territoire : il apporte donc un volet social et humain essentiel pour des personnes en difficultés. Les montants proposés pourraient également être plus faibles que ceux envisagés dans le dispositif annoncé par le Gouvernement, les véhicules proposés étant issus du réemploi.

L'article 2 propose, via un rapport, d'étudier et de proposer des mesures visant à permettre le développement du rétrofit au sein des garages solidaires et des associations de mobilité solidaire. Le rétrofit présente en effet un intérêt indéniable et constitue un levier prometteur pour contribuer au verdissement du parc de véhicules des acteurs de la mobilité solidaire. L'utilisation du rétrofit par ces acteurs étant encore en phase de démarrage, un rapport permettrait d'identifier rapidement les mesures pour le développer efficacement.