EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les sénateurs sont des témoins privilégiés de la vie politique locale et en sont même des acteurs. Ils demeurent des élus locaux durant leur mandat national et ont été, pour la plupart, maires durant des années. À ce titre, les sénateurs sont amenés à connaître de situations juridiques locales qui peuvent interroger. En tant que législateur, ils peuvent prendre des initiatives pour les résoudre, et c'est dans cette démarche que s'inscrit la présente proposition de loi en souhaitant améliorer un aspect du droit électoral municipal.

Le droit municipal est une matière élaborée et complexe, de sorte qu'elle met en oeuvre un juste équilibre essentiel pour faire vivre au quotidien une démocratie proche des citoyens. Ce droit s'inscrit dans un régime communal républicain qui remonte, pour l'essentiel, à plus de 100 ans avec la loi du 5 avril 1884 relative à l'organisation municipale. Depuis, ce droit a été directement et indirectement affecté par diverses évolutions normatives, dont certaines ont pu faire émerger des situations qui n'étaient pas envisageables ou qui étaient peu significatives à l'origine et qui doivent aujourd'hui être prises en considération sous un jour nouveau.

La multiplication ces dernières décennies des lois relatives aux incompatibilités, interdisant notamment le cumul de certains mandats avec celui de maire, doit nous amener à appréhender différemment quelques aspects du droit électoral municipal. À présent, plus de maires sont invités à démissionner plus fréquemment de leur mandat d'exécutif local pour cause d'incompatibilité. C'est par exemple le cas lorsque le maire devient parlementaire. Les communes sont ainsi obligées de procéder à son remplacement, nécessitant certains prérequis qu'il convient aujourd'hui de réévaluer.

Suivant l'article L. 270 du code électoral, il est nécessaire de renouveler le Conseil municipal dans les communes de 1 000 habitants et plus, notamment, si l'un de ses sièges est vacant de manière permanente alors que celui-ci est censé procéder à l'élection d'un nouveau maire. Une telle vacance arrive seulement si tous les membres inscrits sur la liste qui a obtenu ledit siège aux élections municipales démissionnent ou occupent déjà un autre siège. Généralement, la municipalité peut se maintenir si le nombre de sièges vacants reste inférieur à un tiers des sièges que compte le conseil. Toutefois, s'il y a lieu de procéder à l'élection du maire, aucun siège ne doit être vacant et il est nécessaire d'organiser de nouvelles élections municipales pour que le conseil soit à nouveau complet.

Or, quelques oppositions politiques mécontentes de leur sort pourraient voir en la disponibilité des fonctions du maire une occasion d'améliorer leur situation au détriment de la bonne gouvernance locale, et pourraient donc faire en sorte que l'intégralité des membres inscrits sur leur liste démissionnent chacun leur tour de leur mandat de conseiller municipal dans le but de rendre vacant de manière permanente au moins l'un des sièges du conseil, et ce, avant l'élection du nouveau maire. Afin de parer à ce détournement de procédure, le Parlement avait adopté en 1988 une disposition dont la teneur tient toujours à l'article L. 2122-9 du code général des collectivités territoriales et qui prévoit que le Conseil municipal est considéré comme complet si la vacance permanente d'au moins un des sièges est le résultat de démissions survenues durant la vacance des fonctions de maire. Le but d'une telle initiative était d'éviter que soit reconnu aux oppositions « un droit de dissolution du Conseil municipal ».

Malgré les précautions introduites à la fin du XXe siècle, un tel risque de détournement de procédure persiste encore aujourd'hui à cause de l'évolution du cadre légal en matière d'incompatibilité. Conformément aux articles LO 151 et LO 297 du code électoral, les parlementaires disposent d'un délai d'option d'un mois pour démissionner de leur mandat de maire après leur élection. Or, ce délai donne de nouveau la possibilité aux oppositions d'abuser des procédures électorales. En laissant aux oppositions le temps de démissionner en masse avant que le maire ne renonce effectivement à son mandat local pour faire cesser sa situation d'incompatibilité, on leur laisse toujours la possibilité de disposer d'un droit de dissolution du Conseil municipal.

L'organisation d'élections municipales partielles susciteraient des perturbations et des difficultés telles, qu'il est à présent nécessaire de faire évoluer la Loi pour continuer à faire respecter l'esprit de l'article L. 2122-9 du code général des collectivités territoriales. Plus généralement, pour le bien de la stabilité politique locale, il ne faudrait pas que la vacance d'au moins un siège du conseil, provoquée pour une quelconque raison, ait pour conséquence l'organisation de nouvelles élections municipales alors qu'il est seulement nécessaire de procéder au remplacement du maire, dont les fonctions sont devenues vacantes pour des raisons d'intérêt général.

L'article unique propose par conséquent de compléter l'article L. 2122-9 du code général des collectivités territoriales de sorte que le Conseil municipal soit réputé complet également lorsqu'il est nécessaire de désigner un nouveau maire après que le dernier ait dû quitter ses fonctions pour incompatibilité ou pour avoir été nommé au Gouvernement. En l'occurrence, nous mentionnons expressément le cas des nominations au Gouvernement, car il n'existe aujourd'hui aucune incompatibilité légale entre les mandats d'exécutifs locaux et les fonctions de membre du Gouvernement. En effet, il est seulement d'usage pour un ministre nouvellement nommé de démissionner de ses fonctions de maire, ou de président de collectivité locale, afin de répondre aux exigences déontologiques que s'imposent presque tous les gouvernements depuis ce qu'on appelle communément « la jurisprudence Jospin » de 1997. Il était donc nécessaire de viser expressément dans le dispositif cette situation fréquente. Bien que les nouveaux nommés au Gouvernement ne disposent pas du fameux droit d'option qui rend encore possible le détournement de procédure que nous cherchons à résoudre ici, l'engouement médiatique qui entoure de telle nomination pourrait porter à la connaissance des oppositions municipales l'intention du nouveau ministre de démissionner de ses fonctions de maire avant qu'il le fasse effectivement, ce qui laisserait donc encore une fois aux oppositions le temps de démissionner pour provoquer le remplacement intégral du Conseil municipal.