EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Conseil constitutionnel a validé la loi dite « anti-squat », en censurant cependant son article 7 dans sa décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023. Cet article permettait d'exonérer les propriétaires de logements squattés de toute obligation d'entretien du bien concerné. Une telle décision des sages a suscité de nombreuses réactions émanant de la classe politique et de la société civile. Même si l'interprétation qui a pu être faite de ladite décision du Conseil constitutionnel était, dans la plupart des cas, erronée, elle demeure néanmoins symptomatique d'un problème de fond.

D'aucuns ont cru y voir la consécration d'un droit reconnu aux squatteurs d'engager la responsabilité du propriétaire qui légitimement refuserait d'assumer financièrement le coût de travaux faisant suite, soit à une dégradation que les squatteurs auraient eux-mêmes causée, soit pour l'amélioration de leur confort. Tout squatteur pourrait ainsi obtenir réparation du propriétaire si le bien qu'il occupe est mal entretenu.

En réalité, le Conseil constitutionnel a considéré que le droit déjà en vigueur devait être maintenu dans la mesure où l'article censuré exonérait de manière trop large et absolue le propriétaire de toutes ses obligations, y compris à l'égard de tiers qui pourraient être affectés par un défaut d'entretien du bien. Ainsi, la rédaction en l'état de l'article 7 en question ne fixait pas un régime de responsabilité assez clair et précis de substitution selon les sages, et portait en conséquence une atteinte trop disproportionnée aux droits reconnus aux victimes potentielles, surtout lorsque ces dernières ne sont pas les squatteurs. En revanche, le Conseil renvoie le soin au législateur, s'il le souhaite, de faire évoluer l'état du droit pour créer un nouveau régime de responsabilité plus étoffé en s'efforçant de poursuivre ce double objectif : celui de mieux protéger les propriétaires tout en ne portant pas atteinte aux droits des victimes de dommage, quelles qu'elles soient.

Toutefois, les vives oppositions à la décision du Conseil constitutionnel sont révélatrices du véritable problème de fond qui concerne les politiques publiques en matière d'occupation illicite de logement. Depuis des années, plusieurs mesures de nature législative ont pu être adoptées pour renforcer les droits des propriétaires. Ainsi, le squat d'un logement est puni par loi, notamment par l'article 226-4 du code pénal depuis 2002. En 2007, une procédure d'évacuation forcée des squatteurs avec le concours des préfets a été créée. En 2020, la loi d'accélération et de simplification de l'action publique est venue renforcer cette procédure. Enfin, la dernière loi du 27 juillet 2023, visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, entend mieux protéger les propriétaires vis-à-vis des squatteurs, d'une part, en accentuant les sanctions en cas d'occupation illicite d'un logement, et d'autre part, en créant un nouveau délit pour sanctionner le fait qu'un locataire en impayé de loyers demeure dans le logement au terme de la procédure d'expulsion. Or, la volonté du législateur de consacrer à l'article 7 de cette loi, une exonération de responsabilité pour les propriétaires, révèle en réalité l'incapacité de l'État de mettre immédiatement un terme à toute occupation illégale d'un logement. Ainsi, à défaut, on se gargarise de limiter les conséquences d'un squat pour les propriétaires. En faisant cela, on ne résout rien, et l'État, comme le Législateur, s'exonèrent finalement de leurs propres responsabilités.

Force est de constater que le cadre légal anti-squat actuel demeure insuffisant et la nouvelle loi n'opère aucune révolution dans ce domaine. Pis encore, on continue d'opposer aux droits des propriétaires, des droits reconnus aux squatteurs qui se fondent principalement sur le droit à la vie privée et familiale, et surtout, sur le droit au logement, consacré aux articles 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. En s'obstinant à vouloir concilier les intérêts légitimes et fondamentaux des propriétaires avec des droits accessoires reconnus aux squatteurs, ayant pour conséquence le ralentissement des procédures d'expulsion, on brouille le message que doit envoyer la puissance publique à la société. Ou encore, en subordonnant les procédures d'expulsion à des délais, en accordant aux squatteurs des garanties ou en leur laissant la possibilité de se prévaloir directement ou indirectement d'obligations qui astreignent normalement les propriétaires, on crée inexorablement un conflit des valeurs. Pourtant, le droit de propriété, consacré à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (DDHC), est sacré et inviolable et n'est donc censé souffrir d'aucune limite sauf de la nécessité publique.

Certaines dispositions du droit en vigueur laissent planer un doute quant à la supériorité inconditionnée des droits des propriétaires sur les droits des squatteurs. Il en est de même de la jurisprudence des juridictions ordinaires. Les procédures d'expulsion sont encore trop longues et trop complexes. Elles font peser sur les propriétaires en détresse la charge des initiatives et des démarches, soumises à des décisions administratives et judiciaires après lesquelles il faut sans cesse courir. Ces procédures prennent plusieurs mois, de surcroît, lorsque le logement n'est pas une résidence principale alors qu'il constitue pourtant une ressource pour son propriétaire. Autant de mois durant lesquels les propriétaires lésés subissent un dommage économique, mais aussi moral, du fait des préoccupations et des inquiétudes que génèrent de telles situations absurdes. Nous devons donc stopper l'inversion des valeurs et rappeler un principe simple : squatter, c'est voler !

Aujourd'hui, le Conseil constitutionnel opère seul et en toute liberté une conciliation entre les différents droits fondamentaux, notamment en ce qui nous concerne, entre le droit de propriété et le droit au logement. Deux droits qui dans les affaires de squat s'opposent et rentrent en contradiction. Le constituant doit donc s'emparer de ce travail de conciliation pour mettre fin aux situations juridiques injustes et incompréhensibles qui naissent de cet état du droit. Par cette initiative constitutionnelle, nous entendons donc permettre au constituant de consacrer le droit de propriété dans la Constitution, et poser sa supériorité sur les droits qui seraient reconnus aux occupants illicites de logement et qui empêcheraient ou contraindraient l'exercice du caractère inviolable et sacré du droit de propriété.

La présente proposition de loi constitutionnelle tend donc à insérer un nouvel article dans la Constitution pour consacrer le droit de propriété tel qu'il est prévu à l'article 17 de la DDHC. Ce nouvel article poserait en son premier alinéa le droit fondamental de la propriété que la République doit en conséquence s'efforcer de garantir. Non seulement il serait un droit fondamental reconnu aux citoyens, mais il serait aussi un droit qui oblige et contraint l'État à le faire respecter par ses propres moyens.

Le deuxième alinéa explicite ce droit de propriété et le limite toutefois à la nécessité publique qui autorise évidemment l'État à procéder unilatéralement à des expropriations dans l'intérêt général.

Le troisième alinéa subordonne, en toutes circonstances, une occupation illégale d'un logement aux droits du propriétaire en obligeant que le bien lui soit restitué par tout moyen, y compris par le recours à la force publique si besoin. Il renvoie le soin au législateur organique de préciser ces dispositions. Ainsi, à travers une loi organique, et le cas échéant sur renvoi à la loi ordinaire, le législateur pourra adopter en application directe et explicite de la Constitution un véritable cadre légal en matière de lutte contre le squat, sans ambiguïté et uniquement dans l'intérêt des propriétaires. La volonté du législateur ne devrait ainsi souffrir d'aucune décision qui limiterait le droit de propriété.