EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi « Sapin II » du 9 décembre 2016 a permis de mieux encadrer les relations entre les responsables publics et les représentants d'intérêts, qui doivent désormais s'inscrire sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Plus de six ans après, l'heure du bilan est venue, au Sénat comme dans le reste de la sphère publique.

C'est le sens du rapport du Comité de déontologie parlementaire du Sénat de décembre 2022 (« Les représentants d'intérêts : renouer avec l'esprit de la loi Sapin II »).

Organe collégial et pluraliste, le Comité a procédé à de larges consultations et entendu l'ensemble des parties prenantes : la HATVP, les associations de représentants d'intérêts, les associations de transparence et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Il en ressort cinq constats.

1° L'activité de représentation d'intérêts (ou lobbying) est pleinement légitime.

Les parlementaires n'ont pas vocation à délibérer en chambre : ils sont à l'écoute de la société civile, dans toute sa diversité, à Paris comme dans les territoires. Au-delà des caricatures, le lobbying permet ainsi de faire « remonter » les avis et l'expertise des parties prenantes, pour éclairer les débats.

2° Cette activité doit être suffisamment encadrée et transparente : les citoyens sont en droit de connaître l'influence des représentants d'intérêts sur la décision publique, aussi appelée « empreinte normative ». La loi « Sapin II » a constitué une avancée majeure en ce sens : ouvert le 1er juillet 2017, le répertoire de la HATVP comprend désormais plus de 2 900 lobbyistes inscrits.

3° L'esprit de la loi « Sapin II » a toutefois été dévoyé par le décret du 9 mai 2017, pris par un Gouvernement sortant, deux jours après le second tour de l'élection présidentielle.

Les « trous dans la raquette » sont nombreux et les règles trop complexes, allant même à l'encontre de la volonté du législateur.

Les représentants d'intérêts sont d'ailleurs placés dans une grande insécurité juridique : au regard des critères arrêtés par le décret, il n'est pas toujours évident de savoir s'ils doivent, ou non, s'inscrire au registre de la HATVP.

4° Le Parlement demeure beaucoup plus transparent que le Gouvernement : le Sénat a adopté un code de conduite du lobbying dès 2009, sept ans avant la loi « Sapin II », dont le Comité de déontologie assure la mise en oeuvre.

De même, la liste des personnes entendues par le Parlement est systématiquement rendue publique. Les séances sont retransmises en direct et le compte rendu des débats est publié au Journal officiel, en application de l'article 33 de la Constitution.

Ces dispositifs n'existent pas pour le Gouvernement : aucun code de conduite des représentants d'intérêts n'a été rédigé, les ministres n'ont pas accès à un déontologue, nous ne connaissons pas la liste des personnes consultées lors de la préparation d'une loi ou d'un décret...

5° Des marges d'amélioration subsistent pour mieux encadrer l'activité des représentants d'intérêts et clarifier les règles applicables.

Les professions concernées sont d'ailleurs ouvertes à la poursuite des réformes entamées par la loi « Sapin II », pour que leur activité soit mieux connue et mieux comprise. L'opacité ne les sert pas, bien au contraire.

Les rapports se sont accumulés en ce sens, sans recueillir le soutien du Gouvernement.

Le Sénat a déjà fait un pas pour mieux encadrer le lobbying : à l'initiative du Président Gérard LARCHER, le Bureau du 5 juillet 2023 a modifié la règlementation interne et revu le code des conduites des représentants d'intérêts, pour le rendre plus clair et plus efficace.

Cette réforme poursuit trois objectifs : approfondir les efforts de transparence, préciser les obligations déontologiques des lobbystes et renforcer les moyens de contrôle de la HATVP et des assemblées.

Le présent texte s'inscrit dans la même logique : transpartisan, il met en oeuvre les propositions législatives du Comité de déontologie.

Il est temps de travailler tous ensemble pour parfaire l'esprit de la loi « Sapin II », au service du débat démocratique et de sa clarté.

Le chapitre Ier complète le répertoire de la HATVP sur trois points : le périmètre des représentants d'intérêts, le contenu des informations et la périodicité des déclarations à la Haute Autorité.

S'agissant du périmètre, les seuils sont aujourd'hui appréciés au niveau individuel : pour avoir l'obligation de s'inscrire sur le répertoire, une même personne doit avoir effectué, de sa propre initiative, 10 actions de lobbying au cours de l'année.

Les voies de contournement sont donc multiples : un cabinet en relations publiques peut avoir 100 salariés réalisant chacun 9 actions de représentation d'intérêts, sans devoir s'inscrire.

De même, une audition devant l'Assemblée nationale ou le Sénat n'est pas comptabilisée dans le répertoire, malgré son influence sur la fabrique de la loi. Elle est en effet organisée à l'initiative du Parlement, non des représentants d'intérêts.

Pour supprimer ces « trous dans la raquette », l'article 1er :

- précise que la qualité de représentant d'intérêts s'apprécie à l'échelle des personnes morales (et non des personnes physiques) ;

- supprime le critère de l'initiative, en prévoyant une obligation de déclaration lorsque les représentants d'intérêts sont à l'initiative des rencontres mais également lorsqu'ils sont invités à s'exprimer par les responsables publics ;

- inclut les organismes ayant une activité accessoire de représentation d'intérêts (et pas uniquement une activité principale ou régulière).

S'agissant du contenu du répertoire, les lobbystes doivent communiquer à la HATVP les données structurelles de leur entreprise (coordonnées, dirigeants, chiffre d'affaires, etc.) et les actions de représentation d'intérêts effectuées au cours de l'année.

Ces informations demeurent toutefois lacunaires : les fiches du répertoire recouvrent plusieurs actions de lobbying et comportent des informations génériques, ce qui ne facilite pas leur exploitation.

C'est pourquoi l'article 2 précise les informations inscrites sur le répertoire, en ajoutant :

- la décision concernée par l'action de représentation d'intérêts (exemple : « loi Sapin II »), et pas seulement le type de décisions (« loi ») ;

- l'objectif de cette action (exemple : « renforcer la transparence de l'action publique »), et pas seulement son objet (« action publique »).

S'agissant de la périodicité des déclarations, les représentants d'intérêts communiquent leurs informations chaque année, dans un délai de 3 mois à compter de la clôture de leur exercice comptable.

En pratique, ces données sont donc disponibles au mois de mars de l'année N + 1.

Ce délai semble toutefois trop long pour appréhender l'influence des représentants d'intérêts sur la décision publique : à titre d'exemple, une action de lobbying réalisée en janvier 2023 n'apparaîtra sur le registre de la HATVP qu'en mars 2024.

L'article 2 propose donc que les actions de représentation d'intérêts soient publiées plus rapidement, au moins tous les six mois. Seules les données structurelles de l'entreprise resteraient soumises à une déclaration annuelle.

Le chapitre II renforce les moyens de contrôle de la HATVP.

En l'état du droit, la HATVP peut saisir le Parquet lorsqu'elle constate que les lobbystes :

- n'ont pas communiqué les informations qui doivent figurer sur le répertoire ;

- n'ont pas respecté leurs obligations déontologiques, malgré une première mise en demeure de la Haute Autorité.

Les lobbyistes sont alors passibles de sanctions pénales, qui peuvent aller jusqu'à un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.

En pratique, les sanctions pénales paraissent toutefois peu opérationnelles et même inadaptées aux manquements des représentants d'intérêts. Aucune sanction n'a d'ailleurs été prononcée depuis l'entrée en vigueur de la loi « Sapin II » du 9 décembre 2016, les procédures pouvant durer plusieurs années.

Comme l'a souligné la HATVP dans son rapport d'activité 2021, « le caractère sériel [des] manquements [des représentants d'intérêts] tend à engorger la justice pénale, alors même que l'objectivité et la nature des faits, aisément constatables et de faible intensité, plaident pour une sanction administrative plus simple, plus souple et plus rapide, que la Haute Autorité pourrait elle-même prononcer ».

L'article 3 propose donc de substituer aux sanctions pénales des sanctions administratives. Ces dernières seraient directement prononcées par la HATVP, avec une possibilité de recours devant le juge administratif.

Les sanctions administratives respecteraient l'ensemble des exigences constitutionnelles, à savoir :

- le principe de proportionnalité.

Elles seraient proportionnées à la gravité des manquements constatés ainsi qu'à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée. La HATVP pourrait les rendre publiques.

Leur montant ne pourrait pas excéder 15 000 euros par manquement pour une personne physique et 2 % du chiffre d'affaires annuel mondial total de l'exercice précédent pour une personne morale ;

- l'impartialité des procédures.

Une commission des sanctions serait créée au sein de la HATVP pour séparer l'instruction (assurée par le collège de la Haute Autorité), d'une part, et le prononcé des sanctions administratives, d'autre part (article 4).

- le principe du contradictoire.

Aucune amende ou sanction administrative ne pourrait être prononcée sans que l'intéressé ou son représentant ait été entendu ou, à défaut, dûment appelé à s'exprimer.

Le chapitre III assure l'application outre-mer de la proposition de loi, qui concernera tout le territoire de la République (article 5).