EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Afin d'affronter les défis écologiques du XXIème siècle, les citoyens sont dépendants de la communication d'informations fiables sur l'état d'avancement des crises en cours, et les moyens à leur disposition ou en cours de développement nécessaires pour prendre les décisions collectives qui leur incombent. Comme le souligne le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) : « Les médias peuvent avoir un impact significatif pour faire progresser la conscience climatique et la légitimité des actions engagées. Ils cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique, ils ont un rôle crucial dans la perception qu'en a le public, sa compréhension et sa volonté d'agir. »

La fragilisation budgétaire des chaînes de l'audiovisuel public, l'ingérence éditoriale des pouvoirs publics et des actionnaires, la concentration médiatique et la marginalisation de l'information journalistique dans le flot des commentaires quotidiens et anonymes des réseaux sociaux y font obstacle, alors même que les crises écologiques se multiplient et s'amplifient.

La Commission européenne a récemment présenté un projet de règlement pour la liberté des médias, observant une multiplication des ingérences, une « allocation opaque et déséquilibrée des ressources économiques », et l'intensification des concentrations se situant désormais « à un niveau de risque très élevé sur l'ensemble du continent ». L'Observatoire européen du pluralisme des médias1(*) constate également que les « modèles d'entreprise et nouvelles pratiques commerciales [...] brouillent souvent la frontière entre l'information et la publicité, ou dépendent davantage de l'aide publique et des subventions gouvernementales

En conséquence, et selon les données disponibles, l'information environnementale accessible aux citoyens, bien qu'en progression, serait encore insuffisante. Comme l'explique l'association Quota Climat, qui milite pour l'établissement d'objectifs chiffrés de programmes réservés à l'actualité environnementale, « seulement 3,6% des contenus médiatiques pendant la campagne électorale présidentielle de 2022 portaient sur les questions climatiques2(*). À titre de comparaison, le Covid-19 a occupé jusqu'à 74,9% du temps d'antenne3(*). De même, dans le secteur audiovisuel, seuls 0,8% des reportages ont été consacrés aux enjeux écologiques depuis 20134(*). Bien que le traitement médiatique de l'écologie ait triplé depuis les années 19905(*), cette proportion apparaît encore insuffisante au regard des faits et enjeux liés au dérèglement climatique, à l'effondrement vertigineux de la biodiversité et à la crise des ressources déjà à l'oeuvre. »

On observe cependant une prise de conscience de cette responsabilité chez les journalistes. En septembre 2022, Radio France a annoncé « Le Tournant » écologique engageant à la fois la formation des journalistes, la transformation des contenus éditoriaux et publicitaires et l'amélioration de la performance écologique interne. Le 14 septembre 2022, un collectif de journalistes a publié une Charte pour un journalisme à la hauteur de l'urgence écologique, composée de 13 engagements. La charte a été signée par plus de 1 500 journalistes et 120 rédactions, attestant du souhait de la profession d'améliorer ses pratiques en matière d'écologie.

Il convient donc d'accompagner la transformation de notre paysage médiatique, en adaptant la loi n° 86 1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication aux nouvelles exigences constitutionnelles établies par la Charte de l'environnement qui lui est postérieure, et en restaurant la place des informations fiables dans la masse d'informations échangées quotidiennement sur internet, tout en garantissant l'indépendance des journalistes en charge de les produire.

Le titre 1, composé d'un article unique, vise à mieux concilier la liberté de communication et la protection de l'environnement.

L'article 1 vise à instaurer une nouvelle limitation à la liberté de communication, égale à l'existence de contraintes techniques : l'existence d'une contrainte environnementale qui justifierait par exemple de renoncer à une technologie polluante. Une récente étude du Conseil d'État souligne ainsi le coût environnemental de l'utilisation des réseaux sociaux, qu'il convient d'intégrer au modèle de régulation6(*). L'objectif de lutte contre l' « obsolescence culturelle » des terminaux figure également dans le dernier Baromètre du numérique de l'ARCEP7(*).

Dans un paysage médiatique où la gratuité apparente de l'information et des programmes est compensée par un renforcement de la publicité et des partenariats, l'existence de services audiovisuels indépendants financés par une taxation affectée est le seul gage d'une égalité d'accès à de l'information fiable. C'est pourquoi il est proposé d'en renforcer l'indépendance et la spécificité.

Le titre 2 est donc composé de quatre articles.

L'article 2 renforce les obligations de l'audiovisuel public en matière d'information environnementale, notamment de l'information concernant les avancées scientifiques techniques et juridiques pour la protection de l'environnement afin d'offrir des perspectives d'action aux citoyens.

L'article 3 modifie les dispositions relatives aux contrats d'objectifs et de moyens (COM) afin, d'une part, d'étendre leur durée à 6 ans au lieu de 3 à 5 actuellement, afin de renforcer la pérennité des moyens alloués aux sociétés audiovisuelles publiques, et d'en déconnecter le calendrier du calendrier des élections présidentielles et législatives, pour renforcer leur indépendance. Cela vise également à garantir leur bonne exécution en prévoyant la nullité d'un avenant au COM portant réduction des ressources publiques.

L'article 4 vise à instituer au sein de chaque société audiovisuelle publique un « conseil des auditeurs » en charge du contrôle de l'application des COM et de la vérification de l'exécution des missions de service public.

L'article 5 vise à supprimer la publicité et les parrainages pour l'audiovisuel public, afin d'en garantir l'indépendance, en coordination avec la proposition faite dans la proposition de loi organique déposée conjointement d'inscrire dans la LOLF l'existence d'un compte d'affectation spéciale pour en garantir l'autonomie budgétaire et celle à l'article 7 de la présente proposition de loi. Cette proposition avait été formulée par la commission d'enquête sénatoriale sur la concentration des médias.

Le titre 3 a vocation à lutter contre les conflits d'intérêt et la concentration des médias.

L'article 6 de la proposition de loi vise à faire figurer dans la loi 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique une obligation de déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale pour les dirigeants d'entreprise de presse et de médias, les actionnaires, mais également les producteurs de programmes, les chroniqueurs, et les influenceurs les plus importants.

L'article 7 de la proposition de loi vise à conditionne les aides à la presse et l'attribution des fréquences audiovisuelles à la mesure suivante : l'actionnaire confère aux journalistes un droit de veto sur le choix du directeur ou de la directrice de la rédaction.

L'article 8 de la proposition de loi prévoit la réécriture de l'article 2 bis de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », afin de garantir que les chartes déontologiques restent des outils juridiques au service des journalistes composant la rédaction, et ne puissent pas être utilisées contre eux par leur entreprise de presse. Le directeur de publication doit continuer de jouer son rôle de bouclier judiciaire pour les journalistes de la rédaction.

L'article 9 prévoit un dispositif fiscal d'émission de bons pour l'indépendance des médias, suite au constat d'inefficacité des aides à la presse, bénéficiant essentiellement aux grands groupes.

Enfin, le titre 4 vise à renforcer les exigences en matière de protection de l'environnement et de lutte contre la désinformation.

L'article 10 vise à reformer les contrats climats qui ont fait la preuve de leur inefficacité, en complétant et réécrivant l'article 14 de la loi n° 86 1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, afin, d'une part, de prévoir la mise en place de contrats climats pour les impacts négatifs directs des communications commerciales sur l'environnement (composition des terminaux en terres rares, stockages des données dans des data-centers, alimentation électrique des terminaux...), et de renforcer les dispositions relatives aux impacts négatifs indirects de la publicité pour des biens et services polluants, en prévoyant notamment que la minoration de ces effets est interdite.

Parce que l'actualité environnementale en fait souvent l'objet, la lutte contre la désinformation et la sous information doit être renforcée. Pour cela, il faut tirer les leçons de l'application de la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Il faut sortir d'une opposition entre « vraie » ou « fausse » information, qui entretient les théories complotistes, en y substituant une nouvelle classification : information diffusée par un journaliste professionnel, information diffusée par un utilisateur en son nom propre, information diffusée par un utilisateur sous pseudonyme ou anonymat, en faisant le pari que la majorité des citoyens apporteront une attention différenciée selon l'émetteur du message.

L'article 11 vise donc à modifier la loi de 2018 de lutte contre les fausses informations en ce sens, afin de rendre obligatoire, pour les opérateurs de réseaux sociaux de publier leurs algorithmes d'établir une différence de traitement algorithmique des contenus publies en fonction de leur niveau de certification (promotion des contenus journalistique, marginalisation des contenus publies sous pseudonymes ou anonymat) et de supprimer les comptes dont les contenus sont systématiquement signalés. L'article 9 vise également à interdire le recours aux réseaux sociaux à des fins de déstabilisation politique, en interdisant explicitement les contrats d'influence à caractère politique, par analogie avec l'interdiction faite à l'article 14 de publicité politique.

L'article 12 en coordination avec l'article 9, instaure une nouvelle mission de l'ARCOM de certification des comptes de journalistes et entreprises de presse.

* 1 https://cmpf.eui.eu/mpm2022-results/

* 2 Lacroux Margaux et Clair Alice, Présidentielle: le climat n'a occupé que 3,6% du temps médiatique ces deux derniers mois, Libération, 8 avril 2022

* 3 Bayet Anne et Hervé Nicolas, Information à la télé et coronavirus : l'INA a mesuré le temps d'antenne
historique consacré au Covid-19, INA (coll. « La Revue des Médias »),
http://larevuedesmedias.ina.fr/etude-coronavirus-covid19-temps-antenne-information , 24 mars 2020

* 4 https://reporterre.net/Climat-pour-faire-changer-les-choses-des-citoyens-secouent-les-JT

* 5 http://larevuedesmedias.ina.fr/environnement-jt-information-television-energie-climat-pollution-biodiversite

* 6 https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/etudes/reseaux-sociaux-placer-l-utilisateur-au-centre

* 7 https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-barometre-numerique-edition-2022-Rapport.pdf