EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi fait suite au travail de Christophe Baulinet, Médiateur de Bercy, qui propose dans son dernier rapport « 2002 - 2022 : Vingt ans de médiation, une mission qui continue de se développer... » de « recalibrer l'exonération de l'article 779 du CGI [code général des impôts], qui est soumis à une condition peu réaliste surtout pour les handicaps évolutifs ».

Il convient de rappeler que le II de l'article 779 du CGI fait bénéficier tout héritier, donataire ou légataire d'un abattement de 159 325 euros sur les droits de mutation à titre gratuit lorsqu'il n'est pas capable de travailler dans des conditions normales de rentabilité en raison d'une infirmité physique ou mentale, congénitale ou acquise.

Le Médiateur constate que l'application de ce dispositif soulève des difficultés dans les services chargés de le mettre en oeuvre et il déplore que son application ne soit pas toujours uniforme. Il s'inquiète en outre de la situation des personnes souffrant d'un handicap évolutif, qui peuvent ne pas remplir la condition prévue par le CGI au moment de l'héritage, du don ou du legs, mais qui peuvent, quelques années plus tard, se trouver dans l'incapacité de travailler ; il estime qu'il ne serait pas illégitime que ces personnes puissent se constituer un pécule.

Dans son rapport annuel de 2016, le Médiateur préconisait une amélioration du dispositif afin que les critères pour bénéficier de cet abattement soient clarifiés et simplifiés. Il suggérait ainsi que « la loi précise que la reconnaissance du statut de travailleur handicapé et un certain taux d'invalidité permettent aux intéressés de bénéficier de cet abattement ». Cependant, le Médiateur n'avait pas précisé quel taux d'invalidité lui paraîtrait pertinent.

Comme l'indique le rapport du Médiateur publié en 2022, cette préconisation n'a pas convaincu l'administration fiscale, qui a mis en avant plusieurs arguments, qui ne sont pas sans fondement :

« Le dispositif fait déjà l'objet d'un encadrement destiné à en rationaliser et en simplifier l'application.

Outre les précisions apportées par la doctrine administrative (BOI-ENR-DMTG-10-50-20 § 130 et suivants), il convient de signaler que l'article 294 de l'annexe II au CGI reconnaît le bénéfice de l'abattement à toute personne justifiant d'une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) la classant dans la catégorie correspondant aux handicaps graves ou la déclarant relever soit d'une entreprise adaptée définie à l'article L. 5213-13 du code du travail, soit d'un établissement ou service d'aide par le travail défini à l'article L. 344-2 du code de l'action sociale et des familles.

Il ressort des débats sur l'instauration de la mesure que la volonté du législateur était de limiter le bénéfice de l'abattement aux infirmes les plus sévèrement atteints afin notamment de compenser pour eux la perte des personnes dont ils étaient dépendants. Il ne s'agissait pas de couvrir l'ensemble des travailleurs handicapés mais simplement ceux qui, au moment de la donation ou du legs, sont victimes d'une difficulté particulière à subvenir à leurs besoins.

L'abattement majoré du II de l'article 779 du CGI constitue donc une compensation pour des personnes handicapées éprouvant des difficultés réelles et objectives à exercer une activité normalement rémunératrice.

À cet égard, même limitée aux personnes ayant obtenu le statut de travailleur handicapé, l'ouverture proposée couvrirait des cas où l'impact du handicap sur la profitabilité de l'activité est marginal voire nul. Ce statut acte en effet l'existence d'un handicap affectant l'exercice de la profession, par exemple en imposant un aménagement du poste de travail, mais pas nécessairement une baisse effective de la rémunération ou des perspectives professionnelles significativement amoindries.

Le recours à un taux de handicap minimal n'est pas de nature à régler de manière satisfaisante cette question puisque, d'une part, il ne permet pas de présumer un impact sur la rentabilité de l'activité exercée et que, d'autre part, il aura pour effet d'exclure du dispositif des personnes actuellement susceptibles d'en bénéficier mais qui n'atteindront pas le taux minimal de handicap requis.

En définitive, si ces éléments sont susceptibles de constituer des indices d'éligibilité au dispositif, ils ne sauraient suffire au regard de l'intention initialement recherchée par le législateur ».

En résumé, l'administration n'a pas donné suite à la proposition du Médiateur pour trois raisons principales :

- d'abord, le critère proposé (reconnaissance du statut de travailleur handicapé combiné à un certain taux d'incapacité) est déjà pris en compte dans la partie règlementaire du CGI, puisque toute personne qui invoque son infirmité pour bénéficier de l'abattement peut justifier de son état en invoquant une décision de la CDAPH reconnaissant un handicap grave ; in fine, la modification proposée par le Médiateur aurait seulement pour conséquence d'entraîner l'application automatique de l'abattement, alors que ce critère est aujourd'hui un élément d'appréciation parmi d'autres ;

- ensuite, le critère proposé pourrait conduire à accorder l'abattement à des personnes handicapées qui exercent leur activité professionnelle dans des conditions normales de rentabilité, malgré leur handicap ;

- enfin, l'administration semble attachée à la souplesse que permet la rédaction actuelle, même si cette souplesse suscite parfois des interrogations et des hésitations au sein de ses services ; édicter un critère plus précis, et donc plus restrictif, pourrait avoir pour effet de priver de l'abattement des personnes qui en bénéficient aujourd'hui.

Afin de répondre à l'objection développée par l'administration fiscale, qui s'inquiète des effets de bord que pourrait entraîner l'application d'un critère trop précis, cette proposition de loi envisage que le critère suggéré par le Médiateur de Bercy ne soit pas exclusif de la prise en compte d'autres éléments.

Le taux d'incapacité pourrait être fixé à 80 %, ce qui correspond au seuil de déclenchement de l'allocation adulte handicapé (AAH).

Dans ces conditions, la proposition de loi, par un article unique, étend le bénéfice de l'abattement prévu au II de l'article 779 du CGI à l'héritier, au légataire ou au donataire reconnu travailleur handicapé et présentant un taux d'incapacité permanente égal ou supérieur à 80 %.