EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La politique d'accueil des gens du voyage a fait l'objet de nombreuses interventions législatives depuis sa création par la loi « Besson ». Elles se rapportent pour l'essentiel, alternativement, à la lutte contre le stationnement illicite des gens du voyage ou au renforcement des moyens d'accueil des gens du voyage.

Les insuffisances du droit applicable ont, en particulier, déjà fait l'objet d'une proposition de loi « visant à consolider les outils des collectivités permettant d'assurer un meilleur accueil des gens du voyage », à l'initiative de M. Patrick CHAIZE, Mme Sylviane NOËL, M. Alain CHATILLON et d'autres collègues, adoptée en première lecture au Sénat mais en attente d'inscription à l'ordre du jour par l'Assemblée nationale depuis le 13 janvier 2021.

L'ensemble de ces dispositions a pour objectif d'assurer, voire de concilier, les exigences de la liberté constitutionnelle d'aller et venir avec celles de l'ordre public local. Elles n'ont donc pas précisément articulé l'impact de l'accueil des gens du voyage sur les services publics et les finances publiques locales.

Or, les communes de France ne peuvent ni ne doivent continuer à assumer, sans contribution ni contrepartie, les charges financières générées par la seule présence de gens du voyage sur leur territoire, qu'elle soit licite ou non.

En l'état actuel du droit en vigueur, toutes les communes doivent effectivement permettre à ces derniers une halte de 48 heures (pour celles de moins de 5 000 habitants, ce qui est un minimum pour celles de plus de 5 000 habitants). Elles doivent notamment à cet égard leur permettre un accès aux « fluides » (CE 1/4 SSR, 2 déc. 1983, no 13205) et assurer la collecte de leurs ordures ménagères. Cette obligation est d'autant plus impérieuse qu'elle concerne également les résidences mobiles terrestres en stationnement irrégulier.

Pourtant, les conditions matérielles et financières de ce stationnement n'ont jamais fait l'objet d'un régime juridique clairement applicable, en particulier dans les communes de moins de 5 000 habitants ainsi que dans le cas d'un stationnement prolongé, dès lors mué en une installation illicite sur le territoire communal.

Cette absence de régime juridique et fiscal applicable au stationnement des gens du voyage ne cesse d'interroger à la fois les habitants des communes concernées, mais aussi l'ensemble des concitoyens français au regard du principe d'égalité devant l'impôt (DDHC, art. 13). Il faut rappeler à cet égard que la taxe annuelle sur les résidences mobiles terrestres, créée par la loi no 2010-1658 du 29 décembre 2010 (art. 35), a été abrogée par la loi no 2018-1317 du 28 décembre 2018 (art. 26). Il en résulte qu'en dehors des conventions relatives à l'accueil des gens du voyages dans les aires de stationnement ou de passage, l'obligation générale d'accueil dans les communes dont ces derniers bénéficient n'est conditionnée à aucune contribution ni contrepartie.

Certes, le raccordement au réseau d'eau peut être sollicité par les gens du voyage auprès du service public d'eau potable sous réserve de souscrire à un abonnement et de permettre le relevé de leur consommation sur un compteur individuel. Néanmoins, le paiement effectif de ces montants peine souvent à être obtenu par les services publics et les collectivités, qui sont contraintes de se tourner vers des amendes administratives en raison de la dégradation des compteurs individuels ou des raccordements non autorisés aux équipements publics de secours (bornes à incendie).

Certes, le raccordement provisoire au réseau d'électricité peut être demandé de plein droit par les gens du voyage, sans autorisation ni opposition possible du maire pour stationnement irrégulier (CE avis no 266478 du 7 juill. 2004), sous réserve de souscrire à une convention avec le fournisseur d'énergie et d'en payer la consommation. Néanmoins, le paiement effectif de ces montants peine souvent à être obtenu par les fournisseurs et les collectivités, qui sont contraintes de se tourner vers des amendes administratives en raison de raccordements non autorisés au réseau d'électricité.

Certes, la collectivité peut procéder au ramassage des ordures ménagères et facturer au pétitionnaire le coût de ce service jusqu'à son départ, ou mettre à disposition une benne faisant l'objet d'une redevance spéciale pour le service rendu. Néanmoins, le paiement effectif de ces montants peine souvent à être obtenu par les collectivités, qui sont contraintes de se tourner vers la délivrance d'amendes administratives au résultat lui aussi incertain.

Certes, la collectivité peut mettre à disposition une zone d'évacuation des eaux usées aménagée spécialement à cet effet. Néanmoins, le stationnement des gens du voyage à distance de ces installations ainsi que les rejets en milieu naturel contraignent souvent les collectivités à se tourner vers la délivrance d'amendes si tant est qu'elles soient possibles.

Or, l'obligation générale d'accueil des gens du voyage ne doit-elle pas avoir pour corolaire une protection générale des services publics municipaux et des finances publiques municipales ? Le législateur doit-il se satisfaire d'une répression administrative souvent impuissante, au lieu de prévoir un régime juridique et fiscal clairement applicable au stationnement des gens du voyage partout où il en a garanti l'effectivité ?

La présente proposition de loi a donc pour objectif d'apporter à toute commune de stationnement des gens du voyage, et en particulier aux municipalités de moins de 5 000 habitants, de nouvelles garanties quant aux conditions d'accueil des gens du voyage.

Le premier titre propose, par l'ensemble de ses dispositions, une clarification des conditions d'accueil des gens du voyage en dehors des aires de stationnement ainsi que de nouvelles mesures de soutien des communes.

L'article 1er propose d'apporter plusieurs évolutions aux dispositions de la loi no 2000-614 du 5 juillet 2000, dans sa rédaction issue de la loi no 2017-86 du 27 janvier 2017 (modif. art. 150).

L'alinéa a) propose que la mise en demeure de quitter les lieux prononcée par le préfet, en cas d'occupation illicite d'un terrain, soit assortie d'une vérification préalable du taux d'occupation des aires de stationnement les plus proches afin que les résidences mobiles concernées puissent y être accueillies si elles s'y déplacent. En effet, si les capacités d'accueil des aires de stationnement font d'ores et déjà l'objet d'une attention préfectorale dans les faits, le droit en vigueur n'en prévoit aucune vérification préalable à la mise en demeure de quitter un terrain ou l'éventuelle évacuation forcée des terrains occupés de manière illicite. Le présent alinéa a donc pour objectif d'introduire les garanties procédurales renforçant l'effectivité de l'accueil des gens du voyage dans les aires de stationnement existantes, y compris dans le cadre des procédures administratives de lutte contre le stationnement illicite.

L'alinéa b) propose de permettre explicitement la procédure d'évacuation forcée en cas de destructions, de dégradations ou de détériorations de biens publics ou de vol d'énergie accomplis par les occupants. Il faut souligner que la répression pénale de ces mêmes faits constituant une sanction de nature différente (prévue aux articles L. 322-3 8° et L. 311-2 du Code pénal), elle n'est pas susceptible de faire obstacle à une mesure administrative telle que l'évacuation forcée, ou de conditionner cette dernière à une condamnation pénale préalable. En effet, les destructions, dégradations ou détériorations de biens publics, ainsi que les vols d'énergie, ne génèrent pas seulement des coûts élevés à la charge des collectivités. Il s'y ajoute souvent une aggravation et une multiplication des actes illicites ainsi qu'un sentiment d'impunité chez leurs auteurs et d'injustice chez tous les membres de la collectivité concernée. Le présent alinéa a donc pour objectif de permettre l'intervention des autorités administratives avec une célérité et une efficacité proportionnée aux situations locales rencontrées.

Les alinéas c) et d) proposent de placer le préfet en situation de compétence liée et non de pouvoir discrétionnaire quant à l'évacuation forcée des résidences mobiles terrestres, en cas de non-respect de la mise en demeure de quitter les lieux ainsi qu'en cas de stationnement sur le territoire de communes non inscrites au schéma départemental. Cet alinéa a donc pour finalité de rendre effectif le soutien de l'État envers les municipalités, trop souvent confrontées à l'insuffisance de leurs propres moyens et à l'inaction de l'État.

L'article 2 propose de clarifier les conditions de raccordement des gens du voyage aux réseaux d'énergie en les fixant à l'article L. 111-12 al. 2 du Code de l'urbanisme. En complément de l'alinéa 1er préexistant, relatif au raccordement définitif des constructions - même ne comportant pas de fondations -, cet alinéa clarifie les conditions de raccordement provisoire aux réseaux. Il demeure impossible de soumettre formellement un tel raccordement à une autorisation administrative préalable, ainsi que de mettre un terme unilatéral à un raccordement fût-il illicite. Cependant, le présent alinéa prévoit l'obligation pour le fournisseur d'informer le maire de la commune territorialement concernée d'une demande de raccordement provisoire, afin qu'il lui soit délivré un avis précisant le motif et la durée maximale du raccordement. En cas de dépassement, une amende administrative forfaitaire peut être prononcée par le maire et assortie d'une astreinte journalière. Cet alinéa a donc pour objectif de rendre effective l'interdiction de raccordement définitif des constructions, bâtiments et installations, ainsi que de sécuriser le cadre légal du raccordement provisoire. Pour ces raisons, les dispositions proposées différencient entre les installations destinées à un usage d'habitation, soumise à une durée de raccordement fixe non renouvelable, et toute autre installation (notamment les chantiers, bureaux provisoires) dont la durée de raccordement peut être renouvelée.

L'article 3 propose deux mesures destinées à prendre en considération le stationnement des résidences mobiles terrestres dans le calcul du revenu de solidarité active (RSA).

En premier lieu, le I de l'article 3 propose que la mise à disposition gracieuse de terrains, fut-elle effectuée sans autorisation préalable, soit prise en considération de manière forfaitaire pour le calcul des revenus susceptibles d'ouvrir droit au bénéfice du RSA.

En second lieu, le II de l'article propose, de manière complémentaire, une majoration de 100 % du forfait en cas d'occupation illicite du terrain.

L'article 4 propose, dans un article unique, de consacrer à cette nouvelle taxe une sous-section 5, dans la section 6 du chapitre III du titre III du livre III de la deuxième partie du Code général des collectivités territoriales.

Le premier paragraphe contient des dispositions générales relatives à cette taxe. Comme d'autres taxes locales et à l'instar de la taxe de séjour, dont les résidences mobiles terrestres sont exemptées, sa création et son montant sont conditionnés à une délibération du conseil municipal et son produit affecté à l'amélioration des infrastructures municipales et des services publics municipaux. Il en résulte que cette taxe demeure sous initiative et sous contrôle de la commune, tandis que les gens du voyage bénéficieront effectivement de son produit lors de leur accueil.

Le deuxième paragraphe contient des dispositions relatives à l'assiette et au tarif de cette taxe. Sa caractéristique principale consiste dans son réalisme : d'une part, son champ d'application comprend tout stationnement de résidence mobile terrestre, qu'il soit licite ou non ; d'autre part, sa nature journalière assure une stricte proportionnalité par rapport au stationnement effectif sur le territoire de la commune.

Sa caractéristique secondaire consiste dans les effets incitatifs de son mode de calcul : d'une part, son montant de base - fût-il sujet à délibération municipale - s'avère encadré par analogie aux montants de la taxe de séjour et sur le modèle des montants pratiqués dans les aires d'accueil des gens du voyage ; d'autre part, son montant final peut faire l'objet d'une majoration dans trois cas afin d'inciter les stationnaires à accepter un raccordement régulier aux réseaux d'eau et d'électricité (a), à utiliser les voies régulières de collecte des ordures ménagères et d'évacuation des eaux usées (b), ainsi qu'à se rendre dans les aires d'accueil aménagées disposant de capacités d'accueil suffisantes (c). Cette taxe fera, enfin, l'objet d'un avis de paiement dont les mentions obligatoires sont fixées par la loi.

Il faut souligner, en premier lieu, que cette taxe correspond à « taxe particulière aux stations », qui n'a ni pour objectif ni pour effet d'être « dissuasive » ou d'avoir un montant susceptible de constituer une entrave à l'obligation d'accueil bénéficiant aux gens du voyage. Son mode de calcul doit, en revanche, faire l'objet d'une appréciation in concreto des circonstances de l'espèce afin de pouvoir générer des effets « incitatifs » sur les stationnaires. Cette incitation est motivée par la recherche d'une meilleure répartition des coûts liés à l'accueil des gens du voyage, qui ne sauraient reposer sur les communes les plus fragiles, notamment de moins de 5 000 habitants et surtout celles ayant satisfait aux obligations d'aménagement d'aires d'accueil.

Il faut souligner, en second lieu, que les difficultés rencontrées par les tentatives antérieures de taxation des résidences terrestres mobiles (ayant notamment motivé la suppression d'une taxe annuelle) sont ici évitées. Il ne s'agit pas d'une taxe à faible rendement pour le budget de l'État mais au contraire d'un produit destiné au budget des collectivités. Il ne s'agit pas d'une taxe visant l'habitation d'une résidence mais bien le stationnement sur le territoire municipal. Enfin, les difficultés liées à l'identification du redevable sont surmontées grâce aux pouvoirs dont dispose le maire en sa qualité d'officier de police judiciaire. En tant que tel, le Code de procédure pénale (art. 16, al. 1er) et le Code général des collectivités territoriales (art. L. 2122-31) fondent sa faculté de solliciter la communication des informations du fichier « système d'immatriculation des véhicules » (SIV) lorsqu'elles sont indispensables à la constatation d'une infraction. C'est notamment en cas de refus ou d'impossibilité de justifier l'identité du propriétaire du véhicule à usage d'habitation concerné. Les conditions d'accès à ce fichier étant toutefois fixées par décret, il reviendra au pouvoir réglementaire d'inscrire explicitement, à l'article R. 330-2, I, 1° du Code de la route, la faculté pour le maire de recevoir à sa demande les informations utiles « par l'intermédiaire des services de la police ou de la gendarmerie nationales territorialement compétents ».

Le troisième et dernier paragraphe contient des dispositions relatives au paiement, au recouvrement et au contentieux de cette taxe. De manière classique, son paiement est destiné au comptable public de la commune tandis que son recouvrement et son contentieux suivent les conditions identiques à ceux des droits d'enregistrement, taxe de publicité foncière, droits de timbre, contributions indirectes et taxes assimilées à ces droits ou contributions. Toutefois, afin de pallier les difficultés de recouvrement des sommes dues aux comptables publics des communes, la création d'un fonds de compensation est destinée à permettre la compensation par l'État des taxes journalières de stationnement non recouvrées à l'issue du séjour.