EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le territoire national compte approximativement 120 000 étangs. Derrière un vocable apparemment unifié, les étangs piscicoles recouvrent des situations diverses, allant des pisciculteurs professionnels tirant l'essentiel de leur revenu de cette activité aux pisciculteurs patrimoniaux pour qui il s'agit d'une source de revenu secondaire. On estime qu'environ 50 000 pisciculteurs pratiquent la pisciculture extensive en étangs. Le développement de l'aquaculture est une priorité politique européenne, déclinée par le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (FEAMPA 2021-2027). Il s'agit également d'un objectif soutenu par la FAO (Food and Agriculture Organization).

Malgré ce fort potentiel et un cadre européen favorable, la production de poissons d'eau douce en provenance d'étangs a cependant régressé en France, de quasiment 60 % en 10 ans, pour atteindre le niveau inquiétant de seulement 3 600 tonnes en 2019. Cette régression s'inscrit dans le contexte global dégradé des produits issus de la pêche et de l'aquaculture, avec une balance commerciale française en 2020 qui présente un déficit de 4,11 milliards d'euros1(*), en constante augmentation.

La France se situe loin derrière ses homologues européens en matière de production de poissons d'étang, situation d'autant plus dommageable qu'elle bénéficie du tout premier potentiel à l'échelle continentale. Les étangs piscicoles représentent pourtant un gisement alimentaire non négligeable, contribuant à la souveraineté alimentaire nationale, à la relocalisation des productions dans un cadre sociétal propice au développement des circuits courts et de produits à forte identité locale. De plus, ils fournissent de très nombreux lieux de pêche de loisir, dont une forte proportion est gérée par des communes rurales. Ces caractéristiques confèrent aux étangs piscicoles un rôle structurant en matière d'aménagement du territoire, notamment au sein de zones de déprise agricole. Enfin, les étangs sont porteurs de plus-values environnementales, objet d'études scientifiques probantes souvent ignorées. Les étangs fournissent des protéines animales économes en intrants et à faibles émission de gaz à effet de serre. Les travaux de recherche de 2020 effectués par Annette Janssen et ses collègues, ont ainsi identifié 39 services écosystémiques rendus par les étangs2(*).

Un rapport d'octobre 2022, établi conjointement par le Conseil général de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD)3(*), suite à la mission commandée par les ministres de l'Agriculture et de la Transition écologique dresse ce même constat :

- la pisciculture est un enjeu de souveraineté alimentaire ;

- le développement de la pisciculture peut constituer un moyen de réduire l'empreinte environnementale globale de la consommation de protéines animales en France ;

- la pisciculture d'étangs, qui a façonné nos paysages, doit être relancée en privilégiant des systèmes de production extensifs, voire semi-extensifs.

Les raisons de la perte de vitesse de la production des étangs piscicoles sont nombreuses et d'origines diverses. Les principales relèvent du cadre légal - législatif et réglementaire - qui constitue un frein à l'activité, soit en raison des contraintes qu'il impose, soit du fait du coût inhérent à ces contraintes. Par ailleurs, les étangs piscicoles ne se laissent pas appréhender facilement par le droit, du fait de l'intrication de nombreux codes : code civil, code rural, code de l'environnement, code de l'urbanisme... Chacun de ces codes traite, sans cohérence et éloigné du souci d'uniformité, d'aspects liés aux étangs piscicoles, sans pour autant définir juridiquement ce qu'ils recouvrent avec précision. Le rapport du CGAAER et du CGEDD confirme cet état de fait en évoquant « le nombre important d'administrations concernées et l'absence d'une coordination active, tant au niveau national que déconcentré ».

De plus, la complexité du cadre réglementaire donne lieu à des interprétations différenciées en fonction des autorités en présence. Cette réalité est confirmée par le rapport précité, qui évoque l'absence d'une doctrine partagée sur le développement de la pisciculture. Les étangs piscicoles subissent également des menaces environnementales lourdes de conséquences. Ce contexte ne fait l'objet d'aucun dispositif d'accompagnement pertinent, faute de lisibilité et d'anticipation. Pour beaucoup d'acteurs, l'absence de définition juridique de l'étang piscicole constitue le fait générateur de cette accumulation d'impasses.

Prenant acte de cette carence législative, l'article 1 introduit dans le code de l'environnement, à la section consacrée aux piscicultures, une définition de l'étang piscicole, pour ouvrir la voie à une application juridique uniforme sur l'ensemble du territoire. Au sens de cet article, un étang piscicole est un plan d'eau, naturel ou artificiel, relié aux milieux aquatiques, utilisé pour une activité d'aquaculture et toute autre activité liée à l'étang lui-même, à l'instar de l'élevage d'espèces animales et végétales aquatiques destinées à la consommation, au repeuplement, à l'ornement, à des fins expérimentales ou scientifiques, ainsi qu'à la valorisation touristique et de loisir.

L'article 2 reconnaît quant à lui que les étangs piscicoles génèrent des services écosystémiques et des valeurs d'usage, jouent un rôle important en matière de préservation de la biodiversité et de souveraineté alimentaire tout en constituant une source d'aménités. Pour ces raisons, les étangs doivent faire l'objet d'un soutien spécifique de la part de la puissance publique. Les formes que prendra ce soutien, qu'il s'agisse d'un soutien économique, d'un plan d'action pour la filière, de paiements pour services environnementaux ou encore d'exonérations, sont définies par un arrêté du ministre chargé de l'agriculture.

Tel est le sens de la proposition de loi que nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

* 1 Source FranceAgriMer - août 2021

* 2 Annette B.G. Janssen et al. (2020), Shifting states, shifting services: Linking regime shifts to changes in ecosystem services of shallow lakes, Freshwater Biology, DOI: 10.1111/fwb.13582

* 3 Patrick Falcone (CGAAER) et Frédéric Saudubray (IGEDD), Développement de la filière piscicole, octobre 2022