EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le système démocratique français repose sur deux piliers. D'une part, le Président de la République et d'autre part, le Parlement. L'article 6 de la Constitution précise le cadre de l'élection du Président de la République et renvoie les modalités d'application à une loi organique. Par contre, l'article 24 de la Constitution se borne à fixer un plafond pour le nombre des députés et des sénateurs et il n'exige même pas une loi organique pour définir leur mode de scrutin.

Or le choix du scrutin appliqué pour l'élection des parlementaires est très important car il conditionne le fonctionnement des institutions. Il n'est donc pas normal que la majorité politique du moment, quelle qu'elle soit, puisse modifier unilatéralement les règles du jeu sans aucun garde-fou.

Pour remédier à ce constat, il est souhaitable que les grands principes régissant l'élection des députés et des sénateurs soient fixés par la Constitution et que leurs modalités d'application relèvent d'une loi organique à l'instar de ce qui est fait pour l'élection du Président de la République.

I Réduire le nombre des parlementaires

Jusqu'en 1986, il n'y avait que 493 députés. Tous ceux qui ont siégé à l'Assemblée nationale avant et après cette date ont pu constater que le passage à 577 députés n'a apporté strictement aucune amélioration ni à la qualité, ni à l'efficacité du travail parlementaire.

L'éventuelle réduction du nombre des parlementaires est actuellement à l'ordre du jour. Ce serait d'autant plus pertinent que le bon fonctionnement du Parlement n'est absolument pas proportionnel au nombre des élus. Bien souvent les effectifs pléthoriques s'avèrent même contre-productifs.

Une réduction de 30 % de l'effectif maximum des deux chambres limiterait le nombre de députés à 404 et celui des sénateurs à 244.

II L'élection des députés

Un système de scrutin doit à la fois dégager une majorité stable, assurer une représentation équitable des courants d'opinion et permettre aux électeurs eux-mêmes (et non aux partis politiques) de choisir les élus qui doivent les représenter. En pratique, ces objectifs sont difficilement compatibles entre eux, les solutions extrêmes étant le scrutin proportionnel intégral et le scrutin uninominal majoritaire.

- En effet, un scrutin proportionnel intégral entraînerait une instabilité gouvernementale comme sous la IVe République. De plus, il accentuerait la mainmise des partis politiques, en privant les électeurs de la possibilité de choisir les personnes qu'ils souhaitent élire.

- Réciproquement, le scrutin uninominal majoritaire est profondément injuste. Ainsi en 2002, bien que le candidat du Front national soit arrivé deuxième aux élections présidentielles, il n'a ensuite obtenu aucun député.

De même en 2012 au premier tour des présidentielles, le Front national, le Front de gauche et le Modem ont eu respectivement 6 421 426, 3 984 822 et 3 275 122 voix (soit 17,90 %, 11,10 % et 9,13 % des exprimés) ; toutefois, ils n'ont ensuite obtenu que 2, 10 et 2 députés. Au contraire, les Verts, avec seulement 828 345 voix (soit 2,31 %) aux présidentielles, ont ensuite obtenu 17 députés.

Une solution de compromis consiste à introduire une petite dose de représentation proportionnelle. Le système a priori le plus simple serait de répartir les sièges concernés au prorata des suffrages obtenus par chaque parti au niveau national. Cependant, l'effet de proportionnalité serait alors très limité. En effet, les partis politiques dominants déjà très favorisés lors de l'attribution des sièges au scrutin majoritaire, accapareraient en plus une part importante des sièges à la proportionnelle.

Dans une certaine mesure, c'est antinomique avec l'objectif de la dose de proportionnelle, laquelle a pour but d'atténuer au profit des partis minoritaires, l'impact déformant du scrutin majoritaire.

Dans la mesure où les suffrages obtenus au premier tour par un député élu au scrutin majoritaire sont déjà représentés par ce député, il serait logique que ces suffrages n'interviennent pas une seconde fois lors de la répartition des sièges à la proportionnelle.Cette solution avait déjà été proposée en 2012 par l'auteur de la présente proposition de loi (Sénat, proposition de loi n° 738 du 1er août 2012). Concrètement, tout parti désirant participer à la répartition à la proportionnelle se déclarerait au moins quatre semaines avant le premier tour auprès du ministère de l'Intérieur. Les différents candidats indiqueraient ensuite, au moment de leur inscription, le parti auquel ils souhaitent éventuellement se rattacher.

La répartition des sièges attribués à la proportionnelle s'effectuerait entre les partis, au prorata du total des suffrages obtenus par leurs candidats n'ayant pas été élus au scrutin majoritaire. Afin de ne pas pénaliser les partis minoritaires qui n'auraient pas présenté de candidats dans chaque circonscription, le seuil d'accès des partis à la répartition proportionnelle pourrait être fixé à 3 % des suffrages exprimés et non 5 % comme c'est souvent le cas.

Enfin, on pourrait aussi éviter le reproche fait à juste titre, au scrutin proportionnel, selon lequel les élus sont désignés par les partis et non par les électeurs. Pour cela, il suffirait que les sièges obtenus par chaque parti reviennent à ceux de leurs candidats non élus au scrutin majoritaire, qui auraient obtenu le plus grand nombre de voix au premier tour. Ces députés seraient considérés comme étant élus de leur département de candidature et ne seraient pas « des députés hors sol ».

Un calcul simple montre qu'avec ce système, les petits partis bénéficieraient d'une amélioration de leur représentation de plus de 50 % par rapport à une proportionnelle classique. De la sorte, une dose de seulement 15 % de proportionnelle répondrait au souhait de ceux qui veulent limiter le nombre des députés élus à la proportionnelle, tout en ayant le même effet qu'une dose de 25 % de proportionnelle classique.

III L'élection des sénateurs

Pour les sénateurs, il convient de confirmer leur vocation à assurer la représentation des collectivités territoriales et à être à ce titre élus au suffrage indirect. De plus, il serait préférable que les sénateurs soient tous renouvelés en même temps et pas par moitié.

IV L'équité des découpages électoraux

Dans sa rédaction actuelle, l'article 3 de la Constitution formule un principe fondamental de la démocratie en indiquant que le suffrage « est toujours universel, égal et secret ». Concrètement, cela exige que le poids électoral de chaque suffrage soit le même et que bien entendu les modalités pratiques, notamment le découpage des circonscriptions électorales, soient honnêtes. Pour faire respecter l'égalité du poids électoral de chaque suffrage, le Conseil constitutionnel a créé une jurisprudence limitant l'écart démographique par siège à environ 20 %. Ce critère est cependant contestable car il se réfère à la population alors que ce devrait être au nombre d'électeurs inscrits.

L'utilisation des chiffres de population conduit en effet à une rupture de l'égalité des suffrages. Avec cette référence, si dans une circonscription, il y a un nombre important d'étrangers ou de ressortissants français non-inscrits sur les listes électorales, le poids de chaque électeur y devient beaucoup plus important que dans une circonscription normale.

Actuellement les électeurs représentent en moyenne nationale, 67,3 % de la population mais cela varie considérablement d'un endroit à l'autre. Sans parler de Mayotte ou de la Guyane, on constate par exemple qu'en Seine-Saint-Denis, une circonscription comporte 39,3 % d'étrangers et que beaucoup de résidents français n'ont pas pris la peine de s'y inscrire sur les listes électorales. De ce fait, un électeur inscrit dans cette circonscription pèse deux fois plus qu'un électeur d'une circonscription rurale traditionnelle.

A juste titre, une loi du 16 juin 1885 spécifiait « que les étrangers ne doivent pas être inclus dans le calcul du corps électoral d'une circonscription ». Actuellement de nombreux pays découpent les circonscriptions à partir du nombre d'électeurs (Royaume-Uni, Portugal...) et d'autres (Allemagne...) les découpent à partir de la population mais en décomptant les étrangers.

Il convient donc de préciser dans la Constitution que pour le découpage des circonscriptions ou l'attribution du nombre de sièges, la référence est le nombre des électeurs inscrits sur les listes électorales.

D'autres pratiques peuvent dénaturer l'expression du suffrage universel. Il s'agit tout particulièrement du « charcutage » lors du découpage des circonscriptions électorales. Or, en France, le Conseil d'État n'exerce qu'un contrôle à minima sur les découpages électoraux. De son côté, le Conseil constitutionnel refuse purement et simplement de contrôler les découpages, même les plus scandaleux.

Dans sa décision n° 2010-602 DC du 18 février 2010, le Conseil constitutionnel a ainsi validé la loi ratifiant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés en précisant qu'il se bornait à un contrôle restreint ne concernant que le respect du principe d'égalité devant le suffrage. Selon lui, la Constitution ne lui confère pas « un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ;(...) il ne lui appartient donc pas de rechercher si les circonscriptions ont fait l'objet de la délimitation la plus juste possible...».

Le Conseil constitutionnel a cependant regretté « le caractère discutable des motifs d'intérêt général invoqués pour justifier la délimitation de plusieurs circonscriptions, notamment dans les départements de la Moselle et du Tarn... ». Cela prouve qu'il n'y a aucune garantie d'honnêteté. D'autant qu'en cours de procédure, les avis de la commission de contrôle du découpage électoral et du Conseil d'État ne sont que consultatifs. De ce fait, ils ne servent à rien si le pouvoir politique est aux mains de responsables déterminés à bafouer sans scrupule les règles de la démocratie.

Ainsi, il est indispensable d'instaurer un contrôle juridictionnel permettant de sanctionner les charcutages électoraux les plus malhonnêtes. Pour cela, il suffit d'inscrire dans la Constitution une obligation de régularité de la délimitation des circonscriptions électorales.

V Mesures transitoires

Les dispositions contenues dans la présente proposition de loi, notamment la réduction du nombre de parlementaires, ne peuvent s'appliquer qu'à l'expiration du mandat des députés et des sénateurs en exercice.

Pour les sénateurs, il est donc proposé que les nouvelles dispositions s'appliquent à compter du renouvellement de la série élue en 2020 et renouvelable en 2026. Il appartiendra d'ici là à une loi organique de réduire à trois ans la durée du mandat des sénateurs élus en 2023 afin d'assurer le passage à un renouvellement appelé à se faire non plus par moitié, mais en intégralité.

Pour les députés, une application à compter du prochain renouvellement général, est envisageable. Néanmoins, l'éventualité d'une dissolution, toujours possible bien que peu probable, fait obstacle à ce que soit expressément prévue une application à compter d'une date fixe. Aussi est-il proposé une application à compter du premier renouvellement général de l'Assemblée nationale suivant le dixième mois de l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Le législateur organique et le pouvoir exécutif auront ainsi dix mois pour adopter les mesures d'application.