EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs années, le piratage de la retransmission des compétitions sportives diffusées en direct a pris une ampleur considérable, notamment sous l'effet du streaming illégal. Le live streaming pirate est utilisé en moyenne par plus d'un million d'internautes en France chaque mois, essentiellement pour le visionnage du sport. On estime ainsi l'impact économique du piratage des diffusions des compétitions sportives à près de 500 millions d'euros pour les ayants droit (fédérations, ligues) ainsi que pour les diffuseurs, avec des pertes de plusieurs centaines de milliers d'abonnés.

Outre l'aspect économique direct de ce piratage, c'est le financement même du sport en France qui pourrait être à terme menacé : le modèle de financement du sport français est en effet basé sur une solidarité financière forte entre le sport professionnel et le sport amateur, notamment avec la taxe Buffet. Alors que le potentiel économique des compétitions sportives se développe, que la valorisation économique du sport est en plein essor et que la valeur des droits sportifs en France dépassera les 1,5 milliard d'euros dès la saison sportive 2020-2021, le piratage pourrait venir menacer cet équilibre encore non stabilisé.

La spécificité du piratage sportif est que, à la différence des oeuvres audiovisuelles telles que le cinéma ou les séries, la valeur économique d'une rencontre sportive s'épuise dès lors que celle-ci se termine. C'est la raison pour laquelle il est primordial que les mesures de lutte contre le piratage soient adaptées à ce type de diffusion, afin que des mesures de protection puissent être prises très rapidement.

Les nombreux exemples d'actions judiciaires engagées par les ayants droit ces dernières années démontrent qu'il existe une asymétrie entre le temps judiciaire et le temps du piratage. À titre d'exemple, la condamnation de cinq personnes ayant piraté plusieurs chaînes payantes entre 2014 et 2018 et ayant attiré plus de 7,5 millions de personnes a été seulement prononcée le 10 juin dernier.

Même le cas des actions en référé, pourtant censées intervenir dans les situations d'urgence, n'offre qu'une garantie relative de célérité car le délai moyen d'intervention du juge reste, dans ce cadre, de trois mois. Par ailleurs, l'efficacité de la procédure en la forme des référés est également contestable car les pirates peuvent changer très rapidement de nom de domaine ou d'adresse IP, créant ainsi de nouveaux sites de contournement qui échappent à la décision judiciaire.

Dès lors, les titulaires de droits sur les retransmissions sportives sont confrontés à une situation d'urgence qui ne trouve pas de réponse efficace dans l'environnement juridique actuel. Les moyens juridiques mis à leur disposition ne sont pas à la hauteur du phénomène du piratage sportif qui ne cesse de gagner du terrain car les actions judiciaires menées n'ont qu'un faible impact sur l'activité des pirates.

C'est pourquoi il est plus que jamais indispensable d'adapter le cadre juridique existant aux spécificités et nouveaux défis que pose le piratage sportif.

Une première étape a été franchie à l'occasion de l'adoption de la loi visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et améliorer la compétitivité des clubs du 1 er mars 2017. L'article 24 de cette loi, porté par le Sénat, encourage les acteurs du sport et du numérique à négocier la conclusion d'accords de bonnes pratiques de lutte contre le piratage. C'est dans ce cadre que s'est créée l'association pour la protection des programmes sportifs, qui regroupe ayants droit et diffuseurs. Toutefois, ce dispositif s'avère à ce jour insuffisant. Suite à plusieurs mois de dialogues entre professionnels, il est désormais nécessaire que des mesures législatives viennent renforcer les dispositifs protégeant les ayants droit et diffuseurs et assurent une lutte enfin effective contre le piratage des contenus sportifs en direct.

Lors de l'examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique , les députés de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale ont adopté le 4 mars dernier un article 23 qui met en oeuvre un dispositif innovant et contraignant de lutte contre le piratage du sport. L'ensemble des acteurs a salué ce dispositif et souhaite une mise en oeuvre effective dans les plus brefs délais.

À l'occasion d'une question orale au Sénat le 16 juin 2020, le ministre de la culture Franck RIESTER a réaffirmé que « le piratage est un fléau, pour les contenus de la création comme pour les contenus sportifs » et a indiqué avoir « la même détermination que les députés [...] : il faut renforcer encore, si c'est possible, le dispositif de lutte contre le piratage des contenus sportifs en ligne ».

La crise sanitaire de la covid-19 a malheureusement stoppé l'examen du projet de loi Audiovisuel, et aucune inscription à l'ordre du jour du Parlement n'est à ce jour prévue. C'est pourquoi cette proposition de loi vise à inscrire dans notre droit ces mesures adoptées par les députés en commission. Une adoption rapide de ce dispositif serait également un signal envoyé aux acteurs du sport et de l'audiovisuel, qui connaissent de très grosses difficultés en cette période particulière.

Ainsi, l'article unique de cette proposition de loi crée une nouvelle section au code du sport intitulée « Lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives » et inscrit le dispositif novateur attendu dans la loi.

Ce dispositif de lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives permet aux requérants légitimes, dont font notamment partie les ayants droit, de saisir le président du tribunal judiciaire aux fins d'obtenir toutes mesures proportionnées propres aÌ prévenir ou aÌ faire cesser des atteintes graves et répétées aux droits patrimoniaux attachés aux retransmissions sportives.

Cette saisine peut permettre au président du tribunal judiciaire d'ordonner la mise en oeuvre de toutes mesures permettant de mettre fin aÌ l'accès, depuis le territoire français, aÌ des contenus piratés pour une durée de douze mois, telles que le blocage, le retrait ou le déréférencement des services de communication en ligne dont l'objectif principal ou l'un des objectifs principaux serait la diffusion sans autorisation de compétitions ou manifestations sportives.

En complément, l'autorité de régulation en charge de la diffusion des oeuvres et de la protection des droits sur internet, aujourd'hui l'HADOPI, dont les missions seront transférées à la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), est chargée d'adopter des modèles destinés aÌ prévenir le piratage des contenus sportifs en amont de la saisine du juge. Les pouvoirs d'enquête et d'instruction confiés aux agents habilités et assermentés de cette autorité de régulation (HADOPI et future ARCOM) pour mener à bien les actions de prévention et de lutte contre le piratage sportif sont également précisés, en vue de faciliter l'exécution de la décision judiciaire ou de constater les faits susceptibles de porter atteinte aux droits protégés.

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