EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 27 juin 2023, à Nanterre, un adolescent de 17 ans a trouvé la mort à la suite d'un contrôle routier.

Ce décès a suscité l'émotion légitime de toute la Nation. Une enquête a immédiatement été diligentée pour que la lumière soit faite sur les circonstances du drame et que la justice soit rendue.

Mais ce décès a également été suivi de plusieurs nuits de violences urbaines, d'abord en région parisienne puis étendues à tout le territoire. Dans les grandes métropoles comme dans les plus petites villes, dans les centres-villes comme dans les quartiers de leurs agglomérations, dans toutes les régions de l'hexagone et plusieurs territoires d'outre-mer, d'inacceptables violences se sont répétées, nuit après nuit, en laissant derrière elles un bilan humain et matériel considérable.

Ces violences ont ciblé de nombreuses personnes dépositaires de l'autorité publique, pompiers, forces de l'ordre, élus locaux. Elles ont également conduit à de nombreux dégâts sur le bâti, public et privé, des quelques cinq cents communes qui ont été touchées. Plus de 750 bâtiments publics ont été atteints, de manière plus ou moins importante, avec des dommages causés à des mairies, écoles, bibliothèques ou postes de police, qui sont autant de symboles de la République et des services publics dont la dégradation compromet désormais le bon fonctionnement. De nombreux commerces ont également été ciblés, parfois pillés, ce qui représente un coût pour l'économie nationale estimé à ce stade, par les assureurs, à environ 650 millions d'euros.

Au lendemain de ces violences, ce bilan appelle la mobilisation collective de la Nation pour conduire, dans l'urgence, un chantier national de reconstruction. Il vise dans certains cas la reconstruction à l'identique des bâtiments détruits, pour leur permettre d'assurer dans les meilleurs délais, avec la même efficacité, les services publics ou privés qu'ils rendaient. Dans d'autres cas, c'est l'amélioration du bâti existant que ce chantier devra rechercher, pour tenir compte notamment d'enjeux de performance environnementale ou de qualité de vie.

Relever ce défi appelle en tout cas un cadre juridique d'exception, de nature à accélérer au maximum la conduite des travaux. En complément de l'ensemble des mesures administratives déjà mises en oeuvre par le Gouvernement pour accompagner les élus, acteurs locaux et entreprises dans les reconstructions, le présent projet de loi crée les conditions de la réussite de ce chantier par plusieurs adaptations du droit de l'urbanisme, de la construction, de la commande publique et des collectivités locales.

Afin d'accélérer la reconstruction des bâtiments publics ou privés détruits ou dégradés, des adaptations du code de l'urbanisme sont en premier lieu prévues par l'article 1er qui autorise au Gouvernement à agir par ordonnance pour prévoir des règles dérogatoires au droit commun. Cette habilitation permet à l'ordonnance qui sera prise sur son fondement de prévoir que la reconstruction ou la réhabilitation à l'identique de ces bâtiments puissent être réalisées en appliquant les règles d'urbanisme applicables au moment de la délivrance de l'autorisation d'urbanisme initiale même si le plan local d'urbanisme ou la carte communale s'y oppose. Elle permet également, dans le cadre d'adaptations limitées ou d'améliorations motivées, des reconstructions différentes du bâtiment d'origine, qui pourraient ainsi être subordonnées à l'amélioration de la performance environnementale, de sécurité ou d'accessibilité par rapport à l'état antérieur du bâtiment concerné.

Pour ces reconstructions à l'identique avec améliorations, l'ordonnance permettra aussi au maître d'ouvrage de démarrer les opérations et travaux préliminaires de reconstruction ou de réhabilitation dès le dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme auprès de l'autorité compétente, sans attendre sa décision. Il s'agit de permettre au constructeur de lancer, notamment, les éventuelles opérations de démolition et les travaux de préparation du chantier (terrassements, fondations, etc.) sans attendre l'obtention de l'autorisation d'urbanisme.

Enfin, toujours pour ces constructions, l'ordonnance visera à accélérer l'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme portant sur ces opérations de reconstruction, en divisant par deux, voire trois, la durée totale d'instruction. A cette fin, elle pourra prévoir que les délais d'instruction de droit commun, ainsi que les majorations et prolongations requises pour le recueil des avis, accords ou autorisations prévus par le code de l'urbanisme ou les législations connexes seront réduits et pourront être soumis à un principe de silence vaut acceptation. L'objectif est que la durée totale d'instruction ne dépasse donc pas un mois et demi, à comparer aux délais de droit commun, qui sont souvent de plusieurs mois notamment lorsque des consultations sont requises.

S'agissant des bâtiments publics, l'article 2 prévoit en matière de commande publique une habilitation à prendre deux mesures permettant d'accélérer et de simplifier les procédures de publicité et de mise en concurrence dans le cadre de l'attribution des marchés publics de travaux ayant pour objet la réfection et la reconstruction des bâtiments et équipements publics détruits, afin de faciliter le retour au fonctionnement normal des services publics dans les meilleurs délais.

D'une part, l'ordonnance permettra aux maîtres d'ouvrage publics de conclure des marchés ou des lots d'un marché sans publicité mais avec mise en concurrence préalable, dès lors que leur montant sera inférieur à un seuil défini dans l'ordonnance. D'autre part, elle leur permettra de s'affranchir de l'obligation d'allotissement afin de confier à un même opérateur économique un marché global portant à la fois sur la conception et la construction ou l'aménagement en urgence de ces bâtiments et équipements.

L'article 3 prévoit une habilitation à agir par ordonnance pour faciliter le financement de la reconstruction. L'ordonnance portera trois types de mesures.

En premier lieu, elle adaptera le cadre applicable aux subventions versées aux collectivités locales pour permettre un subventionnement au-delà du plafond légal de 80 %. En principe, sauf dérogation expresse prévue par la loi, toute collectivité territoriale ou groupement, maître d'ouvrage d'une opération d'investissement, doit assurer une participation minimale au financement de ce projet fixée à 20 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques à ce projet. Pour accélérer la reconstruction des édifices et des équipements publics, cette obligation de participation minimale du maître d'ouvrage ne sera pas applicable au financement de ces projets. Ces derniers pourront donc le cas échéant bénéficier de subventions allant jusqu'à 100 % du coût des travaux.

En second lieu, l'habilitation autorise l'ordonnance à organiser une dérogation au plafonnement des fonds de concours qui peuvent être versés entre les établissements publics à fiscalité propre et leurs communes.

Dans le droit commun en vigueur, le montant total des fonds de concours ne peut excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours. Il est proposé que cette limite soit exceptionnellement supprimée pour laisser la possibilité de mobiliser les ressources disponibles afin d'accélérer la réparation des dommages causés aux biens des collectivités.

En troisième lieu, l'ordonnance pourra permettre le versement anticipé du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) pour les travaux de reconstruction entrepris par les collectivités. Le régime de droit commun conduit à verser le FCTVA deux ans après l'exécution des dépenses éligibles. Certaines entités bénéficient d'un régime dérogatoire permettant une attribution l'année qui suit la réalisation de la dépense ou, pour une petite partie d'entre elles, l'année de réalisation de la dépense.

Pour faciliter la prise en charge rapide des travaux et le rétablissement du bon fonctionnement des services publics locaux, il est proposé d'accélérer les attributions du FCTVA en instaurant une dérogation au régime de versement de droit commun. Les dépenses éligibles au FCTVA exécutées à ce titre feront l'objet d'une attribution systématique et pour tous les bénéficiaires l'année d'exécution de ces dépenses.