La séance est ouverte à 15 heures

La séance est ouverte à 15 heures.

ÉGALITÉ FEMMES -HOMMES

M. le PRÉSIDENT - L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

M. JOSPIN, Premier ministre (Applaudissements) - Cette réunion du Congrès, à l'initiative du Président de la République, est, comme toujours et comme celle de ce matin, un moment important dans le cours de la République. Ici, il s'agit d'un des fondements mêmes de notre démocratie : l'égalité entre hommes et femmes. Depuis 1944, pourtant, les femmes sont des citoyennes à part entière et elles ont les mêmes droits politiques que les hommes. Je suis donc heureux et fier de présenter, conformément à l'engagement pris devant les Français, ce projet de loi que j'avais annoncé le 19 juin 1997 dans ma déclaration de politique générale.

Il est le fruit d'un long débat sur la parité. Nous franchissons, ici, une étape essentielle, dans la modernisation profonde de notre République : inscription automatique des jeunes sur les listes électorales, limitation du cumul (Très bien ! sur divers bancs), modification du mode de scrutin de la Haute assemblée. (Mouvements divers)

Il fallait mettre un terme à un archaïsme qui tenait les femmes éloignées des assemblées délibérantes : nulle part, les femmes n'occupent la place qui leur revient. Bien souvent, leur présence n'est que symbolique et notre démocratie en souffre.

Depuis l'ordonnance de 1944, on sait bien qu'on ne peut s'en remettre aux seuls appareils politiques pour lever les verrous qui ferment la vie politique aux femmes. Dès 1982, ce souci avait inspiré une loi que le Conseil constitutionnel avait jugée incompatible avec notre loi fondamentale. Le 26 janvier 1999, le Conseil avait également annulé une disposition de la loi sur les conseils régionaux. Il devenait indispensable de réviser la Constitution.

L'article 3 révisé dispose que la loi favorisera l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. " Nous naissons et demeurons libres et égaux en droit ", femmes comme hommes. C'est l'un des principes fondamentaux de notre République. En s'appuyant sur les travaux de l'observatoire de la parité, le Gouvernement a engagé une réflexion sur les textes d'application de cette révision de la Constitution, mais je confirme ce que j'ai dit le 9 décembre devant la représentation nationale : cette révision n'est pas conçue comme un prétexte pour modifier le mode de scrutin, et notamment le mode de scrutin législatif.

La parité dans les fonctions publiques ne pourra, d'ailleurs, que favoriser l'implantation des femmes dans d'autres secteurs d'activité. Il est vrai que les femmes doivent assumer à la fois des tâches professionnelles et des tâches domestiques. Il faut donc favoriser un changement culturel. Mme Péry a entrepris une vaste réflexion sur ce problème.

En révisant notre Constitution, le Congrès va donner une impulsion décisive à une évolution nécessaire. Le législateur devra, ensuite, lui donner un contenu afin de parvenir à la société réellement mixte à laquelle nos concitoyens, portés par la marche du temps, aspirent.

Je souhaite que le Congrès marque son attachement à l'égalité entre hommes et femmes, en mettant fin à ce qui n'est pas la meilleure exception française. Vous ferez ainsi oeuvre de justice (Vifs applaudissements).

M. le PRESIDENT - Chaque orateur dispose au maximum de dix minutes.

MME ROBIN-RODRIGO - Le groupe Radical, Citoyen et Vert votera ce projet de loi à l'unanimité ; c'est un aboutissement pour tous ceux qui se sont battus pour l'égalité des hommes et des femmes depuis 200 ans, des femmes de la Commune aux suffragettes !

Un changement complet s'est opéré dans l'opinion à propos de la place des femmes dans la vie publique. Il n'est pas étonnant que la gauche soit à l'origine de ce projet de loi qui va faire l'unanimité des parlementaires, j'en suis convaincue.

La République française avait mis 150 ans à donner les mêmes droits à tous les citoyens, hommes ou femmes ; ils doivent concourir ensemble à la conduite des affaires de la cité.

Nous franchissons, aujourd'hui, une étape décisive dans le chemin vers l'égalité. Le Gouvernement a plusieurs fois indiqué que ce texte ne serait pas un prétexte pour modifier le mode de scrutin des élections législatives : le débat sur la parité ne doit pas être pollué par celui sur le mode de scrutin !

Désormais, les partis seront tenus de mettre en oeuvre le principe de la parité. Une loi contraignante le leur imposera-t-elle ? Certains ont proposé une modulation de l'aide publique aux partis en fonction de leur respect du principe de la parité.

L'étape d'aujourd'hui n'est qu'un point fort, une sorte de levier qui devrait se révéler utile. Le droit prescrit l'égalité, certes, mais les statistiques montrent qu'elle est loin d'être une réalité : songez au taux de chômage, par exemple ! Les propositions retenues par Mme Péry vont dans le bon sens.

J'espère que ce combat pour l'égalité sera propice à toutes les femmes du monde. Dans notre devise -liberté, égalité, fraternité-, l'égalité sortira renforcée et moins défavorisée (Applaudissements)

Mme AMELINE - Dans cette enceinte royale, comment ne pas songer à ces reines, régentes ou courtisanes qui ont joué un rôle d'exception ? Mais la Révolution a oublié les femmes ; avec Jean-Jacques Rousseau elle a raté une marche de l'Histoire !

Nous voulons aujourd'hui mettre notre République en phase avec le temps. Tous nos partenaires européens ont déjà changé les choses. Du reste, les récentes listes européennes se sont largement ouvertes dans ce souci de parité. Mais si chacun s'accorde sur le principe, diverses objections juridiques ont surgi.

La parité n'est en rien assimilable au communautarisme. Combattre les préjugés inégalitaires, c'est tenir compte de la dualité de notre société.

Il convient de réfléchir au rôle des partis politiques et de multiplier les actions incitatives. Mais il n'y a pas que la volonté des femmes : il y a leur capacité à exercer des responsabilités politiques, à côté de toutes les autres. Il faut donc leur offrir la capacité de choisir. La famille doit rester un espace sacré, mais modernisé.

Notre avenir sera européen et décentralisé ; je souhaite que l'observatoire de la parité puisse s'inspirer de l'exemple de nos voisins !

Si ces murs royaux...

M. HAMEL - Républicains ! Provocatrice !

Mme AMELINE - ... ont entendu Molière, les femmes méritent mieux que le sort que leur réserve Shakespeare et Aristophane ! Il reste aux femmes à franchir la marche du siècle : elles y parviendront ; je suis fière, avec la plus grande partie de mon groupe, d'y contribuer (Applaudissements).

M. BAGUET - C'est un jour historique pour les femmes et la société française : l'égalité n'est plus un voeu pieux ! Tout a été dit sur l'exception française : notre démocratie sort grandie de ce long débat !

Il y a un siècle, il était exclu, pour une femme, de se consacrer à la vie politique. Zola écrivait qu' " émanciper la femme, c'est excellent, mais il faut avant tout lui enseigner l'usage de la liberté ". Quant à Camille Sée, ministre de l'instruction publique de 1880, il ne voyait pas pourquoi il faudrait " des avocats femelles ". Heureusement, ces propos révoltants n'ont plus cours !

La première guerre mondiale a montré que les femmes n'avaient rien à envier aux hommes : ce fut une révolution culturelle ! N'oublions pas que la France reste encore à la traîne en matière de représentation politique...

L'histoire nous a prouvé que seuls des actes politiques majeurs pouvaient arrêter l'évolution. Souvenons-nous du scepticisme qui a accueilli la décision de Michel Debré d'ouvrir l'ENA aux femmes !

Gardons-nous cependant d'ériger le féminisme en catégorie sociale : le communautarisme est un non sens naturel ! Notre politique familiale est aujourd'hui dépassée : elle en est restée au modèle patriarcal des 30 Glorieuses ! Nous vivons une société de liberté : laissons aux femmes la possibilité de choisir leur vie, mais ne les obligeons pas à choisir entre leur famille et leur carrière !

Est-il cohérent d'avoir hier diminué l'AGED pour proclamer aujourd'hui l'indépendance des femmes ? (On s'exclame sur certains bancs ; on applaudit sur d'autres). S'il existe un salaire minimum, pourquoi ne pas instituer un salaire maternel ? Faut-il condamner les femmes aux travaux alimentaires ? Il convient de faire un sort à certaines idées fausses : selon l'INSEE, en Europe, plus les femmes sont actives, moins le chômage est élevé !

Aujourd'hui, nous ne savons rien des lois à venir ; certains, sur les bancs socialistes, réclament des quotas : ce serait la fin de la liberté de suffrage ! C'est pourquoi le Sénat, dans sa grande sagesse, (murmures laudatifs sur plusieurs bancs) a proposé de modifier l'article 4 de la Constitution. La nouvelle UDF restera vigilante.

Je m'adresse enfin à mes collègues masculins (Ah ! sur de très nombreux bancs). Dans 95 % de nos foyers, nous déléguons les tâches d'éducation des enfants aux femmes : pourquoi tant de réticence à leur accorder la possibilité de gérer nos communes, nos départements et nos régions ? (Applaudissements).

Mme DERYCKE - (Applaudissements). On ne mesure la conséquence de certains événements que longtemps après : ce sera le cas de cette réforme.

L'universalisme abstrait du XIXe siècle ne s'est en réalité décliné qu'au masculin ; jusqu'en 1946, la République n'a été qu'une République sexuée. L'égalité des droits ne s'est pas traduite par une égalité de fait : nous ne pouvons plus le tolérer.

A chaque niveau, des barrières invisibles empêchent l'accès des femmes, notamment à cause de la double journée de travail.

Enfin, le fonctionnement de nos institutions n'est pas neutre : cumul des mandats, mode de scrutin... Un préjugé tenace veut que les femmes, par nature, ne soient pas douées pour l'exercice du pouvoir. Cette conception biologique -on vient encore de l'entendre à la tribune- condamnait la femme à la sphère privée.

Reconnaître la place des femmes, ce n'est pas nier l'universalisme, c'est l'affirmer ! Le combat pour la parité est un combat universaliste ; la mixité est universelle. Les femmes ne sont ni une catégorie, ni une communauté, mais la moitié de l'humanité.

Dans le champ politique, les blocages persistent, à cause des décisions du Conseil Constitutionnel de 1982 et 1998 mais aussi du poids des mentalités. Si le rôle du politique est d'affirmer les principes, qu'il commence par se les appliquer à lui-même. Notre Congrès est composé à 90 % d'hommes et à 10 % de femmes : imaginez que les chiffres soient inversés ! (Mouvements divers).

M. HAMEL - Les femmes sont à la tribune !

Mme DERYCKE - Ce serait choquant, bien sûr. Espérons que le Parlement recomposé fera avancer partout l'égalité et que la société se mettra en marche !

Les lois à venir bouleverseront notre vie politique et renforceront l'adhésion de nos concitoyens. Dans une convention ratifiée par la France en 1983, l'ONU déclarait que les " discriminations empêchaient les femmes de servir l'humanité " ; ensemble, dans notre diversité, faisons progresser la République : le groupe socialiste du Sénat y contribuera avec fierté. (Applaudissements).

M. le PRÉSIDENT - La parole est à Mme Zimmermann.

M. HAMEL - Quatrième femme après un seul homme : où est la parité ? (Rires).

M. le PRÉSIDENT - Mais un seul interrupteur !

Mme ZIMMERMANN - Regardons notre hémicycle : 898 membres, dont 81 femmes, soit moins de 10 % ! " Quand un peuple ne peut faire évoluer ses moeurs, il en vient à faire des lois " écrivait Tacite. Notre président de la République l'a également remarqué.

Même si des progrès restent à faire, notre société a évolué et les gaullistes sont fiers d'avoir accompagné l'oeuvre accomplie par le Général de Gaulle en 1944, puis par Georges Pompidou, qui a accordé aux femmes la liberté professionnelle et par Jacques Chaban-Delmas qui a mis en oeuvre le principe " à travail égal, salaire égal ".

Le droit de la famille s'est, lui aussi, considérablement modifié, notamment sous l'impulsion de Jacques Chirac et, ensuite, d'Edouard Balladur. (Sourires au banc du Gouvernement). L'ENA s'est ouverte aux femmes à la Libération grâce à Michel Debré ; pour Polytechnique, il a fallu attendre trente ans ; la première femme préfet a été nommée par Alain Juppé. (Exclamations sur de nombreux bancs ; hilarité au banc du Gouvernement). Les Gaullistes ont initié ou accompagné ces évolutions.

Les femmes ont imposé leurs compétences et leur savoir-faire, mais dans certains secteurs, elles demeurent sous-représentées. Sur 30 recteurs, il n'y a que 5 femmes, et une seule sur 35 occupe les fonctions de premier président de cour d'appel. Le législateur doit assurer l'épanouissement des citoyens et des citoyennes. Or en France, la place des femmes en politique reste marginale, contrairement à ce qui est constaté chez nos voisins européens.

Les femmes réussissent en politique, mais l'organisation des partis leur fait obstacle. Chacun de nous souhaite que les femmes occupent une juste place, mais les responsables ont trop souvent reculé devant les obstacles. La mixité n'est pas une mode, c'est une réalité , une force de rénovation de notre société. Les femmes sauront prendre toute leur place dans la République.

L'adoption de ce texte sera le couronnement d'une navette fort utile. Ce texte est désormais l'expression d'un large consensus. Nous avions proposé un amendement de compromis : le retour au texte initial aurait dédramatisé le débat. Mais nous n'avons pas été entendus. Nous nous félicitons cependant du texte adopté : il sera efficace.

Renforcer la place des femmes est une exigence de justice. Souhaitons que ce texte soit le point de départ de la reconnaissance du rôle des femmes dans tous les secteurs. Les gaullistes ont toujours oeuvré pour que la femme soit plus autonome.

Le groupe RPR estime que les femmes sont une des deux composantes de notre démocratie. Je vous invite, mes chers collègues, à voter ce projet pour instaurer une société plus ouverte aux femmes et donc selon le mot de Stendhal, plus " civilisée ". (applaudissements)

M. HAMEL - Présentez-vous à la présidence du RPR. (rires)

M. RICHERT - C'est la fierté et le devoir du Parlement que de ne jamais oublier sa mission, qui est d'agir pour l'épanouissement de chacun. Pour l'homme politique, c'est une ardente obligation que de lutter contre l'inégalité des chances. Les fils d'ouvrier n'ont pas les mêmes possibilités de réussite scolaire et professionnelle que les enfants du 16ème arrondissement. Une de ces inégalités inacceptables frappe les femmes dans la vie politique et économique. Un écart de 25 % dans les salaires n'est pas admissible.

Dans la sphère publique, les femmes restent sous-représentées. Le groupe de l'Union centriste a abordé de manière positive, depuis le début, le débat sur la parité. Le Sénat et mon groupe ont d'abord cherché la réponse la plus pertinente à la question posée. Le préambule de 1946 garantit aux femmes des droits égaux à ceux des hommes. Pourtant, le Conseil constitutionnel, le 18 novembre 1982, a exprimé ses réticences à toute mesure spécifique. La révision institutionnelle s'est donc imposée.

Le Sénat a souhaité préciser que les partis détiennent une fonction essentielle dans la recherche de la parité. La loi pourra prévoir des mesures d'incitation financière. Les résistances sociologiques et psychologiques doivent et peuvent être dépassées, l'exemple de nos voisins européens le prouve.

L'adoption de ce texte ne permettront pas la percée des femmes sur la scène politique : nous devons l'accompagner d'une réforme culturelle. Les partis politiques doivent montrer l'exemple, mais dans l'entreprise, l'administration et la vie privée, il faudra agir aussi.

Le groupe de l'Union centriste s'est toujours opposé à toutes les discriminations. C'est par étapes progressives que nous parviendrons à un résultat satisfaisant, en prenant des mesures concrètes. Sans initiative législative, la situation n'aurait pas évolué. Le groupe de l'Union centriste du Sénat est favorable à cette réforme (Applaudissements).

MME TASCA - (Applaudissements) " Souvent femme varie " écrivait Hugo dans Le Roi s'amuse. Notre présence ici lui apporte un démenti : des femmes se sont longtemps battues pour cette journée (Applaudissements). Je tiens à leur adresser un salut amical et reconnaissant Je salue aussi l'action de Lionel Jospin, Elisabeth Guigou et Nicole Péry qui n'ont jamais infléchi leur position. Les deux assemblées se sont opposées ; le débat a été intense aussi en dehors du Parlement. Puis les vues de l'Assemblée et du Sénat se sont rapprochées pour oeuvrer à une juste représentation des femmes dans le pays.

Chacun dit regretter la situation actuelle : la France, dans ses mentalités, dans les faits, sinon juridiquement, demeure sous l'emprise de la loi salique. Les partis politiques ont été incapables d'infléchir les tendances. L'égalité réelle doit être obtenue. Faut-il redouter, avec cette loi, la fin de l'universalisme ? Certains ont feint de croire à l'instauration d'un nouvel apartheid. Ces craintes sont infondées.

L'égalité réelle suppose un changement des mentalités. La loi est normative, mais aussi incitative. Le projet permettra aux femmes -la moitié de l'humanité- de porter leur part du fardeau de l'humanité. Il dépasse la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982 et 1989. Les réflexions se poursuivront. Mme Péry a présenté une plate-forme visant à mettre en oeuvre une politique globale.

La politique en faveur d'une égalité réelle tend à rendre notre République réellement universelle. L'universalisme, quand il était réservé aux hommes, ne choquait pas ces derniers...

Il ne s'agit pas d'affirmer la primauté d'un sexe sur un autre. Nos concitoyens sont attentifs à nos votes aujourd'hui. J'espère qu'après des textes d'application rapides, la réforme pourra entrer rapidement dans les faits. L'égalité d'accès au mandat constituera une des évolutions les plus importantes de la société.

" Nous avons décidé " pourra-t-on dire, non plus " ils ont décidé ". En réalité, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est un renfort qui vous est apporté. Stendhal écrivait : " l'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain ! " Nous ne serons jamais trop nombreux à vouloir travailler ensemble.

Le groupe socialiste de l'Assemblée nationale votera ce texte qui représente le choix de l'avenir (Applaudissements).

Mme HEINIS - La Déclaration des droits de l'Homme et le Préambule de la Constitution consacrent le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes. Le projet de loi constitutionnelle dont nous sommes saisis définit les moyens qui doivent faire entrer ce principe dans les faits.

Le constat est bien connu et s'explique par les moeurs politiques et les freins culturels. Peut-on réformer les moeurs par la loi ? L'exécutif aurait pu réfléchir à des moyens adéquats, mais il a choisi de modifier la Constitution, suscitant un débat philosophique qui conduisait à une impasse, sans lever l'incertitude sur les lois qui viendront.

Or, seule la proportionnelle dont on connaît les inconvénients, permet la parité dans la vie politique, et il serait dangereux d'écarter un scrutin majoritaire qui respecte la liberté individuelle.

M. Jospin nous a donné des garanties, et c'est en fonction de celles-ci que nous avons accepté cette révision. Mais il a fait voter récemment une loi qui modifie le scrutin sénatorial dans le sens de la proportionnelle. Le groupe RI regrette l'absence d'un engagement solennel devant le Sénat alors que M. Jospin vient d'en prendre un devant l'Assemblée nationale.

L'article 3 se situe dans une sphère intemporelle ; l'article 4, lui, vise des résultats concrets. Comment concilier l'universel et la réalité des sexes ? Robert Badinter s'est interrogé, comme Tocqueville il y a deux cents ans s'interrogeait sur la difficile conciliation de l'égalité et de la liberté.

Nous vivons sous le signe du temps, et en particulier du présent, en oubliant le passé et donc l'avenir. Il faut réintroduire la notion de personne, liée aux autres dans une relation complémentaire. Si nous sommes différents comme personnes, les citoyens, eux, sont égaux.

J'ai un regret : personne n'a interrogé les jeunes femmes elles-mêmes. Celles-ci ne veulent pas l'aumône d'une place, elles ne sont pas les mendiants des quotas. Les femmes, tentées par la vie politique, ne veulent pas renoncer à leur fonction naturelle, privée, spécifique, celle de donner la vie.

Il demeure difficile pour une femme de s'imposer dans la vie politique. Mais mettre au monde des enfants et les élever, c'est aussi former les citoyens de demain. Elisabeth Badinter le disait : c'est au pouvoir qu'il fallait s'attaquer !

Le 15 juin, le Sénat a adopté une proposition de loi relative à la famille, texte qui s'efforce de concilier vie familiale et vie politique : c'est la voie à choisir si l'on veut concilier les deux exigences que j'ai mentionnées.

Cela dit, même à l'ENA, même au Conseil d'Etat, la parité progresse ; une jeune femme vient d'être nommée à la tête de la COGEMA, et une autre vient d'obtenir un brevet de pilote de chasse.

Les deux Chambres ont fait chacune des pas vers l'autre, même si la question était ambiguë.

M. Chirac l'a rappelé : aucun texte législatif ne peut se substituer à un changement des mentalités.

Je souhaite que les femmes s'investissent en politique, mais aussi que les femmes et les hommes continuent à s'entendre, c'est la source de bonheur. (Applaudissements).

M. le PRÉSIDENT - Chaque orateur dispose de dix minutes, je le rappelle.

M. CORNU - Sur un point, on peut constater une défaillance du dialogue démocratique : nous répondons, ici, aux voeux du Président de la République, de la classe politique et de la société tout entière. Mais, pour certains -les " universalistes "-, la République doit rester indivisible, et répugne aux quotas. D'autres - " communautaristes "- pensent que la différence des sexes traverse toutes les catégories.

Nul ici ne veut d'une Constitution figée. Après un débat juridique, nous continuons à penser que la parité devait figurer à l'article 4 -relatif aux partis. Mais la parité ne peut être le monopole de tel ou tel groupe : nous voulons une parité républicaine. Certes, l'égalité entre hommes et femmes est garantie par la Constitution, mais, dans les faits, les femmes sont en nombre insuffisant dans la représentation nationale.

Veillons donc à ce que la loi favorise une parité effective, sans recourir à des quotas. N'allons pas proposer aux femmes des élections au rabais : elles ne doivent pas devenir un gadget électoral.

Mais, la modification de l'article 3 comporte un risque : la proportionnelle. (Murmures). Le Gouvernement a pris un engagement, mais une majorité de l'Assemblée Nationale pourrait vouloir l'imposer. A nous de trouver une solution équilibrée.

Le financement public des partis va-t-il être modifié ? Va-t-on voter un statut de l'élu garantissant la parité ?

L'accès doit se cantonner au niveau des candidatures : il s'agit non d'une égalité des résultats, mais d'une égalité des chances.

Ce texte ne satisfait personne totalement, mais personne ne le refuse. Le Sénat a donc voulu sortir du blocage, a fait un pas en s'abstenant de toute démagogie. Il a voulu relancer, comme toujours la dynamique démocratique. Il faut toutefois être conscient que déplacer les frontières de l'égalité, ce n'est pas abolir les inégalités : seules les frontières ont changé ! C'est Pénélope devenue législateur ! (Sourires ; M. le Premier ministre évoque Sisyphe).

Nos citoyens appartiennent à une seule nation.

Le groupe RPR du Sénat votera majoritairement cette réforme. (Applaudissements).

Mme LUC - (Applaudissements). Représentants de la nation, nous devons faire entrer la France dans le troisième millénaire, avec la mise en oeuvre de la parité. Cette réforme nous tient à coeur, car la modification de l'article 3 de la Constitution doit permettre d'échapper à la censure du Conseil Constitutionnel.

L'universalité, aujourd'hui, a deux dimensions, le masculin, et le féminin.

Le genre humain n'a de destinée hors de cette double essence. Le débat sur la parité a été un excellent déclencheur de cette prise de conscience.

Aujourd'hui, moins de 10 % des élus nationaux sont des femmes. Une démarche volontariste s'imposait : c'est ce qui nous est proposé aujourd'hui. Je suis convaincue que la démocratie ne pourra qu'y gagner avec des assemblées plus proches des citoyens.

Les femmes représentent un ferment du changement et d'innovation qui restitue à la vie politique son sens et sa finalité.

Notre société en a un besoin vital.

Cette demande de l'égalité voulue et conduite par la gauche plurielle vient de loin. Elle a été marquée par toutes les femmes - écrivains, intellectuelles, scientifiques, meneuses d'associations ouvrières-, qui ont marqué notre histoire.

Nous nous réjouissons qu'un accord ait été trouvé entre nos deux assemblées au terme d'un débat passionné. Nous ferons tout pour faire écrire dans les faits et dans les lois cette réforme de la Constitution, avec notamment le renforcement de la parité et le développement du scrutin proportionnel ! (Exclamations sur certains bancs, applaudissements sur d'autres)

UNE VOIX - Les apparatchiks !

Mme LUC - J'insiste pour une mise en oeuvre rapide de ce texte et de ceux relatifs au non-cumul des mandats et au statut de l'élu. Il faut réussir rapidement la parité dans tous les secteurs d'activité. La gauche plurielle a pour vocation et pour mission de réussir cette opération, et j'espère que ces idées pourront aussi atteindre des sociétés où les femmes sont encore traitées comme des parias.

Les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC voteront avec enthousiasme cette réforme porteuse de changements significatifs qui permettra aux femmes et aux hommes d'être libres, associés et égaux. (Applaudissements)

M. CABANEL - Où est la parité quand seuls trois hommes - pour huit femmes - sont intervenus dans ce débat ? Aujourd'hui, nous sommes réunis pour examiner, dans une sérénité enfin revenue, cette révision de la Constitution. J'ai toujours voulu que la loi consacre l'égalité des hommes et des femmes dans la vie politique. On ne peut pas accuser le Sénat d'être rétrograde et misogyne ; il est vrai qu'un grand nombre de sénateurs -y compris des femmes- sont hostiles au principe même des quotas. Mais nous avons tous déploré l'insuffisance du nombre de femmes dans les assemblées élues.

Le Sénat a voulu concilier ce voeu légitime avec le respect des principes fondateurs de notre République : nous voulions éviter toute dérive communautariste. Et comme disait Montesquieu, " Il ne faut point faire par les lois ce qui doit être fait par les moeurs " : un récent sondage a montré que nos concitoyens partagent ce point de vue.

En première lecture, les Sénateurs n'ont pas rejeté la parité, mais ils ont voulu organiser la mixité égalitaire ; en fait, le Sénat a souffert de l'image qui avait été la sienne de 1920 à 1936 quand, à six reprises, il s'est opposé au vote des femmes.

Quoi qu'il en soit, le Sénat s'est rallié aux propositions que j'avais faites, dès la première lecture, devant notre Commission des Lois. Cela a permis le déroulement heureux qui illustre l'intérêt du bicamérisme. Les femmes sont une des deux composantes de l'humanité : il fallait rappeler leurs droits.

Malgré les précisions apportées par le Premier Ministre, des incertitudes demeurent ; nous devrons donc faire preuve d'objectivité, de prudence et de progressivité. Mais comme l'a dit Bergson, la vie n'est pas neutre, il faut choisir.

Estimant que la démocratie a beaucoup à gagner d'une présence accrue des femmes dans les assemblées élues, je voterai, avec la majorité du groupe du RDSE cette révision de la Constitution (Applaudissements).

M. BOCQUET - Je veux, d'abord, rendre hommage à toutes les femmes qui ont, par leur détermination, su convaincre les hommes politiques de tenir compte du rôle qui devait être le leur. Le XXIe siècle sera celui de l'égalité des hommes et des femmes. Cela ne pourra que " doubler les forces intellectuelles du genre humain et ses probabilités de bonheur " comme écrivait Stendhal.

Depuis le début du siècle, des progrès remarquables ont été faits : droit de vote, contraception, IVG, égalité professionnelle. Ce texte sur la parité représente une avancée insigne, mais il faudra multiplier les efforts pour qu'elle entre dans les faits.

Il est urgent de réaliser les conditions de l'égalité entre les hommes et les femmes, car des inégalités persistent encore dans le domaine des emplois et des salaires. La loi sur les 35 heures devrait déboucher sur de vrais progrès si le Gouvernement ne cède pas aux exigences du MEDEF. Un coup de pouce au SMIC, dès le 1er juillet, ne serait pas un luxe (Applaudissements sur plusieurs bancs ; exclamations sur d'autres), cela ne pourrait qu'être favorable aux femmes.

Beaucoup reste à faire pour combler nos retards dans le domaine de la mixité à tous les niveaux.

Les députés communistes, favorables à l'égalité entre les hommes et les femmes, voteront cette réforme constitutionnelle (Applaudissements).

M. le PRÉSIDENT - Nous allons procéder au scrutin.

Le scrutin est ouvert à 17 h 30.

La séance, suspendue à 17 heures 30, reprend à 18 heures.

M. le PRÉSIDENT - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants : 836

Suffrages exprimés : 788

Majorité requise: 473

Pour : 745

Contre : (Hou !) 43

Le Congrès a adopté (Applaudissements prolongés).

Le texte sera transmis au Président de la République.

Le Congrès a épuisé son ordre du jour : la session est close.

La séance est levée à 18 heures 5.