René Coty bénéficie de la reconnaissance de la fonction présidentielle qu'a conquise de haute lutte son prédécesseur Vincent Auriol. Mais il se montre plus réservé. Interprétant strictement ses pouvoirs de chef d'État, il ne sort de son rôle d'arbitre qu'en cas de situation exceptionnelle. Il tient à assurer la cohésion du pouvoir exécutif en modérant les dissensions interministérielles et en soutenant les décisions gouvernementales une fois acquises, quitte à en faire préalablement la critique, lors d'entretiens privés ou pendant le Conseil des ministres. Durant ce dernier, il intervient pour donner son avis, mettre en garde ou rappeler les règles constitutionnelles. Surtout, il souhaite favoriser la continuité de l'État. A cet égard, la fréquence des crises ministérielles, qu'il tente toujours de retarder, le désole. Dès son élection, René Coty, qui avait voté contre le projet de Constitution en 1946, prône la réforme des institutions : « un régime ne sait se défendre que s'il sait se réformer ». Son avertissement n'est pas entendu, mais cette conscience de la faiblesse du régime l'aide sans doute à prendre les décisions de 1958.

Le rôle essentiel du Président est le choix du président du Conseil. A la première crise ministérielle, René Coty appelle Pierre Mendès-France pour succéder à Joseph Laniel. Son choix est ratifié sans réelles difficultés par l'Assemblée nationale. Pierre Mendès-France apprécie l'arbitrage du Président et lui soumet souvent ses projets avant le Conseil des ministres, afin de bénéficier d'un recul qu'il lui est difficile de conserver dans le feu de l'action.

Statue de Pierre MENDES FRANCE dans le jardin du Luxembourg
Statue de Pierre MENDES FRANCE dans le jardin du Luxembourg

Lorsque le gouvernement Mendès-France tombe, René Coty doit faire preuve d'habileté pour reconstituer une majorité centriste unie et calmer les radicaux, irrités par l'ancien président du Conseil. Il souhaite faire appel à Edgar Faure. Mais pour être certain d'imposer son candidat, il utilise une tactique créée par Vincent Auriol, celle des « tours de piste ». Pour donner le change aux différents partis et montrer l'intérêt qu'il leur témoigne, il pressent plusieurs personnalités  (Antoine Pinay, Pierre Pflimlin, puis Christian Pineau) dont les chances d'investiture sont faibles.

Une fois ces trois candidats éliminés (par leur désistement ou par un vote négatif de l'Assemblée), il présente avec succès Edgar Faure.

Lorsqu'une nouvelle crise se profile, Edgar Faure provoque des élections anticipées par une dissolution de l'Assemblée nationale. René Coty s'oppose en vain à cette mesure. Celle-ci renforce en effet les positions communistes et poujadistes, ce qui fragilise la majorité centriste. Le Front républicain, qui remporte cependant cette élection, a deux têtes : Guy Mollet et Pierre Mendès-France. René Coty nomme Guy Mollet de préférence à Pierre Mendès-France. Le parti de ce dernier est affaibli par des querelles internes et il n'a ni le soutien des fervents défenseurs de la construction européenne, ni celui des partisans de l'Algérie française.

Edgar FAURE
Edgar FAURE

Guy Mollet, comme Pierre Mendès-France, apprécie les avis du Président Coty. « C'est le meilleur des conseillers. Il a plus de bon sens, à lui tout seul, que l'ensemble du Parlement. » Cependant, Guy Mollet subit la même usure que ses prédécesseurs, ce que regrette amèrement René Coty. Il constate en juillet 1957 : « La France est le pays où le pouvoir exécutif est le plus désarmé en face du législatif ».

A cette date, les crises s'accélèrent et se prolongent. Après 21 jours d'intermède, René Coty nomme Maurice Bourgès-Maunoury. Le nouveau Gouvernement ne résiste pas longtemps. Durant une crise qui s'étend sur 36 jours, le président pressent tour à tour Guy Mollet, René Pleven, Antoine Pinay et Robert Schuman. Tous se désistent ou sont rejetés par l'Assemblée nationale. René Coty fait alors appel à un homme moins connu, Félix Gaillard.

Conscient de l'impasse dans laquelle se trouve le régime, il sait cependant que cette solution n'est que provisoire. Depuis 1955, René Coty pense au général de Gaulle sans réussir à le rencontrer en privé. Il réalise d'ailleurs que les parlementaires ne sont pas encore prêts à admettre la nécessité du changement radical qu'implique l'arrivée du général aux affaires. Après la chute de Félix Gaillard, tous ses candidats sont refusés. Il prévient les partis : « Si les groupes parlementaires ne s'accordent pas, y aura-t-il d'autre solution que l'appel au général de Gaulle ? ».

Sa dernière mission est d'obtenir du général de Gaulle un retour dans des conditions constitutionnellement acceptables et de convaincre les parlementaires qu'il n'y a plus d'autre issue. Avant de parvenir à ce résultat, il fait appel à Pierre Pflimlin, dont l'investiture déclenche la crise du 13 mai 1958.