Réuni le mercredi 15 mars 2023 sous la présidence de M. André REICHARDT (Les Républicains – Bas-Rhin), président, le groupe d’amitié France – Afrique de l’Ouest s’est entretenu, par visioconférence, avec Mme Emmanuelle BLATMANN, Ambassadrice de France au Nigéria.

Ont également participé à la réunion : MM. Bruno BELIN (Les Républicains – Vienne), président délégué pour le Burkina Faso, Jean SOL (Les Républicains – Pyrénées-Orientales), président délégué pour le Ghana, Guillaume CHEVROLLIER (Les Républicains – Mayenne), vice-président, et Lucien STANZIONE (Socialiste, Écologiste et Républicain – Vaucluse), secrétaire.

Mme Emmanuelle BLATMANN a rappelé que les élections présidentielles et parlementaires s’étaient tenues au Nigéria le 25 février dernier, et indiqué que l’élection des gouverneurs et des assemblées d’États, prévue le 11 mars, avait été reportée d’une semaine. Ces élections, avec 93,5 millions d’électeurs inscrits et 176 000 bureaux de vote, ont constitué un défi logistique colossal. Bien préparées par la commission électorale nationale, elles ont sans doute été les plus observées de l’histoire du pays, avec 150 000 observateurs locaux et internationaux, dont ceux de la Commission européenne et du Parlement européen.

L’ambassadrice a indiqué que ces élections s’étaient globalement bien déroulées : il n’y pas eu de violences, comme redouté, même si l’insécurité a parfois empêché de voter. Deux innovations avaient été introduites : d’une part, chaque électeur disposait d’une carte électorale biométrique et, d’autre part, les résultats devaient être transmis par voie électronique à la commission électorale nationale. Toutefois, des problèmes informatiques survenus le soir du scrutin, et une mauvaise communication, ont jeté un doute sur la sincérité du processus électoral. Pour autant, l’éventualité d’une fraude massive peut être écartée car les résultats, assez surprenants, ont bouleversé le traditionnel bipartisme nigérian en laissant place à un tripartisme. Chacun des trois principaux candidats est arrivé en tête dans douze États, tandis que d’autres États ont basculé, dans un sens ou dans l’autre – à Lagos, fief du parti au pouvoir, M. Peter OBI est arrivé en tête. Avec 30 % des suffrages, soit 8,8 millions de voix – le deuxième en ayant obtenu 7 millions – à l’issue du premier tour, M. Bola TINUBU a été élu ; il a en effet rempli les conditions posées par la loi : avoir obtenu la majorité relative au niveau fédéral et plus de 25 % des suffrages dans au moins deux-tiers des États fédérés.

Mme Emmanuelle BLATMANN a fait observer que les résultats avaient été contestés, le contentieux ayant toutefois peu de chances d’aboutir. La participation de 27 % a été très faible, mais conforme aux habitudes électorales nigérianes – l’insécurité, la crise de liquidités actuelle et la pénurie de fioul n’ont guère été propices à la participation. La place des femmes dans la vie politique a reculé par rapport au précédent cycle électoral – avec 4 % de femmes élues, alors que le taux moyen de représentation des femmes est de 25 % en Afrique – et les prochaines élections locales devraient confirmer cette évolution du fait de la quasi-absence de candidates investies. M. Bola TINUBU prendra ses fonctions le 26 mai. Fin politique, cet homme de 70 ans a une grande expérience de la gestion – il a été le gouverneur de Lagos, mégapole de 20 millions d’habitants, à la tête de laquelle il a obtenu un bon bilan –, mais souffrirait de problèmes de santé. Il semble apprécié et plus populaire que le président sortant.

L’ambassadrice a indiqué que le Nigéria était un pays connaissant de nombreuses crises, ce qui ouvre au Président TINUBU des chantiers considérables. C’est aussi un pays de paradoxes : première puissance économique du continent africain, et 26e au niveau mondial, comptant de nombreuses grosses fortunes, géant démographique (220 millions d’habitants, 400 millions attendus en 2050, troisième pays le plus peuplé de la planète à la fin du siècle), le Nigéria, en dépit de ses ressources naturelles très abondantes, notamment gazières et pétrolières, est frappé par la pauvreté – 60 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. C’est aussi un pays riche en start-up et leader sur le plan culturel, en particulier pour la musique et le cinéma, Nollywood étant désormais le deuxième producteur de films au monde après Bollywood.

Mme Emmanuelle BLATMANN a fait observer que l’insécurité s’était aggravée. Certes, Boko Haram a beaucoup perdu en capacité militaire – plusieurs milliers de combattants  se sont rendus –, mais n’a pas disparu. Quant à l’État islamique en Afrique de l’Ouest, il s’est propagé au-delà du Nord-Est du pays et  a créé des cellules terroristes dans plusieurs Etats fédérés. Il s’est en outre associé à des groupes criminels dans le Centre et le Nord-Ouest. Le banditisme et la criminalité organisée ont connu une véritable explosion dans l’ensemble du pays, essentiellement en raison de la pauvreté, et l’enlèvement contre rançon s’est généralisé. Le Nigéria est par ailleurs confronté à d’autres formes d’insécurité : les tensions ancestrales entre agriculteurs et éleveurs, accrues par la désertification et les migrations climatiques vers le Sud ; les revendications indépendantistes, en particulier dans l’ancien Biafra ; la corruption endémique – le pays était classé 154e sur 180 en 2021 pour l’indice de perception de la corruption de Transparency International. En revanche, les autorités ont obtenu de bons résultats dans la lutte contre la piraterie maritime grâce à une réelle volonté politique, au renforcement des moyens de la Marine (avec l’acquisition de bateaux patrouilleurs français) et à une bonne coordination régionale dans le Golfe de Guinée.

L’ambassadrice a ensuite passé en revue les nombreux et importants défis que le nouveau chef de l’État devra relever :

- la sécurisation des installations pétrolières et gazières, prises pour cible par les pirates ; on estime que jusqu’à 90 % de la production pétrolière onshore a pu être détournée en 2021 et 2022 et qu’il existe environ 1 400 raffineries clandestines, à tel point que la production pétrolière a été mise à l’arrêt pendant la majeure partie de l’année 2022. L’économie nigériane en souffre et n’a pas bénéficié de la hausse des prix de l’énergie en 2022, au moment où les Occidentaux cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement ;

- un important déficit en infrastructures ;

- une croissance démographique qui reste supérieure à la croissance économique et qui contribue à la paupérisation accélérée de la population dans un contexte de tensions communautaires – des millions d’enfants souffrent de malnutrition ;

- une grande vulnérabilité climatique et une exposition aux catastrophes naturelles telles que les inondations meurtrières de 2022 ;

- un trop faible niveau de prélèvements obligatoires, qui appelle des réformes structurelles.

Enfin, Mme Emmanuelle BLATMANN a abordé les relations bilatérales. Le Nigéria, qui est l’un des pays les plus aidés au monde en raison des conséquences désastreuses qu’entraînerait sa déstabilisation, est potentiellement un acteur majeur de la scène régionale et internationale. Il s’est toutefois refermé sur lui-même au cours de la période récente. La France considère que ce repli est préjudiciable pour l’Afrique occidentale et pour le continent africain, et que la stabilité et la prospérité du pays sont importantes pour ses propres intérêts. Les relations bilatérales ont connu un essor important depuis quelques années. L’Agence française du développement (AFD) a soutenu des projets à hauteur de près de 3 milliards d’euros depuis 2012, dont 800 millions via sa filiale PROPARCO orientée vers le secteur privé. Ces investissements ont d’abord porté sur les infrastructures puis sur l’enseignement supérieur, la formation professionnelle et l’employabilité des jeunes ; l’objectif est désormais de prioriser l’agriculture. Le Nigéria est le premier partenaire commercial de la France en Afrique subsaharienne, mais notre pays souffre d’un déficit commercial important. Près d’une centaine d’entreprises françaises sont installées au Nigéria dans des secteurs très variés (pétrole, pharmacie, agro-alimentaire, sécurité, assurances, etc.) ; elles emploient plus de 10 000 Nigérians. Les priorités actuelles de la coopération française au Nigéria portent sur : l’appui à la culture et aux ICC, les échanges universitaires et la mobilité étudiante ; l’aide humanitaire, qui a quintuplé en deux ans ; le soutien à la société civile (formation des agriculteurs, femmes, victimes de la traite des êtres humains, etc.). Le sentiment anti-français n’existe pas au Nigéria ; au contraire, notre pays y jouit d’une bonne image. La France dispose dans le pays de quinze implantations culturelles : un Institut français à Abuja ; dix Alliances françaises, dont celle de Lagos, qui est sans doute l’une des plus belles au monde ; deux lycées français, d’un Institut de recherche sur l’Afrique. Nous y disposons en outre d’une chambre de commerce bilatérale très dynamique ainsi que d’un Conseil d’affaires de haut niveau créé en 2018 à l’initiative du président de la République et qui rassemble les plus grosses fortunes nigérianes et de nombreux entrepreneurs français. En revanche, la coopération décentralisée y est inexistante, et l’ambassade cherche à la développer.

En réponse à une question de M. André REICHARDT, président, Mme Emmanuelle BLATMANN a indiqué que l’approfondissement des relations parlementaires serait bienvenu et contribuerait à nourrir la relation bilatérale. Les autorités nigérianes sont très ouvertes à développer des relations politiques avec la France. La délégation de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat français avait d’ailleurs été très bien reçue au Nigéria en décembre 2022.

Contact(s) :

  •