Maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues, à la demande du GEST.

Discussion générale

M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi du GEST a été cosignée par des collègues de plusieurs groupes, que je remercie chaleureusement. L'avenir de nos grands barrages est un sujet crucial, qui transcende les clivages politiques. Il y va de notre souveraineté énergétique et de la gestion de la ressource en eau.

Le pilotage du développement des énergies non renouvelables dans notre pays est erratique ; il faut le revoir de fond en comble.

Sénateur alpin, je suis ému de vous présenter ce texte : ce combat, hélas perdu quant à la fabrication des turbines à Grenoble, est au coeur de mon engagement depuis le premier jour.

Nos 420 plus grands barrages hydroélectriques - de plus de 4,5 mégawatts - doivent demeurer au sein du domaine public. Or alors que plus d'une centaine de contrats de concession arriveront à échéance d'ici à la fin 2022, les règles européennes de mise en concurrence risquent de s'appliquer.

Notre dispositif ne vise pas les barrages de moins de 4,5 mégawatts, qui pourront éventuellement être exploités par des opérateurs privés.

Nous proposons la création d'une quasi-régie, seule solution qui respecte le droit européen. Les services de la Commission européenne, sollicités notamment par Yannick Jadot et Michèle Ravasi, l'ont confirmé. La quasi-régie ne sera mise en place qu'à l'expiration des concessions en cours.

Il est surprenant que nous ne nous retrouvions pas tous sur ce dispositif, alors que nous affirmons tous être contre la mise en concurrence des barrages. Ce que nous proposons est une étape indispensable, même pour ceux qui ne souhaitent pas un service totalement public.

Je voudrais bien qu'on m'explique quelles seraient les autres solutions possibles.

Mme Pompili a évoqué un « plan B » en cas d'échec du contesté projet Hercule. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cette proposition de loi ne liera pas les mains du prochain Président de la République.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.  - Ou de la prochaine Présidente de la République...

M. Guillaume Gontard, auteur de la proposition de loi.  - Il s'agit d'affirmer un principe clair et intangible : les barrages doivent demeurer dans le giron public.

L'absence actuelle de visibilité pénalise les acteurs et entraîne une gestion dégradée des barrages, qui compromet la sécurité. Mettons un terme à cette incertitude.

Cette proposition de loi offre une vision du pilotage de la transition énergétique à quelques mois d'élections capitales pour l'avenir énergétique du pays. Lutte contre le changement climatique, souveraineté, accès abordable à l'énergie, nucléaire en fin de vie : la question énergétique sera au coeur des prochaines échéances.

Le développement des énergies renouvelables est insuffisant dans notre pays ; nous sommes très loin de l'Allemagne en puissance installée et n'avons pas réussi à bâtir une industrie souveraine.

Ainsi, le solaire produit seulement 11,6 térawattheures par an, soit 2,2 % de notre consommation d'électricité. Pour rattraper ce retard, le Gouvernement a annoncé un appel d'offres de 18 milliards d'euros, mais nous achetons en Chine des panneaux d'entrée de gamme produits dans de mauvaises conditions sociales. EDF achète en Chine mais veut se séparer de Photowatt, en Isère !

L'incohérence est totale et la stratégie industrielle fait défaut. Or il nous reste à peine dix ans pour réussir la transition énergétique.

Un grand acteur public pourrait planifier et réguler, assurer la souveraineté de notre pays, développer les filières, renforcer la recherche, accompagner les porteurs de projet, favoriser l'acceptation par les populations et garantir un prix de l'électricité égal en tout point du territoire. Aucune entreprise privée ne le pourrait - sans parler de l'objectif de sobriété.

En outre, une coordination publique résoudrait le problème du développement anarchique des éoliennes, régulièrement dénoncé par nombre d'entre vous.

Si la puissance publique ne joue pas son rôle de locomotive, nous ne réussirons pas la transition énergétique ! Mes chers collègues, nous devrions tous nous retrouver sur ces grands enjeux. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Aux côtés du nucléaire, les énergies renouvelables sont un ressort essentiel de la décarbonation de notre économie. Elles représentent déjà 25 % de notre mix électrique.

L'hydroélectricité est une énergie ancienne, puisqu'elle a été mise en place en France dans les années 1920 et complétée dans les années 1950, mais aussi très actuelle, car porteuse d'externalités positives.

Le renouvellement des concessions a engendré un important contentieux avec la Commission européenne, marqué par les mises en demeure de 2015 et 2019. Sur nos 400 concessions, 300 sont exploitées par EDF. Quarante concessions échues ont été placées sous le régime du délai glissant.

La commission des affaires économiques est très attentive à cette situation : un groupe de travail sur la réforme du marché de l'électricité a été formé. Nous avons fait adopter une proposition de loi sur l'hydroélectricité, dont le contenu s'est retrouvé, par voie d'amendements, dans le projet de loi Climat et résilience.

Nous avons ainsi fait adopter l'obligation de maintenir notre souveraineté énergétique ; l'information des maires et présidents de communautés de communes, en amont de l'échéance des concessions, grâce à un comité de suivi ; enfin, la simplification de la création de sociétés d'économie mixte (SEM) hydroélectriques.

Une proposition de résolution a également été déposée pour demander au Gouvernement de préserver notre modèle concessif.

C'est donc avec intérêt que nous avons examiné ce texte qui pose néanmoins plusieurs difficultés. D'abord, sur le principe, toute solution pérenne sur les concessions nécessiterait un accord avec la Commission européenne dans le cadre d'un projet global qui traiterait également du nucléaire. Adopter ce dispositif n'éteindrait pas le contentieux en cours.

La deuxième difficulté est de méthode : presque tous les acteurs du secteur que nous avons entendus s'y opposent.

Enfin, sur le fond, l'article premier est peu opérant. Il abroge la distinction légale entre le régime de la concession et celui de l'autorisation, ce qui introduit un flou sur le régime des 2 100 installations autorisées et des 400 installations concédées. La deuxième abrogation du texte est prématurée, car les collectivités territoriales n'ont pas été consultées.

Quant à l'extension de la quasi-régie à l'ensemble des concessions, qu'elles soient gérées par EDF ou par la concurrence, ni la loi de 1919 ni celle de 1946 n'avaient ainsi placé l'ensemble des concessions dans le cadre public.

Les modalités juridiques de ce régime de quasi-régie sont imprécises dans le texte : nous ne pouvons en apprécier ni la constitutionnalité, ni la conventionalité.

Du jour au lendemain, l'adoption de ce texte rendrait caduques les 360 concessions non échues.

Enfin, le coût complet du dispositif pour l'État serait de plusieurs milliards d'euros de compensations capitalistiques pour les concessionnaires et de reclassement des salariés des anciennes concessions.

L'article 2 est, quant à lui, satisfait. Le code de l'énergie consacre un service public de l'électricité et du gaz qui englobe les énergies renouvelables. Les énergies renouvelables font l'objet d'objectifs dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, ainsi que de dispositifs de soutien. L'obligation de rachat et le complément de rémunération représentent un effort de 180 milliards d'euros d'ici à 2028.

Le champ de l'article, très général, laisse de côté l'énergie décarbonée qu'est le nucléaire.

Pour toutes ces raisons, notre commission a rejeté cette proposition de loi. Elle pose cependant une question cruciale : celle des négociations sur les concessions. Que ses auteurs en soient remerciés.

Madame la ministre, la quasi-régie est-elle toujours envisagée ? Quand le Sénat en sera-t-il saisi ? Il y a eu trop de changements de pied, de pertes de temps. Nous ne pouvons nous satisfaire d'une politique de l'énergie à vue.

Dès juin 2020, notre commission avait alerté le Gouvernement sur un risque de flambée des prix après la crise sanitaire. Nous avons besoin d'anticipation, de constance, de rigueur. Une énergie peu chère et peu émissive est une condition de la reprise de notre économie et de sa décarbonation. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques, applaudit.)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État, chargée de la biodiversité .  - L'hydroélectricité est essentielle à la diversité de notre mix électrique et à l'atteinte de notre objectif de neutralité carbone en 2050. L'objectif du Gouvernement, comme celui du GEST, est de faciliter son déploiement : merci, donc, de nous donner l'occasion d'en débattre.

L'hydroélectricité est une fierté nationale, qui représente 20 % de notre puissance installée et 12 % de notre production électrique. Grâce à ce pari fait il y a plus d'un siècle, la France a le deuxième parc hydroélectrique européen après la Norvège. Le savoir-faire français est reconnu internationalement.

Le Gouvernement est très attaché à la défense de cette énergie. Par la réglementation, en garantissant un niveau minimum des cours d'eau ; et en agissant pour la continuité écologique. J'étais vendredi dernier dans le Bas-Rhin, où 80 millions d'euros ont été engagés, au titre du plan de relance, pour lever les obstacles à la continuité sur le Rhin.

Malgré son ancienneté, l'hydroélectricité vit avec son temps. C'est une énergie largement pilotable, régulière, essentielle à notre souveraineté énergétique et à la flexibilité de notre système électrique. C'est aussi un enjeu pour le développement local : elle emploie plus de 12 000 personnes et génère 15 000 emplois indirects.

L'enjeu crucial de l'eau justifie que les installations hydroélectriques soient clairement identifiées comme relevant du domaine public. La situation des concessions échues ne satisfait pas davantage le Gouvernement que vous : le contentieux européen pendant, l'absence de visibilité compromettent les investissements nécessaires à la pérennité de ces installations.

Ce texte applique à l'ensemble des concessions le régime de la quasi-régie. Cela a été envisagé pour les concessions relevant d'EDF, mais n'a pas vocation à toucher l'ensemble des installations - je songe notamment à celles concédées à la Compagnie nationale du Rhône (CNR).

Le régime en vigueur est satisfaisant. Aucune concession française n'est exploitée à 100 % par une entité publique. Cela n'empêche pas un encadrement strict du partage de la ressource en eau. Le régime des concessions permet de maintenir ces installations dans le domaine public, tout en confiant l'exploitation à un tiers. Le ministre de la transition écologique peut fixer les conditions d'entretien et d'investissement.

La proposition de loi crée, en son article 2, un service public de l'énergie renouvelable. Or le code de l'énergie consacre déjà les services publics de l'électricité et du gaz, qui englobent les énergies renouvelables. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) organise une planification coordonnée, préparée par les services du ministère de la transition écologique et l'Ademe. Des objectifs sont fixés dans le code de l'énergie, la PPE et la stratégie nationale bas carbone.

La France défendra auprès de la Commission européenne les regroupements de concessions par vallée.

Nous n'avons pas pu aboutir dans le calendrier imparti à la réorganisation d'EDF, mais notre objectif est de conserver la gestion de ces concessions sans mise en concurrence. Cela se fera dans le cadre d'un accord d'ensemble avec la Commission européenne.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à votre proposition de loi.

M. Yves Bouloux .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission) L'hydroélectricité est la deuxième source de production d'électricité derrière le nucléaire ; c'est la première énergie non renouvelable.

Rappelons que les installations hydroélectriques de plus de 4,5 mégawatts sont soumises au régime de la concession. On dénombre en France 400 concessions, représentant 90 % du total de la puissance hydroélectrique installée. Quelque 300 sont exploitées par EDF et 100 par des concurrents.

Avec cette proposition de loi, vous ambitionnez de conserver les installations dans le domaine public, en plaçant en quasi-régie celles qui ont une puissance de plus de 4,5 mégawatts.

Ce n'est ni réaliste ni approprié ; le projet Hercule ne prévoyait ce régime que pour les concessions gérées par EDF. Le texte ne prévoit pas de conditions de résiliation, ni de transition. Quant au financement, rien n'est précisé.

Le contentieux relatif au renouvellement des concessions ne sera résolu que sur la base d'un accord avec Bruxelles, en concertation avec les concessionnaires.

L'article 2 propose lui aussi des solutions inadaptées. La commission des affaires économiques a commencé à travailler sur la réforme du marché électrique et entame une série d'auditions sur la souveraineté énergétique. Je salue l'initiative du GEST sur un sujet crucial, mais le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Daniel Salmon .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) En créant un service public des énergies renouvelables, cette proposition de loi apporte une réponse concrète à l'ouverture à la concurrence des grands barrages, imposée par une directive européenne. Beaucoup d'entre nous sont conscients du risque que pose, à terme, l'ouverture de 150 concessions à la concurrence. C'est un enjeu de souveraineté industrielle et de transition écologique.

L'hydroélectricité est une composante essentielle, car pilotable, du mix énergétique, mais pas seulement. Ainsi, depuis plusieurs décennies, l'hydroélectricité structure l'économie d'un grand nombre de vallées.

La France va connaître un nombre croissant de pénuries ; l'eau est un bien commun crucial pour l'irrigation, le refroidissement des centrales nucléaires notamment. L'utilisation des retenues d'eau doit donc répondre à des objectifs d'intérêt général et non de rentabilité. Aujourd'hui, les concessions relèvent de trois entités différentes ; ce n'est pas optimal, notamment quand les barrages d'amont et d'aval sont gérés par des compagnies différentes.

La Commission européenne elle-même a identifié l'exploitation en régie ou en quasi-régie comme la seule solution eurocompatible pour nous débarrasser de cette épée de Damoclès qu'est l'échéance des concessions. C'est pourquoi le GEST s'étonne de votre position, madame la ministre. Notre solution est assez proche de ce que le Gouvernement prévoyait dans son projet EDF Azur, et vous ne nous avez pas exposé de plan B pour conserver ces concessions dans le domaine public.

L'article 2 de la proposition de loi, qui crée un grand service public des énergies non renouvelables, pallie l'absence totale de politique publique efficace pour harmoniser le développement des énergies renouvelables.

Je m'étonne aussi des positions des autres groupes et du rapporteur : plutôt que de pinailler sur les arguties juridiques, nous aurions attendu de vraies propositions alternatives.

L'exemple de la méthanisation est criant : sur le terrain, de vives inquiétudes se font jour et elles sont légitimes : c'est que l'État n'a pas joué son rôle de régulation, d'accompagnement et de planification territoriale.

Je vous demande donc de voter pour ce texte, seule solution crédible et efficace pour sauver nos barrages et assurer un pilotage harmonieux de notre production renouvelable. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme la présidente de la commission applaudit également.)

M. Fabien Gay .  - Protéger les barrages de la mise en concurrence, empêcher que certains groupes étrangers ou nationaux comme Total ne mettent la main sur la houille blanche n'est plus une option, c'est un impératif.

Ce n'est pas un hasard si un large consensus s'est fait contre une libéralisation dangereuse et irrationnelle de l''hydroélectricité qui, avec ses capacités de stockage et sa réactivité en période de pointe, est la clé de voûte de notre énergie. De plus, elle est produite à un prix stable et accessible, une qualité que le marché ne supporte pas !

Ce n'est pas par dogmatisme que ce secteur bénéficie depuis 1919 d'une régulation protectrice qui concilie l'essor industriel avec la préservation de l'environnement et de la ressource en eau.

Le système mis en place en 1946 a consacré une gestion publique de l'énergie autour d'un monopole public intégré. Il a nationalisé la force hydroélectrique dans tous les cours d'eau.

Or depuis qu'EDF a perdu son statut d'établissement public en 2004, la Commission européenne fait pression sur la France pour l'ouverture à la concurrence des concessions arrivées à échéance. Mais peut-on laisser les clés de la ressource en eau à des acteurs ayant pour seul horizon le profit court-termiste ? Non !

Nous saluons par conséquent l'intention des auteurs de la proposition de loi, mais elle ne nous convainc pas. (Marques de déception sur les travées du GEST) En effet, la quasi-régie est une dérogation au droit de la concurrence : c'est donc qu'elle reconnaît en creux un régime qui ne fonctionne pas. (La déception redouble.) C'est un mécanisme très proche de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), que nous récusons car il oblige l'opérateur à revendre une partie de sa production aux fournisseurs alternatifs.

Surtout, ce texte reste muet sur les opérateurs, et donc sur le risque de filialisation, prélude à un rachat par l'État ou à une transformation en établissement public. Rappelons-nous que la filialisation d'EDF Azur, à laquelle nous nous étions fermement opposés, figurait dans le projet Hercule. Certes, la relation de quasi-régie avec l'État sort la grande hydroélectricité du domaine de la concurrence, mais elle reste dans une logique de désintégration d'EDF.

Toute solution pérenne doit s'inscrire dans un projet global qui ne ferait pas l'impasse sur le statut d'EDF, la régulation du nucléaire, l'Arenh et les tarifs réglementés.

Enfin, qu'adviendra-t-il du personnel des sociétés concessionnaires comme la Compagnie nationale du Rhône ou la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) ? Nous défendons une renationalisation d'EDF et la production, le transport et la production d'électricité dans un groupe intégré.