Conseillers de l'Assemblée de Guyane (Procédure Accélérée)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la répartition des sièges de conseiller à l'assemblée de Guyane entre les sections électorales

Discussion générale

M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer . - Cette proposition de loi adapte la répartition des conseillers de la collectivité territoriale de Guyane entre les huit sections.

Nous avons souhaité une co-construction entre l'Assemblée nationale et le Sénat car nous ne sommes pas en avance sur le calendrier électoral. L'absence d'amendements permettra un vote conforme. L'ensemble des forces politiques locales et des élus ont été associés - je salue à cet égard Mme la sénatrice Phinera-Horth, qui était encore récemment maire de Cayenne.

Ce texte répond à l'enjeu démocratique. La Guyane est le seul territoire de la République qui n'a pu tenir le calendrier des municipales avant l'automne, et où les élections sénatoriales se sont donc tenues avec un corps électoral partiellement renouvelé. Elle s'est adaptée, avec beaucoup de résilience, à la crise sanitaire.

Enfin, ce texte répond à l'enjeu démographique, qui tient, entre autres, à la natalité élevée en Guyane. Derrière cette adaptation du droit électoral se pose aussi la question de l'accompagnement de cette dynamique en termes d'infrastructures, de réseaux, de carénage des services publics. Questions auxquelles nous avons déjà apporté des réponses dans le projet de loi de finances pour 2021.

Je prie la Haute Assemblée de bien vouloir adopter ce texte.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure de la commission des lois . - Cette proposition de loi est un texte d'ajustement : elle adapte le mode de scrutin de l'Assemblée de Guyane à la réalité démographique.

La Guyane est, après Mayotte, le territoire français qui connaît la croissance démographique la plus vive, passant de 259 965 habitants en 2015 à 290 691 habitants au 1er janvier 2020. La répartition de la population évolue, avec une concentration sur l'Ouest guyanais et Saint Laurent-du-Maroni et, dans une moindre mesure, l'agglomération de Cayenne.

Alors que le seuil de 250 000 habitants a été franchi et que celui de 300 000 devrait l'être très prochainement, la proposition de loi prévoit une solution pérenne et souple pour la répartition des sièges de conseiller à l'Assemblée de Guyane.

En l'état actuel du droit, le mode de scrutin prévoit une attribution minimale de trois sièges par section ainsi qu'une prime majoritaire de onze sièges à la liste arrivée en tête, elle-même répartie entre les sections, à raison d'un siège au moins par section.

La proposition de loi inscrit dans la loi non le nombre de sièges, mais les règles de répartition, en renvoyant à un arrêté du préfet de Guyane leur mise en oeuvre avant chaque scrutin.

Cette répartition s'effectuerait proportionnellement à la population de chaque section selon la règle de la plus forte moyenne. La prime majoritaire serait fixée à 20 % du total des sièges - soit, en l'espèce, onze sièges. C'est un choix de continuité, une formalisation et une pérennisation de la répartition actuelle.

La proposition de loi ne présente aucune difficulté de fond.

J'ai consulté autant que faire se peut les élus concernés : Rodolphe Alexandre, Lenaïck Adam, auteur de la proposition de loi, Georges Patient et Marie-Laure Phinera-Horth. J'ai acquis la certitude que le travail de concertation sur ce texte avait fait émerger un consensus sur sa rédaction.

Si la question de la prime majoritaire a pu être évoquée en commission, aucun des élus de terrain auditionnés n'a émis de critique, bien au contraire.

Je me suis aussi assurée de la solidité juridique du texte, proposant à mon homologue Lenaïck Adam des amendements qui, adoptés à l'Assemblée nationale, ont utilement clarifié la rédaction.

Conformément au rapport de Jean-Louis Debré relatif à l'organisation des élections départementales et régionales, les élections en Guyane pourraient être maintenues au mois de mars 2021, si les conditions sanitaires le permettent. Cela impliquerait un vote du Parlement avant le 31 décembre 2020, et donc une adoption conforme au Sénat.

Tel qu'issu de l'Assemblée nationale, ce texte apparaît équilibré politiquement et solide juridiquement. Je vous invite à l'adopter sans modifications. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Mme Nathalie Delattre . - En mars prochain, les Guyanais se rendront aux urnes pour renouveler leur assemblée. Au préalable, il nous faut réviser le droit électoral pour tenir compte du dynamisme démographique de ce territoire.

Je me félicite du consensus trouvé. Les ajustements de conditions de scrutin sont parfois regardés avec suspicion, mais en l'occurrence, ce texte est salué comme une avancée par tous les acteurs locaux.

Le nombre d'habitants de la Guyane a dépassé les 280 000, avec une croissance de 30 % en dix ans. Le dispositif proposé consiste en une répartition des sièges entre les sections, proportionnellement à leur population : il permet d'éviter d'avoir à légiférer à nouveau à chaque fois que la population dépasse un seuil.

Il conserve la prime majoritaire existante, nécessaire pour constituer des majorités stables, en simplifiant le droit. Il y a lieu de s'en féliciter.

Plus largement, les changements démographiques en Guyane vont avoir des conséquences puissantes dans les années à venir. À quelques jours de la loi anniversaire du 9 décembre 1905 et de la présentation de la loi confortant les principes républicains, la Guyane est confrontée à une montée en puissance de dérives religieuses et communautaristes. Il faudra veiller à l'usage qui est fait des dérogations dont elle jouit en matière de laïcité... À cet égard, j'encourage les collègues du CRCE à inscrire à l'ordre du jour leur proposition de loi sur le sujet.

Le RDSE votera unanimement ce texte.

Mme Éliane Assassi . - Ce texte fait consensus ; il relève d'un impératif démocratique urgent puisqu'il a vocation à s'appliquer dès les prochaines élections, prévues en mars 2021.

Plutôt que d'adapter le nombre de conseillers, il inscrit dans la loi les règles de calculs afin de ne pas avoir à légiférer à nouveau alors que le seuil de 299 999 habitants pourrait être rapidement dépassé. Le représentant de l'État fixera la répartition avant chaque échéance électorale, pour le nombre de conseillers de chacune des huit sections comme pour la prime majoritaire.

Avec un taux de natalité de 26,4 %, la population guyanaise a en effet crû deux fois plus vite que dans les autres départements. Cela a un impact en termes d'infrastructures, de services publics, de qualité de vie. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous regrettons l'insuffisance des crédits consacrés à l'outre-mer, sans parler de leur sous-consommation.

L'épidémie a révélé les défaillances structurelles du système de santé guyanais, aggravées par la pauvreté et la précarité. Les mouvements de protestation en 2017 avaient pourtant alerté sur la situation... Une étude révèle que deux ménages sur cinq ont une alimentation insuffisante ; la moitié dispose de 30 euros ou moins par semaine pour se nourrir !

Ces jeunes, qui représentent 40 % de la population, sont les premiers touchés. Une personne sur cinq est illettrée et les écoles sont saturées dès la maternelle. Seuls 58 % des 25-29 ans sont en activité, contre 86 % en métropole.

Des investissements considérables sont attendus, notamment dans le secteur public.

Nous voterons ce texte de bon sens mais les institutions démocratiques ont peu de consistance sans une égalité de droits et sans justice sociale.

M. Philippe Bonnecarrère . - La présidente Assassi vient de nous rappeler les spécificités de ce territoire. Cela dit, l'exercice qui nous est proposé ce soir est modeste.

Je découvre, grâce à Mme la rapporteure, la notion de texte « d'ajustement ». Sans être exclusivement rédactionnel, il n'a pas de vocation réformatrice mais se contente d'un ajustement marginal pour tirer les conséquences électorales de la croissance démographique actuelle et à venir, en supprimant la référence à des seuils et en prévoyant des modalités de répartition des sièges selon les différentes sections.

Le groupe UC n'aura pas le mauvais goût d'émettre de réserve, sachant que la proposition de loi doit être adoptée définitivement avant le 31 décembre.

Il semble que la prime majoritaire à 20 % ait été jugée excessive par certains collègues en commission, qui ont nuancé l'approbation des différentes forces politiques du territoire. Pourtant aux municipales, elle est plus importante ; aux régionales à la proportionnelle, scrutin qui s'apparente le plus à celui qui nous intéresse ici, elle est de 25 %. Le niveau retenu me paraît donc raisonnable.

L'Union Centriste votera le texte.

M. Jean-Pierre Sueur . - Le 24 janvier 2010, à plus de 57 %, les Guyanais ont approuvé la fusion du département et de la région en une collectivité unique.

Le code électoral fixe un nombre de conseillers et dispose que si la population dépasse les 249 999 habitants, leur nombre est porté à 55. Lors des prochaines élections territoriales, le nombre de conseillers territoriaux de Guyane passera donc de 51 à 55.

En dix ans, la population de Guyane a augmenté de 10 % avec un taux de natalité de 26,4 % contre 11,1 % en moyenne dans les autres départements ; une personne sur deux a moins de 25 ans. Cela fait de la Guyane un territoire plein d'avenir et de jeunesse, mais implique aussi beaucoup de charges, et donc de moyens.

Une nouvelle modification législative serait nécessaire dans peu de temps vu le dynamisme démographique. Ce texte l'évite en fixant des règles de calcul pérennes.

Mais pourquoi un arrêté du préfet de Guyane et non du ministre de l'Intérieur ou de l'outre-mer pour la mise en oeuvre de ces règles ? Selon la rapporteure, il n'y a pas de risque constitutionnel.

La proposition de loi place le pouvoir réglementaire en situation de compétence liée. L'intervention ministérielle n'est donc pas nécessaire. Les choses sont claires.

Nous avons été saisis par certains Guyanais du sujet de la prime majoritaire. Avec 54,5 % des voix, la liste Guyane Rassemblement a remporté 35 sièges aux dernières élections territoriales, tandis que son opposante, avec 45,5 %, a remporté 16 sièges.

Après réflexion, je rejoins les propos de M. Bonnecarrère sur la prime majoritaire. Personne ne la remet en cause ailleurs. Elle est de 25 % pour les régionales en métropole, en Guadeloupe et à La Réunion et de 20 % en Martinique. Il est sage de ne pas toucher à la cohérence d'ensemble.

C'est pourquoi le groupe SER votera cette proposition de loi.

M. Dany Wattebled . - Cette proposition de loi se caractérise par son aspect technique, son urgence et le consensus qu'elle recueille.

La Guyane est une collectivité territoriale unique dont les conseillers sont élus pour six ans. La liste majoritaire reçoit une prime de onze sièges.

Le nombre de conseillers doit passer de 51 à 55 sièges si la population dépasse les 249 999 habitants et à 61 sièges si elle dépasse 299 999 habitants. Le premier de ces seuils sera dépassé en Guyane prochainement.

La répartition du nombre de conseillers entre les huit sections électorales doit être révisée, mais au lieu d'inscrire le nombre de sièges dans la loi, c'est la règle de calcul qui l'est.

Chaque section disposera d'au moins trois sièges. La prime majoritaire sera de 20 % des sièges et correspond à onze sièges. Elle passera automatiquement à treize sièges lorsque le nombre de conseillers atteindra 61.

Nous n'aurons donc plus besoin de légiférer à chaque franchissement de seuil.

Je me réjouis du consensus sur le mécanisme proposé.

Le groupe INDEP votera à l'unanimité en faveur de ce texte.

M. Guy Benarroche . - La Guyane est un territoire en évolution constante, pas seulement démographique.

Elle fait face à de forts enjeux environnementaux, et les Guyanais attendent avec angoisse les décisions du Gouvernement sur leur avenir minier.

Je fais cet aparté car beaucoup a été dit sur l'organisation de l'assemblée territoriale de Guyane et sur le dispositif de la proposition de loi. La Guyane connaît des enjeux de développement économique immenses. Certaines zones très éloignées craignent un déclassement au profit des trois territoires les plus peuplés, qui représentent plus de la majorité absolue de la nouvelle assemblée territoriale.

Cette inquiétude est atténuée par l'assurance que chaque section comptera au moins trois sièges. Toutefois, le Bureau des élections du ministère de l'Intérieur envisagerait de revenir sur ce seuil minimal en cas de changements importants dans la répartition démographique. Ce ne serait pas admissible, alors que certains territoires excentrés sont confrontés à des enjeux de biodiversité, économiques, sociaux ou médicaux.

Cette proposition de loi doit être adoptée rapidement car l'agenda électoral est contraint : le rapport Debré n'exclut pas le maintien de l'élection de l'Assemblée de Guyane en mars prochain.

Vigilant sur les déséquilibres démographiques, le GEST votera néanmoins ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Cette proposition de loi, déposée par Lénaïck Adam, député de Guyane, n'entraîne aucune modification du mode de scrutin mais permettra une meilleure représentation des populations à l'assemblée territoriale.

Je remercie la rapporteure pour la qualité de son travail. Elle a su saisir le consensus de la classe politique guyanaise sur les objectifs de ce texte et la nécessité de l'adopter avant le 31 décembre 2020 pour permettre la tenue des élections en mars 2021. L'arrêté préfectoral répartissant par sections les sièges de la nouvelle assemblée devra être pris avant le 15 janvier.

Je profite de ce texte pour évoquer un sujet important. La démographie est galopante en Guyane avec une très forte natalité, la plus élevée en France après Mayotte, une mortalité très faible et une pression migratoire élevée et en augmentation.

Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur les chiffres du recensement. Comment expliquer aux Guyanais qui voient proliférer les bidonvilles et les squats que nous n'avons toujours pas franchi le seuil des 300 000 habitants, sur un territoire aussi grand que le Portugal ? Qu'avec 290 000 habitants, nous produirions autant de déchets que 300 000 Nantais, avec un système de collecte des ordures pourtant défaillant, voire inexistant ?

Le rapport Patient-Cazeneuve, dans sa recommandation n°5, fait état des difficultés de recensement. Il faudrait que l'Insee et les communes réalisent des collectes plus précises, notamment dans l'habitat informel, en bordure des fleuves et dans les zones d'orpaillage illégal car nous sommes loin du compte.

Ancienne maire de Cayenne, je tiens à souligner que la sous-estimation de la population a de nombreuses conséquences, notamment sur la dotation générale de fonctionnement (DGF), principale contribution au budget des communes guyanaises. Les écoles de Guyane ne peuvent pas scolariser l'ensemble des enfants et nombre de jeunes sont en déshérence. Nous manquons aussi de logements.

Monsieur le ministre, faites en sorte que l'État et ses services déconcentrés mettent en oeuvre un recensement plus efficace et précis. Le groupe RDPI votera ce texte essentiel à la démocratie guyanaise. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

Mme Muriel Jourda .  - Le groupe Les Républicains votera ce texte qui introduit une souplesse bienvenue dans le calcul de la répartition des sièges à l'assemblée de Guyane.

Nous saluons aussi le travail de la rapporteure Belrhiti qui a innové en procédant, avec l'Assemblée nationale, à une sorte de CMP préventive afin que le texte puisse être adopté conforme.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté.

Prochaine séance demain, mardi 15 décembre 2020, à 14 h 30.

La séance est levée à 18 h 25.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication