Déclaration du Gouvernement relative à l'évolution de la situation sanitaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à l'évolution de la situation sanitaire et aux mesures nécessaires pour y répondre.

M. Jean Castex, Premier ministre .  - C'est dans un contexte particulièrement dramatique de l'attentat atroce de Nice que je m'adresse à vous. Le Président de la République s'est rendu sur place. Il est de mon devoir d'être ici, au Sénat, dans mes fonctions.

La vie démocratique que certains souhaitent abattre doit, plus que jamais, suivre son cours. La France subit une nouvelle fois une attaque sanglante. La République doit rester debout. Je prononcerai donc le discours prévu.

Le vendredi 16 octobre, avec le meurtre de Samuel Paty, la liberté d'expression et la liberté d'enseigner étaient prises pour cible. Aujourd'hui, c'est la liberté de culte et de conscience qui est attaquée.

Dans ce moment d'une gravité exceptionnelle, où l'émotion du pays est à son comble, j'adresse au nom du Gouvernement mes plus sincères condoléances aux familles et proches des victimes et un message de soutien aux catholiques de notre pays, frappés au coeur dans une église à la veille des fêtes de la Toussaint.

Le Président de la République a convoqué demain un Conseil de défense et de sécurité nationale et j'ai activé le plan Vigipirate urgence attentat sur l'ensemble du territoire national.

Vous avez raison, monsieur le Président, la République ne faiblira pas, elle n'abdiquera pas.

Il faut remonter à près d'un siècle dans l'histoire de la France et du monde pour trouver une crise sanitaire comparable à celle que nous vivons. Hier soir, le Président de la République s'est adressé aux Français pour leur faire part des décisions prises pour affronter l'épidémie. Aujourd'hui, il me revient de vous présenter les raisons et les modalités de ces nouvelles mesures. Nous en débattrons et vous vous prononcerez.

J'ai parfaitement conscience que nous demandons à nos concitoyens de nouveaux efforts et sacrifices, mais ils sont rendus nécessaires par cette nouvelle flambée de l'épidémie, qui ne concerne pas que la France mais tous les pays européens.

L'accélération brutale et soudaine, en large partie imprévue dans son intensité y compris par la communauté scientifique, nous oblige à agir plus fort.

Ce virus doit appeler chacune et chacun à la plus grande humilité. Le caractère inédit de la crise et des difficultés qu'elle provoque tient en partie à la nouveauté du virus ; il n'existait pas il y a encore un an et reste encore largement imprévisible.

La France, comme ses voisins, a déconfiné progressivement et de manière territorialisée à partir du 11 mai. Dès que les signes de reprise de l'épidémie se sont manifestés pendant l'été, nous avons mis en place une réponse progressive et territorialisée, là encore comme nos voisins.

Devant cette assemblée dont je connais l'attachement aux territoires, au dialogue et à la proximité, je tiens à saluer les élus locaux avec lesquels je suis en lien permanent depuis des semaines.

Je tiens à saluer leur grand sens des responsabilités. Le couple préfet-maire, dont je me suis toujours fait l'ardent promoteur, fonctionne très bien. Je remercie aussi les départements et les régions pour leur mobilisation.

Cette stratégie se heurte hélas à la flambée de l'épidémie et j'insiste sur ce mot. Aucun pays européen n'est épargné. Je discute régulièrement avec mes homologues de la situation dans leur pays et des mesures mises en place.

En France, l'épidémie sévit désormais sur tous les territoires. Si, comme lors de la première vague, la mortalité affecte principalement des personnes très âgées, la maladie frappe toutes les générations avec des formes graves et parfois des séquelles lourdes et durables.

Aujourd'hui, 60 % des lits de réanimation sont occupés par des patients Covid, soit deux fois plus qu'il y a quinze jours. Au mois de novembre, le pic d'hospitalisation sera vraisemblablement plus élevé qu'en avril dernier. Cette situation nous oblige à accélérer la mise en oeuvre de nouvelles mesures.

Le Président de la République a décidé d'instaurer un nouveau confinement sur l'ensemble du pays jusqu'au 1er décembre, avec des modalités adaptées pour l'outre-mer. Nos voisins sont ou seront contraints à des mesures similaires, car c'est la seule solution pour sauver des vies.

Certains soutiennent que multiplier les lits de réanimation suffirait à endiguer l'épidémie. Mais on ne peut pousser les murs des hôpitaux ni former un médecin-réanimateur ou une infirmière spécialisée en six mois. Quand bien même nous augmenterions sans limite nos capacités, ce raisonnement suppose que l'on accepte que le nombre d'intubations et de morts s'envole. C'est le contraire que nous devons faire : mieux vaut prévenir que guérir.

Seconde idée fausse : certains proposent de confiner les plus vulnérables de nos concitoyens, à commencer par les personnes âgées. Mais qui peut croire que l'on pourrait ériger un mur étanche entre elles et le reste de la population ? Tout aussi fausse est l'idée selon laquelle nous pourrions laisser galoper l'épidémie parmi la population sans qu'elle ne touche les plus âgés.

Nous savons que le confinement n'est pas exempt de graves conséquences économiques, psychologiques et sociales. Ce nouveau confinement sera différent de celui mis en oeuvre au printemps ; nous avons tiré les leçons de la première vague.

D'abord, les établissements scolaires resteront ouverts, car le risque de décrochage scolaire a été accru au printemps dernier, notamment pour les élèves les plus défavorisés. Les enseignants ont aussi souffert d'être séparés de leurs élèves. Je sais pouvoir compter sur leur dévouement et sur leur attachement à la République.

Nos grands services publics - La Poste, les guichets des administrations - doivent aussi continuer à fonctionner dans cette nouvelle phase.

Les crèches, les écoles, les collèges et les lycées resteront ouverts, ainsi que le secteur périscolaire. Dès lundi, le protocole sanitaire sera renforcé. Conformément à l'avis de la Société française de pédiatrie et du Haut Conseil de la santé publique, le port du masque sera étendu aux enfants du primaire dès l'âge de 6 ans.

La France a été l'un des pays les plus touchés par la récession lors du premier confinement. Aussi, tout doit être fait pour éviter une chute brutale de l'activité économique. Ne mettons pas notre économie sous cloche. La plus grande majorité d'entre nous doit continuer à travailler tout en limitant au maximum la circulation du virus : le recours au télétravail doit être utilisé de manière la plus massive possible. Ceux qui ne peuvent y recourir et dont l'activité est autorisée bénéficieront d'une attestation pour aller travailler.

Les activités du bâtiment et des travaux publics (BTP), les usines, les agriculteurs doivent continuer. Pour autant, malgré notre volonté d'adaptation, le confinement aura des conséquences économiques et sociales lourdes, notamment pour les secteurs déjà fragilisés qui seront fermés administrativement. C'est un défi considérable à relever.

Je comprends la détresse de ceux que l'on empêche ainsi de travailler. Les commerces - hors ceux de première nécessité -, les bars, les restaurants, les entreprises de l'événementiel, du sport, du cinéma, du spectacle vivant seront fermés. C'est douloureux car ils participent de l'esprit français, mais nous devons aux Français une ligne claire et des décisions lisibles.

Je pense aussi au tourisme, à l'hôtellerie, à l'aéronautique et à l'automobile. Nous ferons tout pour les accompagner, ainsi que les indépendants, pour éviter les risques de faillite.

L'État a déployé lors de la première vague des mesures exceptionnelles de soutien, parmi les plus ambitieuses d'Europe. Elles seront reconduites et amplifiées, car notre tissu économique est fragilisé depuis le printemps.

Mercredi, le Conseil des ministres adoptera un nouveau projet de loi de finances rectificative pour 2020 avec 20 milliards d'euros supplémentaires pour financer ces mesures exceptionnelles. Ces dépenses sont d'abord un investissement pour limiter le coût économique, financier, humain de la pandémie.

Certains ont souffert plus que d'autres depuis le début de cette crise et seront également affectés par le second confinement : les jeunes, les indépendants, les travailleurs de la deuxième ligne, les personnes fragiles et précaires. En concertation avec les partenaires sociaux que j'ai reçus en début de semaine et dont je salue le sens des responsabilités, les associations et les organisations professionnelles, nous allons renforcer les mesures qui leur sont destinées. La solidarité nationale continuera à se déployer pleinement.

Les mesures prises sont particulièrement difficiles à accepter après le confinement du printemps. Aussi, la situation sera réévaluée au bout de quinze jours pour d'éventuels ajustements. Nous sommes déjà à pied d'oeuvre pour préparer l'après-1er décembre, pour tester mieux et plus vite, pour alerter plus rapidement et pour mieux protéger, afin de vivre avec ce virus jusqu'à ce que la science nous permette d'en venir à bout.

Nos concitoyens sont inquiets et en souffrance. Tous sont menacés par la maladie et par la crise qui en découle.

Cette crise, c'est un rendez-vous avec nous-mêmes, car la vie avec le virus repose sur notre responsabilité individuelle et collective. Une part de la solution est entre les mains de chacune et chacun d'entre nous : adaptons nos comportements, adoptons les gestes barrières, protégeons-nous et protégeons les autres. Hissons-nous à la hauteur des événements exceptionnels que traverse la France.

Nous vivons un moment particulièrement difficile. Nous affrontons un ennemi sans stratégie ni volonté, mais qui tue.

Si la France est de nouveau endeuillée, la République tient debout. La double épreuve qui nous frappe est inédite. Nous devons faire corps, faire le choix de la vie et de la solidarité. C'est le seul qui s'impose. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

La séance, suspendue à 15 heures, reprend à 15 h 15.

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Notre pays vit des heures noires ; la concorde nationale n'est pas une vaine expression quand il s'agit de préserver notre pacte républicain et notre modèle de société.

Les Français ont besoin de se rassurer, de se projeter, d'être solidaires, et d'avoir confiance dans leurs dirigeants ; l'absence de perspectives est le terreau fertile du délitement de notre République.

Mes premiers mots sont pour les victimes de l'attaque ignoble de ce matin et pour nos forces de sécurité.

Je rends aussi hommage au dévouement de nos soignants, déjà si éprouvés et dont les prochaines semaines vont être un enfer, aux travailleurs qui ne pourront pas se confiner, à ceux qui ont été touchés par le virus, qui ont perdu des proches ; je salue enfin ceux qui sont dans la précarité et la solitude.

La France, depuis mars, a changé. La pandémie l'a percutée et détruite, pour certains de nos compatriotes. Cette nouvelle épreuve demande un effort plus important que durant la première vague.

Notre rôle de parlementaires est de participer au débat national. Le 10 septembre puis le 15 octobre, Valérie Rabault et moi-même demandions ce débat, bien en amont. Ce n'était pas un caprice, mais une nécessité. Monsieur le Premier ministre, vous avez décliné et je le regrette.

Nous regrettons aussi votre gestion trop pyramidale. L'exécutif n'a pas présenté les scenarii qu'il a travaillés ; d'où la réunion surréaliste de l'avenue de Ségur mardi.

Le Parlement n'est pas le supplétif de quelque conseil que ce soit, fût-il scientifique.

Le Président de la République a décidé, a-t-il dit, de confiner le pays. Les consultations préalables n'étaient que de forme.

Mme Sophie Primas.  - Très bien !

M. Patrick Kanner.  - Pour autant, nous voterons ces mesures indispensables ; (On s'en étonne sur les travées du groupe Les Républicains) c'est un vote pour protéger les Français, pas un quitus donné à votre gestion.

Mme Sophie Primas.  - Mais si !

M. Patrick Kanner.  - Nous ne pouvons vous accorder notre confiance. La situation était inattendue ; de nombreux spécialistes, dont le président du Conseil scientifique, jugeaient « fortement probables » un retour du virus dès la fin juillet et le risque d'une deuxième vague en novembre.

Or, le 14 juillet, le président de la République affirmait que nous étions prêts à affronter une deuxième vague. Vous-même, le 27 août, déclariez qu'il n'y avait pas de quoi s'affoler.

Hier soir, Emmanuel Macron se déclarait « surpris » par l'évolution du virus, en nous comparant aux autres États. Mais je vous demande d'être meilleur que les autres États ! Gouverner c'est prévoir.

Tous les rapports pointent des dysfonctionnements dans la gestion de la pandémie ; Bernard Jomier le rappelait hier. Le tryptique « Tester, tracer, isoler » n'a pas fonctionné.

L'hôpital public risque d'imploser alors que le Ségur peine à prendre forme. Le 6 mai, nous vous entendions en tant que chargé du déconfinement. Aujourd'hui, vous êtes le Premier ministre en charge du reconfinement. Pouvez-vous nous préciser les scenarii pour en éviter un troisième début 2021 ?

Contrairement à ce qu'ont dit votre porte-parole et votre ministre de la Santé, nous avons fait des propositions, nous avons alerté sur les dysfonctionnements.

Sur la question sociale, aucun quitus non plus pour votre Gouvernement. Il y a un million de Français de plus sous le seuil de pauvreté. Il fallait réagir plus vite à ce drame social. Votre saupoudrage ne prend pas en compte l'existant et encore moins ce qui nous attend : les jeunes, les pauvres, les précaires sont sortis de votre radar alors que la crise va être durable.

Vos mesures comme la flat tax et la suppression de l'ISF ont fait fortement augmenter les revenus de 0,1 % des plus riches (Marques d'agacement sur les travées du groupe les Républicains). Aurons-nous une vraie taxation du capital ?

M. Bruno Sido.  - Et voilà, c'est reparti !

M. Patrick Kanner.  - Quand reviendrez-vous sur la baisse des APL, celle de l'assurance chômage ? Quand élèverez-vous les minima sociaux et les élargirez-vous aux jeunes ? Quand distribuerez-vous les masques gratuits à l'école ?

La réalité est sous nos yeux, tragique. Allez-vous la prendre en compte ? Il faudra accompagner la restauration, le commerce de proximité, mais aussi la culture, le sport.

Notre vote est un vote pour les Français, à vous d'aller vers eux, en sortant de votre verticalité et en allant vers les élus locaux. Il faut des réponses territorialisées, concertées - voyez la Polynésie, touchée de plein fouet par la seconde vague.

Nous vous demandons plus de transparence citoyenne, base de la confiance de nos concitoyens. Nous voterons cette déclaration pas pour vous mais pour les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SER tandis qu'on s'exclame sur divers bancs du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Ravier .  - Dans quelques heures, par la volonté du Président en marche, la France sera à l'arrêt pour la deuxième fois. Il est plus facile pour Emmanuel Macron d'enfermer les Français que les islamistes !

Le Président de la République s'est livré hier à son exercice favori avec les Français : culpabiliser, interdire et mentir avec un aplomb qui forcerait presque le respect ! Le rapport du général Lizurey pulvérise ces mensonges : le Conseil de défense qui ne donne aucun conseil, préfets et directeurs d'ARS en rivalité qui se neutralisent, gestion défaillante.... Et aucune de ses 21 recommandations n'a été prise en compte !

Cela n'a pas empêché Emmanuel Macron d'affirmer le 14 juillet qu'en cas de deuxième vague nous étions prêts. Et le 12 octobre, le ministre du tourisme qui recommandait aux Français de partir pendant les vacances de la Toussaint... Et le ministre de la Santé qui suit la logique budgétaire de Bruxelles plutôt que les besoins sanitaires des Français !

Pour tenter de masquer sa responsabilité, le Président anxiogénise les Français en parlant du risque de 400 000 morts. Tout le monde risque d'être touché par le virus, mais on laisse les écoles et les Ehpad ouverts.

La grande distribution va faire des affaires juteuses, tandis que les cafés, les artisans, les commerçants et les restaurateurs sont condamnés à mort.

Le Président annonce le contrôle des frontières extérieures de l'Europe mais laisse les frontières intérieures ouvertes alors qu'il affirme dans le même temps que l'épidémie touche fortement nos voisins. Où est la cohérence ? On n'y comprend plus rien...

À la crise sanitaire, s'ajoute une crise économique et sociale inouïe infligée aux Français et vous demandez aux élus locaux d'assurer le service après-vente ! Vous n'avez d'autre solution, incapables de prévoir et d'anticiper, que d'incarcérer nos compatriotes chez eux. Ceux-ci ne croient plus à votre capacité à écouter le pays ni à juguler la pandémie.

Je le dis au nom des 35 785 victimes du Covid : ma confiance, vous ne l'aviez pas, et vous ne l'aurez définitivement plus !

M. Bruno Retailleau .  - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les Français traversent actuellement des heures difficiles et la situation est grave.

La France que nous aimons est frappée simultanément par plusieurs crises, auxquelles s'ajoute le totalitarisme islamique. Je salue la mémoire des victimes qui vous oblige, monsieur le Premier ministre. Je vous l'ai dit hier, nous sommes en train de perdre la guerre contre l'islamisme. Il faut sortir des demi-mesures, des solutions toutes faites. Sans action décisive, si l'on ne sort pas du cadre, vous continuerez à faire des déclarations et nous continuerons à faire des hommages tandis que les crimes se poursuivront en France et ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La situation nous oblige à la responsabilité et à la hauteur. C'est la ligne que nous nous fixons : le groupe Les Républicains a voté tous les textes que vous nous avez proposés pour protéger les Français.

Mais face à cette responsabilité, il y a une exigence, celle de la vérité chère à nos compatriotes. Nous nous devons de relayer leurs interrogations, leurs inquiétudes.

L'unité nationale, très bien ; mais cela ne peut être le prétexte pour imposer le silence dans les rangs, pour museler l'opposition nationale. Ce soir, nous allons voter un texte après l'avoir amendé, qui va vous donner les moyens d'agir. Mais vous auriez pu reporter le vote à l'issue de ce débat, qui est un vote de confiance - nous ne vous la donnerons pas - c'est- un vote pour rien et donc inutile. (M. le Premier ministre exprime son incompréhension.)

M. Gérard Longuet.  - Très bien !

M. Bruno Retailleau.  - Votre responsabilité, monsieur le Premier ministre, est de rendre des comptes au Sénat et à tous les Français.

On a beaucoup parlé de guerre ces derniers mois. Au printemps, le Président de la République a utilisé cette métaphore, suivie d'une anaphore, la répétition à six reprises des termes : « Nous sommes en guerre ». Mais n'est pas Clemenceau qui veut... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Sept mois après, la France est-elle sur le pied de guerre ? Non, elle est au pied du mur.

Monsieur le Premier ministre, je n'ai rien trouvé dans votre discours qui s'écarte de ce que nous attendions. Ce débat, ce vote, c'est un théâtre d'ombres ! (Applaudissements sur les mêmes travées)

Sept mois plus tard, que reste-t-il des déclarations du Président de la République ? C'est vrai, la seconde vague est la même pour tout le monde. Mais nous sommes au cinquième rang pour la mortalité. Peut-on s'en satisfaire ? Dans plusieurs domaines, nous faisons plus mal que les autres avec des dépenses de santé les plus élevées !

Que s'est-il passé ? Le ministre de la Santé, qui n'est pas là, déclarait le 28 mars : « L'anticipation a été absolue depuis le premier jour ! » (Une voix à droite : « Quelle honte ! ») Péremptoire, comme toujours... Alain Milon en sait quelque chose. Alors, que s'est-il passé ? D'abord l'imprévision : pas de masques, pas de gel, pas de blouses, pas non plus de cap ni de stratégie. Dès le mois de mars, nous disions que la mise sous cloche du confinement devait s'accompagner du « Tester, tracer, isoler ». Cela n'a pas été fait. Une fois la cloche retirée, le virus est reparti.

L'impréparation, ensuite : vous n'avez pas su profiter du répit que vous offrait le virus cet été. Pourtant, dès le mois de juillet, le président du Conseil scientifique vous avertissait d'une seconde vague possible. Le 9 septembre, il déclarait que le Gouvernement devrait prendre des décisions difficiles sous sept à dix jours. Quelques jours après, vous transformiez la quatorzaine en petite semaine.

La stratégie du « tester, tracer, isoler » a été battue en brèche : on a fait du chiffre. À quoi bon tester en masse si les résultats arrivent trop tard ? Pourquoi interdire aux entreprises et à la médecine du travail de participer au dépistage ? Et je ne parlerai pas de StopCovid... Les fameuses brigades ont été envoyées en vacances pendant l'été, sauf que les clusters se sont multipliés. Le traçage, l'isolement ont échoué. Dans mon département, l'isolement concerne un SDF et deux travailleurs étrangers...

Et les frontières ? Pourquoi en août, le Conseil scientifique nous enjoint d'isoler les passagers venant des zones rouges, et que rien n'a été fait ?

Ces accumulations d'échec et ces manquements à l'anticipation qui conduisent à reconfiner.

Nous allons en payer le prix fort en termes de liberté publique mais aussi de souffrances économiques et sociales. Le Gouvernement a plutôt bien accompagné l'économie, mais de grâce, ne massacrez pas le commerce de proximité. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

À quoi cela sert-il de fermer la librairie ou le marchand de chaussures du coin de la rue ? (Mêmes mouvements) Les Français vont dans les grandes surfaces. Le Président de la République disait hier : « Avons-nous tout bien fait ? » À l'évidence, non.

Nous avons tout voté. StopCovid serait-il passé sans mon engagement personnel ? J'ai emmené mon groupe pour ce vote ; c'était ma responsabilité. (Nouveaux applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Nous continuerons à faire des propositions pour reprendre le contrôle de l'épidémie et que les Français retrouvent une vie normale.

Nous voulons un plan d'anticipation pour soigner tous les malades, y compris les plus âgés. Comme l'a révélé la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, ne mettons pas de côté les personnes âgées pour l'accès en réanimation. Créons des lits, relions hôpitaux publics et cliniques privées, comme vous l'a demandé Alain Milon, créons des structures modulaires. Une entreprise, de surcroît vendéenne, (Sourires) est capable de le faire.

Dans mon département, à La Bruffière, 63 cas sur 84 dans un Ehpad. Le maire et le directeur ont fait appel à la réserve sanitaire, mais il n'y en a pas. Ce sont les conseillers municipaux et les responsables du CCAS qui aident bénévolement.

Tracez, isolez vraiment dans les hôtels, accompagné par des SMS.

Depuis le départ, nous n'avons cessé de proposer.

Vous nous demandez une confiance. Nous ne pouvons pas vous signer un chèque en blanc. Ce vote est inutile et les Français ne vous font plus confiance (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains). Nous serons toujours là pour vous donner les moyens nécessaires. Réussissez, et je vous le souhaite, car il en va de l'avenir de la France, de la destinée commune du peuple de France. (Applaudissements nourris et prolongés sur les travées du groupe Les Républicains dont les membres se lèvent pour accueillir l'orateur dans leurs rangs.)

M. Claude Malhuret .  - Une de ses patientes disait à Freud qu'elle n'arrivait pas à éduquer son fils. « Ne vous inquiétez pas, quoi que vous fassiez, vous ferez mal. » lui répondit-il. J'ai pensé à cette anecdote mardi lorsque vous avez reçu les représentants des partis. François Bayrou a résumé la situation en disant : « Vous savez maintenant qu'être Premier ministre, cela consiste à se faire engueuler. » (M. le Premier ministre sourit sous son masque.)

Je ne me joindrai pas au choeur des plaignants. Il y a quelques jours j'ai demandé à Édouard Philippe ce qui lui avait paru le plus dur comme Premier ministre lorsqu'il devait gérer la crise et il m'a cité Churchill à qui la même question avait été posée lorsqu'il a dû gérer la Seconde Guerre mondiale : le plus dur, c'est de prendre des décisions lorsqu'un tiers des informations dont vous disposez sont incomplètes, un tiers sont contradictoires, un tiers sont fausses.

Ce qui frappe le plus dans cette épidémie, ce n'est pas que tout le monde ait été dans le brouillard au début. Un virus inconnu surgit et tout le monde patauge, c'est normal. Mais il y a quelques semaines, pendant l'accalmie, tout le monde, scientifiques, politiques, journalistes, disait : s'il y a une deuxième vague, maintenant nous sommes préparés pour y faire face. Mais rien ne se passe comme prévu, ici comme ailleurs. Je vous recommande la lecture du rapport de l'Opecst paru ce matin. La République tchèque qui n'avait presque aucun cas est aujourd'hui la plus touchée, la Grèce, épargnée lors de la première vague, instaure un couvre-feu, l'Allemagne qu'on donnait en exemple est en crise.

Cette situation est tragique : les citoyens ne font plus confiance aux gouvernants mais veulent des actes clairs et efficaces.

Les politiques tombent alors dans le piège d'affirmer des certitudes, contredites dès le lendemain. Les opposants leur reprochent alors de ne pas avoir assez anticipé, alors que c'est impossible.

Je ne participerai donc pas au concert des critiques.

Hier, le Président de la République a annoncé de nouvelles mesures de lutte. Il disposait de plus d'informations que moi.

Comment se débarrasser du virus sans mettre l'économie à terre ? Les dégâts du premier confinement montrent le risque d'un effondrement économique, social puis politique, d'une violence inouïe. Nous sommes sur un chemin de crête terriblement dangereux : prendre des mesures insuffisantes, c'est laisser mourir des gens, tuer l'économie, c'est en faire mourir d'autres.

Vous avez choisi un confinement allégé ; je ne sais pas si le curseur est au bon endroit. Personne ne le sait. Nous le saurons après coup. Je constate que tous les pays européens prennent des mesures semblables.

Je n'aurai pas l'outrecuidance de vous conseiller et je souhaite que si d'autres s'y risquent, ils ne rompent pas une unité nationale déjà ébranlée. (M. le Premier ministre approuve.)

Chacune des mesures prises entrave les libertés publiques. Nos concitoyens l'acceptent si elles ne sont que temporaires.

La Ve République confère à l'exécutif des pouvoirs bien supérieurs à ceux du Parlement et tous ses gouvernements ont été tentés, à un moment ou un autre, de s'en servir, parfois d'en abuser. Je voudrais vous mettre en garde contre cette tentation.

Le Sénat, depuis le début de la crise, vous a permis de prendre de nombreuses mesures, mais vous demande de limiter les ordonnances dans le temps et de revenir plus souvent devant la Représentation nationale. Acceptez ces conditions.

Je m'associe à mon tour aux victimes de l'attentat de Nice, à la douleur des familles, des chrétiens et de tous les Français.

Le virus, l'écroulement économique, les difficultés sociales, les attentats ne peuvent pas ne pas avoir de conséquences sur nos démocraties déjà affaiblies. Un peu partout en Europe, des manifestants refusent les décisions des gouvernements sur l'urgence sanitaire. Heureusement, pour l'instant, la France est épargnée. Il n'y a pas de meilleure énergie rhétorique pour les complotistes.

Souhaitons que la corde tendue à l'excès ne se rompe pas. Il faudra beaucoup de courage, c'est notre démocratie. Prenons-en soin ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI)

M. Guillaume Gontard .  - Nos premières pensées vont aux victimes du barbare attentat de Nice. Dans ce lourd climat, vous venez consulter le Parlement sur des décisions déjà prises. La concertation n'est pas votre fort, en témoigne l'affligeante réunion de mardi avec les chefs de partis et présidents de groupe. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)

Ce qui était compréhensible au printemps dans l'urgence ne l'est plus. « Nous serons prêts en cas de deuxième vague », affirmait le président de la République le 14 juillet. Nous ne le sommes pas, vous ne l'êtes pas. Faute de plan de bataille, de réponse graduée, de concertation, de transparence, vous voici obligés de reconfiner.

Nous ne remettons pas en cause ce choix. Il faut protéger les Français, soulager nos soignants. Mais ce reconfinement marque l'échec de votre méthode. Je ne dis pas que nous aurions mieux fait si nous avions été aux responsabilités, mais à coup sûr, nous aurions fait différemment.

L'union nationale ne se décrète pas, elle se construit. Il fallait, pendant l'accalmie, associer toutes les forces politiques à l'élaboration de la stratégie d'endiguement du virus. Le risque est élevé que la crise sanitaire dure jusqu'à l'été. Après 18 mois de pandémie, rien ne sera totalement comme avant. Associez la Représentation nationale à la définition d'un cadre juridique pérenne adapté, finissez-en avec les ordonnances à répétition. Hélas, le projet de loi de prorogation de l'état d'urgence ne va pas dans ce sens.

Encore moins que d'habitude, le Gouvernement ne peut avoir raison tout seul. Si l'Allemagne a mieux résisté, c'est grâce à un système politique plus équilibré et un régime fédéral où les Länder participent à la prise de décisions.

Vous auriez dû associer plus étroitement les élus locaux. Le couple préfet-maire fonctionne plus ou moins bien selon les territoires, la coordination entre les différents échelons reste à construire. Heureusement, les associations d'élus comme France Urbaine ont permis le partage d'expériences.

La consultation des territoires devrait être un préalable. Définissons collectivement un cap pour élaborer ensemble des solutions. Les écologistes seront toujours présents pour construire du compromis, mais formulent certaines exigences.

Le confinement est la conséquence de la fragilité de l'hôpital public : 100 000 lits supprimés en vingt ans. Certes le Ségur de la Santé freine l'hémorragie, mais avec 4 000 lits, on est loin du compte. Vous annoncez 15 000 créations d'emploi là où il en faudrait 200 000 ! La logique comptable prévaut toujours. Le reconfinement vous oblige à revoir le PLFSS.

À quand un vrai plan d'urgence sociale ? La crise a déjà mis près d'un million de Français au chômage, des centaines de milliers ont basculé dans la pauvreté. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Il faut abandonner la réforme assurance chômage, augmenter les minima sociaux, élargir le RSA aux moins de 25 ans, renforcer l'aide alimentaire, rétablir les contrats aidés, tendre vers le revenu universel. Le secteur du réemploi solidaire est indispensable.

Il faudra accompagner les personnes fragiles, seules, les victimes de violences conjugales. Le volet social était quasi absent du plan relance, ce ne peut plus être le cas.

Les enseignants sont en première ligne. Il leur faut du matériel, des masques pour enfants, des outils pédagogiques. Il faut aussi accompagner financièrement les communes.

Pour financer cet effort, les hauts revenus doivent être mis à contribution. C'est indispensable, sur le plan comptable et moral. La dette de l'État et les comptes sociaux ne peuvent être la seule source de financement ! Il faut instaurer une contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus. Comment tolérer que des entreprises du CAC 40 distribuent des milliards d'euros de dividendes, alors qu'elles perçoivent des aides publiques ?

Il faut aussi une contribution exceptionnelle des grandes surfaces et des géants de la vente en ligne au bénéfice des petits commerçants...

Mme Sophie Primas.  - N'importe quoi !

M. Guillaume Gontard.  - Enfin, le Président de la République a omis de parler du défi écologique. Le projet écologiste est pourtant la meilleure réponse à la crise actuelle (M. Bruno Sido n'en est pas convaincu.) : relocaliser l'activité, développer les circuits courts, diminuer la pression démographique dans les métropoles, c'est diminuer les inégalités, respecter l'environnement et limiter la propagation du virus. (Marques de perplexité et d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe GEST choisit une abstention exigeante. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST)

M. François Patriat .  - Mon intervention, je la veux sobre et confiante, car je ne suis pas convaincu que les critiques entendues ici soient à la hauteur de la situation. (Mouvements à droite) Pourquoi ne pas rappeler que la France est celle qui a le mieux traité les plus faibles pendant la crise ?(On en doute sur les travées du groupe Les Républicains.)

J'adresse mes pensées aux victimes de l'attentat terroriste de Nice, aux forces de l'ordre prises pour cible à Avignon, à nos représentations diplomatiques attaquées ce matin.

Nous vivons le temps de l'angoisse, des incertitudes. Notre sang-froid est mis à l'épreuve. Le Gouvernement nous invite à réagir : nous le ferons. La gravité de la situation exige retenue, responsabilité et engagement.

Le virus se propage à grande vitesse. Si rien n'est fait, nous aurons à déplorer 400 000 morts. L'Europe toute entière est victime d'une déferlante qui a surpris tout le monde, y compris la communauté scientifique. Même le pire des scénarios a été dépassé. Partout, les gouvernements prennent des mesures drastiques : Irlande, Italie, Pays de Galle, Espagne, Allemagne...

Le chef de l'État a décidé, avec lucidité, d'un nouveau confinement. Les Français n'auraient pas confiance ? J'ai pourtant lu que sept Français sur dix avaient approuvé les propos du Chef de l'État.

Quand le virus augmente massivement, le Gouvernement réagit massivement, avec pour objectifs la préservation de la santé des Français, l'aide aux plus vulnérables, le soutien à l'activité économique.

Prenons les décisions nécessaires, mais sachons être humbles et nous hisser à la hauteur des circonstances. La situation requiert la plus grande responsabilité, tant des élus que des citoyens. Ne cédons pas à la critique facile. (Protestations à droite)

Loin de bouder la Représentation nationale, monsieur le Premier ministre, vous l'écoutez et la considérez. Vous appliquez les trois « C » : concertation d'abord, à laquelle j'ai participé mardi (Exclamations à droite) J'y étais, pas vous ! (On proteste derechef sur les mêmes travées.) Cohérence ensuite, car votre discours n'a jamais varié ? Faut-il rappeler que cet été, face à un certain relâchement, le ministre de la Santé avait inlassablement averti du risque de rebond ? Cohésion enfin, car quelles que soient nos sensibilités, nous serons jugés sur notre capacité à entendre le message des Français : celui de l'unité nationale.

M. Jean-François Husson.  - L'unité n'est pas l'union !

M. François Patriat.  - Les réflexes politiciens ne feront qu'ajouter de la crise à la crise.

Loin des critiques caricaturales, vous avez préparé le pays à cette deuxième vague : vous avez reconstitué le stock de masques et de matériel médical, revalorisé les revenus des soignants, augmenté le nombre de lits de réanimation.

Nous ne préparons pas une élection mais la lutte contre la crise. Le groupe RDPI sait pouvoir compter sur vous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Maryse Carrère .  - Les membres du RDSE expriment leur solidarité aux familles des victimes de Nice, et leur soutien sans faille aux personnels des hôpitaux et des Ehpad qui méritent notre hommage. Ils sont en première ligne depuis plusieurs mois, dans des conditions éprouvantes, avec des moyens limités mais toujours avec humanité. Épuisés, ils sont dépités face à la situation catastrophique.

Le 11 mai dernier, votre prédécesseur expliquait que la France était sur un fil, dont la solidité dépendait tant de notre capacité à tester massivement que du sens civique de chacun.

Cinq mois plus tard, le déconfinement est un échec. Le taux d'incidence explose, les services de réanimation sont déjà presque saturés. Il faut donc agir, et vite, pour casser cette épidémie ; il sera toujours temps plus tard de pointer les manquements et les responsabilités.

En attendant, l'intérêt général exige de donner à l'État les moyens d'agir efficacement. Nous devons faire corps.

Cela ne signifie ni unanimité irréfléchie, ni blanc-seing. La gravité des mesures annoncées hier est aussi le fruit des décisions trop tardives. Pourquoi des ARS ont-elles attendu le dernier moment pour réarmer des lits de réanimation ? Pourquoi ne pas avoir davantage mobilisé la réserve sanitaire ?

Nous craignons que cette crise systémique se mue en une crise historique de confiance entre les citoyens et les institutions. Le flottement précédant les annonces du Président de la République y contribue. Quand cessera le feuilleton des rumeurs, le flot de propos anxiogènes et d'avis définitifs des experts auto-proclamés ?

La colère a dépassé la résignation. Voyez ce que cela donne en Italie. Alors que le fanatisme religieux nous attaque, nous avons besoin d'un État solide et sûr de ses valeurs.

Rebâtir cette confiance passe par une subsidiarité plus grande. Les élus locaux ont été à la hauteur de la situation. Cela passe aussi par la restauration d'un dialogue de qualité avec le Parlement.

Oui, la priorité est de vaincre le virus ; mais pas au prix du sacrifice de notre économie. Je pense aux petits commerces dits « non essentiels », aux professions indépendantes, aux salariés qui ne peuvent pas télétravailler et qui ont été en première ligne au printemps.

Comment laisser les grandes surfaces vendre des produits non essentiels alors que les petits commerces spécialisés doivent fermer ? C'est inéquitable. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

Au nom de la clarté et de l'exigence démocratique, notre groupe vous apportera un soutien de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC)

Mme Éliane Assassi .  - Je fais part de notre émotion à l'annonce des actes barbares survenus à Nice. Nous pensons aux Niçois, et sommes à leurs côtés.

La deuxième vague est là, elle est haute, très haute, et si rien n'est fait, elle pourrait nous submerger. Nous ne sommes pas surpris comme en mars dernier : les scientifiques nous avaient prévenus.

Chaque jour, des personnes souffrent du Covid, entrent en réanimation, décèdent. Cela nous angoisse.

Comme en mars, je dis aux citoyens : prudence, suivez les consignes, restez solidaires. Aux soignants qui feront face, par esprit de responsabilité, je dis : tenez bon, même si vous êtes amers, en colère, même si vos appels à la reconstruction de l'hôpital n'ont pas été écoutés.

Notre pays tiendra grâce à l'engagement de ces premiers de corvée, si peu reconnus par une société qu'ils tiennent à bout de bras.

Le président de la République a décidé seul, hier, d'une stratégie. Mardi, Monsieur le Premier ministre, vous nous avez réunis sans annoncer la moindre mesure ; nous échangions dans le vide.

Le 16 octobre, je vous demandais un débat sur l'état d'urgence sanitaire et le couvre-feu, en vain. Les annonces du président Macron ont été floues, et vous les détaillerez après nous avoir fait débattre et voter. Le Parlement est mis devant le fait accompli.

Vos erreurs ne vous ont pas servi de leçon. Vous nous invitez à l'humilité face à une épidémie qui frappe l'Europe entière, mais oubliez que notre pays est parmi les plus touchés dans le monde. Il faut être humble, oui, mais aussi écouter. La démocratie est essentielle, il n'y aura pas de sauveur suprême dans ce domaine. (Applaudissements)

Il faut en finir avec un régime à la verticalité folle. Nous demandons la mise en place d'un comité de suivi de la crise, pluraliste, afin de permettre un véritable contrôle démocratique.

La faiblesse de nos moyens hospitaliers ne serait pas en cause, a dit hier le Président. Pourtant, cela fait vingt ans que l'on saccage notre système de santé, que l'on détruit l'hôpital : 100 000 lits fermés en vingt ans, encore 4 800 en 2018 et 3 200 en 2019.

Les ravages du libéralisme ont touché toute la société. L'humanité est aujourd'hui en danger. Le Président de la République en mars avait semblé chanceler dans ses certitudes, employant des mots inhabituels : « rupture », « mettre à l'abri du marché », « quoi qu'il en coûte ».

Hier, quoi qu'il en dise, il a placé l'économie avant l'humain. C'est vrai, il faut trouver un équilibre pour éviter de jeter dans la pauvreté des millions de personnes.

Mais nous n'avons entendu un mot pour appeler les plus riches à participer à l'effort national. Nous regrettons qu'aucune mesure fiscale de solidarité ne soit prise pour faire contribuer ceux qui perçoivent des dividendes ou ceux qui s'enrichissent, comme Amazon, sur le malheur des hommes.

Nous serons responsables, comme notre peuple, mobilisé contre l'épidémie. Mais nous demandons à l'exécutif de l'être aussi, à M. Macron de cesser son exercice solitaire du pouvoir. La responsabilité, c'est accepter la démocratie, c'est mettre les richesses de notre pays au service du bien commun, c'est l'humain d'abord.

Le vote d'aujourd'hui n'est pas pour ou contre le confinement. C'est un vote de confiance. Nous optons pour un vote d'opposition, mûrement réfléchi, à vos choix politiques et à vos méthodes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Pour la première fois depuis 2017, un certain nombre de sénateurs centristes vont exprimer leur opposition à une déclaration du Gouvernement au titre de l'article 50 de la Constitution. (Quelques applaudissements à droite)

Nous vous devons la franchise, comme nous la devons aux Français. L'exécutif ne peut pas attraire à lui tous les pouvoirs, au mépris de l'article 3 de la Constitution. L'hyper-présidentialisation de nos institutions va trop loin. (Applaudissements au centre et à droite)

Toute décision s'analyse à l'aune d'un bilan avantages-inconvénients, qui n'a pas été fait, au regard des effets de long terme du reconfinement. Aucun pays ne sort indemne d'une paupérisation, le « quoi qu'il en coûte » illimité n'existe pas. (« Très bien ! » à droite)

Nulle leçon de notre part, nous partageons une humilité de bon aloi. Nous adressons notre gratitude au corps médical.

Nous savons que la situation est préoccupante mais aussi que le monde a déjà affronté des pandémies, que le taux de mortalité reste stable, que le virus est là pour longtemps, qu'il faut en toute chose raison garder. Et la raison nous dit qu'il aurait fallu débattre avant de décider. Que ce soit après les gilets jaunes, les attentats ou l'état d'urgence sanitaire, le Parlement a su prendre ses responsabilités vite.

Nous réunir a posteriori pour voter sur des décisions annoncées hier, c'est une mauvaise manière faite à la démocratie ; c'est aussi exposer l'exécutif, seul, à la défiance de citoyens réduits à l'état de sujets.

Plus la décision est lourde, plus il faudrait la partager. Vous faites l'inverse. Preuve de la concentration des pouvoirs, le conseil de défense en vient à remplacer le conseil des ministres !

Le reconfinement est une mesure très brutale. Notre pays aura-t-il la résilience pour y résister ? Nos concitoyens sont psychologiquement usés, les entrepreneurs sont dans la détresse, la précarité se diffuse, le terrorisme frappe, les bruits de bottes se font entendre dès la Méditerranée orientale. Le PIB a chuté de 7 % à 8%, dette et déficits explosent. Notre Nation a besoin de toutes ses forces.

Vous surestimez la résistance de notre pays et sous-estimez les défis du temps présent. Nous préférons un appel à se retrousser les manches, à faire bloc comme Nation, plutôt qu'à rester chez soi.

Où sont les études d'impact du reconfinement ? Pas dans le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Quel est le bilan coût-avantages des différents scénarios ? Êtes-vous certain que nous n'aurions pas réussi à freiner l'épidémie autrement ? Sommes-nous allés au bout des mesures ciblées - comme le fait aujourd'hui l'Allemagne ?

C'est une grande responsabilité de déterminer si l'on a tout fait pour protéger, mais aussi si l'on n'a pas imposé une charge trop lourde qui affaiblira le pays dans la durée.

Quel sera l'impact demain des opérations déprogrammées, des dépistages non réalisés ? Que pensent les cancérologues, les cardiologues, les psychiatres de votre décision ?

Comment mesurez-vous le chômage qui va résulter de cette nouvelle mise à l'arrêt de pans entiers de l'économie, l'angoisse des personnes précarisées ou isolées ? Combien d'entreprises perdront le fruit de leur travail ?

Combien d'entreprises ne se relèveront pas, seront dépassées par leurs concurrentes asiatiques ? Le Président nous dit que les entreprises continueront à travailler - mais avec quels clients ? Sans clients, pas d'activité.

Comment financerons-nous le « quoi qu'il en coûte » ? L'argent magique, même européen, n'existe pas.

Nous avons le sentiment que les décisions sont prises sans tenir compte de leurs effets à long terme.

Notre pays est assailli par le terrorisme, le Président de la République est menacé, vilipendé. L'unité nationale est cruciale.

Le Président de la République ne veut pas opposer santé et économie, mais votre politique le fait. Laissez leur chance à nos commerces et nos entreprises. Certains d'entre nous voteront pour, pour partager les responsabilités. Ceux qui voteront contre vous adressent une alerte solennelle. (Bravos et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - Votre vote n'est pas secondaire ; il ne l'est jamais. Il est surtout un vote de clarification et de prise de responsabilité, devant la Nation, comme celui qu'a émis l'Assemblée nationale ce matin. Je remercie ceux d'entre vous qui sauront prendre leurs responsabilités. (« Nous les prendrons ! » au centre et à droite.)

J'ai entendu quelques approximations, quelques touches de démagogie (« Oh ! » à droite) que les circonstances présentes n'autorisent pas. (Même mouvement)

J'aime beaucoup quand le conseil scientifique est invoqué...

Voix à droite. - C'est vous qui l'avez nommé !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - ... quand cela arrange, on nous reproche d'en être les jouets ; d'autres fois, on nous fait grief de ne pas le suivre.

Mais lorsqu'on l'invoque, encore faut-il le faire précisément ! Je suis parfaitement à l'aise par rapport aux mesures que nous avons prises. (Exclamations ironiques à droite)

M. le président Retailleau a constaté, que dans mon intervention du 11 septembre, j'ai réduit la quatorzaine à la septaine. C'est vrai !

M. Bruno Retailleau.  - Ah !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Comme de nombreux autres pays ! Le 11 septembre, je déclarai - (Sourires) : « La période estivale a été marquée par une forme de relâchement que l'on peut expliquer par les longues semaines de confinement du printemps... »

M. Rachid Temal.  - Ah !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - ... « La rentrée est là, nous devons impérativement respecter les règles de distanciation physique, nous laver régulièrement les mains, porter le masque - que par trois décrets pris dès le mois de juillet, j'avais rendu obligatoire dans l'espace public, dans les commerces et dans les entreprises... (M. Jean-Raymond Hugonet s'exclame.) Ce même jour, j'annonçai que, compte tenu de la dégradation particulièrement visible dans deux métropoles, Bordeaux et Marseille, les préfets, après concertation des élus locaux seraient invités à prendre des mesures et parmi celles-ci, le 14 septembre, pour la première fois, la fermeture des bars et restaurants... Que n'ai-je entendu à l'époque ! (Exclamations sur les travées du groupe SER) Que nous en faisions trop... ou que nous n'en faisions pas assez ! Les mêmes qui aujourd'hui me disent « Vous êtes en retard, monsieur le chef du Gouvernement », me disaient à l'époque : « Vous y allez trop fort, vous nous privez des libertés publiques » ! (MM. Pierre Charon et Philippe Dominati s'amusent.) Oui, c'est la vérité !

On nous reproche de ne pas avoir créé de lits. Mais des lits sans personnel qualifié, cela ne sert à rien ! (Protestations et interruptions sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et SER) Nous avons mobilisé de nouveaux moyens en six mois. À la seule Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), le taux de vacance du personnel paramédical a baissé de moitié.

Cette situation résulte d'années de programmation insuffisante de l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam). Mais nous avons fait le Ségur de la santé (Vives exclamations à droite, ainsi que sur les travées du groupe CRCE) : des mesures structurelles y ont été prises, pour rendre attractifs les métiers de l'hôpital, dont vous débattrez dans le PLFSS 2021.

Le plan de relance, dans le cadre du PLF 2021, prévoit des reprises de dette hospitalière et des investissements pour l'hôpital. Je ne doute pas que le Sénat votera ces mesures.

J'ai entendu que l'on me reproche de fermer les commerces, des bars, des restaurants. Oui. C'est très douloureux pour les commerces de proximité. (Fortes exclamations, notamment sur certaines travées du groupe Les Républicains, où l'on interpelle l'orateur.) Mais vous souhaitez tous que ce confinement soit efficace ! Nous l'avons amélioré par rapport à celui du printemps en ne fermant pas les établissements scolaires, en permettant à l'économie de moins pâtir.

Le Gouvernement sait que la crise économique et sociale où nous sommes plongés aura des effets ravageurs. Si nous autorisions les gens à sortir de chez eux pour travailler, amener à l'école leurs enfants, mais aussi pour faire des courses hors première nécessité...

Mme Catherine Belrhiti.  - Et le petit commerce ?

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Alors, il n'y aurait plus de vrai confinement. (Protestations redoublées sur les travées du groupe Les Républicains)

Vous le savez, mais vos objectifs sont ailleurs ! (Même mouvement) Tous les pays qui nous entourent le font aussi et je leur ferai part de vos utiles recommandations. (M. Jean-Raymond Hugonet proteste vivement.)

Dans la chambre des sages, l'assemblée des territoires, auxquels je suis tant attaché, je retiens surtout, pour conclure, l'intervention du président Malhuret. (Quolibets et huées sur diverses travées, notamment celles des groupes Les Républicains et SER ; on applaudit sur les travées du groupe RDPI.)

La déclaration du Gouvernement, en application de l'article 50-1 de la Constitution, est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°10 :

Nombre de votants 335
Nombre de suffrages exprimés 308
Pour l'adoption 130
Contre 178

Le Sénat n'a pas adopté.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue à 16 h 55.

présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

La séance reprend à 17 h 15.