Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques (Procédure accélérée - Suite)

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Olivier Paccaud .  - Élu de l'Oise, je viens d'un territoire où la betterave rythme l'automne depuis le boycott imposé par Napoléon au sucre de canne qui enrichissait la perfide Albion. La modernisation et la concentration ont conduit à la fermeture de nombreuses sucreries, mais l'activité fait encore vivre de nombreuses familles. Mais jusqu'à quand ?

Si nous n'autorisons pas cette dérogation, nous pénalisons la filière et ne sauvons pas pour autant la planète car nous continuerons à manger du sucre belge, allemand, voire brésilien, produit avec des néonicotinoïdes. Halte à l'écologie schizophrène ! Nous sommes tous favorables à la transition agro-écologique et à l'arrêt de l'utilisation des néonicotinoïdes. Mais ne rien faire serait non-assistance à agriculteurs en danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Daniel Salmon .  - Je regrette la faiblesse de l'étude d'impact du projet de loi. Elle ne s'appuie sur aucune donnée référencée, mais sur des analyses fournies par des organismes professionnels. Elle ne propose aucune analyse sérieuse de la situation économique de la filière. Quid des effets économiques à long terme de la chute des populations de pollinisateurs ? Faudra-t-il polliniser à la main comme le font les Chinois avec les cerisiers ?

Nous avons rencontré de nombreux agriculteurs qui cultivent de la betterave bio : leurs rendements sont bons et affichent des pertes moindres par rapport à l'agriculture conventionnelle. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Victoire Jasmin .  - Nous sommes dans un système concurrentiel et je comprends la plupart des arguments invoqués. En Guadeloupe et en Martinique, la chlordécone, qui a bénéficié d'une dérogation, a fait de nombreux morts. Les enfants et petits-enfants d'agriculteurs souffrent de cancers et de problèmes endocriniens.

L'économie et la situation sociale sont importantes mais comment ne pas penser aux personnes qui seront malades ? Nous n'avons pas le droit de faire n'importe quoi.

N'oublions pas que les Antilles produisent aussi du sucre de canne et du gel hydroalcoolique grâce au rhum, même si cela ne couvre pas tous les besoins : arrêtez le mépris car nous sommes là !

Pour tous ceux qui souffrent et pour la mémoire de ceux qui ont lutté et perdu leur vie, réfléchissons à ces dérogations ! (Applaudissements nourris sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)

M. Joël Labbé .  - Le Gouvernement nous présente cette dérogation comme une fatalité, pour trouver la solution la moins mauvaise. Il nous propose l'enrobage des semences sur plus de 400 000 hectares alors que l'on ne connaîtra pas encore le risque de jaunisse.

En commission, nos collègues ont comparé les pesticides à des médicaments pour soigner les plantes. Cette analogie est fausse mais, si nous l'utilisions, l'enrobage des semences serait comme prendre, entre octobre et avril, des antibiotiques pour éviter de tomber malade ! En outre, les pratiques systémiques provoquent des résistances chez les insectes cibles.

L'Allemagne, deuxième producteur européen de sucre, refuse pourtant ces traitements préventifs. Les néonicotinoïdes ne sont autorisés que par pulvérisation en cas de présence de pucerons : les quantités de produits dans l'environnement sont donc moindres, même si les inconvénients de la pulvérisation sont bien connus. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Olivier Jacquin .  - Il y a pire que la jaunisse : la sécheresse. Et il y a pire que la sécheresse : l'effondrement des cours de la betterave de 40 euros à 20 euros à la tonne. Pourquoi les outils de régulation exceptionnels des prix, proches de ceux applicables au lait, ont-ils été lâchement abandonnés ?

En quelques années, le prix du sucre est passé de 600 euros à 300 euros la tonne, au bénéfice de l'industrie agroalimentaire. C'est pourquoi nous avons proposé un plan B pour la betterave à l'Assemblée nationale, grâce à l'indemnisation de la filière. La loi date de 2016 mais peu a été fait depuis. Le plan éco-phyto est quasiment à l'abandon.

Vous êtes le ministre d'un Gouvernement attentiste et pas du tout prospectif. Il y a eu de la paresse. Où sont le courage et l'audace d'accompagner et de protéger notre agriculture devant les insupportables distorsions de concurrence devant nos avancées qualitatives ! Votre souveraineté est à géométrie variable : voyez l'élevage bovin.

Cette loi est régressive et creusera le fossé entre l'agriculture et les citoyens. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Fabien Gay .  - Monsieur le ministre, nous ne sommes pas d'accord mais vous prenez le temps de nous répondre, contrairement à certains de vos collègues.

Effectivement, les surfaces destinées à la culture de la betterave ont diminué de 5 % l'an passé. Mais cela est dû à la sécheresse et à l'effondrement des prix en raison de la fin des quotas sucriers. Vous ne parlez que des pucerons !

Nous consommons un quart de notre production de sucre, le reste étant transformé ou exporté. Il n'y a nul péril en termes de souveraineté alimentaire ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et RDPI)

Mme Laurence Rossignol .  - Nous avons déjà eu de meilleurs débats, où l'on s'accuse de dire des contre-vérités sur les différents bords.

Quelque 25 % des betteraves sont consacrés aux biocarburants - cela pourrait être davantage. Nous pourrions aussi faire le choix d'une souveraineté alimentaire sur le sucre bio. C'est seulement 10 % de la production européenne aujourd'hui. Vous haussez les épaules, mais les agriculteurs peuvent évoluer en étant accompagnés.

Élue d'un département betteravier, je voterai contre ce texte et pour les amendements de suppression de l'article premier car je pense à l'avenir de nos agriculteurs, de leurs enfants et de la biodiversité.

Ces produits sont dangereux et vous décidez en toute conscience de les réintroduire : nous devrons rendre des comptes aux générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)

M. Alain Houpert .  - Pendant six ans, rapporteur spécial pour l'agriculture à la commission des finances, j'ai rapporté les crédits du Casdar, compte consacré à la recherche agricole. Pendant six années, je n'ai eu de cesse de plaider pour en augmenter les crédits. Ce projet de loi est un pas en arrière, la consécration d'un échec. Il préfigure ce qui se passera pour le glyphosate.

De fait, les objectifs et les ambitions des rois de la transition écologique sont accompagnés de moyens de mendiant.

Je ne voterai pas pour un échec, je m'abstiendrai car je ne veux pas entrer dans un débat qui n'est qu'un sparadrap. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)

Mme Cécile Cukierman .  - Vous avez raison, monsieur le ministre, sur les expérimentations agroalimentaires qui dépendent du climat.

Mais la crise structurelle de la filière relève davantage de la fin des quotas et de la libéralisation du marché du sucre qui était régulé depuis 1958. L'adaptation à la dérégulation est aussi difficile qu'une invasion de pucerons.

Le groupe sucrier Cristal Union a fermé plusieurs sucreries et supprimé 350 emplois. Seuls les grands groupes industriels tirent les ficelles avec un unique objectif de rentabilité.

Le Gouvernement doit prendre des mesures pour protéger les sucreries et préserver l'emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Ronan Dantec .  - Avez-vous lu le rapport 2019 de la Confédération générale des planteurs de betteraves ? C'est édifiant ! Ils protestent en disant que ces nouvelles méthodes de culture coûtent trop cher et qu'il n'y a pas d'alternatives.

Ayez l'humilité de votre échec, monsieur le ministre ! Début 2020, le lobby de la betterave ne voulait pas changer et l'État ne leur a pas donné les moyens de muter. Nous aurions pu gérer la crise de la jaunisse avec des indemnisations. Au lieu de cela, nous revenons en arrière et nous passons des messages redoutables aux consommateurs. Est-ce le meilleur choix que vous faites pour l'éthanol en faisant le lien avec les néonicotinoïdes ?

Laurence Rossignol a raison : ce débat n'est pas à la hauteur. Vous avez fait preuve de démagogie, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER, tandis que M. le ministre s'exclame.) Nous voulons développer le nombre d'actifs agricoles, mais avec une autre vision de l'agriculture ! (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)

M. René-Paul Savary .  - Je vis dans la Marne, au coeur d'une zone betteravière. Les champs sont jaunes et il reste de toutes petites betteraves qui ne seront même pas récoltées. Je n'ai jamais vu cela ! Les betteraves permettent de produire du sucre de consommation et des produits transformés comme l'éthanol. Il faut faire de la bioéconomie. Quand on a fermé des sucreries, on a anticipé en ouvrant des distilleries ce qui a préservé l'emploi.

Tuer la filière de transformation de la betterave, c'est aussi tuer la filière de la luzerne, plante mellifère ô combien intéressante. Les pulpes de betteraves sont déshydratées, comme les pulpes de luzernes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Bernard Delcros .  - Le Parlement a voté en 2016 puis en 2018 des mesures de protection de la biodiversité, notamment pour préserver les abeilles.

Ce projet de loi revient sur l'interdiction des néonicotinoïdes, donc sur ces avancées. Comment l'accepter compte tenu des enjeux ? Je voterai contre. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)

Mme Laurence Muller-Bronn .  - Dans mon département, le Bas-Rhin, il y a des betteraviers et des sucreries, notamment celle d'Erstein. Dans mon conseil municipal, il y a des betteraviers mais aussi des représentants d'associations environnementales très actifs.

Les Allemands, à trois kilomètres, ont accordé une dérogation pour le traitement des betteraves. Comment notre sucrerie, qui compte 250 salariés mais qui a déjà supprimé 70 emplois l'an dernier, pourra-t-elle survivre ? Nous sommes tous concernés par l'environnement, les générations futures, la santé, mais aussi par le soutien aux agriculteurs - qui sont les premiers gestionnaires du territoire - et par l'emploi industriel de proximité. Je voterai pour ce texte, tout en rappelant la nécessité d'encourager la recherche d'alternatives et l'innovation pour nos industries. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Henri Cabanel .  - J'ai beaucoup entendu l'amalgame entre la crise structurelle de la filière et la jaunisse de la betterave. Avec cette dérogation, la filière sera-t-elle sauvée ? Des alternatives seront-elles trouvées ? Le puceron reviendra-t-il l'an prochain ? Nous ne le savons pas. La dérogation vaut-elle le coup ? Ne faudrait-il pas accompagner la filière ? Quelle est sa stratégie pour être plus concurrentielle ? A-t-elle planté des haies depuis 2016 ?

Avec ce texte, nous prenons des risques pour la santé, sans garantie pour l'avenir de la filière. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Anne Chain-Larché .  - Entre 2016 et 2018, nous avons fait des études des sols et y avons trouvé des résidus dans des quantités infinitésimales, de l'ordre de 10-8 grammes.

Nous avons tous été choqués par ces champs désespérément jaunes, qui pourraient être sauvés.

La dérogation conduira à utiliser 70 grammes par litre de ce produit par hectare, soit 10 à 13 colliers antipuces pour chien.

Nous avons auditionné l'Anses qui nous a rappelé qu'un arrêté interdit l'utilisation de produits phytosanitaires à proximité des cultures mellifères.

Les agriculteurs nous ont également assuré qu'après la betterave, il n'y avait jamais de culture de plantes mellifères avant un ou deux ans.

En Seine-et-Marne, la démarche est très vertueuse avec en moyenne 19 kilomètres entre le champ et la sucrerie, contre 50 kilomètres en Allemagne. Protégeons la filière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Joël Bigot .  - Le texte prolonge l'utilisation des néonicotinoïdes jusqu'en 2023, sous la pression du lobby des betteraves. Que direz-vous aux autres filières, comme celles de la noisette ou du maïs ? Je comprends votre fébrilité : c'est la politique du pied dans la porte.

J'attendais sur ce banc Mme Pompili, qui avait été à l'origine de la loi de 2016. La politique gouvernementale s'en trouve singulièrement altérée...

N'y avait-il pas d'autres solutions que les néonicotinoïdes ? Nous aurions pu accompagner financièrement la filière dans sa transition.

Cette loi catégorielle fera figure de cas d'école pour le lobbying parlementaire. Je vous invite à la rejeter ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE)

M. Jacques Fernique .  - En 2016, j'ai suivi les débats parlementaires comme simple citoyen. Aujourd'hui j'entends les mêmes arguments, les mêmes protestations, les mêmes incantations. Tout cela a déjà été entendu et surmonté : ne régressons pas !

Autoriser l'usage massif et systématique de l'enrobage des semences aurait des impacts néfastes sur d'autres cultures. Face aux mêmes enjeux, l'Allemagne, deuxième producteur européen de betteraves, et pays peu décroissant vous en conviendrez, se garde bien de prendre une telle dérogation : elle a choisi du curatif ciblé sur les seules cultures touchées. C'est un moindre mal pour l'environnement. Faisons nous aussi preuve de mesure et évitons une dérogation générale. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SEC et CRCE)

M. Frédéric Marchand .  - Luigi Pirandello, dramaturge italien, se régalerait en nous écoutant : chacun sa vérité. Je viens d'un département qui s'enorgueillit de compter une petite entreprise familiale, Florimond Desprez - ce n'est pas Monsanto ! - qui a investi 30 millions d'euros pour de la recherche sur la semence de betteraves.

Je ne peux pas laisser dire qu'il n'y a pas de recherche chez les semenciers. Ils font l'honneur de notre pays ! Il y a une réelle volonté de sortir des néonicotinoïdes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Jean-Michel Arnaud .  - Les abeilles ne sont pas au centre de nos débats. Je regrette aussi que l'on ne parle pas de la poire qui souffre de la rouille grillagée : les lobbies de la production fruitière sont moins puissants. Je regrette aussi le manque de moyens de la recherche. Je voterai contre cette loi qui traite de manière inéquitable les agriculteurs en fonction de leur production. Rien n'a avancé depuis 2016 : nous devons engager chacun à prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SEC et CRCE)

M. Jean-Michel Houllegatte .  - Je crains que nous ne tombions pas d'accord. Ce que fait une loi, une autre loi peut le défaire. Nous sommes sur une question fondamentale.

En 2019, le Président de la République avait proposé d'inscrire à l'article premier de la Constitution que « la France est une République qui favorise la préservation de l'environnement, la diversité biologique et l'action contre les changements climatiques ». Ce n'est pas anodin !

En politique, on pose des actes et on affirme des valeurs intangibles. Cela ne signifie pas que nous soyons insensibles aux difficultés de la filière. Nous devons trouver les moyens de l'accompagner. Je voterai les amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SEC et CRCE)

M. François Bonhomme .  - La réalité contrevient aux discours dogmatiques. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture en 2016, avait dû se défendre de collusion avec les producteurs de néonicotinoïdes. Les choses n'ont pas beaucoup changé depuis. Certains l'avaient même soupçonné d'être le VRP de l'agrochimie. J'espère que, lors de nos débats, nous éviterons les réflexes pavloviens et reviendrons à la réalité.

M. Guy Benarroche .  - On nous dit qu'il n'y a pas d'autre solution que de revenir au monde d'avant. Telles les abeilles, je vous invite monsieur le ministre à butiner les informations. Un produit chimique ne se substituera pas à un autre. La recherche ne va pas aussi vite que la destruction du vivant. Il n'y aura pas de solution miracle.

La monoculture appartient au passé. Elle a tout gâché. Nous devons reconstruire les pratiques. Cessons de nous arc-bouter sur un modèle agricole dépassé ! Il faut accompagner le secteur dans sa transition.

Ce Gouvernement semble plus adepte d'une idéologie du dire que du faire. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Pierre Cuypers .  - Je tiens à remercier notre ministre de l'agriculture qui mène ce combat avec justice et équilibre. Il sait de quoi il parle, avec ses convictions d'agronome.

Je suis atterré de ce que j'entends aujourd'hui. Notre économie est en difficulté et risque de disparaître. Nous avons développé l'éthanol qui est un atout formidable pour notre économie et notre indépendance énergétique. Nous avons tous besoin d'énergie.

N'ajoutons pas de la crise à la crise en sacrifiant des emplois ! Nous n'avons pas le droit de faire cela. Nous sommes sur quelques grammes de produit sur 10 000 mètres carrés. À la place de la betterave, les agriculteurs vont semer des plantes qui vont déstabiliser les autres cultures. Nous n'avons pas le droit de nous tromper. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Yves Détraigne .  - Je suis élu du département, particulièrement betteravier, de la Marne. Depuis des années, le pôle industries-agro-ressources (IAR) réunit, entre Bazancourt et Pomacle, des chercheurs venus de divers horizons pour trouver les molécules d'avenir pour l'agriculture.

Nous n'avons pas attendu qu'il y ait un problème pour nous pencher sur nos méthodes agricoles. Venez voir ce que nous y faisons ! Ne cassons pas une transition qui ne peut se faire du jour au lendemain. Ne nous laissez pas au milieu du champ ! Il nous faut du temps pour aller jusqu'au bout. Vos préoccupations sont aussi les nôtres et celles de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Julien Denormandie, ministre .  - Ne perdons pas de vue la finalité de ce débat : faire sortir de l'ornière une filière qui risque de s'effondrer. Si une alternative existait, je ne serais pas devant vous ce soir ! (MM. Jean-Claude Tissot et Franck Montaugé protestent.) Le droit européen ne nous autorise pas à compenser à 100 % : mettre tout le monde sous perfusion, cela ne marche pas. J'ai beaucoup partagé avec l'excellent député Dominique Potier, auquel vous faisiez écho en évoquant le plan « B ».

Si vous étiez planteur, vous planteriez autre chose, c'est le bon sens ! Reste la recherche, génétique notamment. Un programme AKER a été lancé, doté de 5 millions d'euros. Nous avons peut-être trouvé les phénotypes d'un ou deux virus liés au puceron, sur les quatre qui existent. Il y a aussi la recherche agronomique : nous ne savons toujours pas quelle est la forme idéale de la parcelle de 4 hectares, carrée ou en ligne.

Les dispositifs de biosécurité ne sont pas encore au point : nous devons réfléchir aux cinétiques respectives de la coccinelle et du puceron - la coccinelle se nourrit du puceron mais il faudrait l'introduire avant celui-ci - et prévoir le gîte et le couvert de la coccinelle. C'est bigrement compliqué !

Quant à prétendre que je serais le ministre de l'agrochimie... je prends cette décision, en tant que ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, ingénieur agronome et père de quatre enfants ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains ; protestations sur les travées du groupe SER et du GEST)

Le groupe socialiste, écologiste et républicain me dit que le problème vient des quotas, mais ils ont été supprimés en 2017. M'en imputer la responsabilité, c'est un peu fort de café ! Je n'y suis donc pour rien, mais vous un peu plus, qui souteniez le gouvernement de l'époque. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Pour faire face à la baisse des quotas, les agriculteurs ont augmenté leurs surfaces. Si la production s'effondre en 2019, c'est que les sucreries ferment. Une sucrerie doit fonctionner 120 jours par an ; or aujourd'hui elle fonctionne en moyenne 90 jours. Il faut que la sucrerie tourne suffisamment. Le problème n'est donc pas à la sortie, mais à l'entrée des sucreries. Il y va de notre souveraineté. J'ai du mal à comprendre, monsieur Gay, une politique économique qui nie l'export. (Protestations sur les travées du groupe CRCE)

Madame Cukierman, certaines sucreries sont familiales, notamment deux dans le sud de l'Île-de-France, qui sont en grande difficulté. Toutes ne dépendent donc pas de gros mastodontes. (Protestations sur les travées du groupe CRCE)

La filière s'en sortira-t-elle dans trois ans, monsieur Cabanel ? Vraie question ! J'ai une certitude : si on ne fait rien, les agriculteurs ne planteront pas de betteraves. À leur place, vous feriez de même. D'où viendront les pucerons ? Nous n'en savons rien... L'an dernier, ils se sont propagés d'est en ouest, cette année du sud au nord ! Un programme de recherche doit s'y pencher.

Après 700 000 euros de 2016 à 2020, avec nos 7 millions d'euros pour les trois prochaines années, nous montons la pression pour trouver les solutions qui combineront, biosécurité, agronomie, gestion des parcelles et sélection des semences. Nous mettrons toutes nos forces, sous le contrôle du comité de surveillance où des parlementaires exerceront leur suivi et leur contrôle, pour faire en sorte que les semences, comme le souhaite Frédéric Marchand, viennent de notre beau territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

La séance est suspendue à 20 h 45.

présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

La séance reprend à 22 h 15.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Michelle Gréaume.  - Le choix du Gouvernement est présenté comme un choix courageux, alliant soutien à la filière et recherche d'alternative. La dérogation serait suffisamment encadrée, il s'agirait d'un choix responsable... Il n'en est rien. Ce texte illustre l'incapacité du Gouvernement à prendre la mesure de l'urgence environnementale.

La Cour des comptes a rappelé l'échec des politiques publiques pour faire évoluer les pratiques agricoles, malgré 400 millions d'euros d'aides en 2018.

Ce choix n'est pas celui d'une planification volontariste, mais la reprise d'une doctrine dépassée qui prétend évaluer les risques substance par substance. Or dès 2005, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) soulignait la nécessité d'engager l'agriculture à réduire sa consommation de pesticides. En 2008, le plan Écophyto fixait un objectif de réduction de 50 % des pesticides en dix ans. Nous en sommes loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Joël Bigot applaudit également.)

M. le président.  - Amendement identique n°7, présenté par M. Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Jean-Claude Tissot.  - Réintroduire les néonicotinoïdes pour trois ans serait une régression environnementale. La filière n'a pas été prise au dépourvu. Dès les années 1990, les néonicotinoïdes ont suscité des inquiétudes, que les études scientifiques ont confirmées. Dès 2012, l'Anses recommandait une réévaluation, Stéphane Le Foll interdisait le Cruiser. Dès 2013, la Commission européenne décidait un moratoire sur trois des cinq substances actives de cette famille. En 2016, l'interdiction des néonicotinoïdes était votée, pour une application en 2018, et une fin des dérogations en juillet 2020. Cette interdiction n'a pas été précipitée et personne n'a été pris de court.

Je crains que l'histoire ne se répète et que d'ici trois ans, nous ne soyons amenés à voter une nouvelle prolongation... (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. le président.  - Amendement identique n°14 rectifié, présenté par MM. Labbé, Salmon et Gontard, Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec et Dossus, Mme de Marco, MM. Fernique et Parigi et Mmes Poncet Monge et Taillé-Polian.

M. Joël Labbé.  - Les études scientifiques ont montré la toxicité pour la biodiversité et la persistance dans l'environnement de ces insecticides ainsi que les risques pour la santé humaine.

Nous attendons deux avis de l'Anses sur les alternatives aux néonicotinoïdes. L'Agence manque de données indépendantes pour estimer leur impact agronomique et économique et établir les situations d'impasses. Elle souhaite se doter d'une compétence en analyse socioéconomique.

La Commission européenne s'interroge sur la légitimité des dérogations et va saisir l'EFSA pour vérifier que la France respecte bien l'article 53 du Règlement européen.

La solution passe par des mécanismes éco-conditionnés d'indemnisation, de fonds de mutualisation ou d'aide à l'investissement dans la filière. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Ne refaisons pas le débat. Avis défavorable aux amendements de suppression. (« Très bien » sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Julien Denormandie, ministre.  - Avis défavorable. Deux avis ont été demandés à l'Anses. Le premier, qui sera rendu fin novembre, vise à établir les méthodes d'utilisation du produit pour les rotations suivantes.

L'arrêté de mise sur le marché à titre dérogatoire précisera les conditions d'utilisation sur cette base.

Le deuxième avis actualisera l'avis de 2018, en ajoutant aux alternatives identifiées deux alternatives chimiques : le Movento et le Teppeki - mais nous savons déjà que ces deux produits ne fonctionnent pas.

Mme Angèle Préville.  - Les néonicotinoïdes sont des insecticides systémiques utilisés comme biocides, parmi les plus vendus au monde : 25 % du marché mondial, 34 % du volume total utilisé en France en 2016.

C'est donc un produit extrêmement présent en France et en Europe. Son impact sur les insectes n'est plus à démontrer. Selon l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF), 300 000 ruches sont détruites chaque année à cause des néonicotinoïdes ; 85 % des insectes et un tiers des oiseaux ont disparu de nos champs. Qu'il s'agisse d'enrobage ou de pulvérisation, la dangerosité est établie.

Faut-il rappeler qu'un million d'espèces animales et végétales sont en voie d'extinction accélérée, du fait de l'agriculture intensive, de l'urbanisation, de la déforestation et du recours croissant aux produits chimiques ? Nous ne pouvons plus nous cacher derrière notre petit doigt. Vous choisissez la facilité et non la durabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Jean-Jacques Michau.  - Les députés socialistes ont présenté un plan « B comme betterave » pour sortir la filière de la crise. Il repose sur trois piliers : l'innovation commerciale d'abord, avec un objectif de 50 % de produits issus de mentions valorisantes, dont 20 % de bio, marché fortement émergeant.

L'innovation économique et sociale ensuite, pour rendre la filière plus résiliente, avec une organisation de producteurs regroupant les quatre régions concernées, une compensation des pertes de production et un fonds de 100 millions d'euros pour maintenir l'attractivité de la filière, financés par une taxe exceptionnelle sur le secteur agro-alimentaire. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Sido.  - Encore !

M. Jean-Jacques Michau.  - L'innovation agro-écologique enfin, en se fondant sur la génétique végétale, le biocontrôle et l'agronomie pour un meilleur équilibre écologique.

Nous faisons donc des propositions.

M. le président.  - Merci de conclure.

M. Jean-Jacques Michau.  - La capacité de résilience de l'agriculture est la clé de sa sauvegarde dans toute sa diversité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Bruno Sido.  - Je serai concis. En ce moment, la covid intéresse plus nos concitoyens que les néonicotinoïdes. (Mouvements sur les travées du GEST)

Monsieur le ministre, l'autorisation de mise sur le marché des néonicotinoïdes a été approuvée à la suite d'études très lourdes et coûteuses. Pourquoi, quelques années après, condamner ce produit ?

Que l'on mette sur la touche les vieux pesticides qui ont trente ou quarante ans - même s'ils ont très bien marché pour des générations d'agriculteurs, dont je suis - soit. Mais pourquoi les nouveaux ?

Quelles solutions propose-t-on pour répondre à la crise actuelle ? Les travailleurs de la terre appellent au secours car ils se trouvent dans une impasse, pour sauver les betteraves et les noisettes.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Bruno Sido.  - Trouvons de vraies solutions. M. le ministre en propose une pour trois ans ; elle me convient.

M. le président.  - Si tout le monde est aussi concis, nous ne sommes pas couchés... (Rires)

M. Fabien Gay.  - Les difficultés de la filière betterave s'expliquent par un faisceau de raisons, mais l'une des principales est bien la fin des quotas sucriers.

M. Laurent Duplomb.  - Cela n'a rien à voir !

M. Fabien Gay.  - Les spéculateurs à New York ont fait chuter les prix, puisque nous étions en surproduction. Les industriels français étaient pour la fin du marché régulé - tel grand groupe avait investi un milliard d'euros pour seulement dix usines... - mais ont vu la rentabilité chuter. Nous débattrons du libre-échange lors de la présentation des amendements de la rapporteure.

Personne ici n'a le monopole de la défense de l'industrie et des salariés. J'ai cherché en vain des communiqués de presse du Gouvernement sur les fermetures de sucreries l'an dernier !

Mme Florence Blatrix Contat.  - Ce projet de loi est une nouvelle illustration des renoncements successifs du Gouvernement sur l'écologie : le glyphosate, les néonicotinoïdes, les veto sur les propositions de la Convention citoyenne sur le climat.

Le Président de la République tweetait le 1er septembre 2018 pour se féliciter de l'interdiction des néonicotinoïdes. La ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, doit être bien en peine pour justifier ses propos de 2016 ; à l'époque, elle s'opposait même aux dérogations. La France était alors précurseur pour l'interdiction des néonicotinoïdes. Depuis le vote de la loi de Biodiversité, les approbations européennes de substances actives ont baissé, preuve qu'un pays qui prend ses responsabilités ouvre la voie à une prise de conscience collective.

Après un pas en avant en 2016, vous nous demandez d'en faire trois en arrière. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Daniel Salmon.  - En 1958, Rachel Carlson publiait Silent Spring sur les ravages du DDT. Depuis soixante ans - c'est mon âge - l'utilisation croissante des pesticides va de pair avec un effondrement de la biodiversité. Dans les années 1970, il suffisait de quelques kilomètres en voiture de nuit pour que le pare-brise soit moucheté d'insectes. Aujourd'hui, c'est à peine si trois moucherons viennent s'y coller ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

Les écologistes seraient des idéologues s'en prenant à un système agricole qui fonctionne très bien ? Pourtant, on ferme 500 exploitations par mois, le taux de suicide chez les agriculteurs s'envole, car le libéralisme leur a mis un genou à terre et les politiques les ont enfermés dans un modèle productiviste.

Nous soutenons une agriculture paysanne et familiale. Il faut des actes, non des reculades. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Laurent Duplomb.  - Monsieur Gay, il est trop facile d'imputer les difficultés de la filière betterave à la suppression des quotas.

Vous laissez supposer que le prix n'étant plus en adéquation avec la culture, il faudrait un rendement énorme.

Mon beau-père a cessé de faire des lentilles vertes du Puy il y a trente ans - elles étaient à 500 ou 600 euros la tonne - pour développer son activité de producteur laitier. Pendant vingt ans, j'ai tenu à produire des lentilles, sur plus de vingt hectares, estimant que c'était une valeur pour mon territoire et mon exploitation. Aujourd'hui, le prix est de 2 000 euros la tonne. Et pourtant, l'année prochaine, je n'en ferai que sept hectares : nous sommes dans une impasse technique, à quoi bon cultiver une production dont on ne peut rien ramasser ?

Il y avait 4 500 hectares de lentilles du Puy il y a vingt ans ; cette année nous en emblaverons à peine 2 500 hectares. Nous sommes sur du terrain volcanique, pierreux. Les agriculteurs vont-ils continuer à ramasser des tonnes de pierres pour ne rien récolter ? Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)

À la demande du groupe socialiste, écologiste et républicain, les amendements identiques nos2, 7 et 14 rectifié sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°7 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 317
Pour l'adoption 159
Contre 158

Le Sénat a adopté et l'article premier est supprimé. (Quelques applaudissements à gauche)

Les amendements nos9, 19 rectifié, 10, 11, 15 rectifié, 12, 16 rectifié, 17 rectifié, 20 rectifié, 21 rectifié et 4 rectifié bis n'ont plus d'objet.

La séance est suspendue quelques instants.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Le Gouvernement demande une deuxième délibération (Exclamations à gauche ; marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains) afin de m'assurer que le vote, à une voix près, était bien exprimé et n'est pas dû à une mauvaise manipulation...

M. le président.  - La deuxième délibération est de droit. Nous allons donc reprendre l'examen des amendements après l'article premier, puis sur l'article 2. La deuxième délibération interviendra ensuite.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°13, présenté par M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le 31 décembre 2020, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la situation de la filière sucre au niveau mondial, européen et national. Ce rapport présente notamment une analyse détaillée des conséquences de l'abandon de la régulation et des quotas sucriers depuis 2017, de la situation économique et sociale des groupes sucriers français, ainsi que des conséquences pour les planteurs de la baisse des prix sur les marchés et de l'interdiction de l'utilisation de certains produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des ne?onicotinoi?des ou présentant des modes d'action identiques a? ceux de ces substances et des semences traitées avec ces produits.

M. Fabien Gay.  - C'est une demande de rapport, même si je sais que Mme la présidente Primas exècre les rapports.

L'amendement n°13, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°18 rectifié, présenté par MM. Labbé, Salmon, Gontard et Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec et Dossus, Mme de Marco, MM. Fernique et Parigi et Mmes Poncet Monge et Taillé-Polian.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au plus tard le 1er janvier 2021, le Gouvernement remet un rapport au Parlement évaluant les liens entre la fin de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et le recours à des fonds de mutualisation écoconditionnés.

M. Joël Labbé.  - Amendement de repli. L'article premier réécrit l'ensemble des dispositions de la loi Biodiversité au motif qu'elles seraient juridiquement fragiles. Le décret du 30 juillet 2018 avait certes été attaqué par la redoutable Union des industries de la protection des plantes (UIPP), mais une décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 octobre 2020 a changé la donne et sécurisé l'interdiction française des néonicotinoïdes. Il convient donc d'en revenir à la rédaction actuelle du code rural.

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Vous vous trompez d'amendement... L'amendement n°18 rectifié demande un rapport sur l'opportunité de créer un fonds de mutualisation. Avis défavorable par principe même si l'idée est à creuser.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°18 rectifié n'est pas adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Supprimer cet article.

Mme Angèle Préville.  - Cet article présente de forts risques d'inconstitutionnalité pour rupture d'égalité devant la loi. Ce que vous prévoyez aujourd'hui pour les betteraves, demain vous le ferez pour d'autres : maïs, noisettes...

Nous mettons les partisans de ce projet de loi devant leurs responsabilités. Allez-vous opposer une fin de non-recevoir aux filières qui demanderont à bénéficier des mêmes dérogations ?

Ce n'est pas un projet de loi exceptionnel apportant une réponse circonscrite à une situation particulière, mais bien une réouverture massive de l'usage des néonicotinoïdes en France.

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Nous sommes dans une situation curieuse, car nous avons supprimé l'article premier par inadvertance. (Protestations à gauche) Un groupe s'est trompé dans son vote. Si l'on supprime l'article 2 mais que l'on rétablit l'article premier lors de la deuxième délibération, la dérogation s'appliquera à l'ensemble des cultures ! Avis extrêmement défavorable.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Même avis, notamment au regard de mon argumentaire en discussion générale sur le principe d'égalité. La betterave a deux spécificités : son moindre impact sur les pollinisateurs et l'importance de l'appareil productif en aval.

L'amendement n°8 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par MM. Moga et Levi, Mme Joseph, M. Janssens, Mme Vermeillet, MM. Guerriau, Panunzi, Kern, Louault, Médevielle et S. Demilly, Mme Belrhiti, MM. Decool, Segouin et Bonhomme, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Lefèvre, Chatillon et Duffourg, Mme Dumas et M. Regnard.

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

et de noisettes

M. Pierre Louault.  - Ce que la France ne produira plus, elle devra l'importer : nous ferons venir des produits traités par des produits phytopharmaceutiques interdits sur notre territoire.

En France, nous consommons 25 000 tonnes de noisettes et en produisons 11 000 tonnes. Sans solution, les agriculteurs ne pourront plus lutter contre le balanin, petit coléoptère qui détruit 50 % à 70 % des cultures. Cet amendement étend la dérogation proposée pour la betterave sucrière à la culture des noisettes.

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Je connais la question des filières orphelines. Avec Joël Labbé, nous avions rencontré les producteurs qui sont engagés depuis dix ans dans une recherche d'alternative. Que prévoyez-vous pour les aider, monsieur le ministre ?

Cet amendement est néanmoins inopérant car la dérogation ne vaut que pour l'enrobage des semences et non la pulvérisation. Retrait ou avis défavorable.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Monsieur le sénateur, je salue votre engagement en faveur de cette filière structurante pour votre territoire. Certaines filières connaissent des difficultés : noisette, moutarde, colza, poire... La dérogation doit néanmoins rester limitée à la betterave qui n'est pas mellifère et dont dépend tout un outil de production en aval ; une saison peut suffire pour provoquer des fermetures de sucreries. Je prends deux engagements devant vous : accélérer cette transition et travailler à des solutions alternatives avec les représentants de ces filières orphelines. Ce ne sera pas simple, mais j'y mettrai autant d'énergie que pour la betterave.

M. Laurent Duplomb.  - Très bien.

M. Jean-Pierre Moga.  - La filière noisette travaille depuis plus de dix ans à des solutions alternatives. Devant votre engagement, je retire mon amendement.

L'amendement n°3 rectifié bis est retiré.

L'article 2 est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°22, présenté par Mme Primas, au nom de la commission des affaires économiques.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.  -  Le deuxième alinéa de l'article L. 1313-1 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lors d'un retrait d'une autorisation préalable à la mise sur le marché, elle tient compte des bénéfices et des risques liés aux usages des produits phytopharmaceutiques concernés avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou aux méthodes alternatives disponibles et, le cas échéant, des risques liés à l'absence de produits ou de méthodes alternatifs disponibles. »

II.  -  Après le premier alinéa du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf urgence, la mesure d'interdiction mentionnée au premier alinéa du premier I est prise sur la base d'un bilan établi par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail qui compare les bénéfices et les risques liés aux usages des produits phytopharmaceutiques concernés par une interdiction avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou aux méthodes alternatives disponibles. Ce bilan est rendu public dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 1313-3 du code de la santé publique. »

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Cet amendement inscrit dans la loi le principe : « pas d'interdiction sans alternative », sauf urgence. Si un produit n'a pas d'alternative, le Gouvernement pourra décider ou pas d'une interdiction. L'Anses tiendra compte dans ses décisions de retrait d'AMM des risques liés aux alternatives proposées ou de l'absence d'alternative.

Il faut améliorer l'étude d'impact préalable à l'interdiction d'un produit afin de ne pas laisser des agriculteurs sans solution.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je suis assez gêné sur cet amendement dont je comprends la logique. Il me semble qu'il priverait le pouvoir législatif de décider en l'absence d'avis de l'Anses. Par ailleurs, si l'on regarde ce qu'il s'est passé sur la betterave, en 2018, l'Anses a dit qu'il existait une alternative - le Movento et le Teppuki - mais sans préciser si cette alternative fonctionnait. (Protestations à gauche) Avis défavorable pour ces deux raisons, même si je comprends votre objectif.

M. René-Paul Savary.  - Cet amendement est particulièrement intéressant car il allie les principes de précaution et d'innovation. C'est un principe de précaution non pas qui ouvre le parapluie, mais qui propose autre chose. C'est un amendement relativement révolutionnaire qui mériterait d'être examiné et peut-être précisé. C'est pragmatique et de bon sens, beaucoup plus intéressant que les positions dogmatiques. (Applaudissements sur diverses travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Sido.  - L'amendement de Mme la présidente est excellent. Aujourd'hui, lorsqu'un texte est examiné avec la procédure accélérée, nous ne disposons pas d'étude d'impact comme l'a bien montré Jean-Pierre Sueur. C'est effectivement scandaleux. Il y a vingt ans, les projets de loi étaient accompagnés d'une épaisse étude d'impact.

Si les études d'impact étaient sérieusement réalisées, nous n'aurions pas besoin de cet amendement, que j'approuve au demeurant.

M. Fabien Gay.  - Le groupe CRCE ne votera pas cet amendement. Trop de lois n'ont pas d'études d'impact,

M. Bruno Sido.  - Je viens de le dire !

M. Fabien Gay.  - Et j'ai le droit de le répéter ! En outre, certaines études d'impact sont tronquées - comme dans le cas du projet de loi sur la réforme des retraites.

Aujourd'hui, il existe des alternatives aux néonicotinoïdes - les haies par exemple - (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains), mais elles ne sont pas viables économiquement.

Force doit rester à la loi, sinon rien ne se passe. Qui gère les alternatives ? Le privé ? Tant que le profit dirigera le monde, on ne changera rien.

En Guyane, il existe trois alternatives à la cyanurisation pour les mines industrielles, mais elles ne sont pas viables économiquement : elles ne sont donc pas développées par les industriels, tant que le cyanure ne sera pas interdit.

Nous ne voterons donc pas cet amendement.

M. Jean-Claude Tissot.  - Notre groupe socialiste, écologiste et républicain sera défavorable à votre amendement qui nous semble dangereux : si aucune alternative n'est établie, il sera impossible d'interdire un produit. Si cet amendement était voté, on ne pourrait jamais retirer les néonicotinoïdes ! C'est grave ! Nous avons peut-être débattu ce soir pour rien...

M. Olivier Jacquin.  - Cet amendement me semble spécieux et dangereux. Il ne faut vraiment pas le voter car il bloquerait toute évolution pour préserver l'environnement.

M. Daniel Gremillet.  - Je soutiens totalement cet amendement. Le directeur de l'Anses estimait que dès lors qu'il n'était plus possible d'intervenir, il n'y avait plus de recherche. Nous aurons d'autres situations particulières à gérer. Si l'on supprime toute recherche, les seuls produits de substitution seront les plus anciens et les plus nocifs pour l'environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Joël Labbé.  - Cet amendement est certes révolutionnaire, mais à contre-courant total ! Votre logique est de remplacer des substances par d'autres substances. La réponse doit être globale. Si nous continuons avec ces pesticides pour la plupart cancérigènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction, perturbateurs endocriniens, ce sera totalement inacceptable et l'incompréhension de nos citoyens sera totale. Le GEST sera opposé à cet amendement. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Les décisions du Parlement sont prises sur la base d'un bilan de l'Anses, qui n'est pas un avis conforme ! Avec cet amendement, le Parlement conservera sa capacité à légiférer souverainement. Il s'agit de donner de l'information. En 2016, l'interdiction des néonicotinoïdes a été votée par le biais d'un amendement, sans aucune étude d'impact sur une alternative efficace. Nous avons manqué d'information, et nous nous sommes retrouvés dans une impasse. Mon esprit n'était ni machiavélique, ni révolutionnaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

L'amendement n°22 est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - Amendement n°23, présenté par Mme Primas, au nom de la commission des affaires économiques.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les ministres chargés de l'agriculture et de la consommation peuvent, dans le respect des articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, prendre des mesures conservatoires afin de suspendre ou de fixer des conditions particulières à l'introduction, l'importation et la mise sur le marché en France de denrées alimentaires ou produits agricoles mentionnés au premier alinéa. »

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - L'article 44 de la loi EGalim prévoit qu'il est interdit de vendre ou donner des produits alimentaires ne respectant pas les normes minimales reprises sur le marché européen. Or, les contrôles des importations ne permettent pas de s'assurer du respect de ces dispositions qui sont imposées à nos propres agriculteurs. Rien n'interdit que les néonicotinoïdes ne soient présents dans les produits importés, même si ces substances sont interdites en France. Il n'est pas normal de laisser s'installer une telle concurrence déloyale avec les pays européens et extra-européens. Cet amendement donne ainsi aux ministres de l'Agriculture et de la Consommation le pouvoir de prendre des mesures conservatoires si cette concurrence déloyale est établie.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Le sens de l'histoire, en Europe, c'est la convergence des normes. Or ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. Le consommateur peut trouver sur l'étal deux concombres européens qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales. C'est pourquoi la réforme de la PAC prévoit que, pour tous les États membres, 20 % des aides du premier pilier - 30 % selon le Parlement européen - seront éco-conditionnées. C'est une première avancée pour la convergence des normes européennes.

L'article 44 de la loi EGalim est-il suffisamment appliqué ? C'est de ma responsabilité de le faire appliquer. Vous proposez donc cet amendement pour que les ministres de l'Agriculture et de la Consommation, c'est-à-dire Bercy, puissent interdire la vente de substances qui ne respectent pas les mêmes règles au titre de l'article 53 du Règlement européen. Or, ce dernier aurait-il changé la situation pour la filière betteravière ? Non, car ni la santé humaine ni la santé animale n'étaient menacées par la jaunisse. Enfin, l'environnement à prendre en compte est celui de la France, pas celui de la Pologne !

Ce n'est donc malheureusement pas cet amendement qui permettra la convergence des normes, mais plutôt la PAC. J'ai bien conscience que ce que je dis n'est sans doute pas satisfaisant, car ce sera long.

Au Conseil des ministres européens, nous nous sommes mis d'accord sur un socle environnemental commun à tous les États membres. Ce que nous avons obtenu au niveau de la PAC doit être transféré au niveau de la politique commerciale. Nous nous opposons ainsi à l'accord avec le Mercosur. Avis défavorable.

M. Joël Labbé.  - Autant nous n'étions pas d'accord avec le précédent amendement, autant nous saluons celui-ci ! On peut être prudent, monsieur le ministre, mais il faut parfois de l'audace. Il en faut pour aller contre L'UIPP ! En 2016, on nous disait que l'Europe nous empêcherait d'interdire les néonicotinoïdes. Or elle nous a emboîté le pas ! Le GEST votera cet amendement révolutionnaire ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe Les Républicains)

M. Franck Montaugé.  - La loi EGalim n'a pas atteint ses objectifs principaux, notamment celui d'améliorer le revenu des producteurs. L'article 44 de cette loi est très important. Son périmètre déborde largement celui de ce projet de loi sur la filière sucrière. Le groupe SER votera cet amendement en dépit des arguments du ministre.

Quand le Sénat propose, ce n'est jamais le bon moment... comme sur le travail que nous avons mené sur le libre choix du consommateur dans le cyberespace.

Sur un tel sujet, il faut y aller ! La France doit transmettre un message politique à ses partenaires européens, et même au-delà. Espérons que cet amendement prospèrera !

M. Bruno Sido.  - L'amendement de Mme la présidente est très intéressant. On risque de ne plus produire de sucre en France et nous en importerons en provenance de pays qui autorisent les néonicotinoïdes.

Mais quid des produits OGM interdits en France ? Mais personne ne sourcille lorsque nous en importons des millions de tonnes ! C'est un problème de cohérence. Il faut harmoniser les règles, monsieur le ministre, au niveau européen mais aussi mondial. Je voterai cet amendement mais je suis très embarrassé car il pose de nombreuses questions.

M. Laurent Duplomb.  - Les deux amendements sont liés. Soit on arrête d'interdire et on donne les mêmes conditions de production à nos producteurs que ceux dont disposent leurs concurrents. Soit on contrôle aux frontières les produits dont nous ne voulons pas. Le budget que nous y consacrons, c'est seulement 10 millions d'euros par an, une semaine de recettes du loto...

Mon rapport le montrait : 25 % des importations en France ne correspondent pas aux normes que nous imposons à nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

Contrôlez, augmentez le budget. Au lieu d'embêter les agriculteurs par des contrôles, contrôlez les produits qui viennent d'ailleurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Jacquin.  - Madame la présidente, l'amendement n°22 était à contresens de l'histoire : si l'homologation est retirée par l'Anses, c'est parce qu'il y a un risque sanitaire.

Mais merci, madame la présidente, de proposer, pour ce texte si clivant, un temps de consensus et d'entente fraternelle.

Je suis un militant de la lutte contre les distorsions de concurrence. Cet amendement résout bien des problèmes : nous ne devons pas prêter le flanc à des concurrences déloyales et moins-disantes.

Monsieur le ministre, pendant vos 6 minutes 23 secondes d'intervention vaporeuse, (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) je n'ai pas bien compris vos arguments.

M. Daniel Gremillet.  - À travers cet amendement, monsieur le ministre, nous vous aidons ! Le problème de ce soir n'est pas uniquement celui des paysans et des entreprises, c'est aussi celui des citoyens. Que de mensonges sur les OGM ! Sans le savoir, les consommateurs consomment des OGM, alors que ces derniers sont interdits en France. C'est un débat de société sur lequel il ne faut pas mentir, une attente importante dans notre pays et une exigence forte par rapport à Bruxelles.

Nous en avons marre d'être mis devant le fait accompli lors des négociations internationales, sans jamais être consultés ! Là, au moins, les négociateurs auront une feuille de route ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Fabien Gay.  - Ce vote va effectivement vous aider lors des négociations européennes. La situation actuelle est une distorsion de concurrence pour les agriculteurs et une tromperie pour les consommateurs.

Oui, il faut renforcer l'harmonisation sociale et environnementale européenne. Se pose la question d'une Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) européenne : voyez les steaks hachés polonais !

Nous ne sommes pas opposés aux échanges, mais contre un libre-échange dévastateur. Nous sommes pour un juste échange.

Quand l'accord avec le CETA, traité de seconde génération, passera-t-il devant le Sénat ? Il comprend des barrières tarifaires mais aussi non tarifaires. En 2017, le CETA devait entrer en vigueur pour un an avant de passer devant le Parlement. Or il est toujours illégalement en vigueur.

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Les normes européennes doivent converger, j'en conviens, monsieur le ministre.

Mais la France est très souvent en situation de surtransposition. Nous courons devant les autres, mais sommes du coup en situation de concurrence déloyale.

Pour la nouvelle PAC, il a fallu des mois de négociations pour parvenir à un accord. Soyons volontaristes. Si nous n'en faisons pas preuve, nous serons pénalisés car nous sommes avant-gardistes.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je défends une position face à un consensus que je respecte et comprends.

Ma seule priorité, c'est la souveraineté agroalimentaire française ; l'agro-écologie, ce n'est pas une fin mais un moyen.

La moitié des fermes françaises devra trouver un repreneur dans les dix prochaines années.

Aujourd'hui, 80 % de la volaille de chair mangée dans la restauration hors domicile est importée. D'où ? Et avec quelles conditions de production ? Les élevages français sont plus petits que la moyenne européenne, plus petite que celle de l'Ukraine ou des États-Unis. Je me battrais tous les jours pour la souveraineté agricole française.

De même, depuis cinquante ans, l'Europe est dépendante des protéines nord puis sud-américain - les tourteaux de soja brésiliens ! L'Uruguay Round a avalisé ce système. Mais dans la réforme de la PAC, nous allons développer les filières protéiques françaises, avec 100 millions qui leur sont dédiés.

J'ai toujours plaidé pour des choses faisables. Le problème est que cet amendement fait référence aux articles 53 et 54 du Règlement qui sont d'application directe. Mais cela n'interdit en rien de faire entrer sur le territoire des produits ne respectant pas nos normes, s'ils n'ont pas d'impact sur la santé des humains ou des animaux.

On arrive à le faire avec les cerises turques utilisant le diméthoate, car ce produit a un impact sur notre santé. En revanche, pour les concombres ou le sucre, cet amendement n'aura aucun impact. Dès lors que nous sommes dans un marché commun, battons-nous à ce niveau contre ces accords commerciaux.

Je ferai tout pour appliquer l'article 44 de la loi EGalim. Mais la compétence dans les accords de libre-échange est du niveau européen. Dès que je pourrai utiliser les instruments adéquats, je le ferai.

J'espère que mon intervention n'était pas fumeuse... (Sourires)

L'amendement n°23 est adopté et devient un article additionnel.

M. le président.  - À l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Seconde délibération

M. le président.  - En application de l'article 43 alinéa 4 du Règlement, le Gouvernement a demandé une seconde délibération sur l'article premier de ce projet de loi.

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Avis favorable.

M. le président.  - Y a-t-il un orateur contre ?

La seconde délibération est décidée.

M. le président.  - Conformément à l'article 43, alinéa 5 de notre Règlement, « Lorsqu'il y a lieu à seconde délibération, les textes adoptés lors de la première délibération sont renvoyés à la commission, qui présente un nouveau rapport ». La commission est-elle prête à présenter son rapport ?

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Je demande une suspension de séance pour examiner l'amendement qui sera soumis en séance publique.

La séance, suspendue à minuit cinq, reprend à minuit et quart.

M. le président.  - Amendement n°A-1, présenté par le Gouvernement.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I.  -  L'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le II est ainsi rédigé :

« II.  -  L'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits est interdite.

« Jusqu'au 1er juillet 2023, des arrêtés conjoints des ministres chargés de l'agriculture, de l'environnement et de la santé, pris après avis du conseil de surveillance mentionné au II bis, peuvent autoriser l'emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II dont l'utilisation est interdite en application du droit de l'Union européenne ou du présent code. Ces dérogations sont accordées dans les conditions prévues à l'article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

« Dans des conditions définies par les arrêtés mentionnés au deuxième alinéa du présent II, le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d'insectes pollinisateurs sont temporairement interdits après l'emploi de semences traitées avec des produits contenant les substances mentionnées au premier alinéa du présent II. » ;

2° Après le même II, il est inséré un II bis ainsi rédigé :

« II bis.  -  Il est créé un conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en oeuvre d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances. Ce conseil comprend quatre députés, dont au moins un député membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, et quatre sénateurs, dont au moins un sénateur membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, représentant proportionnellement les groupes majoritaires et de l'opposition et désignés par les commissions permanentes compétentes en matière d'agriculture et d'environnement de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que, notamment, le délégué interministériel pour la filière sucre et des représentants des ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture, du Conseil économique, social et environnemental, d'associations de protection de l'environnement, des organisations syndicales à vocation générale d'exploitants agricoles, des filières de production et de transformation concernées, des instituts techniques et des établissements publics de recherche. Les membres de ce conseil exercent leurs fonctions à titre gratuit. Sa composition, son organisation et son fonctionnement sont fixés par décret.

« Le conseil mentionné au premier alinéa du présent II bis se réunit trimestriellement pour assurer le contrôle des avancées et de l'efficacité des tests en matière de recherche et de mise en oeuvre d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances, ainsi que la conformité de ces avancées à la feuille de route fixée par le Gouvernement en la matière. Dans le cadre de la procédure de dérogation prévue au deuxième alinéa du II, il émet un avis sur les dérogations, dans le respect d'un délai déterminé par décret, et assure le suivi et l'évaluation de leurs conséquences, notamment sur l'environnement, et de leur incidence économique sur la situation de la filière. Le conseil émet un avis et suit l'état d'avancement du plan de prévention proposé par la filière de production de betteraves sucrières, en veillant à ce que soient prévues les modalités de déploiement des solutions alternatives existantes en conditions réelles d'exploitation.

« Ce conseil publie un rapport annuel, remis chaque année avant le 15 octobre au Gouvernement et au Parlement. »

II.  -  Le 1° du I entre en vigueur à une date fixée par le décret mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, et au plus tard le 15 décembre 2020.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Cet amendement rétablit le texte de la commission pour l'article premier, ainsi que celui de l'amendement n°4 rectifié bis de Mme Bonfanti-Dossat remplaçant « des syndicats agricoles » par « des organisations syndicales à vocation générale d'exploitants agricoles », qui recueillait l'avis favorable de la commission et du Gouvernement.

M. le président.  - Sous-amendement n°A-2 à l'amendement n°A-1 du Gouvernement, présenté par Mme Primas, au nom de la commission des affaires économiques.

Alinéa 8, deuxième phrase

1° Après les mots :

chargés de l'environnement

insérer les mots :

, de la santé

2° Après les mots

protection de l'environnement,

insérer les mots :

d'associations de défense des consommateurs,

Mme Sophie Primas, rapporteur.  - Je présente un sous-amendement n°A-2, présenté par M. Labbé, qui intègre dans le conseil de surveillance des associations de défense des consommateurs et un représentant du ministère de la Santé. Avis favorable à l'amendement du Gouvernement.

M. Julien Denormandie, ministre.  - Mon avis est de sagesse, compte tenu du nombre déjà important de membres du conseil de surveillance. Quant au ministre de la Santé, il a été rajouté en signataire de l'arrêté de mise sur le marché, aux côtés des ministres de l'Agriculture et de la Transition écologique, seuls prévus dans le projet initial.

Mme Cécile Cukierman.  - L'erreur est humaine. Cette nouvelle délibération vient corriger une erreur technique de manipulation des outils de vote. C'est pourquoi nous n'avons pas fait de rappel au Règlement et nous ne nous y sommes pas opposés. Mais elle ne sera pas sans conséquence sur nos débats puisque l'amendement du Gouvernement intègre, outre le texte de la commission, un seul amendement et un autre se retrouve sous la forme d'un sous-amendement. Sur les onze qui étaient en discussion, neuf amendements disparaissent ainsi... Certes, cela permet de gagner du temps, mais cela pose un problème démocratique.

Le groupe CRCE votera le sous-amendement, défendu en commission par Fabien Gay, mais votera contre l'amendement du Gouvernement.

M. Joël Labbé.  - Il est juste que mon amendement soit réintégré. Mais cette procédure fait tomber nombre d'amendements. Le GEST ne votera pas l'amendement du Gouvernement.

Le sous-amendement n°A-2 est adopté.

L'amendement n°A-1, ainsi sous-amendé, est adopté et l'article premier est ainsi rétabli.

Explications de vote

M. Joël Labbé .  - Nous avons exposé nos arguments tout au long de la soirée. Monsieur le ministre, vous nous affirmez que vous réintroduisiez les néonicotinoïdes à contrecoeur, que vous ne voulez pas opposer écologie et économie, que vous vous préoccupez de l'environnement. Si la situation des pollinisateurs vous tient tant à coeur, je tiens à vous interroger.

Votre ministère a annoncé un plan de protection des pollinisateurs, engagement ancien des ministères de l'Agriculture et de la Transition écologique. D'après nos échanges avec les apiculteurs, nous n'avons aucune garantie sur l'ambition de ce plan, notamment sur l'arrêté abeilles qui interdit les traitements durant la floraison. Quid de la recommandation de l'Anses de 2018 de restreindre les horaires d'épandage de produits dangereux pour les pollinisateurs ? La France a tout en main pour mieux évaluer le risque mais nous n'avons aucune garantie sur l'application de ces méthodes. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous rassurer sur votre engagement en faveur de la biodiversité et des pollinisateurs ?

M. François Bonhomme .  - La noisette est la grande oubliée du débat. La situation est potentiellement dramatique : on assiste à un risque de perte de 80 % de la production en raison du balanin. Les pays européens bénéficient d'une dérogation pour utiliser l'acétamipride contre ce charançon jusqu'en 2023, sauf la France pour laquelle la date butoir était le 1er juillet dernier. L'argument mellifère me semble peu recevable, compte tenu des dates de floraison du noisetier - entre décembre et février - et de traitement aérien contre le balanin - entre mai et juin, pendant sa ponte, qui entraîne 80 % de pertes de fruits ; il n'y a pas d'abeilles dans les vergers lorsque les agriculteurs coupent bien l'herbe. Or la recherche ne donne pas de résultat...

M. le président. - Il faut conclure.

M. François Bonhomme.  - Il est temps de trouver une solution « dare-dare » si vous nous permettez ce clin d'oeil. (Sourires)

M. Fabien Gay .  - Le groupe CRCE votera contre ce texte qui est une erreur et qui présente un risque d'inconstitutionnalité. Que répondrons-nous aux producteurs de noisette, de maïs, de lentilles vertes du Puy, qui demandent à utiliser de nouveau les néonicotinoïdes ? Avec quels arguments juridiques et politiques ?

Quelle transition écologique voulons-nous ? Nous avons besoin de moyens, au-delà des 50 millions d'euros annoncés pour les haies dans le plan de relance.

En France, 54 000 apiculteurs produisent 20 000 tonnes de miel par an ; nous sommes le quatrième producteur mondial de miel. Tout est en interdépendance : l'abeille ne sait pas quelle parcelle est traitée ou non, et elle ne choisit pas la parcelle qu'elle butine ! Il faudra changer de paradigme, inventer de nouvelles réponses.

Mme Angèle Préville .  - La baisse de la biodiversité est un drame absolu, qui reste à ce jour sans réponse.

Il n'y a pas eu la volonté de développer la filière de sucre bio ; la consommation n'est satisfaite par la production française qu'à hauteur de 10  %. Il y a un marché à prendre, saisissons-nous de cette opportunité ! Nous devons aider les producteurs de betteraves à se reconvertir pour un revenu quatre fois supérieur. Les producteurs bio ne doivent pas être méprisés.

M. Guillaume Gontard .  - J'ai compris que mes arguments vous avaient irrité, monsieur le ministre. Je m'attendais à une contre argumentation. Votre seule alternative est chimique ! Nous allons devoir nous mettre à travailler sur un changement de modèle agricole. Nous avons un précédent avec le chlordécone aux Antilles : soyons très prudents ! Les solutions existent, et elles existaient déjà en 2016.

Le vote de ce soir est une erreur mais nous espérons que nous allons accompagner notre agriculture vers un changement de modèle. Je suis particulièrement déçu : pourquoi donc la France ne produit-elle pas plus de sucre bio ? Il faut y mettre les moyens !

M. le président.- Veuillez conclure !

M. Guillaume Gontard.  - Passons aux actes, c'est urgent.

M. Jean-Claude Tissot .  - Le groupe socialiste, écologiste et républicain vote contre ce texte. L'amendement n°3 rectifié bis de M. Moga a été retiré mais qu'auriez-vous voté ? Car il illustre le risque d'ouvrir la boîte de Pandore. Ce soir, nous sommes tous d'accord pour dire que la réintroduction des néonicotinoïdes se fait à contrecoeur, car c'est un produit nocif. C'est pour cela que nous nous opposons à sa réintroduction, pour recourir à une alternative.

M. Daniel Salmon .  - On parlera très longtemps de cette loi de régression. Nous regrettons de n'avoir pu présenter un certain nombre de nos amendements : nous aurions aimé que les zones Natura 2000, les parcs naturels nationaux et les espaces naturels sensibles soient préservés des néonicotinoïdes. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Frédéric Marchand .  - Admettons que c'est une loi de bon sens, et certains, ici, en manquent...

On a beaucoup parlé des abeilles, ce soir, mais pas du varroa, dont la prédation a des effets sur les abeilles bien pires que ceux des néonicotinoïdes (MM. Laurent Duplomb et Daniel Gremillet approuvent.) L'année 2020 va être un millésime extraordinaire pour la récolte de miel...certes, il y avait moins d'avions et de voitures, avec le confinement, mais les agriculteurs ont continué à vaporiser leurs produits. Je ne valide pas pour autant l'utilisation des néonicotinoïdes. Cette dérogation est nécessaire. J'y vois une chance pour la transition agro-écologique à laquelle nous aspirons tous : les agriculteurs sont très attachés à l'environnement et au développement durable.

Nous serons nombreux au RDPI à voter ce texte.

M. Guy Benarroche .  - Depuis vingt-cinq ans, les apiculteurs sont les témoins d'un désastre, me rappelaient le président de l'Abeille provençale et le président de la fédération des apiculteurs français et de l'UNAF.

La mortalité des abeilles est passée de 5 % à 30 % par an, en vingt ans, et la production nationale de miel a été divisée par deux.

Il n'est pas acceptable, monsieur Marchand, de faire de l'abeille et de la biodiversité une variable d'ajustement. Il ne s'agit pas d'abandonner le secteur de la betterave, ajoutent les apiculteurs, il faut l'accompagner financièrement dans sa transition économique et agro-écologique, afin de concilier les intérêts de toutes les filières apicoles et agricoles et de préserver notre biodiversité, tellement fragilisée.

C'est ce que nous avons essayé de démontrer ce soir : nous n'y sommes pas parvenus. Cette loi sera mal perçue et mal vécue par nos concitoyens.

Vous nous accusez de vouloir nous éclairer à la bougie, mais vous, vous regardez vers le vieux monde ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

Le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°8 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 312
Pour l'adoption 184
Contre 128

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 28 octobre 2020, à 15 heures.

La séance est levée à minuit cinquante.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication