Exploitation commerciale de l'image d'enfants sur les plateformes en ligne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.

Discussion générale

M. Franck Riester, ministre de la culture .  - J'ai bien connu le sénateur Gélard et je suis ému d'apprendre cette triste nouvelle. J'ai une pensée pour toute sa famille.

Le numérique apporte son lot d'opportunités nouvelles. Cela s'est vérifié au cours des derniers mois. La crise sanitaire nous a obligés à réinventer notre rapport à la culture, à l'éducation, nos modes de travail. Le numérique nous a permis de continuer à vivre !

Mais il apporte également son lot de risques : on l'a vu par exemple avec la recrudescence, pendant la crise, de la pornodivulgation sur Snapchat. Nous avons la responsabilité de faire respecter les règles par tous, avec pragmatisme, ambition et résolution, au besoin en les adaptant.

Internet n'est pas un espace de non droit. Nous ne pouvons pas ne rien faire alors que notre société est accaparée par certains acteurs étrangers. C'était l'ambition des lois sur les fausses informations, sur les droits voisins. Sur ce sujet, vous avez anticipé la directive européenne qui sera bientôt entièrement transposée.

Cette proposition de loi étend au numérique une protection déjà existante pour les enfants du spectacle et les enfants mannequins. Le Président de la République avait du reste évoqué la protection des enfants dans l'espace numérique lors de son discours à l'Unesco le 20 novembre 2019. C'est une priorité du Gouvernement. La directive Services des médias audiovisuels, qui impose aux plateformes des mesures contre l'accès des mineurs aux contenus qui leur sont préjudiciables, sera transposée rapidement.

La proposition de loi de Bérangère Couillard, que vous avez adoptée voici deux semaines à l'unanimité, et qui a le soutien du Gouvernement, va dans ce sens : elle précise dans le droit que déclarer son âge en ligne n'est pas suffisant pour protéger les mineurs. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) devra contrôler que les plateformes vérifient l'âge des mineurs ; un comité de suivi a été mis en place pour encourager le recours au contrôle parental sur les terminaux - avec une obligation de résultat dans les six mois.

Je salue l'engagement de Roch-Olivier Maistre et Sébastien Soriano, présidents du CSA et de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Cette coopération entre régulateurs est indispensable. Pour protéger, il faut s'unir.

Il faut s'unir au niveau européen. Face aux géants du numérique, nous ne sommes crédibles qu'à l'échelle européenne. La Commission européenne vient de lancer une consultation sur le Digital services Act. C'est l'opportunité de porter la vision française ambitieuse sur la régulation des plateformes. Je suis mobilisé avec Cédric O sur le sujet.

Je remercie Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, pour son engagement personnel sur la souveraineté numérique. Il nous sera utile, pour garantir la régulation européenne de demain - souple mais exigeante.

Nous nous sommes fixés des objectifs. Le monde numérique change très rapidement, nous laissons les opérateurs déterminer les bonnes solutions, tout en donnant aux régulateurs les moyens de contrôle et de sanction appropriés.

Le présent texte porte sur une autre question : il ne protège pas les enfants spectateurs mais les enfants acteurs. Ces vidéos se sont multipliées, sur TikTok, Twitch ou Vine par exemple. Ce sont des espaces de liberté, d'expression des talents, mais aussi de monétisation des contenus et une source de rémunération pour ceux que l'on appelle les influenceurs.

Sur un nombre croissant de chaînes, on trouve les enfants mis en scène, avec leurs parents à la manoeuvre qui imposent le rythme de tournage et qui récupèrent la rémunération. Le risque pour l'enfant est évident.

Cette proposition de loi de Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, vise à mieux protéger les enfants influenceurs, et à mieux encadrer, en faisant entrer cette activité dans le droit commun du code du travail, et, quand il ne s'agit pas de salariat, en créant un régime déclaratif lorsque les vidéos sont nombreuses et le revenu important. Il faut associer les plateformes à ce combat, mobiliser les parents sur la réglementation et lutter contre les abus.

Il faut aussi faire valoir le droit à l'oubli de l'enfant, sans qu'il soit besoin de l'autorisation des parents.

Je remercie l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur au Sénat. C'est pur plaisir de travailler avec vous, monsieur Hugonet, comme nous l'avons fait sur le projet de loi de création du Centre national de la musique.

C'est un texte nécessaire et même indispensable.

Le Gouvernement a déposé deux amendements, un rédactionnel, un relatif aux annonceurs.

Cette proposition de loi cependant n'est pas suffisante. Il faut lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, et mobiliser les services de l'État sur la protection de l'enfance. Tout le Gouvernement est mobilisé. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Cette proposition de loi est à la convergence de deux sujets, dont la protection des mineurs. Le travail des enfants est interdit depuis 1874. L'oeuvre de Victor Hugo ou celle de Charles Dickens ont contribué à l'éveil des consciences.

Par dérogation, les enfants du spectacle et du mannequinat peuvent travailler - de manière soigneusement encadrée, l'enfance devant rester le temps de l'insouciance.

Si la révolution numérique a ouvert de nouveaux espaces de créativité ou de liberté, elle a aussi engendré des formes d'exploitations insidieuses, tant elles semblent innocentes et ludiques.

Les chaînes se multiplient où les enfants sont mis en scène par leurs parents dans des vidéos partagées en ligne. Certains ont plusieurs millions d'abonnés et des dizaines de millions de vues, ce qui peut constituer une source importante de revenus. Comment croire à la fiction de vidéos tournées sur le vif, sans pression des parents ? Parfois, elles rapportent plusieurs dizaines de milliers d'euros par mois. Comment croire que l'équilibre des enfants est préservé ?

Or il n'existe aucun cadre pour protéger les enfants youtubers quant au temps de tournage et au partage des bénéfices.

La proposition de loi du député Studer, présent aujourd'hui en tribune et que je salue, a été adoptée à l'unanimité par les députés. Internet ne saurait être un espace sans foi ni loi. Mais le législateur doit concilier sauvegarde des libertés publiques, dont la liberté de communication, et la protection du vivre ensemble, et la protection des plus vulnérables.

La récente décision du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi Avia pour lutter contre la haine en ligne a montré que nous cheminons sur une ligne de crête et que nous avons intérêt à écouter les sages préconisations du président de notre commission des lois, Philippe Bas, en cette matière comme bien d'autres. (Marques d'assentiment sur les travées du groupe Les Républicains)

Cette proposition de loi prend en compte la nature mouvante de l'espace numérique, la diversité des pratiques, et distingue vidéos professionnelles, vidéos amateurs et celles qui se trouvent dans une zone grise entre travail et loisir. Plusieurs régimes juridiques sont donc définis.

Les mineurs pourront exercer le droit à l'oubli sans l'accord de leurs représentants légaux.

Chaque acteur est placé devant ses responsabilités. Les parents sont les premiers responsables de la sauvegarde et du bien-être de leurs enfants. Or ils sont trop nombreux à ne pas être encore conscients des risques pour leurs enfants. Il convient de mieux éduquer la société et je salue l'excellente initiative de Sylvie Robert qui propose par un amendement d'élargir l'obligation de sensibilisation des plateformes aux mineurs eux-mêmes.

Mme Catherine Deroche et M. Stéphane Piednoir.  - Très bien.

M. Franck Riester, ministre.  - Les plateformes auront l'obligation d'adopter des chartes sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour mettre en place des procédures de signalement des contenus portant atteinte à la dignité ou l'intégrité d'un mineur.

Si ce texte concerne peu d'enfants, il a une portée symbolique : car combien de parents ou d'enfants rêvent au succès des auteurs et acteurs de ces vidéos ?

La commission de la culture a veillé à la qualité rédactionnelle du texte et à mieux protéger les mineurs. Il nous a semblé important de veiller à la transparence financière des revenus acquis. Je remercie M. Laurent Lafon de ses amendements.

Cette proposition de loi n'est pas parfaite, et ne répond pas totalement au problème. Des interrogations se sont exprimées sur l'effectivité des nouvelles dispositions : la jurisprudence affinera au fur et à mesure les distinctions entre les différents régimes juridiques.

Mais cette proposition de loi est la solution la plus convaincante. Là où régnaient le vide et le silence, elle installe un cadre pionnier, qui se veut équilibré et protecteur. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains)

Mme Sylvie Robert .  - Depuis plusieurs années, le Parlement réfléchit et légifère sur le rapport entre mineurs et exposition aux écrans. Ce fut le cas lors du vote des propositions de loi relatives à la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse ou à l'exposition précoce aux écrans sur les plateformes comme YouTube.

Les différents textes se rejoignent pour mieux protéger les enfants et réguler les usages.

L'entrée dans la troisième révolution industrielle est allée de pair avec de nouveaux enjeux : protection des données, séparation entre vie professionnelle et vie privée, éducation au numérique. La protection des mineurs est également un défi, et l'arsenal juridique est encore modeste.

L'ordre juridique interne évolue cependant, octroyant des lois aux mineurs, comme l'article 56 de la loi de 2016 pour une République numérique. L'article 5 de la proposition de loi confère aux mineurs un droit à l'oubli sans consultation des parents. Nous sommes ainsi entrés dans une phase de régulation pour renforcer les droits des personnes.

Cette proposition de loi comble un vide juridique concernant une pratique de plus en plus courante. En créant deux régimes, en distinguant pratique professionnelle et pratique semi-professionnelle, nous réservons à l'enfant un juste retour des bénéfices.

Ce texte porte aussi sur l'information des parents et du public. Ils prendront conscience des risques psychologiques et de l'attention à porter à la dignité physique et morale des enfants.

Cette responsabilisation essentielle, étrangement, ne s'adresse pas aux premiers concernés, les mineurs. C'est pourquoi nous voulons les alerter sur leurs droits et sur les risques, en les accompagnant directement. Certains mineurs sont eux-mêmes auteurs et producteurs de vidéos, sans avoir une réelle appréhension des risques. L'article 5 porte sur l'effacement des données personnelles. Sur les plateformes avec des vidéos temporaires comme TikTok, l'absence de visibilité des contenus ne signifie pas leur effacement.

Nous devons porter l'accent sur la pédagogie. Elle doit être une priorité à l'école. Cette proposition de loi va dans le bon sens ; le groupe socialiste et républicain sera heureux de la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

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Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication