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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Convention citoyenne

M. Jérôme Bignon

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Plan de relance (I)

M. Albéric de Montgolfier

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Soutien à l'apprentissage

Mme Patricia Schillinger

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics

Plan de relance (II)

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Fracture numérique

Mme Josiane Costes

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique

Licenciements chez Nokia Alcatel-Lucent

Mme Christine Prunaud

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Écocide

M. Jérôme Durain

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Relations avec la Turquie

M. Christian Cambon

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Indemnisation du chômage

M. Franck Montaugé

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail

Transport transmanche

M. Jean Bizet

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports

Hydrogène

M. Alain Cazabonne

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Convention citoyenne pour le climat

M. Jean-Marc Boyer

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Situation des travailleurs agricoles

M. Yvon Collin

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Situation de Presstalis

Mme Annie Guillemot

M. Franck Riester, ministre de la culture

Mineurs délinquants étrangers

Mme Céline Boulay-Espéronnier

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Développement de l'assurance récolte

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution

Mme Agnès Constant

M. Fabien Gay

M. Franck Menonville

Mme Nadia Sollogoub

M. François Bonhomme

M. Franck Montaugé

M. Henri Cabanel

M. Pierre Louault

M. Vincent Segouin

M. Jean-Paul Émorine

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

CMP (Nominations)

Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme

Discussion générale

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux

Mme Laurence Harribey, rapporteure de la commission des lois

Mme Esther Benbassa

M. Joël Guerriau

M. Yves Détraigne

Mme Dominique Estrosi Sassone

Mme Josiane Costes

Mme Agnès Constant

M. Jean-Luc Fichet

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. François Bonhomme

Quelle réponse de la France au projet d'annexion de la vallée du Jourdain par l'État d'Israël ?

Mme Christine Prunaud, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. Pierre Laurent

M. Joël Guerriau

M. Olivier Cigolotti

M. Christian Cambon

M. Gilbert Roger

M. Yvon Collin

M. Bernard Cazeau

Mme Claudine Kauffmann

M. Pascal Allizard

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Annexes

Ordre du jour du jeudi 25 juin 2020

Nominations à des CMP




SÉANCE

du mercredi 24 juin 2020

96e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. David Assouline

Secrétaires : Mme Jacky Deromedi, Mme Annie Guillemot.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Veuillez excuser l'absence du président du Sénat qui assiste en ce moment même à la séance plénière au cours de laquelle le Conseil économique social et environnemental, qu'il a consulté en application de l'article 70 de la Constitution, présente le projet d'avis intitulé « La prévention et la réduction du chômage de longue durée dans une perspective d'action territoriale ». (M. Albéric de Montgolfier s'exclame.)

J'invite chacun au respect des règles sanitaires et des distances, ainsi qu'au port du masque lorsqu'un siège ne peut être laissé vide entre deux occupés. Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J'appelle chacun de vous, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, des uns et des autres, comme du temps de parole.

Convention citoyenne

M. Jérôme Bignon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) La boîte à outils de notre mécano démocratique s'est enrichie, le 25 avril 2019, de la Convention citoyenne sur le climat composée de 150 citoyens tirés au sort, qui a adopté 149 propositions pour « changer la société ».

Elle est confortée dans sa légitimité par une histoire ancienne qui remonte à Athènes, en passant par Montesquieu et Rousseau, puis elle s'est renforcée par le sérieux de son travail qui ne se substitue pas à celui des organes de notre démocratie parlementaire (M. François Bonhomme s'exclame.) mais contribue à nourrir leur réflexion et éventuellement leur action. (Quelques murmures à droite)

Certaines mesures intéressantes portent un espoir à traduire en actes, d'autres poursuivent des actions engagées.

Même pour les plus pertinentes, le chemin est long et parfois chaotique jusqu'à la concrétisation. Je songe notamment aux pesticides et à la transition énergétique, ou encore aux moyens alloués à l'innovation...

L'Europe doit être une partie intégrante de cette avancée, d'abord parce qu'elle peut être l'échelon le plus efficace, comme pour la taxe carbone aux frontières de l'Union ; ensuite, parce qu'elle s'est emparée du sujet climatique avec un paquet Vert ambitieux qu'il va falloir négocier et agrémenter.

Je suis convaincu que la croissance décarbonée, qui passe par l'innovation, les nouvelles énergies et la recherche-développement, est la solution d'avenir.

Comment le Gouvernement entend-il intégrer le travail de la Convention citoyenne pour le climat dans la stratégie et les engagements de la France pour 2030 et 2050, afin d'apporter une réponse durable à ce défi global ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants ; M. Joël Labbé applaudit également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire .  - La Convention citoyenne pour le climat, lancée par le Président de la République à la suite du Grand débat national, m'a remis ses propositions dimanche dernier. Cent cinquante citoyens tirés au sort, hommes et femmes de 16 à 82 ans, venant de tous les territoires, ont travaillé pendant neuf mois et je tiens d'abord à leur rendre hommage.

C'est une bonne nouvelle pour la démocratie et l'écologie. Je partage la vision d'une transformation écologique globale. Beaucoup des propositions formulées sont convergentes avec les orientations du quinquennat, d'autres créeront du débat et c'est normal...

M. François Bonhomme.  - C'est sûr !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Des représentants de la Convention citoyenne pour le climat seront reçus lundi prochain par le Président de la République, qui leur indiquera les suites données à leurs propositions. Certaines qui sont finalisées pourront être transmises sans filtre au Parlement, voire soumises à référendum, pour articuler la démocratie délibérative avec la démocratie représentative. D'autres devront être approfondies.

Le Président de la République l'a dit : nous devons penser une reconstruction économique, écologique et solidaire. La Convention citoyenne pour le climat est au coeur de ce projet.

Plan de relance (I)

M. Albéric de Montgolfier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat a voté les deux premiers projets de lois de finances rectificatives (PLFR), avec ses mesures de soutien efficaces, immédiates. Il s'interroge en revanche sur le troisième, même si l'on peut regretter que des textes d'application n'aient pas été pris à temps, comme pour la TVA à 5,5 % sur les tenues de protection...mais un article dans un célèbre journal satirique paraissant ce jour devrait y inciter ! (Quelques sourires à droite)

Le prochain PLFR constitue une déception car il ne comprend aucune mesure de relance. L'Allemagne, quant à elle, en a adopté un doté de plus de 50 milliards d'euros pour l'investissement, dont 9 milliards pour l'hydrogène, représentant au total 5,5 % du PIB, alors que l'effort français n'est que de 2,5 % du PIB, sans mesure propre à relancer l'investissement des entreprises. Or celui-ci a chuté de 20 % à 25 %.

Il ne comporte aucune mesure pour relancer la consommation des ménages, hors automobile, ni pour inciter les collectivités territoriales à investir. Ainsi les contrats de plan État-régions (CPER) et les plans Très Haut Débit connaissent des retards. Aucune mesure non plus sur l'épargne des ménages, dont 100 milliards d'euros ont été confinés...qui pourraient servir à investir ou à consommer !

J'ai proposé, ainsi que de nombreuses autres voix au Sénat, des mesures fortes. Si nous attendons le budget pour 2021, ce sera trop tard et nous aurons perdu six mois, pendant lesquels nous connaîtrons des défaillances d'entreprises. Pourquoi attendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Vous avez raison, la crise est inédite avec une baisse prévue du PIB de 11 %. Des mesures d'urgence sont venues très rapidement - plus que chez nos voisins : prêts garantis par l'État, disponibles quelques jours après le vote dans l'hémicycle, chômage partiel, report de cotisations fiscales et sociales, fonds de solidarité pour les indépendants.

Ces plans de secours sont complétés par des plans de soutien et d'urgence, pour 14 milliards d'euros, soit l'épaisseur du trait par rapport aux efforts déployés pour porter à 18 milliards d'euros le plan pour le tourisme, à 10 milliards d'euros le plan pour l'automobile, avec un soutien à l'électrification de notre flotte, à 15 milliards d'euros le plan aéronautique, pour investir dans l'avion décarboné ; 1 milliard d'euros sera inveti dans la Tech, et 400 millions d'euros seront dégagés pour la culture.

Nécessaires pour accompagner les entreprises, ces soutiens sont complétés par des mesures transversales, telles que le report de créances, ou la prime exceptionnelle pour l'embauche d'apprentis, très attendue par les entreprises et les jeunes.

Nous travaillons au plan de relance qui accompagnera la transformation de notre économie. Nous avons déjà des crédits disponibles. Le suramortissement fiscal en est un élément. Nous ne manquons pas de carburant pour avancer.

Mais il faut stabiliser l'économie et avoir une vision sur l'évolution de celle du monde : rendez-vous en septembre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Soutien à l'apprentissage

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM : « Allô ! » puis sourires à droite) La crise sanitaire et économique est aussi une crise sociale. Le fonds de garantie et le chômage partiel ont constitué un soutien essentiel pour les salariés et les indépendants.

Le Gouvernement a annoncé un vaste plan de soutien à l'apprentissage, afin que l'entrée dans la vie professionnelle des jeunes générations ne soit pas sacrifiée. Une prime exceptionnelle est prévue pour les entreprises qui recrutent des apprentis du 1er juillet 2020 au 28 février 2021, de 8 000 euros pour un majeur et de 5 000 euros pour un mineur.

Notre action en faveur des jeunes doit être forte, déterminée et innovante, notamment en favorisant, grâce à la loi de transformation publique, les apprentis dans la fonction publique. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) peut participer aux frais de formation des apprentis mais il faut aller plus loin, particulièrement dans cette fonction publique, pour soutenir leur recrutement.

Les collectivités territoriales sont vos alliées dans votre stratégie en faveur de la jeunesse, qui ne doit pas être une génération perdue. Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour soutenir cette stratégie ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics .  - La loi de transformation de la fonction publique facilite le recours à l'apprentissage, formation d'excellence, dans le public comme dans le privé, et qui ouvre de nombreux débouchés. Nous l'avons développée pour les métiers hospitaliers, où elle n'existait pas.

Nous allons augmenter de 15 % le nombre d'apprentis dans la fonction publique d'État, le portant à 13 000 au total, avec des efforts significatifs dans les ministères qui ont les filières industrielles les plus professionnalisantes.

Les apprentis en situation de handicap pourront être titularisés à titre dérogatoire.

Le CNFPT finance désormais 50 % des frais de formation des apprentis ; ce matin même le conseil d'administration a examiné la convention de partenariat avec France compétences. Je viens de signer l'arrêté qui sécurisera la participation de cet organisme au financement de l'apprentissage. Nous travaillons en outre à un dispositif exceptionnel qui accompagnerait les employeurs territoriaux, comme dans le privé, pour soutenir le recrutement, dans la crise que nous connaissons. Les échanges sont en cours. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Plan de relance (II)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ma question complète celle de M. de Montgolfier. À partir de septembre, nous vivrons une grave crise économique et sociale. Un plan de relance s'impose, mais nous ne pouvons le faire seuls : il sera européen ou ne sera pas.

C'est pourquoi le sommet européen des 17 et 18 juillet, et l'éventuel sommet qui suivra, seront déterminants, avec une obligation de résultats. Le Président de la République en a conscience : en témoignent ses déplacements aux Pays-Bas et en Allemagne.

Le plan de relance européen, projet de grande ampleur, qui peut impliquer d'aller plus loin dans l'intégration, ne pourra aboutir sans ressources supplémentaires. Les deux solutions de financement les plus prometteuses sont la taxe Gafam et la taxe carbone aux frontières, assises sur deux marqueurs de notre temps : la révolution numérique et la crise environnementale. La première est essentielle pour faire participer les géants du numérique aux charges collectives ; la seconde pour répondre à l'urgence écologique en rétablissant une équité économique entre l'Union européenne et les pays extérieurs, la Chine au premier chef.

Madame la ministre, quelles sont les perspectives sur ces deux taxes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Merci de mettre en lumière la proposition historique de la Commission européenne, car 500 milliards d'euros de levée de dette commune pour financer un plan de relance du même montant, c'est du jamais vu dans la construction européenne.

Oui, nous fondons beaucoup d'ambition pour le prochain Conseil européen et espérons qu'il adoptera rapidement le plan de relance.

Les deux taxes, au-delà de l'enjeu des financements, pourraient apporter la reprise de notre souveraineté, consistant à faire payer l'accès à notre marché unique, et à garantir une concurrence loyale entre l'ensemble des pays qui alimentent la production européenne ou plutôt le marché européen. Mme von der Leyen s'est engagée à nous faire des propositions avant la fin de l'année pour la taxe carbone, tandis que l'OCDE avance sur la taxe sur le numérique.

Notons que les États-Unis sont toujours à la table des négociations. Sans accord au sein de l'OCDE, c'est l'Union européenne qui le mettra en place, le commissaire Thierry Breton a été parfaitement clair. Nous envoyons un signal fort : nous sommes une économie ouverte, mais nous sommes sortis de l'ère de la naïveté. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Fracture numérique

Mme Josiane Costes .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Le numérique apparaît comme un facteur de résilience face à la crise sanitaire, qui a maintenu l'enseignement, l'économie et le lien social. Mais la crise a révélé l'ampleur des fractures sociale, territoriale et numérique : un Français sur six n'a pas accès à internet, un sur cinq ne sait pas communiquer sur internet, et un sur trois manque de compétences numériques de base.

Les personnes les plus fragiles sont aussi celles qui ont le plus de difficulté : ainsi, 80 % des personnes n'ayant pas internet ont plus de 60 ans. C'est l'objet de la mission d'information de Raymond Vall sur l'illectronisme.

Il faut y ajouter les disparités de déploiement du réseau sur le territoire et le manque d'équipements des familles précaires : un seul ordinateur pour toute une famille, un réseau accessible uniquement dans un coin du logement ou du jardin, cela pose problème. Ainsi, 5 % à 10 % des élèves étaient injoignables pendant le confinement. Des initiatives existent : maisons France service, plan France très haut débit, Pass numérique, par exemple. Mais il faut réduire encore plus les fractures, alors que les inégalités se multiplient. Le télétravail peut être une attente déçue, faute de réseau.

Monsieur le ministre, accélérez-vous la politique de l'État en la matière ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique .  - (« Ah ! » à droite) Vous évoquez une réalité qui préexistait au confinement : la séparation entre ceux qui sont connectés et ceux qui ne le sont pas. Et elle ne touche pas que les personnes âgées. De nombreux jeunes, très à l'aise sur les réseaux sociaux, ne savent pas actualiser leur fiche sur le site de Pôle emploi, faire un cv ou transférer un e-mail...

Des tâches basiques comme télécharger une attestation de sortie ou établir une visioconférence avec leurs proches ou petits-enfants, ne sont pas accessibles à certains. Cette fracture, cruelle pendant le confinement, est économique et sociale, et a éclaté lors du grand débat. Il faut faire un effort sur les équipements et les usages. Nous y travaillons avec Agnès Pannier-Runacher et Julien Denormandie. Ce que nous dit le confinement, c'est que la fracture est béante, qu'il faut accélérer et qu'il faut s'en saisir totalement, au bon niveau, dans le cadre du plan de relance en particulier. Nous y travaillons.

M. Didier Mandelli.  - Très bien !

Licenciements chez Nokia Alcatel-Lucent

Mme Christine Prunaud .  - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Martine Filleul applaudit aussi.) En 2015, le ministre Macron préconisait la sauvegarde des emplois lors du rachat d'Alcatel par Nokia.

Cinq ans et trois plans de licenciements plus tard, Nokia supprime 1 233 emplois en France, dont les salariés du centre de R et D, et 400 à Lannion, dans mon département.

Or ce groupe touche 65 à 80 millions d'euros par an au titre du crédit d'impôt recherche (CIR), soit 30 % de la masse salariale des 2 500 salariés du service de R et D. Seul objectif de cette trahison : augmenter la rémunération des actionnaires et hauts dirigeants ! Tel est le sens éternel des licenciements boursiers !

Les sites de Lannion et Nozay, dans l'Essonne, détiennent des compétences indispensables au groupe. Demander au groupe de revoir sa copie ne suffit pas : il faut interdire les licenciements boursiers.

Quand sauvegarderez-vous notre souveraineté industrielle ? (Applaudissements nourris sur les travées du groupe CRCE)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Nokia réduit en effet fortement sa recherche et son développement en France. Le léger retard de notre pays dans le domaine de la 5G n'y est pas étranger et cela appelle notre vigilance. Nous avons demandé à Nokia de revoir son plan en minimisant les départs volontaires...

M. Fabien Gay.  - Ce n'est pas la question !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Nous sommes aux côtés des salariés depuis cinq ans (M. Fabien Gay le conteste vigoureusement.) ; la France est le seul pays protégé des restructurations de ce groupe. (Protestations sur les travées du groupe CRCE)

Souvenons-nous des difficultés d'Alcatel ; le rachat par Nokia était le seul moyen de sauver cet acteur européen qui doit affronter la concurrence d'Ericsson et de Huawei.

Nous avons reçu hier les syndicats ; nous pousserons Nokia dans ses retranchements dans l'intérêt de notre recherche et de notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Écocide

M. Jérôme Durain .  - En 2017, Emmanuel Macron devait réussir à ringardiser les partis - le mien, ainsi que le vôtre, enfin, celui de l'époque, monsieur le Premier ministre - en brocardant leur incapacité systématique à accepter les propositions du camp d'en face.

Or Emmanuel Macron fait de même actuellement, sur le crime d'écocide : les sénateurs socialistes avaient déposé l'an dernier une proposition de loi, un texte équilibré pour mettre fin à l'impunité pour les crimes les plus graves. Vous avez dit : c'est une bonne idée, mais c'est non ! Puis les députés l'ont reprise dans une autre version : toujours non !

Cette fois, c'est la Convention citoyenne pour le climat qui la reprend sous une autre forme, peut-être plus audacieuse : qu'allez-vous en faire, monsieur le Premier ministre ? (M. François Bonhomme s'exclame.) Si l'on n'écoute pas la société, attention aux conséquences : elle peut ressentir un certain mépris, une frustration, auxquels les parlementaires d'opposition que nous sommes se sont accoutumés, mais elle pourrait en prendre ombrage...

Outre l'écocide, il y a eu le rétablissement de l'ISF, le référendum sur ADP, la commission d'enquête sur le Covid-19. C'est encore non, non et non ! Cela devient un réflexe pavlovien.

Allez-vous écouter la société, à défaut d'écouter les parlementaires ? Qu'allez-vous faire de la proposition de la Convention citoyenne pour le climat sur l'écocide ? (Bravos et applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Si cette Convention citoyenne pour le climat a été mise en place par le Président de la République, c'est justement pour écouter les 150 tirés au sort sur ce sujet. Nous l'avons fait : Mme Borne a reçu 149 propositions qui ont été étudiées dont celle qui a retenu votre attention.

Les deux difficultés principales que j'avais relevées au printemps 2019 devant le Sénat et en décembre dernier devant l'Assemblée nationale demeurent.

La première est procédurale : on ne peut soumettre au référendum une mesure de législation pénale, car elle n'entre pas dans le champ de l'article 11 de la Constitution. La seconde est davantage de fond : il s'agit de l'exigence de précision de la loi pénale. Or la Convention citoyenne pour le climat définit l'écocide en des termes - « dépassement des limites planétaires... »

M. François Bonhomme.  - Vaste programme !

M. Roger Karoutchi.  - Pourquoi pas « interplanétaires » ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - ... qui ne répondent sans doute pas à cette exigence.

Pour autant, la réponse aux atteintes à l'environnement est un vrai enjeu. Dans le texte sur le Parquet européen, nous avons institué une juridiction environnementale et une nouvelle procédure, la Convention judiciaire pour l'environnement. Nous sommes prêtes, avec Élisabeth Borne, à réfléchir à un délit plus général de pollution des eaux, des sols et de l'air, qui pourrait trouver sa place dans notre droit pénal de l'environnement

C'est sur la base des propositions de la Convention citoyenne pour le climat que nous pourrons y réfléchir ensemble...

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Bien sûr, nous les soumettrons au Parlement.

M. Jérôme Durain.  - Je vous parle d'exigence démocratique, vous me répondez précision de la loi pénale : Dominique Rousseau explique qu'il faut reconnaître politiquement la compétence des citoyens. Emmanuel Macron lui-même a appelé à prendre des options fortes, voire radicales...

Attention à ne pas trop filtrer, sinon on peut faire déborder. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Relations avec la Turquie

M. Christian Cambon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, depuis des mois, la Turquie mène une politique de puissance en Méditerranée orientale en alternant démonstrations de force et interventions militaires. Après les forages gaziers dans les eaux territoriales chypriotes au mépris du droit international, l'offensive contre nos alliés kurdes, le chantage aux flux migratoires, les incursions en Syrie, en Irak et en Libye, la Turquie vient d'agresser la frégate française Courbet qui menait une mission de surveillance au large de la Libye pour le compte de l'OTAN. Ciblé trois fois par les radars de tirs de missiles turcs, notre bâtiment a dû se retirer.

Voilà où nous en sommes arrivés au sein même de l'OTAN, le secrétaire général Stoltenberg parlant de « désaccord entre alliés » et nos protestations ne recueillant que huit soutiens européens sur les trente membres.

Cet incident jette une lumière crue sur la faiblesse diplomatique et militaire d'une Europe incapable de se faire respecter. Il marque aussi, après bien d'autres, la perte d'influence de la France dans une région où elle fut autrefois si respectée et écoutée.

La France et l'Europe agiront-elles enfin avec fermeté pour contrer ce nouvel impérialisme turc ? Passerons-nous de la diplomatie des déclarations à la diplomatie de l'action ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SOCR et CRCE)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Monsieur Cambon, lundi soir, à l'Élysée, alors que le Président de la République recevait le président Saïed, vous l'avez entendu dire que la Turquie jouait un jeu extrêmement dangereux. Il est urgent que l'Union européenne ouvre une discussion de fond sans tabou ni naïveté sur sa relation future avec Ankara. Elle doit défendre fermement ses intérêts, car elle en a les moyens.

L'affaire de la frégate Courbet est scandaleuse. Elle participait à un exercice de l'OTAN, alors que la frégate turque couvrait une opération illégale de violation de l'embargo sur les armes décidé par les Nations Unies.

La Turquie doit clarifier le rôle qu'elle entend jouer en Libye, pays en voie de « syrianisation », du fait de l'appel turc au soutien de supplétifs syriens. Il faut aussi que nous trouvions le moyen de pousser la Turquie vers la négociation dite « 5+5 », car si elle renforce sa présence en Libye, les Russes feront de même. Nous devons également faire respecter le droit maritime international et les territoires de nos alliés chypriotes et grecs. Enfin, nous ne pouvons pas accepter que la Turquie instrumentalise les réfugiés pour exercer des pressions à notre égard. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Indemnisation du chômage

M. Franck Montaugé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Votre réforme de l'assurance chômage a été très dure. Le contexte de la pandémie la rend inique et inadaptée à la nécessité de relance économique et à l'obligation de solidarité nationale. Comment allez-vous revenir sur les principes de cette réforme ? Il faut atténuer la crise sociale et relancer la demande intérieure. Or le chômage va exploser ; le pouvoir d'achat sera la clé de la relance. L'économie marche à la confiance, qui doit reposer sur l'accompagnement des chômeurs. Allez-vous restaurer leurs droits et les améliorer compte tenu de l'urgence économique et sociale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - La crise épidémique se prolonge en crise économique et sociale. C'est pourquoi, dès le 14 avril, un décret prolongeait les droits au chômage jusqu'au 31 mai, et le Gouvernement prévoyait d'autres mesures pour protéger nos citoyens touchés de plein fouet par le confinement.

Notre réforme voulait associer protection et incitation à l'emploi, dans un contexte différent, il est vrai, puisque nous avions fait baisser le taux de chômage de 10 à 8 % et étions en voie d'atteindre les 7 %. Nous avons aussi restreint les contrats courts, et mis en place de nouveaux droits pour les démissionnaires qui voulaient créer leur entreprise.

Je ne pense pas que vous vouliez vous opposer à ces mesures. Les principes sont bons, nous allons les adapter à la situation. Nous continuons le dialogue social pour cela, dans un esprit pragmatique. Le Président de la République reçoit tout à l'heure les partenaires sociaux sur cinq sujets dont celui-là ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Franck Montaugé.  - Vous ne m'avez pas convaincu. Vous n'avez pas non plus évoqué la formation professionnelle, or il aurait fallu profiter de la crise pour former aux métiers de demain, par exemple en accompagnant les chômeurs en formation dans les filières nouvelles.

N'oublions pas non plus les contrats très courts dans le tourisme, l'hôtellerie, l'événementiel ou le tourisme. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Transport transmanche

M. Jean Bizet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'associe le sénateur Vaspart à ma question.

L'activité maritime transmanche est en situation difficile à cause du Covid et du Brexit dur qui s'annonce. Elle souffre aussi des distorsions de concurrence avec les pavillons étrangers.

Quelles mesures d'accompagnement pour ce secteur ? Le prêt garanti par l'État sera-t-il basé sur les trois meilleurs mois de chiffre d'affaires des entreprises ? L'exonération de charges patronales sera-t-elle assurée sur la durée de remboursement de ce prêt, soit cinq ans ? Enfin, peut-on envisager un plan de communication à l'adresse de la communauté britannique, indispensable à la veille du Brexit ? En 2019, l'Espagne y a déjà consacré plus 10 millions d'euros.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports .  - Les ferries et navettes maritimes ont maintenu pendant le confinement 50 % de l'offre pour 10 % de fréquentation. Je les remercie de leur mobilisation.

Le Gouvernement est conscient des difficultés. L'ensemble des acteurs transmanche ont bénéficié des aides de droit commun aux entreprises. Nous avons prévu un dispositif pour compenser une partie des charges de personnels et des charges variables. Enfin, le secteur bénéficie des aides spécifiques contenues dans le plan Tourisme, dont le maintien du dispositif d'activité partielle à 100 %, jusqu'en septembre.

L'extension saisonnière du prêt garanti par l'État et des exonérations est à l'étude.

Le secteur transmanche bénéficiera de la stratégie maritime en cours de finalisation pour maintenir la compétitivité des armateurs européens.

M. Jean Bizet.  - Les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux. J'aurais souhaité que vous intégriez les propositions de l'Union européenne datant de 2004. Les Britanniques et les Danois ont mis en place l'exonération des charges patronales, pas la France. Les crises sont des amplificateurs de tendances et des révélateurs de fragilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Hydrogène

M. Alain Cazabonne .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La Convention citoyenne pour le climat a rendu ses conclusions qui n'ont rien de révolutionnaire en matière énergétique, alors que l'Allemagne a affiché son ambition de devenir le leader de l'hydrogène vert avec un plan de 9 milliards d'euros et que le Danemark développe d'énormes parcs d'éoliennes offshore pour la fabrication de cet hydrogène.

À condition d'être produit avec de l'électricité issue des énergies renouvelables, l'hydrogène est le carburant du futur, décarboné, illimité et stockable. La France ne peut pas rater le coche. Des véhicules existent, trains, bus ou voitures à hydrogène - j'espère qu'elles pourront continuer à rouler à 130 km/h. (Sourires) Des projets se font jour à Pau avec Phébus, à Belfort où se tiendra le salon de l'hydrogène, en Vendée ou en Gironde : j'ai proposé que l'usine Ford de Blanquefort soit reconvertie en site de production d'hydrogène. Mais il faut un plan national.

Miser sur le tout-batterie, ce n'est pas miser sur l'avenir. Les batteries ne sont ni écologiques ni durables. Comment la France se convertira-t-elle à l'hydrogène ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire .  - L'hydrogène décarboné est incontournable pour la mobilité, la production de chaleur ou l'introduction massive des renouvelables dans le mix énergétique. Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement est très mobilisé. La France a présenté un plan pour l'hydrogène dès 2018.

En 2019, nous avons investi 90 millions d'euros pour soutenir de nombreux projets territoriaux tous prometteurs et révélateurs de l'engouement pour cette filière.

En 2020, elle continue sa montée en puissance. Près de 160 dossiers ont été déposés pour plus de 32 milliards d'euros d'investissements, en réponse à l'appel à manifestation d'intérêt lancé par le Gouvernement. L'enjeu est de créer un écosystème industriel autour de l'hydrogène. Notre stratégie hydrogène, que nous présenterons dans les semaines à venir, visera à renforcer le caractère industriel de l'offre française et à mutualiser l'offre et la demande à l'échelle des territoires.

M. Alain Cazabonne.  - Je vous en donne acte. Le président Kennedy a lancé le projet Apollo alors que les Russes étaient donnés gagnants : un pays porté par une ambition est capable d'atteindre l'objectif qu'il s'est fixé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Convention citoyenne pour le climat

M. Jean-Marc Boyer .  - Monsieur le Premier ministre, 150 citoyens, 149 propositions remises dimanche dernier pour nous dire comment se déplacer, travailler, se nourrir, produire. Neuf mois de travail en milieu fermé. Comment prendre en compte les avis de ceux qui n'ont pas la légitimité de l'élection ?

Le Président de la République a dit que le plan de relance ne passerait pas par les régions ni les départements si le calendrier électoral était maintenu. Quelle drôle de vision de la démocratie comme obstacle à la réforme...

Certaines propositions sont irréalistes et déconnectées du terrain. En limitant la vitesse à 110 kilomètres heure sur les autoroutes, êtes-vous prêt à renouveler l'expérience malheureuse des 80 kilomètres heure ? Un temps de travail de 28 heures payées 35 heures, cela aidera-t-il à relancer l'économie ?

Attention aux interdictions et aux contraintes supplémentaires que dénonçaient déjà nos Gaulois réfractaires.

Attention aussi à la promotion idéologique de fausses vérités : pourquoi supprimer les vols intérieurs - sous prétexte de lutter contre le changement climatique, alors que l'empreinte carbone de l'aviation ne représente que 4,7 % ?

Ces propositions liberticides ne sont pas l'émanation de la volonté du peuple. Vont-elles sauver la France et la planète ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; marques de protestation sur les travées des groupes LaREM et SOCR)

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Quand 150 citoyens tirés au sort, à l'image de notre pays (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains), travaillent neuf mois avec sérieux et détermination, cela mérite le respect.

Certains d'entre eux étaient climatosceptiques - dans les premiers échanges. Ils ont pris une claque en réalisant l'ampleur du défi climatique au fil des discussions avec les scientifiques.

Ils ont auditionné des industriels et des élus pour se forger une vision globale de la situation d'où ont découlé de nombreuses propositions sur l'artificialisation des sols, les mobilités propres, le renforcement du ferroviaire par exemple.

Le respect devrait nous dissuader de mettre ainsi en exergue une mesure isolée. Le consensus doit se construire, le débat se poursuivre, soit au Parlement, soit par le biais d'un référendum. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Situation des travailleurs agricoles

M. Yvon Collin .  - Durant les deux mois et demi de confinement, le secteur agricole et agro-alimentaire est resté au front pour garantir un approvisionnement de qualité et diversifié. Chacun a pu le mesurer sur son territoire.

Malgré les mesures barrières, la pénurie de main-d'oeuvre et la difficulté de transport, les agriculteurs n'ont jamais cessé de produire et ils ont fait preuve, comme toujours, de résilience. Ce doit être salué.

Chaque année, le secteur reçoit le concours de 600 000 saisonniers dont 22,6 % sont étrangers, souvent nord-africains. La fermeture des frontières a mis leurs difficultés en évidence.

Faute de structures, ils vivent dans des logements précaires et parfois insalubres. Comment améliorer leurs conditions de vie ?

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Vous chantez un hymne d'amour à l'agriculture, (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains ironisent sur la formule.) et vous avez raison, grâce à eux la chaîne alimentaire a tenu.

Le salariat agricole, c'est plus de 700 000 personnes par an et, en ce moment, 100 000 saisonniers étrangers en plus.

La commission interministérielle a mis en place des gestes barrières et des guides pratiques pour la poursuite des travaux agricoles. Il est vrai que les salariés saisonniers peinent à venir, faute de logement. Aussi, nous avons travaillé avec Action logement, sur une aide de 150 euros par mois pendant quatre mois pour l'hébergement, ainsi qu'une aide de la même valeur pour tous les salariés agricoles en difficulté.

Nous travaillons à d'autres mesures pour la suite, notamment en matière de rénovation énergétique.

M. Yvon Collin.  - Merci de cette réponse. (On la juge insuffisante sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous serons vigilants sur les suites que vous y donnerez.

Situation de Presstalis

Mme Annie Guillemot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les marchands de journaux font partie de notre quotidien. En nous garantissant l'accès à plus de 1 000 titres, ils sont des vecteurs essentiels de la culture et de l'information. Les 23 000 points de vente répartis sur notre territoire assurent un véritable service public en veillant à la diffusion et à la pluralité d'une presse indispensable à notre vie démocratique.

Après 55 jours de confinement, ils doivent faire face à la faillite de Presstalis qui distribuait 75 % de la presse écrite sur l'ensemble du territoire national. Dans la métropole de Lyon et dans le Rhône, la filiale régionale de Presstalis a été placée en liquidation judiciaire depuis le 15 mai, de sorte que les marchands de journaux ne reçoivent plus les journaux nationaux depuis plus de cinq semaines alors qu'ils continuent à payer leur loyer. D'autres villes, Marseille, Toulon ou Nantes, connaissent aussi des difficultés. Le temps presse ! (Sourires)

Plus de 500 points de vente ont fermé l'an dernier ; fin avril, 740 ont déjà tiré le rideau. Que fera le Gouvernement pour que le pluralisme de la presse ne vire pas à l'hécatombe ? Quelles solutions pérennes proposez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Franck Riester, ministre de la culture .  - Le Gouvernement est très attentif à l'avenir des marchands de presse, dont le maillage est essentiel pour la culture et l'information sur le territoire. Il a assoupli leurs conditions de gestion et a veillé à ce que la crise de Presstalis ne les prive pas de leurs revenus. Il a investi 80 millions d'euros pour soutenir la reprise de Presstalis par la coopérative des quotidiens à Paris et à Bobigny. Il travaille avec les dépositaires indépendants, avec les Messageries lyonnaises de presse et avec les préfets de région pour trouver des solutions dans les 15 dépôts qui doivent être repris.

Un plan de secours est d'ores et déjà mis en oeuvre à Lyon et des solutions devraient être trouvées dans les prochains jours à Toulon et à Marseille. Le Gouvernement investit beaucoup d'argent pour garantir la distribution de la presse depuis des années.

Mme Annie Guillemot.  - La situation n'est pas résolue à Lyon : nous ne recevons plus Libération ni Le Monde. Les marchands de presse perdent des clients alors qu'ils ont joué le jeu pendant le confinement. C'est un drame humain. Pourquoi n'allez-vous pas plus vite ?

Mineurs délinquants étrangers

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre de l'Intérieur, la délinquance ne cesse de croître. L'année 2020 a mal commencé.

Un phénomène alarmant reste sans réponse : les mineurs isolés étrangers (MIE) - lorsqu'ils sont effectivement mineurs, ce qui reste difficile à établir - multiplient violences, cambriolages et agressions. Cela dépasse désormais Paris : à Bordeaux, un réseau de recel a été mis au jour.

Ces délinquants mineurs, parfois sans domicile fixe, empoisonnent la vie des habitants. Ils se rient de la France, sanctionnés par un simple rappel à la loi.

La garde des sceaux veut une « justice restaurative » pour « faire dialoguer victimes et auteurs des infractions ».

Cela ne rassure que les délinquants... Confirmez-vous que ces jeunes sont instrumentalisés par des adultes ?

Allez-vous restaurer l'autorité de l'État ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - (Les sénateurs Les Républicains manifestent leur satisfaction d'entendre la ministre.) J'ai reçu des maires, notamment de communes se situant en bout des lignes de RER, où il y a eu des intrusions violentes dans certains commerces. Il y a des mesures dans le code de justice pénale des mineurs, mais pas seulement.

Ce code inclut des dispositions spécifiques pour les mineurs isolés. Nous avons réécrit dans ce code l'ordonnance de 1945 en en sauvegardant les principes : justice spécialisée, primauté de l'éducatif et procédure adaptée aux exigences du moment.

Certains de ces mineurs isolés refusent de livrer leur identité ; le code permet de les assimiler à des récidivistes, ce qui facilite leur déferrement au Parquet par une audience unique dans un délai d'un à trois mois.

La justice restaurative est un complément de peines ; elle ne se substitue pas aux sanctions prononcées. Nous recherchons un équilibre entre la fermeté et l'éducation. (Applaudissements sur les travées du groupe LaRem)

La séance est suspendue à 16 h 10

La séance reprend à 16 h 30.

Développement de l'assurance récolte

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à encourager le développement de l'assurance récolte.

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de résolution .  - En pleine crise sanitaire, la filière agroalimentaire a permis aux Français d'accéder à une diversité de produits. Dans leur grande majorité, les agriculteurs ont assuré la production malgré les risques et les difficultés, garantissant la chaîne alimentaire.

Ce secteur est éminemment stratégique - souvenez-vous des stocks faits par nos concitoyens au début de la crise. D'où l'impérieuse nécessité de préserver notre richesse agricole. En effet, la France est riche de ses agriculteurs, mais pour combien de temps encore ? Chaque semaine, deux cents fermes mettent la clé sous la porte. Ceux qui restent font preuve de courage, voire d'abnégation, face aux problèmes sanitaires, à la volatilité des marchés, aux aléas climatiques, qui se cumulent parfois.

L'aléa climatique est au coeur de la proposition de résolution du groupe RDSE. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) s'attend à ce que le réchauffement climatique provoque des évènements météorologiques extrêmes plus intenses, tels que les sécheresses, pluies diluviennes et des ouragans plus fréquents.

En 2018, la sécheresse atypique de l'été s'était prolongée durant l'automne. L'année dernière, quelque 86 départements étaient concernés par des restrictions d'eau, et quantité de vergers avaient été dévastés par la grêle. Cette année, ce n'est guère mieux.

Les exploitants cherchent à protéger leurs champs, par exemple avec des filets anti-grêle. Mais parfois, le désastre arrive, les récoltes sont parfois anéanties.

En moyenne, un agriculteur subit une perte de revenu de 20 % tous les trois à quatre ans, le niveau et la fréquence passant respectivement à 30 % et 3,6 ans pour les arboriculteurs. Cela pose la question de l'efficience du système d'assurance et d'indemnisation des dommages.

Le système repose sur deux piliers : le régime des calamités agricoles, financé par le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). En cas d'intempérie, les élus attendent avec fébrilité l'arrêté ministériel qui reconnaît l'état de calamité agricole...

Depuis 2005, les agriculteurs peuvent recourir à l'assurance récolte. Aujourd'hui, les assureurs proposent un contrat-socle par lequel l'agriculteur est couvert au niveau d'un prix de vente calculé sur les trois dernières années ou sur la moyenne olympique des cinq dernières années. Ce premier niveau, déclenchable à partir d'un seuil de 30 % de pertes, bénéficie d'une subvention publique au taux maximum de 65 %.

Un second niveau de couverture, subventionnable jusqu'à 45 %, permet une indemnisation sur la base du chiffre d'affaires.

Un troisième étage, non soutenu par des aides publiques, propose des garanties complémentaires.

L'Union européenne participe aux deux premiers niveaux de garantie via les aides du second pilier de la PAC.

Malgré ce soutien, la diffusion de l'assurance récolte progresse lentement et inégalement : 30 % des surfaces viticoles et 26 % des grandes cultures sont couvertes par un contrat multirisques climatiques, tandis que le taux de couverture est très marginal dans l'arboriculture et nul pour les prairies. Par conséquent, de nombreux agriculteurs se trouvent démunis face à un sinistre.

Les exploitants jugent le coût des primes comme l'exigence d'un taux de perte de 30 % trop élevés. L'indemnisation au titre des calamités agricoles est lente, les seuils sont inadaptés, notamment en cas de polyculture, le zonage et le calcul du prix de vente sur la moyenne olympique aussi.

En outre, pour l'arboriculture et les prairies, assurance récolte et régime des calamités agricoles entrent parfois en concurrence, et un agriculteur assuré peut se retrouver moins bien indemnisé que celui qui est dédommagé par le FNGRA.

Certes, d'autres outils existent pour faire face à un sinistre, comme le système de déduction pour épargne de précaution (DEP) - qui suppose d'avoir de la trésorerie et une capacité à épargner sur plusieurs années.

Le Gouvernement a lancé en juillet dernier une concertation entre le monde agricole et les assureurs pour mieux couvrir les risques. Où en est-on ? Les pouvoirs publics doivent rester mobilisés. Le Sénat, vigilant, y travaille. La mission d'information sur la gestion des risques climatiques a fait des propositions pour que les agriculteurs aient un avenir mieux sécurisé en retour de leur investissement qui fait de notre pays une grande nation agricole. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC, SOCR, Les Républicains, Les Indépendants et LaREM)

Mme Agnès Constant .  - Depuis une dizaine d'années, l'agriculture française subit des évènements climatiques d'ampleur : excès d'eau en 2016, gel en 2017, grêle en 2018, sécheresse en 2019... Si la recharge hivernale a été bonne cette année, la sécheresse menace. Ces aléas ont des conséquences sur les volumes de production et sur les cours, de plus en plus volatiles.

L'assurance récolte est un outil reconnu de gestion des risques. Selon le programme national de gestion des risques et d'assistance technique, l'assurance récolte est tarifée de manière justifiée. Pourtant, seulement 30 % des surfaces viticoles et 26 % des grandes cultures sont couverts par un contrat multirisques climatiques.

Le régime des calamités agricoles, conçu comme un dispositif de solidarité nationale, ne permet pas toujours de relancer le cycle de production de façon satisfaisante.

Nous sommes face à un problème d'attractivité de l'assurance. Je ne crois pas à l'assurance récolte obligatoire, mais à un mélange entre aides publiques et privés, pour un système généralisé, mutualisé et incitatif. Nous devons privilégier la simplification, l'adaptation et la modernisation et prévoir des financements innovants, notamment européens.

Une meilleure évaluation des pertes et une indemnisation plus rapide renforceraient l'attrait de l'assurance récolte. Il faut aussi faciliter la création d'associations d'agriculteurs pour accroitre leur pouvoir de négociation face aux assureurs.

Concernant la viticulture, il est urgent de revoir les bases de rendement sur lesquelles on indemnise l'exploitant : la moyenne olympique sur cinq ans est inadaptée.

En juillet, le Gouvernement a lancé une vaste consultation sur la gestion des risques en agriculture. Avec un ratio de plus de 100 % entre les indemnités versées et les cotisations encaissées, le marché de l'assurance récolte n'a pas atteint son équilibre. Il y a un risque d'anti-sélection et de moindre couverture des exploitants les plus exposés.

Le Conseil de l'agriculture française a proposé une évolution vers un modèle à l'espagnole, en constituant un pool national de marché réunissant tous les assureurs. Bénéficiant des subventions, ce pool fixerait des dispositions communes et d'autres spécifiques à chaque assureur. La prime de risque bénéficierait de la mutualisation de tous les aléas de la Ferme France, limitant l'effet de leur volatilité. La gouvernance associerait agriculteurs, assureurs, réassureurs et l'État.

Le groupe LaREM votera cette proposition de résolution. Faisons de l'assurance récolte un véritable outil de soutien à un secteur stratégique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Républicains et UC)

M. Fabien Gay .  - La récurrence d'événements climatiques extrêmes de plus en plus rapprochés ne laisse pas de répit aux agriculteurs. Les sinistres se multiplient. Ce qui hier était l'exception devient aujourd'hui la règle, un coup de massue climatique à des exploitations fragilisées économiquement.

Le GIEC craint que cette pression n'entraîne l'émergence de pathologies et une perte de biodiversité, notamment des pollinisateurs. En 2019, la France a connu des épisodes de gel tardif, de grêle, de canicule, une absence de précipitations pendant cinq mois, concentrant les principales vulnérabilités de notre agriculture. La gestion des aléas climatiques est complexe mais indispensable.

L'assurance récolte est une question cruciale, notamment pour l'autonomie alimentaire.

Alors que le régime des calamités agricoles a été affaibli par la loi de 2010, l'assurance récolte ne s'est pas suffisamment développée : 30 % des surfaces viticoles, 26 % des grandes cultures sont couvertes, mais très peu d'exploitations d'arboriculture et quasiment aucune prairie.

Le coût des primes, l'exigence d'un taux de perte de 30 %, le coût de l'assurance multirisque pour les assureurs eux-mêmes posent problème.

Quelle est la pertinence de cet outil ? Dans un contexte de baisse du budget de la future PAC, tout nouveau soutien public à l'assurance privée se fera au détriment des autres objectifs, comme le soutien aux zones défavorisées ou à la transition agro-écologique. (M. François Bonhomme approuve.)

M. Yvon Collin.  - Pas faux.

M. Fabien Gay.  - Les conditions générales de l'assurance récolte prévoient de nombreuses exclusions de garantie comme les pertes de qualité, les pertes de rendement causées par des maladies ou des ravageurs, même consécutifs à l'aléa garanti... La proposition de résolution n'y fait pas référence, de même qu'elle ne mentionne pas la multiplication des accords de libre-échange. Monsieur le ministre, avez-vous la date de ratification du CETA ? (M. François Bonhomme s'amuse.)

L'assurance n'est pas la solution miracle. Il faut sensibiliser les agriculteurs à l'adaptation au changement climatique. La préservation du potentiel de production passe notamment par la prévention, le stockage de l'eau. Il est impératif de renforcer la résilience de notre système agricole. La nouvelle PAC doit prévoir des aides aux investissements de transition et d'adaptation des pratiques dans le deuxième pilier.

Enfin, il faut une relance des opérations liées à l'organisation commune des marchés, avec une régulation de l'offre, une aide au stockage privé et une limitation des importations.

Nous aurons une abstention progressiste et constructive. (Sourires à droite ; applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Franck Menonville .  - Je salue l'initiative du groupe RDSE. Depuis dix ans, l'agriculture française est confrontée à des événements climatiques exceptionnels, sans compter la volatilité des prix des matières premières.

Depuis quatre ans, les événements climatiques extrêmes se sont succédé, provoquant pour deux milliards d'euros de dégâts.

Il est nécessaire de prévenir les dommages, de réduire les impacts et de compenser les préjudices.

Aux côtés du régime des calamités agricoles, l'assurance récolte privée peine à convaincre : un tiers seulement des surfaces agricoles sont couvertes.

Le groupe RDSE propose de développer l'assurance récolte. La France ne peut laisser son agriculture ainsi exposée.

L'assurance récolte est un outil de gestion des risques reconnu et efficace mais avec un ratio de 100 % entre les indemnités versées et les cotisations, il n'a pas atteint son équilibre technique et financier.

Le système actuel n'est pas équilibré et ne s'appuie pas suffisamment sur la mutualisation des risques et sinistres. La diffusion est plus importante dans la viticulture et les grandes cultures, mais quasi nulle dans l'arboriculture et les prairies.

Cette disparité est due au coût très élevé pour nombre d'agriculteurs. Il faut rendre le dispositif plus efficient et attractif.

Repensons son architecture, ses paramètres techniques, les seuils de déclenchement et le financement. Simplifions le dispositif.

Les trois niveaux de garantie à des taux de subvention variable sont trop complexes. Mieux vaudrait un seul niveau de garantie subventionnable pour toutes les cultures, toutes les régions et tous les risques. Simplifions le prix subventionnable en le définissant comme un prix maximum correspondant au prix de vente moyen.

La France doit intégrer les possibilités offertes par le règlement Omnibus qui permet d'augmenter le taux de financement de l'assurance récolte de 65 % à 70 % et de baisser le seuil de déclenchement de 30 % à 20 % de perte de rendement.

La réforme de la PAC doit être l'occasion de mieux intégrer la gestion des risques. Il faut des choix stratégiques pour garantir notre souveraineté alimentaire. Or les dernières annonces de la Commission européenne sont déconnectées des réalités stratégiques et à contre-courant des autres grandes puissances...

Nous comptons sur le ministre de l'Agriculture. La gestion des risques ne se limite pas à l'assurance récolte, mais comprend aussi l'épargne de précaution, la dotation pour amortissement (DPA), la recherche agronomique et variétale et la gestion de l'eau.

Nous voterons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM)

Mme Nadia Sollogoub .  - Face aux excès climatiques, la recherche de mécanismes de protection des cultures est une impérieuse nécessité. Dans ce contexte, l'assurance récolte devrait se généraliser, or ce n'est pas le cas.

La proposition de résolution du RDSE est bienvenue. Elle nous amène à nous demander comment mettre de l'huile dans les rouages. Elle propose une simplification et une harmonisation, plus de réactivité dans les aides, des taux bonifiés, de nature à rendre ces assurances plus attractives.

Comment avoir confiance dans un système qui apparaît lointain, inadapté et inéquitable ? Les exploitations ayant une trésorerie limitée ne peuvent pas se permettre des dépenses aléatoires.

J'ai vent d'un sentiment d'injustice de la part d'agriculteurs assurés, exclus de l'indemnisation pour calamité agricole, au contraire de ceux qui n'étaient pas assurés.

Les événements météorologiques excessifs deviennent la règle ; les années de référence étant toutes mauvaises, les prises en charge deviennent ridicules. Comment assurer ce qui n'est plus un risque mais une certitude ? Quel assureur voudra promouvoir des contrats sur lesquels il perdra à coup sûr de l'argent ?

La réponse réside dans la prévention et la diminution du risque. Il faut apprivoiser le risque, retrouver la rentabilité en l'intégrant. Il faut apporter une aide technique ciblée aux exploitants, du conseil, de l'investissement, les aider à adapter leurs pratiques à des changements inévitables. Au lieu de couper les vivres aux chambres d'agriculture, donnons-leur des moyens.

Et puis il y a la question de la gestion et du stockage de l'eau.

M. François Bonhomme.  - Sivens ! Caussade !

Mme Nadia Sollogoub.  - Il est urgent de lever les freins réglementaires et politiques aux aménagements hydrauliques. (Applaudissements sur les travées des groupeUC, Les Républicains, RDSE et LaREM)

M. François Bonhomme .  - Nos agriculteurs sont de plus en plus confrontés à des événements climatiques extrêmes. Entre 2017 et 2018, 51 communes du Tarn-et-Garonne ont été reconnues en état de catastrophe naturelle, au titre de phénomènes de sécheresse pour 36 d'entre elles, à la suite de pluies diluviennes pour 15 autres.

L'agriculture est l'un des secteurs économiques les plus exposés au dérèglement climatique, notamment dans l'arboriculture. Dans mon département, les producteurs de prunes s'inquiètent des conséquences des hivers anormalement doux, suivis de coups de gel tardifs.

Un accident climatique engendre aussi souvent des problèmes sanitaires, avec à la clé des pertes économiques considérables. Un agriculteur subit une perte de 20 % de revenu tous les trois à quatre ans.

Cela nous amène à questionner l'efficience du système de gestion et de couverture des risques climatiques. Le régime des calamités agricoles est particulièrement lent. Il faut parfois plus de dix-huit mois pour être indemnisé ! Il entre, en outre, parfois en concurrence avec l'assurance et un agriculteur non assuré peut être mieux indemnisé qu'un agriculteur assuré.

Cette proposition de résolution met à juste titre le doigt sur les obstacles actuels. Je rejoins son esprit. Il serait bienvenu d'encourager financièrement l'assurance récolte et de supprimer les effets de seuil, car sa diffusion est très lente et très inégale : 30 % des surfaces viticoles et 26 % des grandes cultures sont assurées ; la couverture est très marginale dans l'arboriculture et quasi nulle pour les prairies.

Il faut en faire bénéficier l'ensemble des secteurs de production, dont l'élevage, sur le modèle espagnol.

Le développement des assurances passe par un soutien financier des pouvoirs publics et la mise en place de produits attractifs. L'assurance récolte est un outil efficace et responsabilisant.

Je voterai en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE et UC)

M. Franck Montaugé .  - L'assurance récolte peine à progresser. Depuis 2016, le groupe socialiste et républicain a été force de propositions sur le sujet - le propos que nous tenions alors, avec Henri Cabanel et Didier Guillaume, n'a pas pris une ride.

La France et l'Europe ne pesant pas réellement sur les cours, il convient d'aider les agriculteurs. Les deux textes votés au Sénat en 2016 préconisaient une véritable politique contra-cyclique, dans une perspective de soutien du revenu. Nous proposions d'encourager les filières à travailler ensemble pour mutualiser le risque économique et être plus résilientes.

Le dispositif de l'assurance récolte devait être plus attractif financièrement, disions-nous. Nous préconisions la mise en place d'un fonds de stabilisation des revenus agricoles ; nous financions nos mesures par une hausse de la taxe sur les surfaces commerciales de plus de 2 500 m2, une taxe sur les transactions financières sur les marchés des matières premières agricoles et une augmentation des droits de mutation sur les terrains nus rendus constructibles.

Notre proposition de loi, adoptée au Sénat le 30 juin 2016, n'a pas terminé sa navette. En juillet 2019, toujours à l'initiative du groupe socialiste et républicain, une mission d'information rendait des préconisations qui rejoignent notre débat d'aujourd'hui.

Nous proposions notamment d'allonger la durée de calcul de la moyenne olympique.

Cette proposition de résolution du groupe RDSE rejoint, voire reprend, nombre de propositions de notre groupe. Nous nous réjouissons d'avoir ouvert la voie. Nous devons unir nos forces pour soutenir l'agriculture française. Mais pourquoi ces outils ne prospèrent-ils pas ?

Les États membres de l'Union européenne peinent à se mettre d'accord. Le green deal rebattra les cartes de l'ensemble des politiques européennes. Que deviendront les budgets sectoriels ? Pourra-t-on affecter des aides publiques significatives dans le cadre d'une PAC dont le budget diminue ? Ne devrait-on pas taxer les transactions financières pour abonder les ressources ?

La PAC a atteint la plupart de ses objectifs mais n'a pas répondu à la question du revenu du producteur, pas plus que la loi EGAlim.

L'assurance récolte doit être développée, cela ne fait aucun doute, mais comment compenser la baisse des aides à la transition agroécologique ? (M. Yvon Collin approuve.)

Comment aider les agriculteurs qui veulent souscrire une assurance mais n'en ont pas les moyens ? Ne faut-il pas encourager prioritairement ceux qui investissent pour l'environnement ? La gestion des risques en agriculture est-elle pratiquée et maîtrisée par tous les chefs d'exploitation ? L'assurance récolte est un moyen, sans doute plus évident, mais d'autres outils de gestion des risques agricoles concourent à une véritable résilience. Maximisons l'efficacité globale de la ferme France ! Sans une adhésion large des agriculteurs, rien de significatif ne pourra se faire.

En 2019, Didier Guillaume se disait favorable à une assurance récolte généralisée et mutualisée.

Quel que soit l'outil, la part de financement de l'État devra être importante. Mais il faudra prouver aux agriculteurs qu'ils ont plus à y gagner qu'à y perdre. Le contrat socle de 2016 était une étape importante ; il faut engager une seconde étape.

Je salue les auteurs de la proposition de résolution que le groupe socialiste et républicain approuvera. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, RDSE et LaREM)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Il y a quatre ans, avec Franck Montaugé et Didier Guillaume nous débattions déjà de ce sujet. Ce dernier est devenu ministre de l'Agriculture et peut donc oeuvrer pour l'assurance agricole.

Les mentalités ont évolué. Le contexte a changé et les crises se sont multipliées, transformant l'exception en évènement régulier. À la grêle et à la sécheresse s'ajoutent les tornades ou les pics de canicule inouïs. Il a fait 46° dans l'Hérault et dans le Gard avec un effet chalumeau qui a détruit dans certains secteurs la production dans sa quasi-totalité.

Les éleveurs ont aussi été frappés de plein fouet par les maladies : après la vache folle, la grippe aviaire, plus de 9 000 canards abattus par précaution dans le Gers en 2018.

La chance ne suffit pas. Tout peut être détruit. S'ajoutent les aléas économiques comme le Brexit ou les mesures de rétorsion américaines.

Les tarifs des polices d'assurance sont parfois prohibitifs. Pour inciter, il faut expliquer.

En juillet 2019, le ministre de l'Agriculture a initié une co-construction. C'est la bonne méthode car on ne peut pas passer en force. Les aléas climatiques nécessitent des adaptations de la production. Il faut des aides à la prise de risques de l'évolution des pratiques. Je préconise une baisse du coût de l'assurance si l'exploitant s'engage à un changement de méthode en faveur de l'environnement, avec un cahier des charges précis. Nous devons également nous tourner vers les nouvelles technologies, comme les mini-stations météo connectées. La profession se tourne vers des satellites et la méthode Airbus pour évaluer les pertes en fourrage dans les prairies.

Les aménagements hydrauliques sont également précieux, dans l'objectif de tirer profit des pluies abondantes pour les utiliser lors des sécheresses. Nombre d'acteurs dont la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) et le Crédit agricole vous ont transmis des propositions. L'État doit conserver une responsabilité dans la politique de gestion des risques, qui doit être pilotée par une instance paritaire ; toutes les exploitations, toutes les productions doivent être prises en compte. Le cadencement des décisions s'impose pour une mise en oeuvre progressive et une acceptation par tous.

L'État peut agir pour améliorer les mécanismes actuels, par exemple en baissant le seuil de perte de 30 % à 20 % conformément au règlement Omnibus. Certes, ces mesures auront un coût. Mais la situation tendue de la crise sanitaire nous renvoie à des choix politiques. Quel prix pour notre indépendance alimentaire ?

La pandémie aura des conséquences dramatiques avec des pertes de revenus, notamment chez les éleveurs. Vous connaissez mon combat contre le suicide des paysans. Cela peut y contribuer. Chaque jour, un paysan met fin à sa vie. Il y a urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Pierre Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La première assurance, c'est d'accompagner les moyens techniques de prévention : stockage de l'eau, filets contre la grêle, protection contre le gel. Face au changement climatique et aux difficultés de plus en plus grandes qu'ont les agriculteurs à gagner leur vie, il faut un système à l'américaine d'assurance universelle gratuite.

Aujourd'hui, il faut pérenniser le FNGRA avec une mise en commun des fonds d'assurance.

La vache folle a été une catastrophe pour nombre d'éleveurs : l'assurance ne doit pas prendre en compte les seuls risques climatiques.

Avec l'assurance volontaire, les résultats ont été décevants. Avec une assurance universelle, si l'on apporte 30 %, on doit recevoir le double. Si l'on n'apporte rien, on reçoit une contribution de base. Le système serait ainsi beaucoup plus vertueux. Aujourd'hui, les agriculteurs n'ont pas beaucoup d'argent pour leur assurance.

Un des moyens de limiter les risques, c'est de diversifier les cultures. Lorsqu'on assure la totalité de la production sur toute l'exploitation, les risques sont beaucoup moins grands et on peut prévoir des paliers de perte par production. C'est d'ailleurs ce que font les Américains.

L'Europe devra, un jour ou l'autre, remettre en cause le système de paiement à la surface. Trouvons un système simple qui ne soit pas une usine à gaz. Pensons efficacité, simplicité et n'ayons pas peur d'aller plus loin. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, UC et Les Républicains)

M. Vincent Segouin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) D'ici 2040, les sinistres agricoles dus aux aléas climatiques auront doublé.

Près de 70 % des surfaces des grandes cultures, des vignes, et presque la totalité des prairies et des maraîchages ne sont couvertes par aucun contrat d'assurance.

Il devient urgent de développer, comme aux États-Unis, un contrat d'assurance universelle afin que chaque exploitation puisse survivre en cas d'évènement extrême.

En 2009, le contrat aléas climatiques a été créé pour les cultures céréalières et viticoles contre les risques de grêle, de sécheresse, de températures et d'inondations. Les cotisations sont financées à 65 % par le deuxième pilier de la PAC. En cas de sinistre, la franchise de 30 % semble trop élevée à tous les acteurs de la profession.

En parallèle, le fonds de calamité agricole continue d'indemniser ces aléas pour les prairies, arboricultures, maraîchages et autres. La cotisation de 5,5 %, prélevée sur l'ensemble des contrats agricoles est restée inchangée bien que les risques assurables soient dorénavant exclus de toute indemnisation.

Aujourd'hui, seul un tiers des surfaces agricoles est assuré, mais la proportion était plus importante avant 2016, année où les subventions ont été versées avec plus d'un an de retard.

On observe une chute de la rentabilité de ces contrats pour les assureurs. Chez les assureurs, la rentabilité est calculée selon un rapport entre les sinistres et les primes. Alors qu'il doit être inférieur à 65 %, ce rapport s'élèverait en 2019 à 120 % chez Groupama et à 150 % chez Pacifica. Pour les autres compagnies telles qu'AXA, MMA, Suisse grêle ou Allianz, il est situé entre 70 et 85 %. La différence s'explique par une sélection des risques moins draconienne chez les mutualistes et des expertises moins rigoureuses. Les assureurs mutualistes estiment qu'une fraude de 20 % est probable.

Le système actuel n'est plus tenable d'autant que les agriculteurs y souscrivent moins et que les assurances se désengagent de ce marché.

Les assureurs travaillent à une assurance récolte universelle, avec une franchise de 50 % et des cotisations entièrement subventionnées - la franchise pouvant être réduite jusqu'à 10 %, mais les cotisations seraient alors à la charge de l'agriculteur.

Les assureurs estiment que le montant des subventions se situerait entre 780 et 900 millions d'euros. La subvention PAC sur les contrats aléas climatiques s'élevant à 120 millions d'euros et le FNGRA à 120 millions par an, il reste donc 600 millions d'euros à trouver.

L'avantage de cette CRU serait d'offrir un interlocuteur unique à l'agriculteur; tant pour les cotisations que pour les sinistres. La concurrence permet d'atteindre des conditions saines et équilibrées pour chaque partie. Je pense que la moyenne olympique doit être réduite sans pour autant disparaître à terme.

Les Républicains voteront pour cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Paul Émorine .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci au groupe RDSE pour son initiative. L'agriculture couvre 50 % du territoire français et représente une part significative du PIB via l'agroalimentaire.

Mais l'agriculture est sujette aux aléas climatiques, sanitaires, économiques et le revenu moyen d'un tiers de nos agriculteurs est inférieur à 500 euros.

En 2005, je présidais la commission des affaires économiques lorsque nous avons mis en place le système assurantiel. En 2009, alors que Bruno Le Maire était ministre de l'Agriculture, nous avions tenté de convaincre l'État de s'engager en faveur d'un système de réassurance sachant que cet engagement n'était que pour cinq ans, le temps de mettre en marche le système. Nous avions l'accord du Président Sarkozy mais l'alternance avait mis fin à ce projet.

Sur les 400 000 exploitations les plus importantes, il n'y a que 60 000 contrats d'assurance récolte souscrits. Pourquoi si peu ? Il s'agit d'exploitations à risque et les compagnies d'assurances estiment que le retour par rapport aux cotisations d'assurance n'est pas équilibré.

Alors qu'il y a en moyenne un sinistre tous les cinq ans dans chaque exploitation. Les subventions financeraient 65 % de la prime de base et 45 % de la complémentaire, mais la franchise à 30 % resterait trop élevée ; le taux 10 % serait donc préférable.

Si vous voulez généraliser le système assurantiel à l'ensemble des exploitations, je vous propose de supprimer la déduction pour épargne de précaution : les exploitants souscriraient ainsi à une assurance.

Les régions pourraient être mobilisées pour une subvention supplémentaire.

M. le président.  - Concluez.

M. Jean-Paul Émorine.  - Le système assurantiel est indispensable pour l'avenir de nos agriculteurs (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Merci pour cette initiative qui permet d'aborder un débat d'actualité. Nul ne conteste plus le dérèglement climatique, dont on parlait moins il y a dix ans.

La grêle dans la Drôme, la sécheresse dans le Gard, les orages dans l'Aude nous rappellent l'urgence sans compter les inondations de 2016 dans le Loir-et-Cher que je connais bien.

Le qualificatif de tempéré semble s'appliquer moins aujourd'hui qu'hier à notre climat. Les épisodes sont variés et fréquents. Plusieurs dispositifs accompagnent les agriculteurs, mais étaient-ils assez ambitieux ? Le Sénat a très tôt pris la mesure de ce problème. L'auteur de cette proposition de résolution avait déposé, il y a dix ans, une proposition de loi visant à généraliser l'assurance récolte obligatoire.

Le groupe de travail installé en juillet 2019 sur ce sujet présentera ses conclusions à la mi-juillet.

Un consensus s'est dégagé autour de l'idée qu'une bonne exploitation est une exploitation plus résiliente, c'est-à-dire capable de faire face aux aléas. Cela suppose des outils adaptés - tels la dotation pour l'épargne de précaution, mais aussi la diversification des productions et l'évolution des pratiques.

Il convient également de poursuivre les dix projets de territoires de gestion de l'eau qui ont vu le jour en 2019 et 2020, notamment dans le Gard et l'Ardèche.

M. François Bonhomme.  - C'est peu !

M. Marc Fesneau, ministre.  - L'assurance récolte pose la question de l'articulation avec le régime des calamités agricoles, surtout si les deux outils étaient amenés à se superposer ; je pense à l'arboriculture et aux prairies. Le régime assurantiel n'a pas vocation à s'y substituer s'il y a perte de fond - c'est-à-dire destruction de l'outil de travail.

Des éléments de votre proposition de résolution suscitent toutefois l'interrogation du Gouvernement. Dans le cadre de la future PAC, la France porte l'ambition d'un allongement de la période de référence pour le calcul des rendements à huit ans. Votre proposition de dix à quinze ans est excessive.

Le Gouvernement veut dissiper des malentendus : le versement des aides à l'assurance récolte financées dans le cadre de la PAC. Ces versements sont revenus à la normale depuis 2018 ; ils interviennent désormais en février de l'année suivante.

Nous divergeons aussi avec les taux de subvention : porter à 70 % du contrat et abaisser le seuil de déclenchement de 30 % à 20 % engendreraient un surcoût de 450 millions d'euros par an : ce n'est pas raisonnable alors que les actions pour 2020 et 2021, années de transition de la PAC, sont déjà engagées.

Vous n'abordez qu'en partie, dans cette proposition de résolution, le nécessaire développement de la prévention et d'évolution des modes de production. Un agriculteur qui a investi dans un système de prévention doit être plus indemnisé qu'un autre qui ne l'aurait pas fait.

Comme vous, le Gouvernement souhaite un système d'indemnisation plus simple, plus efficace et plus attractif.

Au vu des négociations en cours sur l'avenir de la PAC, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Cette proposition de résolution permet d'identifier des points de convergence, mais aussi des points sur lesquels nous devons travailler à nouveau.

L'agriculture devra compter avec d'autres aléas, comme ceux de marchés.

Je vous remercie pour ce débat. Le calendrier est devant nous pour avancer. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM)

La proposition de résolution est adoptée.

M. le président.  - Belle unanimité des votes exprimés.

La séance est suspendue quelques instants.

CMP (Nominations)

M. le président.  - Des candidatures ont été publiées pour les commissions mixtes paritaires sur les dispositions restant en discussion des propositions de loi visant à mieux protéger les victimes de violences conjugales, visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, du projet de loi permettant le don de congés payés sous forme de chèques-vacances aux membres du secteur médico-social ainsi que pour l'éventuelle commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique reportant l'élection de six sénateurs représentants les Français de l'étranger et les élections partielles pour les députés et les sénateurs représentants les Français de l'étranger.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au droit des victimes de présenter une demande d'indemnité au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.

Discussion générale

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux .  - Cette proposition de loi éclaircit notre droit et renforce les droits des victimes d'infractions graves.

Auprès de chaque tribunal judiciaire est instituée une commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) devant laquelle les victimes peuvent réclamer une indemnisation. Celle-ci est versée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), au titre de la solidarité nationale, moyennant recours ultérieur contre les auteurs. La réparation est intégrale et sans condition de ressources : elle répare les atteintes aux personnes résultant des infractions les plus graves, comme la mort, l'incapacité permanente, le viol, l'enlèvement, l'esclavage, le proxénétisme... Sous condition de ressources, les incapacités temporaires de travail (ITT) inférieures à un mois ou atteintes aux biens peuvent aussi être réparées par la CIVI.

C'est une procédure séparée des procédures pénales contre les auteurs des faits, pour assurer une réparation rapide. Le recours devant la CIVI peut donc être engagé avant ou après les poursuites pénales.

Cette proposition de loi modifie le point de départ du délai durant lequel la victime peut saisir la CIVI. L'article 706-5 du code de procédure pénale, tel qu'il résulte de la loi du 15 juin 2000 prévoit que la demande d'indemnité doit être présentée dans les trois ans suivant l'infraction. Mais les poursuites pénales prorogent le terme d'un an après que la juridiction pénale a statué définitivement sur l'action publique.

Une modification ultérieure tire les conséquences de la loi du 15 juin 2000 qui donne obligation à la juridiction d'informer les victimes de la possibilité de saisir la CIVI, mais en n'exigeant pas que la décision de justice soit définitive, le délai de forclusion a été réduit.

La rédaction de ce texte est donc complexe puisqu'elle prévoit deux solutions différentes lorsqu'un jugement pénal est intervenu. Le délai est d'un an à compter de la décision définitive de la juridiction pénale mais si un jugement pénal est intervenu qui a condamné l'auteur des faits à des dommages et intérêts, alors le délai d'un an court à compter de l'avis informatif rendu par la juridiction informant du droit au recours devant la CIVI, peu importe que cette décision ait ou non un caractère définitif.

Or les victimes peuvent vouloir attendre l'issue judiciaire définitive avant de faire appel à la solidarité nationale.

Ce texte unifie les délais pour toutes les victimes pour saisir la CIVI, en les faisant partir de la décision définitive pénale ou civile.

Le Gouvernement est bien entendu favorable à la rédaction issue de l'Assemblée nationale et confirmée par le Sénat. Je remercie la députée Jeanine Dubié et la rapporteure Laurence Harribey dont l'accord permettra une entrée en vigueur rapide de ce texte qui corrige une incohérence législative. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et SOCR ; Mme Marie Mercier applaudit également.)

Mme Laurence Harribey, rapporteure de la commission des lois .  - Lorsque la commission des lois m'a confié ce rapport, j'ai eu des doutes sur l'opportunité de simplifier la loi par une loi. Mais il faut reconnaître que ce texte apporte une authentique simplification.

Le système français répare sans conditions de ressources et intégralement les atteintes graves aux personnes, grâce à la solidarité nationale. Ce système, le plus complet au monde, s'est constitué entre 1951 et 2008, date de la création du Service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions (Sarvi).

Jusqu'en 2000 les choses étaient claires : en l'absence de décision pénale, le délai de forclusion était de trois ans ; un jugement pénal définitif le prorogeait un an. Mais en introduisant une obligation d'information du droit de saisine de la CIVI, le législateur a créé involontairement un deuxième délai de forclusion. Les victimes n'ont pu alors faire valoir leurs droits à indemnisation.

L'information des victimes par les juridictions s'est généralisée depuis 2010 à la faveur de la numérisation. Les cas de délais forclos alors que les victimes attendaient le jugement définitif se sont multipliés. En 2013, la Cour de cassation a reconnu le problème. Ce texte supprime le délai ouvert pour l'information des victimes mais va plus loin en supprimant la forclusion faute d'information.

Cette réponse est bienvenue mais deux difficultés demeurent. D'abord, le classement sans suite crée une forclusion après trois ans. Ensuite, la CIVI, juridiction indépendante, n'est pas tenue par le montant des dommages fixé par la juridiction pénale, d'où des montants versés parfois inférieurs. Néanmoins, 70 % à 75 % des propositions d'indemnisation du FGTI sont acceptés par les victimes.

Ces réserves faites, nous n'avons pas jugé bon d'amender ce texte, car elles ont vocation à être examinées dans un autre cadre. La commission des lois vous suggère donc d'approuver ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, RDSE et UC)

Mme Esther Benbassa .  - En 1983, Robert Badinter, garde des Sceaux, disait que « la victime se trouve dans la pire des solitudes : celle qui s'accompagne d'un sentiment de rejet ».

À l'époque, notre droit ne se souciait que de l'auteur du crime, délaissant la victime. Heureusement, notre législation a depuis pris en compte la personne touchée, notamment en l'indemnisant.

Cependant, le collectif France Victimes et de nombreux avocats ont attiré l'attention du législateur sur certaines dispositions qui restreignent le droit d'indemnisation des victimes.

La rédaction de l'article 706-5 du code de procédure pénale est contraire à l'esprit de la loi du 15 juin 2000. En effet, il institue une obligation d'information des victimes de leur droit de saisir la CIVI, ouvrant un délai d'un an à partir non pas de l'avis donné par la juridiction sur l'indemnisation mais, à travers la jurisprudence de la Cour de cassation, à partir de l'avis donné par la première juridiction qui prévoit une indemnisation.

Il était du devoir du législateur de corriger ce problème en permettant que le délai d'un an commence après que la dernière instance s'est prononcée.

Le groupe CRCE votera cette proposition de loi qui fait consensus.

Je souhaite cependant aborder la question du fonctionnement du FGTI. Je suis sénatrice d'un département très touché par le terrorisme. 2 600 personnes ont été touchées par des attentats entre 2014 et 2015. Or certaines victimes du 13 novembre 2015 attendent toujours le rapport d'expertise prouvant leur droit à être indemnisées. Un tel traitement est inacceptable et ne saurait perdurer.

La suppression en 2017 du secrétariat d'État chargé de l'aide aux victimes n'est pas de nature à améliorer cette situation. Un long chemin reste à parcourir avant que les victimes obtiennent la protection qu'elles méritent. (Mme Michelle Meunier applaudit.)

M. Joël Guerriau .  - Ce texte améliore la rédaction de l'article 706-5 du code de procédure pénale, source de contentieux défavorable aux victimes.

Aux termes de l'article 706-3, les victimes ont droit à réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, dès lors que ces faits ont entraîné la mort, une incapacité permanente, une incapacité totale de travail supérieure à un mois, ou qu'ils relèvent de diverses infractions, sauf pour les préjudices liés à l'amiante ou aux actes de terrorisme.

La demande d'indemnité doit être présentée à la CIVI dans les trois ans après l'infraction. Les poursuites pénales ouvrent une prolongation d'un an à compter du jugement définitif.

Le régime de la forclusion applicable à ce dispositif a été modifié par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. L'article 706-15 oblige ainsi la justice pénale à informer les victimes de leur droit à saisir la CIVI dans l'année qui suit le jugement. Mais pour la Cour de cassation, le délai d'un an court à partir du premier jugement, et non du jugement définitif.

Ce texte crée un délai unique d'un an après la décision définitive. L'obligation d'information des victimes est maintenue, sous peine de levée de la forclusion.

Le groupe Les Indépendants votera cet excellent texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et LaREM)

M. Yves Détraigne .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Au nom du groupe UC, je salue le travail de la députée Jeanine Dubié. Ce texte en apparence anecdotique est en réalité une avancée importante pour la simplification des procédures judiciaires.

Il clarifie l'article 706-5 du code de procédure pénale, qui porte sur le délai imposé aux victimes pour présenter leur demande d'indemnisation à la CIVI.

Il prévoit trois délais distincts, selon les situations. Le premier est de trois ans à compter de la date de l'infraction ; le second d'un an à compter de la décision définitive en cas de poursuites pénales ; le dernier d'un an à compter de la décision judiciaire fixant les dommages et intérêts.

En raison de cette complexité, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 28 mars 2013, en a fait une interprétation allant à l'encontre de l'objectif poursuivi par le législateur.

L'esprit de la loi du 15 juin 2000 visait à ce que la demande d'indemnités à la CIVI se fasse dans un délai d'un an et que la victime dispose des informations pour que le délai ne courre pas sans qu'elle le sache.

Or la juridiction suprême a jugé que le point de départ du délai d'un an pour saisir la CIVI était fixé à la date de l'avis positif qui avait été donné en première instance, alors qu'un appel avait été fait.

La volonté du législateur a donc été contredite dès lors que la Cour de Cassation n'a pas examiné le troisième délai à la lumière du précédent, allant de ce fait en défaveur de la victime. S'en est donc suivi, pour cette dernière qui a saisi la Cour de cassation, une confirmation de la nullité de sa demande d'indemnisation présentée un an et demi après l'avis de la juridiction de première instance.

Ce genre d'incohérence ne doit plus se reproduire : si tout l'or du monde ne peut soigner les blessures, toute victime est en droit de s'attendre à recevoir une réparation.

Notre rôle de parlementaire est de veiller à ce que la loi soit la plus simple et la plus efficace possible.

Au vu de l'arrêt de la Cour de Cassation, il faut pallier ce manque de clarté en votant cette proposition de loi, ce que fera le groupe UC. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi paraît procédurale, mais représente un symbole fort pour les victimes d'actes de terrorisme. Le texte favorise l'accès au droit à réparation et uniformise une procédure perçue comme floue et imprécise.

Le FGTI a continué à recevoir une centaine de demandes en 2019, quatre ans après les attentats de Nice.

Je souhaite que le Gouvernement aille plus loin et donne une impulsion plus forte. Si le temps passe, l'émotion reste vive. Des outils existent et des propositions concrètes ont été faites. La suppression du secrétariat d'État aux victimes, moins d'un an après les attentats de Nice a été très mal vécue. Remplacer l'interlocuteur politique par une délégation interministérielle administrative n'aura jamais été compris par les victimes de Nice et d'autres grandes villes.

Les collectivités territoriales ont un rôle bienveillant primordial, pour conserver le lien. La ville de Nice, en ouvrant la maison d'accueil des victimes, pour accompagner les personnes victimes d'infractions pénales graves, a préfiguré l'accueil réalisé depuis. Elle propose des ateliers sur la sécurité et apporte un soutien juridique ou psychologique.

Complémentaire, le comité de suivi des victimes se réunit régulièrement à Nice pour entretenir une relation permanente. Cette démarche continue est essentielle aux victimes qui ont besoin d'écoute pour recenser leurs difficultés, après les hommages et le recueillement.

Il faudrait donner une suite au rapport de 2018 pour l'amélioration de l'annonce des décès, qui est une démarche délicate, devant conjuguer respect des proches et accompagnement des familles.

Les victimes ont besoin d'être entendues pour éviter l'anonymat des procédures administratives ou judiciaires froides. Je pense à la restitution d'organes ou de comptes rendus d'autopsie un an après l'attentat faite par courrier : un véritable choc pour les familles.

Selon le rapport de la Cour des Comptes de 2018, il y a trop de numéros de téléphone, trop d'adresses mail, trop d'interlocuteurs, et finalement peu d'informations claires et fiables. L'État doit être plus vigilant par rapport au « sentiment d'injustice très marqué » des victimes. Ayons des réponses pour elles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et LaREM)

Mme Josiane Costes .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Je rends hommage à l'excellent travail de Jeanine Dubié...

M. Jean-Claude Requier.  - Hommage ô combien mérité !

Mme Josiane Costes.  - Le consensus sur la proposition de loi prouve l'intelligence de son travail sur ce sujet technique et sensible. Je remercie la commission des lois d'avoir permis une adoption conforme, et salue les associations et tous les réseaux d'aide aux victimes qui mènent un travail soutenu.

La perte d'un proche est toujours une épreuve, surtout quand les circonstances de la mort sont dramatiques.

Créé dans les années quatre-vingt-dix, le FGTI a été conçu pour indemniser les victimes de terrorisme et celles de certaines infractions pénales, en particulier en cas d'insolvabilité des auteurs.

Il est alimenté majoritairement par des prélèvements sur les contrats d'assurance de biens et couvre les atteintes graves ou les actes de terrorisme ; ainsi, 324,4 millions d'euros ont été dépensés de la sorte en 2018.

La loi du 15 juin 2000 a mis en place l'obligation pour la juridiction statuant en matière de dommages et intérêts d'informer du droit d'aviser la victime de son droit à indemnisation auprès de la CIVI dans un délai d'un an.

Une telle jurisprudence reconnaît donc le délai pour demander réparation, créant un sentiment d'injustice.

Cette proposition de loi simplifie la loi de 2000 et donne plus de droits aux victimes, en modifiant l'article 706-15 du code de procédure pénale. Le délai courra désormais pour un an à compter de la décision définitive ; l'obligation d'information sera conservée.

Nous écartons définitivement le risque de priver la victime d'une indemnisation.

Le travail parlementaire est précis, concret et soucieux du bien commun. Le dialogue des assemblées doit permettre une adoption conforme. Cette proposition de loi est l'illustration que nous, parlementaires, pouvons et savons-nous parler lorsque nous sommes face à des propositions de bon sens et j'espère que cet esprit continuera à guider nos travaux.

Le groupe RDSE votera évidemment à l'unanimité cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM)

Mme Agnès Constant .  - La proposition de loi consolide le droit effectif des victimes de présenter une demande d'indemnité à la CIVI. Je remercie les auteurs et le groupe RDSE, qui l'a utilement inscrite à l'ordre du jour.

La notion d'indemnisation renvoie à la réparation de la victime et le rétablir dans ses droits.

L'article 706-5 du code de procédure pénale illustre la progression de la place de la victime dans les procédures.

Le législateur est à nouveau intervenu le 15 juin 2000 pour préciser l'information, par la juridiction, de la victime sur son droit de saisine dans le délai d'un an.

Toutefois, à rebours de la démarche protectrice du législateur, cette réforme a donné lieu à des difficultés contentieuses sur le point de départ du délai de forclusion. L'interprétation de la Cour de cassation a complexifié le parcours et réduit les droits de la personne. Or les victimes peuvent préférer attendre une décision définitive pour saisir la CIVI.

Il en va de l'égalité et de la cohérence entre les situations. Cette proposition de loi modifie l'article 706-5 du code de procédure pénale, grâce à un travail constructif conjoint avec les associations et le ministère de la Justice. Le délai d'un an courra à partir de la décision définitive. Un oubli d'information retire la victime de la forclusion.

Le législateur doit créer un parcours d'indemnisation simple et fiable juridiquement. Je salue l'approche de la rapporteure et des membres de la commission des lois.

Le groupe LaREM votera ce texte.

M. Jean-Luc Fichet .  - Je remercie la rapporteure pour ses travaux et sa présentation limpide de ce texte à la fois technique, simple et consensuel, qui clarifie l'article 706-5 du code de procédure pénale.

La CIVI et le FGTI garantissent l'indemnisation. La CIVI est instituée dans le ressort de chaque tribunal judiciaire. Elle a le caractère d'une juridiction civile de premier ressort.

Le recours devant la CIVI n'est pas subsidiaire. Cette procédure se déroule en parallèle dès la procédure judiciaire à l'encontre des auteurs des faits, et permet de reconnaître sa place à la victime, ce dont elle ne bénéficie pas toujours devant le juge pénal. C'est l'occasion d'être écoutée.

La CIVI transmet la demande au FGTI qui propose une indemnisation dans les deux mois. La CIVI peut homologuer l'accord en cas d'accord de la victime. Le FGTI alloue un montant indemnitaire dans le délai de deux mois.

Aux termes de l'article 706-5 du code de procédure pénale, la demande d'indemnité doit être faite dans les trois ans, mais le délai peut être prorogé en cas de procédure pénale.

Selon l'article 706-15 du code de procédure pénale, la juridiction pénale doit informer la victime de son droit de saisir la CIVI dans l'année.

Le législateur voulait donner des garanties supplémentaires à la victime. Mais l'arrêt de la Cour de cassation de 2013 estimait que la décision ne devait pas être nécessairement définitive, le délai courant à partir de l'avis donné par la première juridiction qui a alloué des dommages et intérêts. Cela altérait donc les droits des victimes.

Les parties civiles devaient saisir la CIVI avant l'épuisement des voies de recours, alors que certaines victimes préféraient attendre avant de demander la solidarité nationale.

Cette proposition de loi apporte des clarifications nécessaires, en créant un délai unique d'un an après la décision pénale définitive, tout en conservant l'obligation d'informer ; et elle relève la forclusion si l'information n'a pas été donnée. Elle améliore incontestablement la situation des victimes d'infractions.

Le groupe socialiste et républicain soutient donc pleinement cette proposition de loi et renouvelle ses félicitations à la rapporteure. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, LaREM, RDSE et UC)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux .  - Madame Benbassa, vous soulignez les difficultés de la prise en charge financière par le FGTI. En général, il verse aux victimes 80 % du montant des indemnités à titre provisionnel, dans l'attente de la réponse de la victime sur la proposition indemnitaire.

En cas de contentieux sur les dommages et intérêts ou les questions d'expertise, vous avez créé, en adoptant en 2019 la loi de réforme de la justice, un nouveau juge, le juge d'indemnisation des victimes d'attentats terroristes (Jivat), qui règle cette question indépendamment de l'issue du procès.

Vous déplorez la suppression du secrétariat d'État aux victimes. Lors de ma prise de poste, j'ai rencontré les associations de victimes immédiatement. Désormais, on ne les entend plus regretter ce secrétariat d'État. La délégation interministérielle à l'aide aux victimes et la déléguée interministérielle, Mme Pelsez, font un travail remarquable, de rigueur, d'accompagnement personnalisé, de réflexion générale de l'aide que l'on peut apporter aux victimes. C'est elle qui a publié le rapport cité par Mme Estrosi Sassone sur l'annonce des décès, comportant des mesures qui sont en cours d'exécution.

Madame la rapporteure, je prêterai grande attention à vos préconisations sur la forclusion et l'indemnisation, et je vous remercie de ces propositions.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. François Bonhomme .  - Je salue la précision de la proposition de loi qui clarifie un sujet d'apparence technique. La loi de juin 2000 avait introduit une confusion.

La Cour de cassation a jugé que le délai de saisine courait à partir de la première décision pénale et non de la décision définitive, alors que cela pénalisait les victimes.

Je souscris pleinement aux objectifs de cette proposition de loi sur le délai spécifique. Toute ambiguïté sera levée et il sera mis fin à la différence de traitement entre les victimes.

L'article premier est adopté.

L'article 2 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée définitivement.

(Applaudissements unanimes)

La séance est suspendue à 19 heures.

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Quelle réponse de la France au projet d'annexion de la vallée du Jourdain par l'État d'Israël ?

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « Quelle réponse de la France au projet d'annexion de la vallée du Jourdain par l'État d'Israël ? », à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Christine Prunaud, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste .  - Je remercie la Conférence des présidents de l'inscription de ce débat à l'ordre du jour.

Jean-Paul Chagnollaud, président de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient, écrivait en 2017 : « Les gouvernements israéliens de ces dernières années ont tout fait pour tourner le dos à Oslo, accentuer leur contrôle sur la population palestinienne et accélérer la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est avec l'obsession d'y établir encore et encore des faits accomplis qu'ils veulent irréversibles. La prochaine étape est l'annexion de tout ou partie de la zone C, ce qui est déjà une réalité de facto dans la vallée du Jourdain entièrement absorbée par le système de domination israélien. »

Je partage totalement cette analyse. Les Palestiniens subissent un niveau de violence croissant, accepté par une grande partie de la communauté internationale.

Précisons d'emblée que la défense de la Palestine et du droit international n'est pas la remise en cause de l'État d'Israël.

Le 28 janvier 2020, Trump dévoile son plan de paix, ou plutôt de guerre. Les grandes puissances s'en sont seulement indignées. Impensable, pour les Palestiniens, de co-construire cette feuille de route qui ne leur laissait aucune place.

Le 1er juillet prochain, la Knesset se prononcera sur le plan de Netanyahou d'annexion de la vallée du Jourdain et des colonies juives en Cisjordanie.

Sachant qu'Israël occupe déjà au moins 85 % de la Palestine historique, ce vote serait la mort d'une solution à deux États. La proposition de Donald Trump est une provocation : un État palestinien démilitarisé et morcelé, archipel d'une demi-douzaine d'îlots séparés par des territoires israéliens, reliés par des ponts, tunnels, routes, check points, et une seule frontière avec un autre État, l'Égypte - frontière virtuelle car sous contrôle israélien.

Dans ce plan, il n'est plus question de retour des réfugiés et de leurs descendants. Il sera possible de transférer les 300 000 à 400 000 Palestiniens du Triangle. La résolution 194 de l'ONU ne sera pas plus appliquée que les précédentes.

En échange, Trump propose une aide de 50 milliards d'euros pour l'économie et le logement - secteurs largement sous contrôle israélien.

Quel avenir pour les Palestiniens des territoires occupés ? Seront-ils expulsés de la terre qui les a vus naître et qu'ils font fructifier ? Quel sera leur statut de citoyen ?

C'est la fin du mince espoir d'une solution où les Palestiniens seraient maîtres de leur territoire et de leur destinée.

Des voix s'élèvent dans la société et dans l'armée israélienne face à cette provocation. Dans une tribune publiée le 18 juin dans Le Monde, des personnalités et organisations juives dénoncent un dévoiement du projet sioniste de Ben Gourion. Ce qui devait être un pays d'accueil et de refuge est devenu un État agressif et discriminatoire.

Avec cette annexion, les Arabes palestiniens représenteront 40 % de la population israélienne, alors qu'une loi de 2017 sur l'État-Nation, État Juif, a retiré l'arabe des langues officielles et reconnu le caractère juif de l'État d'Israël, en faisant un État théocratique.

Nous essayons, pour notre part, de persévérer dans la défense de la solution à deux États, du droit au retour des réfugiés et du strict respect des résolutions de 1947 et 1967.

Face à cette situation, nous faisons face à la frilosité des plus grandes puissances occidentales qui ne condamnent pas ce plan mais affirment seulement qu'il est contraire au droit international.

Je regrette que notre Gouvernement ne fasse rien, arguant de la nécessité d'une action unanime des États membres de l'Union européenne - qu'il sait impossible.

Accompagnons nos amis palestiniens et israéliens dans un avenir de paix, fondé non sur l'oppression mais sur l'égalité et la liberté, et avec les mêmes droits pour tous.

Monsieur le ministre, il nous reste quinze jours pour que notre pays riposte - selon le mot que vous avez employé, et qui me convient. Mais quelle riposte ? Aujourd'hui au moins, quelles pistes ? Qu'allez-vous mettre en oeuvre ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR ; M. Olivier Cigolotti et Mme Claudine Kauffmann applaudissent également.)

M. Pierre Laurent .  - Face au crime contre le droit international qui se profile au 1er juillet, le temps des communiqués de presse et des déclarations de principe est passé. Il faut une riposte forte de la France, de l'Union européenne, des Nations unies contre le sabotage des accords d'Oslo qui dure depuis trop longtemps.

Il faut une riposte de la France et de son Président de la République - je ne parle pas des consuls de France à Jérusalem qui ont toujours agi avec courage. C'est pour cela que nous avons demandé ce débat avant le 1er juillet. Car seule une pression internationale d'ampleur peut arrêter ce projet. Le Premier ministre israélien, adversaire farouche de la solution à deux États, a tout fait pour miner le processus de paix auquel il veut porter le coup fatal.

Ce plan bafouerait le droit des Palestiniens à vivre en paix dans leur État, ferait primer la loi du plus fort sur le multilatéralisme basé sur le droit, déstabiliserait une région déjà à feu et à sang, enfermerait les Israéliens dans un État devenu apartheid, durablement instable, reléguant des millions de Palestiniens dans des bantoustans. Nous devons réagir avec force.

Nous n'en pouvons plus de nos accommodements avec l'inacceptable. Lorsque le Parlement a demandé la reconnaissance de la Palestine, on nous a dit que c'était trop tôt, qu'il fallait attendre le plan américain. Puis est venu le plan Trump. Vous l'avez condamné, mais bien timidement, comme s'il y avait encore matière à discuter. (M. le ministre s'offusque.) Les militants qui ont appelé au boycott des produits issus des colonies et demandé des sanctions ont été traînés devant la justice et accusés d'antisémitisme. La Cour européenne des droits de l'homme les a rétablis dans leurs droits.

Il est déjà bien tard, diront certains. En vérité, il n'est jamais trop tard. Benyamin Netanyahou est prêt à tout, il est de la trempe de ces dirigeants extrémistes qu'il affectionne, Trump, Bolsonaro, et qui sait si demain il ne pactisera pas avec Erdogan pour se partager la région après y avoir attisé le feu ?

Nous ne comprenons pas que la Hongrie ou la Pologne empêchent de prononcer des sanctions européennes. N'est-il pas honteux que ces pays dont nous condamnons les dérives anti-démocratiques servent d'alibi à l'inaction européenne ?

Nous devons agir avec l'ONU, avec son secrétaire général, saisir le Conseil de sécurité pour exiger la condamnation qui s'impose. Nous devons reconnaître l'État de Palestine, ce qui déclencherait sans nul doute un mouvement international d'ampleur. Il faut relancer le processus vers la solution à deux États. Nous devons proposer la suspension de l'accord d'association et des accords de coopération et militaire avec Israël. Nous devons agir. Tout nous commande de le faire.

Les Palestiniens sont à bout. La région est une poudrière. N'oublions pas les paroles d'Yitzhak Rabin, juste avant d'être assassiné : « Nous avons fondé un peuple, mais nous ne sommes pas revenus dans un pays vide ». Sans cette promesse de reconnaissance et de respect mutuel, la paix n'adviendra pas. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Joël Guerriau .  - Voilà plus de 70 ans qu'Israël et la Palestine sont en conflit, avec des répercussions sur toute la région. Jordanie, Liban, Syrie accueillent de très nombreux réfugiés palestiniens. L'Europe a aussi été atteinte à travers les attentats terroristes.

Ce conflit possède une dimension universelle. Certains ont pu déplorer une certaine lassitude de la communauté internationale. Mais le projet d'annexion, qui bénéficie du soutien actif de Trump, intermittent de la déstabilisation, constituerait une violation du droit international.

L'ONU plaide pour une solution à deux États sur la base des frontières d'avant 1967. Quelles autres solutions ? Entériner la loi du plus fort, c'est ouvrir la voie aux violences, aggraver les tensions régionales.

Un autre chemin est possible. Israël et ses voisins arabes développent de nouvelles relations de coopération ; elles sont une chance, mais restent fragiles. Les Émirats Arabes Unis, qui ont des liens forts avec Israël, ont averti que l'annexion mettrait un coup d'arrêt à ce rapprochement qui seul rend la coexistence pacifique envisageable.

Les Palestiniens ont fait une contre-proposition avec un État palestinien souverain, indépendant et démilitarisé. Le principe en avait été accepté par Benjamin Netanyahou dans son discours de juin 2009 à l'université israélienne Bar Ilan.

Israël et la Palestine sont à un tournant de leur histoire. La solution à deux États est possible. Ne laissons pas l'Histoire se répéter. Le projet d'annexion détruira tout espoir d'un État palestinien indépendant. Ne donnons pas plus d'arguments aux extrémistes qui cherchent le chaos !

Les violations du droit international doivent cesser pour qu'une paix durable soit possible. « Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître » nous rappelle Rousseau.

La réponse de la France doit être européenne mais la diplomatie européenne doit dépasser les incantations et défendre ses principes. L'Europe doit s'engager en faveur de la paix au Moyen-Orient car elle ne manquerait pas de souffrir d'une reprise des hostilités. Seul le respect du droit saura structurer une société planétaire pacifiée. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et UC)

M. Olivier Cigolotti .  - Dans l'histoire du conflit israélo-palestinien, le 1er juillet 2020 fera date. Le Parlement israélien devra valider le plan de Donald Trump, présenté comme le « deal du siècle », qui n'est rien de moins qu'une annexion d'un tiers de la Cisjordanie, en échange de la reconnaissance d'un État palestinien à la souveraineté diminuée, sans armée ni contrôle de ses frontières, et sans Jérusalem.

Ce plan marque une rupture avec le consensus international. Il jette aux orties des accords d'Oslo qui prévoyaient deux États souverains, avec des frontières stables, partageant Jérusalem comme capitale. Rupture aussi car il prend pour point de départ une situation de fait, celle de la colonisation, et non celle que reconnaît le droit international.

Une initiative unilatérale d'Israël serait considérée comme une violation du droit international, créant un risque de chaos dans une région hautement inflammable.

Nous en sommes réduits à des protestations de principe, sans grande portée. L'Union européenne, premier partenaire économique d'Israël, est inaudible car divisée ; la règle de l'unanimité impose des compromis d'autant plus délicats que le souvenir de la Shoah reste présent. Cet attentisme est risqué, car une humiliation arabe pourrait avoir des répercussions jusque dans nos quartiers.

La pression internationale n'a pas su lutter contre le processus de colonisation, et le soutien de Washington au gouvernement Netanyahou est indéfectible. L'État hébreu souhaite aller vite et procéder à l'annexion avant les élections américaines de novembre.

L'idée est pourtant loin de faire consensus au sein du peuple israélien, qui n'est pas un bloc monolithique uni derrière son premier ministre.

M. Christian Cambon.  - Tout à fait.

M. Olivier Cigolotti.  - Certains y voient une aubaine à saisir, d'autres un cadeau empoisonné ; d'autres voudraient aller plus loin. Les Israéliens sont conscients des troubles sécuritaires à attendre.

Comment imaginer qu'un État palestinien non viable puisse être accepté par la population palestinienne ? Le découpage de la Cisjordanie proposée par le plan Trump s'apparente à une conurbation désordonnée, sans cohérence.

Et cette annexion entraînera nécessairement des réactions des voisins d'Israël qui doivent prendre en compte leurs opinions publiques. Le risque de déstabilisation de la région est immense, avec le risque de nouveaux flux de réfugiés.

« Si nous réglons tous les problèmes du Proche-Orient mais pas celui du partage de l'eau, la région explosera, la paix ne sera pas possible », expliquait Yitzhak Rabin en 1992. Or l'annexion de la vallée du Jourdain pose la question centrale de l'accès à l'eau des territoires palestiniens, avec un risque d'insécurité alimentaire.

L'annexion de la vallée du Jourdain est une manoeuvre infiniment dangereuse. Pour satisfaire la frange la plus extrême de l'opinion israélienne, elle crée plus de problèmes qu'elle n'en résout, au premier rang desquels le statut des Palestiniens eux-mêmes.

Nous devons garder en mémoire cette citation d'Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui le regardent sans rien faire ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur diverses travées du groupe SOCR)

M. Christian Cambon .  - La gravité des collègues qui m'ont précédé le montre : nous sommes à un tournant historique qui pourrait marquer la fin de la séquence ouverte en 1993 par les accords d'Oslo. Ce processus reposait sur l'idée d'une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien, reposant sur deux États ayant chacun Jérusalem comme capitale.

Certes, la perspective de l'annexion découle du plan Trump qui fait de l'État palestinien une étonnante constellation de parcelles plus ou moins reliées entre elles. Personne ne peut croire à sa viabilité. On peut toujours espérer que le Gouvernement israélien entende la voix de ses amis, de la diaspora américaine et même des deux tiers de la population israélienne qui y seraient opposés.

La France est l'amie d'Israël et l'a toujours été. Les liens entre nos deux pays sont forts, profonds, sincères. C'est pourquoi la France ne peut laisser un pays ami plonger dans l'inconnu.

Ce qui paraît acquis, et cela inquiète les responsables militaires et sécuritaires israéliens, c'est que ce tournant débouchera sur une relance du cycle de la violence, amplifiée par l'arrêt inévitable de la coopération sécuritaire entre Israël et l'Autorité palestinienne : personne n'en avait besoin.

Quid de l'Égypte et de la Jordanie, cette dernière ayant averti que l'annexion de la vallée du Jourdain aurait de lourdes conséquences ? Le rapprochement avec les pays du Golfe est-il irrémédiablement compromis ? Enfin, les liens avec la diaspora seraient mis sous tension.

Si Israël met fin à la perspective de deux États, que fera-t-il des Palestiniens ? J'avais prévu une mission d'information en Israël et dans les territoires palestiniens, annulée par la crise du Covid, pour examiner la question.

Mais la question reste posée, brûlante et inquiétante tant elle semble mener à une impasse. En effet, soit les Palestiniens seront des citoyens à part entière de cet État unique, et cela posera la question de l'identité de l'État d'Israël, car l'ensemble des Arabes israéliens et des Palestiniens représenterait déjà la moitié de la population de cet ensemble large. Soit les Palestiniens ne seraient pas des citoyens à part entière, ce qui serait en contradiction avec la nature démocratique de l'État d'Israël affirmée lors de sa création et sans cesse démontrée depuis. Il y a là une équation politique insoluble.

Theodore Herzl affirmait : « S'il se trouve parmi nous des fidèles appartenant à d'autres religions et à d'autres nationalités, nous leur garantirons une protection honorable et l'égalité des droits » et il rappelait que l'Europe leur avait enseigné la tolérance.

Que peut apporter l'Europe face à ce conflit ? Le Haut-Représentant, Josep Borell, a déclaré le mois dernier : « Nous sommes prêts à utiliser toutes nos capacités diplomatiques afin de prévenir toute forme d'action unilatérale ». Vous-même, monsieur le ministre, avez promis une réponse. Mais laquelle ? Notre discrétion confine à l'effacement, aggravée par les divergences au sein de l'Europe.

Alors, il nous reste à porter haut la voix de la France, mais nos positions semblent figées alors que la situation pourrait rapidement dégénérer. Monsieur le ministre, vous n'avez pas ménagé votre peine. Mais quelle est la vision de la France ? La solution à deux États a-t-elle encore un sens ?

Certains Palestiniens commencent à revendiquer un État binational et l'égalité des droits. Continuerons-nous à nous accrocher à la solution des deux États si plus personne n'y croit ?

Nous devons aborder avec lucidité ces questions douloureuses. Il ne reste que quelques jours pour dissuader le Gouvernement israélien ; s'il persiste, n'écoutant ni les Européens, ni les démocrates américains, ni les pays arabes les moins hostiles, ni son propre appareil sécuritaire, la France et l'Europe ne devront-elles pas revoir les principes que nous avons toujours défendus pour la paix dans cette région du monde ? (Applaudissements)

M. Gilbert Roger .  - Le Gouvernement israélien doit se prononcer à partir du 1er juillet sur le plan Trump pour le Proche-Orient, qui prévoit l'annexion de la vallée du Jourdain occupée depuis 1967.

Si la décision était exécutée au mépris du droit international, elle remettrait en cause le projet même d'un État palestinien.

Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, a annoncé une rupture des accords économiques et sécuritaires avec Israël si l'annexion avait lieu. La Jordanie, quant à elle, a annoncé qu'elle reconsidérerait ses relations avec Israël en cas d'annexion.

Ce projet est contesté au sein même de la société israélienne. Dans une récente tribune, plusieurs experts israéliens ont exprimé leurs inquiétudes sur les conséquences pour la sécurité d'Israël. Pour les signataires de ce texte, elle remettrait en cause les traités de paix avec l'Égypte mais également avec la Jordanie. Le Royaume jordanien pourrait ainsi connaître de graves troubles en cas d'annexion alors qu'il offre à Israël une profondeur stratégique face à la Syrie, l'Irak et l'Iran. Les pays du Golfe, disent ces experts, pourraient devoir faire face à une colère populaire attisée par la baisse du prix du pétrole. Enfin, les signataires n'excluent pas un effondrement de l'Autorité palestinienne en cas d'annexion. Or Israël a besoin de cette collaboration dans la lutte qu'elle mène contre le terrorisme.

Le chef de file centriste de l'opposition israélienne, Yair Lapid, a déclaré que cette annexion unilatérale provoquerait des dommages irréparables avec le Parti démocrate et une majorité des juifs américains.

Le président de l'organisation B'Tselem, Ainit Gilutz, qui défend les droits humains des Palestiniens et qui prône une solution à deux États équilibrée, rappelle que l'annexion légitimerait une situation déjà dramatique pour le peuple palestinien et appelle la communauté internationale à ne plus se taire.

La France, membre permanent du Conseil de sécurité, ne peut rester silencieuse et elle doit agir, tout en respectant l'exigence de sécurité d'Israël et de justice pour les Palestiniens.

Deux propositions de résolution votées par le Parlement en décembre 2014 ont appelé le Gouvernement français à reconnaître l'État palestinien, mais le processus de paix est au point mort.

En 2017, la France a organisé une conférence réunissant 77 pays sur la paix au Proche-Orient, mais rien n'en est sorti. Le 6 février 2017, la Knesset reconnaissait les colonies illégales en Cisjordanie, au mépris de la résolution 2334 adoptée par les Nations unies en décembre 2016. En juillet 2018, le Parlement israélien votait un texte faisant d'Israël un État du peuple juif avec Jérusalem comme capitale et l'hébreu comme seule langue officielle. Le texte va à l'encontre des principes démocratiques et institutionnalise des discriminations raciales envers les Arabes israéliens.

Si l'annexion avait lieu sans réaction forte de l'Europe et de la France, ce serait la fin de l'idée d'un État palestinien. La France ne doit pas abandonner cet objectif d'un tel État vivant en paix avec Israël et avec Jérusalem comme capitale partagée. Aussi, en ma qualité de président du groupe d'amitié France-Palestine de notre Haute Assemblée, j'appelle, une nouvelle fois, solennellement, le Gouvernement français à reconnaître I'État de Palestine : le législateur doit se tenir du côté du droit.

La France doit pousser l'Union européenne à envisager des sanctions économiques contre Israël, comme elle l'a fait pour la Russie après l'annexion de la Crimée. Compte tenu de l'importance de leurs échanges commerciaux avec l'État hébreu, les Européens, s'ils en ont la volonté politique, ont tous les outils nécessaires pour sanctionner Israël.

La France doit aussi soutenir les poursuites engagées par l'Autorité palestinienne auprès de la CPI, qui vient de l'autoriser à poursuivre Israël pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Les enjeux sont trop importants : assez de grandes déclarations et de petites sanctions. La France doit agir, et maintenant. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE et sur quelques travées du groupe UC)

M. Yvon Collin .  - « Pourquoi ce besoin de nous mettre le monde entier à dos ? Ils pensent que c'est une chance unique qui ne se représentera jamais. Mais toutes les chances ne sont pas bonnes à saisir ». Cette déclaration d'un ancien responsable sécuritaire israélien est éclairante.

Benyamin Netanyahou, allié avec Berny Gantz, veut mettre en oeuvre le plan d'annexion de Donald Trump.

Alors que les accords de 1993 devaient ouvrir la voie à un état Palestinien, le plan de paix unilatéral de Trump fonde Israël à agir. Certes, il y a une annexion de facto : 200 000 colons en 1993, 430 000 aujourd'hui en Cisjordanie. L'annexion représenterait cependant une grave violation de la Charte des Nations unies et des conventions de Genève ; elle serait contraire à la position de l'Assemblée générale des Nations unies selon laquelle l'acquisition de territoires par la force est inadmissible.

La communauté internationale - moins les États-Unis - est unanime.

Dans ces conditions, que va devenir la recherche d'une entente israélo-palestinienne ? En effet, cette annexion enterrerait le droit palestinien à l'autodétermination des peuples par des moyens non violents. De l'autre côté, la diaspora, attachée au respect des droits de l'Homme, pourrait ne pas reconnaître le projet sioniste visant à l'établissement d'un état juif et démocratique. Alors que la situation humanitaire et sécuritaire est déjà difficile dans les territoires palestiniens, l'annexion pourrait provoquer une troisième intifada.

Israël devra assumer le sort de centaines de milliers de Palestiniens vivant en Cisjordanie. Le Premier ministre n'envisage pas d'accorder aux Palestiniens des territoires annexés les mêmes droits civiques et politiques que ceux dévolus aux Israéliens. Comment accepter la création de citoyens de deuxième zone ? Deux peuples vivant dans le même espace, dirigés par le même État, mais avec des droits profondément inégaux. Le Premier ministre déclare pourtant, sans sourciller, que l'annexion le rapprocherait de la paix.

Que deviennent les accords de paix avec l'Égypte et la Jordanie ? Cette dernière voit dans l'annexion « une menace sans précédent pour le processus de paix qui pourrait plonger le Proche-Orient dans un long et douloureux conflit ». Le rapprochement avec l'Arabie Saoudite est lui aussi compromis.

L'Union européenne et la France doivent s'en tenir à la solution des deux États. Israël aurait beaucoup à perdre en annexant la vallée du Jourdain. Il faut préserver la référence au droit international : c'est votre position, monsieur le ministre, et celle du groupe RDSE. Il faut préserver la référence au droit international et condamner ce qui s'apparente à un passage en force.

Il faut distinguer, dans nos accords bilatéraux avec Israël, le territoire d'Israël en lui-même et les territoires occupés depuis 1967. C'est la seule solution, même si certains y voient une sanction déguisée.

Des milliers de Palestiniens manifestent à Jéricho pour leurs droits et demandent une réponse diplomatique.

Monsieur le ministre, nous comptons sur votre action bienveillante et énergique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SOCR)

M. Bernard Cazeau .  - Ce débat arrive à point nommé avant le 1er juillet, sans quoi le coup de grâce pourrait être porté à deux promesses que nous avons peine à maintenir depuis soixante-dix ans de négociations internationales : une paix durable au Proche-Orient et une issue positive au conflit israélo-palestinien qui permettrait â Israéliens et Palestiniens de vivre côte à côte en paix et en sécurité.

Le 28 janvier, le président Trump a présenté un plan non concerté avec les Palestiniens, qui ne peut être la base d'une paix viable puisqu'il entre en contradiction avec les accords internationaux. En effet, il reconnaît la souveraineté israélienne sur la vallée du Jourdain, ce qui met fin au statut de ces territoires depuis 1967 ; et il nie le statut de Jérusalem comme capitale de deux États.

Allié à son rival Benny Gantz, le 13 mai, Benyamin Netanyahou a prêté serment devant la Knesset et confirmé le projet d'annexion - illégal, car il constitue une acquisition de territoire par la force, contraire au droit international.

Les deux tiers des Israéliens ne soutiennent pas ce projet, qui causerait des troubles supplémentaires et placerait Israël au ban de la scène internationale alors qu'ils ont assez de soucis avec les conséquences économiques de la pandémie et un taux de chômage de 29 %.

Une tribune d'experts et d'anciens hauts gradés des milieux militaires avertit que l'annexion constituerait une menace pour la sécurité d'Israël, qu'elle remettrait en cause le traité de paix avec l'Égypte, mais aussi fragiliserait le traité avec la Jordanie, dont la stabilité serait mise en cause.

Enfin, selon eux, une telle annexion anéantirait tout espoir d'une coopération renforcée entre Israël et les monarchies du Golfe. La réaction de l'ambassadeur des Émirats Arabes unis à Washington en est un premier avertissement.

C'est le souci de la stabilité et de la sécurité d'Israël qui nous pousse à prendre cette position contre une fuite en avant regrettable.

Notre groupe, monsieur le ministre, soutient votre action pour ramener toutes les parties à la raison. Nous le faisons en accord avec plus d'un millier de parlementaires européens qui viennent de signer une pétition en ce sens. Le message doit être ferme, cohérent et uni.

Ce 1er juillet, l'Allemagne prendra la présidence du Conseil de l'Union européenne ; et le 19 juin, vous avez tenu une conférence de presse conjointe avec votre homologue allemand, Heiko Maas, au cours de laquelle ce sujet a été évoqué.

Nous savons la force de travail à deux. Peut-on espérer un moteur franco-allemand de relance du processus de paix au Moyen-Orient ?

Jean-Paul Sartre disait : « Chaque parole a une conséquence. Chaque silence aussi. » Oublions paroles et silences, adoptons les actes concrets qui s'imposent. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur la plupart des travées depuis celles du groupe CRCE jusqu'à celles du RDSE)

Mme Claudine Kauffmann .  - Je tiens à intervenir à la suite d'un courrier adressé aux parlementaires par Avraham Burg, ancien président de la Knesset.

La question qui nous est soumise ce soir n'appelle qu'une seule réponse, toute de bon sens, de discernement et de retenue : la France doit s'opposer à cette annexion inique de la vallée du Jourdain, car ce territoire constitue une partie essentielle d'un futur État palestinien viable.

Mon propos n'est aucunement antisioniste, d'autant qu'Israël a pris depuis longtemps sa juste place dans le concert des Nations. Cependant, la France, qui porte haut depuis des siècles le flambeau de la Liberté, ne saurait s'accommoder de cette annexion. Tous les Israéliens n'y sont pas favorables à ce vol territorial.

Trop de larmes et de sang ont été répandus en cette région du monde. Notre devoir est de faire respecter le droit international qu'Israël a foulé au pied et les valeurs démocratiques sans lesquelles ne peut exister une quelconque stabilité au Proche-Orient.

Si l'annexion avait lieu, la solution des deux États s'évanouirait. Mères juives et arabes ne mettent pas leurs enfants au monde pour les voir tomber sous les balles. Toutes aspirent à une paix qu'elles n'ont jamais connue.

La France doit adopter une position extrêmement ferme, autrement l'embrasement du Proche-Orient est possible.

Nous, parlementaires français, pourrons être les boucliers du peuple palestinien. Une guerre n'engendre pas de vainqueurs, seulement des orphelins et des veuves !

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Le durcissement des relations internationales, le retour du fait accompli et l'émergence de dirigeants imprévisibles constituent le contexte de notre débat.

Vue d'Europe, la longue séquence de guerres au Proche et Moyen-Orient contre Al-Qaïda puis l'État islamique a fait passer au second plan le conflit israélo-palestinien, qui s'installe dans une exceptionnelle longévité, malgré des sommets et plans de paix successifs. Israël se sent toujours en insécurité. Les Palestiniens considèrent que leur cause n'est plus aussi bien entendue...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Oui.

M. Pascal Allizard.  - L'Europe paye son manque d'ambition, d'unité et de poids. Elle est considérée comme un acteur économique ou culturel, voire humanitaire, un bailleur de fonds, mais pas comme un décideur politique majeur.

La France possède une connaissance fine de la région. Nous auditionnions, il y a quelques jours, notre ambassadeur en Israël et notre Consul général à Jérusalem. Forte de son réseau culturel et diplomatique actif, la France entretient des relations suivies avec Israël et l'Autorité palestinienne. Mais sa voix porte moins que du temps du Général de Gaulle. La France est toujours capable de parler à tout le monde, mais elle est moins entendue. Il nous manque une grande vision, un nouveau souffle à notre action internationale.

Les États-Unis et Donald Trump, qualifié par son allié israélien de « plus grand ami qu'Israël ait jamais eu à la Maison Blanche », avancent sans nuance, sans égard pour l'avis des Européens ni pour les conséquences locales.

Ce n'est pas étonnant, à un moment où la relation transatlantique n'a jamais été aussi incertaine. L'Amérique suit son propre agenda.

Le Plan Trump a suscité de nombreuses inquiétudes sur le statut de Jérusalem et l'annexion de la vallée du Jourdain, contestés par les Palestiniens et une partie de la communauté internationale.

Outre les Palestiniens, des milliers d'Israéliens ont manifesté, samedi, à Tel Aviv contre ce projet. À l'inverse, certains qui sont installés dans la zone considèrent que ce territoire appartient à Israël.

Paris continue à demander à Israël de s'abstenir de toute action unilatérale « qui conduirait à l'annexion de tout ou partie des territoires palestiniens ». (M. le ministre le confirme.)

Le chef de la diplomatie de l'Union européenne souligne que « la solution des deux États, avec Jérusalem comme future capitale pour les deux États, est la seule façon de garantir une paix et une stabilité durables dans la région ». Les Européens pourront-ils prendre des mesures concrètes pour dissuader Israël ? Si oui lesquelles ? Chacun a pu constater l'effet nul de la menace de sanctions vis-à-vis de la Russie dans la crise ukrainienne, (M. le ministre en doute.) et même des effets contreproductifs des sanctions a posteriori.

Si la France et l'Union européenne échouaient à dissuader les autorités israéliennes, le discrédit serait grand sur notre capacité à changer le cours des évènements mondiaux et le risque d'embrasement dans la région serait grand. La Jordanie, ou la Russie, redevenue une puissance majeure du Proche-Orient à la faveur des atermoiements européens en Syrie, pourraient faire bouger les lignes. Quelle sera l'attitude de la Chine qui recherche un statut d'acteur politique global et non seulement économique, sur la scène internationale ?

Je participerai avec plusieurs sénateurs à un prochain déplacement en Israël reporté par le Covid. Nous souhaitons faire entendre la voix de la France. La diplomatie parlementaire est faite pour cela : tisser des liens, bâtir des ponts, favoriser le dialogue et nous nous y efforcerons. Nous ne pouvons pas laisser faire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et LaREM)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Ces échanges ont été utiles et denses. Le conflit israélo-palestinien se trouve sans doute, en effet, à un tournant historique. Début mars, je m'étais exprimé devant certains d'entre vous sur le sujet.

Benyamin Netanyahou, candidat du Likoud, et Benny Gantz, leader de la coalition Bleu Blanc, ont conclu un accord de coalition fin avril qui prévoit d'engager un processus d'annexion partielle de la Cisjordanie à partir du 1er juillet. Le Gouvernement a été formé le 17 mai.

Le champ géographique de l'annexion n'a pas encore été précisé, ni dans l'accord de coalition, ni par la suite, mais deux conditions ont été posées : la première, l'assentiment des États-Unis ; la seconde, les intérêts stratégiques d'Israël seront pris en compte et les accords de paix existants, avec l'Égypte et la Jordanie, préservés.

Les États-Unis devraient se prononcer en recherchant un consensus entre le Likoud et Bleu Blanc sur le périmètre de l'annexion et en prenant en compte les résultats du comité conjoint israélo-américain mis en place pour cartographier les frontières après la publication de la « vision » américaine. La position des États-Unis ne fait que peu de doutes. Mon homologue américain, Mike Pompeo, a indiqué cet après-midi même -heure de Paris - que la décision appartenait à Israël - ce qui revient à un nihil obstat.

La position de la France repose sur un cadre - le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité -, un objectif - deux États vivant dans la paix et la sécurité au sein de frontières sûres et reconnues internationalement, fondées sur les lignes du 4 juin 1967, avec Jérusalem pour capitale - et une méthode - la négociation entre les parties et non les décisions unilatérales. Voilà le prisme à travers lequel nous avons lu le plan proposé le 28 janvier dernier par le Président américain. Mais il s'écarte du droit international, il ne permet pas la création d'un État palestinien viable et n'est accepté que par l'une des deux parties comme une base possible de négociation.

Le projet d'annexion, que le Premier ministre Benjamin Netanyahou a endossé dans son discours d'investiture, met en oeuvre cette vision, mais de manière unilatérale et accélérée. Si cette annonce se concrétisait, ce serait la décision la plus grave depuis 1980 et la loi constitutionnelle sur Jérusalem.

L'annexion de territoires palestiniens, quel qu'en soit le périmètre, remettrait en cause de manière grave et irrémédiable les paramètres du règlement du conflit. Elle remettrait en cause les principes au coeur du droit international bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que nous invoquons s'agissant de la Crimée, et les résolutions adoptées depuis 1967 par le Conseil de sécurité de l'ONU, notamment les 242 et 2334.

Elle rendrait également quasiment impossible d'atteindre l'objectif de la solution à deux États car l'État palestinien ne serait viable ni économiquement, ni géographiquement, ni politiquement. Les Palestiniens verraient leur liberté de mouvement encore plus entravée.

L'annexion rendrait irréversible la présence des colonies existantes. Le nombre de colons a été multiplié par trois depuis les accords d'Oslo de 1993. Ils sont aujourd'hui 650 000, dont 220 000 à Jérusalem et 430 000 en Cisjordanie.

L'annexion remettrait en cause la méthode de la négociation directe entre Israéliens et Palestiniens. Or seule une logique de négociation permettrait d'aboutir à une solution viable parce qu'acceptée par les deux parties.

L'annexion remettrait en cause les aspirations nationales des Palestiniens, qui ont vocation à disposer d'un État viable, mais tout autant le projet national des Israéliens de vivre dans un État juif et démocratique...

M. Yvon Collin.  - C'est sûr.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - En ancrant dans leur droit la réalité de l'État unique, les Israéliens se retrouveraient à terme, devant un choix impossible entre le caractère juif de leur pays et le caractère démocratique de leur État.

L'annexion remettrait en cause la stabilité régionale et la sécurité même d'Israël à laquelle la France est très attachée et sur laquelle elle ne transigera jamais. Les relations entretenues par Israël avec l'Égypte et la Jordanie font partie des rares progrès enregistrés ces dernières décennies et cet acquis est fragile. Les autorités jordaniennes ont formulé des mises en garde au plus haut niveau. Le Roi de Jordanie a évoqué la possibilité d'un « conflit massif ». Les accords de paix de Wadi Araba en 1994 avec la Jordanie et le traité de paix Israël-Égypte de 1979 reposent sur la perspective de la création d'un État palestinien souverain et indépendant. Y mettre un terme fragiliserait ces accords.

L'annexion pourrait également déstabiliser les camps de réfugiés palestiniens, notamment en Jordanie et au Liban. Ce serait ainsi un effet d'aubaine pour les États les plus hostiles à Israël, à commencer par l'Iran, au détriment des voix plus modérées dans la région.

En somme, l'annexion ne serait dans l'intérêt de personne, ni dans celui des Palestiniens, ni dans celui d'Israël, dont la sécurité passera, à terme, par un accord avec les Palestiniens et par une pleine intégration régionale, ni dans celui d'une région, dont la stabilité est déjà menacée, ni dans celui des Européens et de la communauté internationale qui ont investi des efforts diplomatiques et financiers massifs dans la perspective des deux États.

Pour toutes ces raisons, à quelques jours de l'échéance du 1er juillet, la France est pleinement mobilisée. Notre objectif est de préserver les conditions d'une négociation future et la possibilité d'une solution négociée. Nous nous coordonnons avec nos partenaires européens et arabes pour envoyer des messages préventifs et dissuasifs pour que l'annexion, quel qu'en soit le périmètre, ne se produise pas.

Si nos efforts n'aboutissaient pas, nous nous préparons à réagir. Une décision d'une telle gravité ne peut en effet rester sans réponse.

Le premier axe de notre action est préventif. Nous faisons passer aux Israéliens des messages clairs. Nous faisons valoir les avantages qu'ils pourraient retirer d'un renforcement de leur coopération avec l'Union européenne s'ils renonçaient à cette annexion et s'engageaient dans un véritable processus politique négocié. Nous leur indiquons ainsi que nous ne reconnaîtrons aucun changement aux lignes de 1967 qui ne soit pas agréé par les parties, et donc nous ne reconnaîtrons pas la souveraineté israélienne sur les territoires annexés.

Je l'ai dit publiquement, et lors de mon entretien du 17 juin dernier avec mon homologue israélien M. Ashkenazi. Et le Président macron le dit à chacun de ses entretiens avec Mahmoud Abbas.

Les Palestiniens savent pouvoir compter sur nous pour agir en faveur d'une solution négociée d'un État souverain, viable, contigu et démocratique.

Nous avons mobilisé une aide spécifique dans le contexte de la Covid, et débloqué par anticipation notre aide budgétaire annuelle de 16 millions d'euros à l'UNRWA après le retrait financier des États-Unis. Il s'agit de donner aux Palestiniens des raisons de ne pas se détourner du cadre d'Oslo.

Le second axe de notre action est dissuasif. Si les Israéliens poursuivaient dans leur décision d'annexion, les relations de l'Union européenne et d'Israël en seraient affectées, au travers de l'accord d'association ou des nombreux programmes de coopération, en particulier dans le cadre de la préparation du cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Réunir un consensus au sein de l'Union européenne sur cette question est difficile. J'ai appelé plusieurs fois à l'unité sur le sujet, notamment lors du Conseil des ministres des Affaires étrangères du 15 mai. Nous ne pouvons décider seuls de suspendre tel ou tel accord entre l'Union européenne et Israël.

Nous sommes en coordination étroite avec nos grands partenaires européens et avec le représentant Josep Borrell. Soulignons que la règle de l'unanimité ne s'applique pas à tous les sujets européens concernant Israël. Une série de mesures peuvent être prises à titre national et de manière coordonnée avec nos principaux partenaires européens.

Au plan national, nous pourrons insérer des clauses territoriales dans nos accords avec Israël. Cela ne signifie pas du tout que nous mettons fin à tous les accords qui nous lient avec Israël.

Il nous appartiendra également de mettre en place des contrôles de l'application de l'étiquetage différencié des produits en provenance des colonies israéliennes, qui est une obligation, au titre du droit d'information du consommateur européen, confirmée par la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne.

Enfin, nous nous coordonnons avec nos partenaires arabes, en particulier l'Égypte et la Jordanie. L'annexion induit les enjeux de sécurité évoqués par M. Cazeau. M. Gantz et M. Ashkenazi sont d'anciens chefs d'État-major qui connaissent l'importance du maintien de ces accords. Nous nous concertons avec nos homologues jordaniens, égyptiens et allemands. Nous coordonnons nos messages, nos actions et nos ripostes avec nos partenaires arabes.

Nous incitons l'Arabie saoudite à se mobiliser. Les Émirats arabes unis ont récemment mis en garde contre une annexion. Celle-ci ne modifierait en rien, bien au contraire, notre détermination ancienne à reconnaître l'État palestinien dans le cadre et le format appropriés, lorsque cette décision sera utile pour la paix.

La situation est préoccupante. C'est pourquoi nous agissons de manière déterminée et résolue, et non seulement déclaratoire, pour défendre la solution de deux États dans le cadre du droit international, seul moyen d'aboutir à la paix après des années de conflictualité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que depuis les travées du groupe SOCR jusqu'à celles du groupe Les Républicains)

Prochaine séance, demain, jeudi 25 juin 2020, à 9 heures.

La séance est levée à 23 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du jeudi 25 juin 2020

Séance publique

De 9 heures à 13 heures

Présidence : Mme Catherine Troendlé, vice-présidente

Secrétaires de séance : MM. Guy-Dominique Kennel et Victorin Lurel

1. Proposition de résolution présentée en application de l'article 3481 de la Constitution, pour une nouvelle ère de la décentralisation, présentée par M. Éric Kerrouche et les membres du groupe SOCR (n°515, 2019?2020)

2. Proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du Covid-19, présentée par Mme Victoire Jasmin et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°531, 2019-2020)

De 14 h 30 à 18 h 30

Présidence : M. Philippe Dallier, vice-président

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne (texte de la commission, n°533, 2019-2020)

4. Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent (texte de la commission, n°522, 2019-2020)

À 18 h 30

Présidence : M. Philippe Dallier, vice-président

5. Débat sur les conclusions du rapport : « Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises dans le contexte de forte évolution des métiers » (demande de la délégation aux entreprises)

Nominations à des CMP

Les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont :

Titulaires : MM. Philippe Bas, Christophe-André Frassa, Mme Muriel Jourda, MM. Yves Détraigne, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Sueur et Richard Yung ;

Suppléants : Mmes Jacky Deromedi, Catherine Di Folco, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Hervé Marseille, Éric Kerrouche, Mme Nathalie Delattre et M. Pierre-Yves Collombat.

Les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi permettant le don de congés payés sous forme de chèques-vacances aux membres du secteur médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de Covid-19 sont :

Titulaires : M. Alain Milon, Mmes Frédérique Puissat, Pascale Gruny, Jocelyne Guidez, MM. Yves Daudigny, Bernard Jomier et Martin Lévrier ;

Suppléants : Mmes Catherine Deroche, Corinne Imbert, M. Philippe Mouiller, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, Véronique Guillotin, Cathy Apourceau-Poly.

Les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux sont :

Titulaires : MM. Philippe Bas, André Reichardt, Mme Muriel Jourda, M. Yves Détraigne, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Pierre Sueur et Martin Lévrier ;

Suppléants : Mmes Jacky Deromedi, Catherine Di Folco, Catherine Troendlé, MM. Jean-François Longeot, Yannick Vaugrenard, Ronan Dantec, Pierre-Yves Collombat.

Les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales sont :

Titulaires : M. Philippe Bas, Mmes Marie Mercier, Jacky Deromedi, Annick Billon, Marie-Pierre de la Gontrie, Laurence Rossignol, M. Thani Mohamed Soilihi ;

Suppléants : M. François Bonhomme, Mmes Catherine Di Folco, Jacqueline Eustache-Brinio, Dominique Vérien, Laurence Harribey, Maryse Carrère et Esther Benbassa.